Poussière de voyages

Je n’ai jamais écrit en voyage. Ma seule tentative de tenir un journal s’est rapidement interrompue. Que noterais-je d’ailleurs, tant peut s’avérer profuse la matière d’une seule journée de voyage ? Au retour, je n’ai pas eu davantage la tentation de raconter. Par quel bout le prendre, ce voyage, pour le transformer en récit ? Non plus que je n’écrivais, je ne photographiais en chemin, craignant sans doute que ces traces tangibles ne se substituent à l’image que j’espérais voir se former. Cette crainte me paraît aujourd’hui naïve : la mémoire se frayera d’autres voies. Qu’ai je gardé de ces voyages ? Bien des villes ont glissé dans le flou, bien des lieux se sont effacés, redevenant ce qu’ils étaient naguère pour moi : une image vague, un simple nom. Quand un voyage se décante, le tourisme s’évanouit le premier. De ces musées, de ces châteaux, de ces pagodes, de tous ces lieux incontournables auxquels j’ai dû sacrifier pour continuer sans remords, combien ont disparu de ma mémoire dès le lendemain du retour ? L’image qui me reste d’une ville, le souvenir qui s’impose tiennent souvent du presque rien. C’est un détail infime, une anecdote dérisoire. L’ai-je seulement remarqué cet instant, alors que je le vivais ? De la Crète, plus que les vestiges archéologiques, me reviennent le scooter sur lequel nous roulions, le sol froid de l’épicerie dans laquelle nous avons dormi, la fraîcheur des souvlakis achetés dans la rue. Combien d’avions, de trains et d’autocars, de déceptions, d’attrape-nigauds et de repas manqués pour atteindre enfin le coeur même du voyage : ce que je cherchais sans le connaître.

Fiche

Année
2001
Édition
Impressions nouvelles (Les)