Les salons littéraires font rejaillir l’humain des livres : texte de Victoire de Changy

Publié le  14.05.2021

À l'heure où tous les salons du livre sont reportés ou expérimentent de nouvelles voies numériques, Bela a voulu connaître la place qu’occupe un tel événement culturel dans la vie d’un.e auteur.rice. Est-ce nécessaire d’y participer ? Qu’est-ce que cela apporte ? Est-ce agréable ? Qu’est-ce que l’on y fait ou cherche ? Est-ce un lieu de contacts privilégiés (avec des maisons d’édition, des libraires, des lecteur.rices, des collègues créateur.rices, etc.) ?

Autant de questions auxquelles la romancière et poétesse Victoire de Changy a tenté de répondre dans un texte qui nous rappelle judicieusement l'essence d'un salon littéraire peu importe sa forme : créer du lien.

 

À propos de salons éprouvés, d’expériences en la matière, je ne suis sans doute pas l’autrice la plus aguerrie ; je n’ai pas arpenté le monde, pas pu comparer les superficies des lieux et l’architecture des stands, ni l’accueil réservé aux autrices et auteurs sans doute différent selon les contrées. Je ne pourrai pas faire une liste claire des usages coutumiers, des choses à faire et à ne pas faire, des équipements nécessaires. Mais à y réfléchir plus en longueur, mes souvenirs et impressions sont nombreux, évolutifs, contraires. Comme beaucoup, enfant puis jeune adolescente, j’allais faire la file à la Foire du Livre de Bruxelles pour faire signer mes livres préférés. J’avais même pris cette drôle d’habitude d’aller faire dédicacer le même livre par le ou la même auteur·trice à quelques années d’intervalle ; pour qu’il sache, sans que j’aie besoin de le dire, reconnaissant sa propre écriture, que j’étais toujours là, à le lire, à le suivre. Et les signatures s’additionnaient, ajoutées de dates disparates.

Il y eût aussi le Salon du livre de Montréal, quand j’y étais stagiaire dans une petite maison d’édition. J’étais installée en arrière de mon stand (au Québec ils disent kiosque) à longueur de temps, et j’avais pris le pli de lire chacune des œuvres éditées par ma maison, pour me rendre experte dans le conseil à ceux qui viendraient m’interroger. Pour ne pas abîmer les livres destinés à la vente, je les lisais le plus prudemment possible, en les ouvrant à peine, de peur d’écorner les pages. Je plissais les yeux et me tordais le cou pour parvenir à saisir la fin des phrases. Cette façon trop précautionneuse de lire m’avait valu une belle rencontre avec un poète qui, m’observant depuis son kiosque à lui, m’avait prise en pitié, et m’avait apporté un livre que j’avais le droit de malmener, dans lequel écrire, souligner, plier.

Et puis, bien sûr, il y eût la première Foire du Livre traversée en tant qu’invitée. Ce badge auteur (est-il devenu inclusif, depuis lors ?) pendu à une corde, que les habitués rangent dans leur poche une fois entrés, et que j’arborais, moi, comme on porte un collier, fièrement ; il se balançait à mon cou au rythme de ma marche, rendu illisible dès lors, et ne pouvait se comprendre qu’une fois installée à ma table pour signer mes livres : c’était moi, l’auteur, c’était écrit sur l’étiquette, c’était donné à lire. Elle était validée, la chose toujours voulue depuis l’enfance, actée, la seule certitude chevillée à mon corps.

Il y eût le Salon du livre de Paris, grouillant de monde, encore plus qu’à Bruxelles, dans le ressenti, puisque dépourvu de toute tête connue ; et ma table de signature qui m’apparaissait alors petite, toute petite, la plus petite table qui soit. J’y avais reçu et lu en direct ma toute première lettre manuscrite d’un lecteur inconnu, ses phrases m’avaient tenu compagnie pendant les longues minutes, voire les heures – car c’est courant – sans personne pour vous demander une signature.

Il y eût Montreuil, le salon de la littérature jeunesse en banlieue de Paris, une autre ambiance, un autre son, surtout : des cris d’enfants qui forment un tout chantant, comme dans les cours de récréation. J’y étais presque trois jours, avec dans les bras mon fils de pas encore deux mois, et c’était la première fois que j’occupais un stand de maison d’édition pour d’aussi longues heures, plusieurs jours d’affilée. Ce que j’y ai reçu, en plus des lectrices et lecteurs et de leurs paroles qui confortent et réconfortent, c’est un réel lien avec mon éditeur français, que je n’avais jusque-là vu qu’une seule fois. Nous avons eu du temps pour nous interroger l’un et l’autre, pour faire de nous des êtres humains qui se rencontrent, et ce sont ces heures qui ont modifié et scellé notre rapport professionnel, notre union littéraire.

Il y eût aussi des rencontres communes et des liens faits entre mes livres et ceux d’autrices venues d’un autre bout du monde, et la possibilité d’échanger avec elles sur nos pratiques respectives, de nous surprendre des endroits où nous nous rejoignions si bien, partant pourtant d’univers si différents. Si les salons sont importants pour la promotion du livre, ils le sont, pour moi, pour ça : pour créer des jointures là où il n’y en avait pas, pour faire rejaillir l’humain des livres planes ou des contrats glacés, pour tendre des mains, des cordes, des ponts. Et il y a autre chose, une caractéristique, la même quel que soit le salon, la ville, le pays ; celle que je retrouve partout, que je reconnaîtrais entre toutes : une odeur qui prend au nez. L’odeur du papier, l’inimitable parfum des pages imprimées.  

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