La Fête des Arbres, une croisage (un peu) franco-belge partie d'Esneux

Le 21 mai 1905 se tenait, à Esneux, non loin de Liège, la première Fête des Arbres organisée en Belgique. Animé par un fringant duo franco-belge, un ‘collectif’ de journalistes, d’artistes et de ténors politiques planta un petit conifère et l’entoura de discours attendris. Il ne s’agissait plus de planter l’un de ces arbres Arbres de la Liberté ou de l’Indépendance dressés en l’honneur de la cocarde ou du drapeau, mais de rendre hommage à l’Arbre et à la Forêt, symboles vivants d’une nature menacée par l’ogre industriel. Anecdotique ? La Fête des Arbres allait se ramifier à travers tout le pays et de cette petite forêt naquirent les premières associations, surgirent les premières lois en faveur de la protection des sites et des paysages en Belgique… C’est donc le prosélytisme des peintres ou écrivains ‘pittoresques’ qui ensemença le mouvement de la conservation de la nature, en Belgique comme en France.

Fiche

Année
2005
Édition
Les Amis de l'Ardenne

Extrait

Esneux à la Belle Époque ! L’été venu, les citadins liégeois partaient en goguette « dans ces villages riverains de la Meuse ou de l’Ourthe, Kinkempois, Wandre, Visé, Tilff, Esneux, des guinguettes au bord de l’eau avec des fritures de poissons, des tartes, de l’oie à l’ail, un petit vin du pays, des escarpolettes et des jeunes filles en blanc qui criaient quand le vent découvraient leurs chevilles. »
Les bords de l’Ourthe… Nulle part ils ne sont plus enchanteurs qu’à Esneux : peu avant de se noyer dans le fleuve qui déjà l’attend aux portes de la Cité ardente, l’Ourthe venue d’Ardenne s’offre une dernière escapade, son chant du cygne. Mais quelle échappée belle !
À peine a-t-elle traversé Esneux, qu’elle déroule une ultime grande boucle autour de Beaumont, le bien nommé : un vaste promontoire que seule égaie la vie paisible de Ham, hameau minuscule qui a conservé tout son charme d’antan.
De là-haut, de belles échappées plongent sur la vallée heureuse et quelques bouquets d’arbres silencieux ponctuent de vastes prés suspendus dans le ciel. Et tout au bout, la Roche aux Faucons ! Celle-là même que ce diable de Souguenet exalte dans le Guide remboursable de l’Exposition 1905, diffusé à des milliers d’exemplaires : « Une assise de rocs massive comme les fondations d’une tour fabuleuse qui prend pied à mi-hauteur des coteaux, bâtie pour supporter l’entassement du plus formidable des donjons rêvés par des géants. On pense ici à des scènes wagnériennes. N’est-ce pas là-haut le Walhalla ? »
De ce banquet des Dieux lancé en plein ciel, la vue rebondit sur Beaumont d’où montait, ravi, notre regard stupéfait : la courbe voluptueuse de la rivière alanguie, les vergers en fleurs, fermes, animaux et humains, tous minuscules dans un cadre si grandiose, aux vues miraculeusement étagées…
Or donc, l’ami Souguenet a une résidence à Ham. Et c’est à Ham qu’il retrouve certains de ses amis : « Avec Souguenet, on y rencontrait le romancier Camille Lemonnier, qui y écrivit son dernier roman : L’Hallali; Maurice des Ombiaux, autre romancier et prêtre du dieu bourgogne, qui ressemblait alors à Napoléon III avant d’avoir, glabre, un profil d’empereur romain de médaille; le peintre Henry de Groux qui s’était fait tailler, dans un drap de billard, une cape plus verte que les prairies les plus humides; l’abbé Van der Elst, critique littéraire, à qui Souguenet, à la terrasse ombragée de glycines du petit café où ils prenaient l’apéritif, disait, bien haut, au grand scandale des paysans : ‘Hé bien, l’abbé, si, maintenant, on allait voir les femmes !’ »
A leurs côtés, d’autres écrivains célèbres portés à l’escapade champêtre et aux déjeuners sur l’herbe : Edmond Picard, écrivain mais aussi avocat flamboyant de Lemonnier lors de plusieurs procès, à Paris ou Bruxelles, pour « outrages aux bonnes mœurs », Glesener rendu célèbre en 1904 par son roman Le Cœur de François Rémy, ou encore le sculpteur Oscar Berchmans et son frère Émile, le peintre, proche d’Armand Rassenfosse, peintre, graveur et grand affichiste, à l’instar de son ami d’enfance, celui qui va devenir le peintre de l’Ourthe esneutoise, le peintre de l’Arbre : Auguste Donnay … Bref, une petite Académie portative des Arts et des Lettres. Amoureuse de la beauté du site. Et scandalisée qu’on puisse encore en détruire en Belgique.