Christine Van Acker

  • Écrit / Son / Spectacle vivant

Tout est bon

langue morte

Etes-vous dans le colimateur du “Plan d'Accompagnement des Chômeurs” ? Avez-vous déjà été convoqué au bureau de chômage de votre localité pour justifier votre emploi du temps ? Et, pendant que votre sort se jouait dans le petit bureau et que vous étiez face à un fonctionnaire le nez dans les textes de la loi, les secrétaires, à côté, se préparaient une pause de midi d'enfer ? Connaissez-vous les sites internet qui vous donnent toutes les astuces pour dégoter un emploi, qui vous indiquent comment vous habiller, comment demander une augmentation, comment vous comporter avec vos collègues, comment vous méfier des ragots de couloir, comment vous détendre avec quelques exercices de gym, quels verbes employer pour une lettre de motivation, et qui vous informent des dernières technologies en date (comme celle du scan MRI pour évaluer vos capacité réelles dans les tests d'embauche) ? Avez-vous joué le jeu des tests d'aptitude ? Les résultats vous ont-ils appris que vous aviez l'étoffe d'un leader ? Vous a-t-on soupesé les couilles pour vérifier si vous êtes en bonne santé comme c'est pratiqué dans certaines compagnies d'assurances ? Et, à l'écoute des infos, n'avez-vous pas été intoxiqués par un vocabulaire marchand ? Non, “Tout est bon” n'est pas de la fiction. Il y a là quatre personnages et un choeur “cochon”. Le “Peseur” évalue les capacités du “Demandeur”. Le “Demandeur” doit absolument donner plus de poids à son dossier qui, bien qu'épais, n'en reste que trop léger. Pendant ce temps-là, Vanessa s'occupe de son régime alimentaire et Sabrina s'absente. Le “Demandeur”, après une balade à la mer, n'est plus capable d'exercer son ancienne fonction. Mal lui en prend, il ne reste plus que ça comme boulot et s'il ne daigne pas s'y remettre, il risque fort de passer à la trappe. Comme Sabrina qui s'est déjà fait poinçonner deux fois et qui risque aussi d'aller à la casse. “Le Demandeur” et Sabrina étaient donc faits pour s'entendre. Mais, dans un pays où règne la langue morte, rien ne se passe comme deux simples mortels l'auraient voulu. Le principe de ce texte, c'est celui de l'auberge espagnole, chacun peut encore y ajouter des formules entendues, lues, qui font partie de ce langage qui nous intoxique. Je ne pense pas que les années qui viennent nous priveront de cette langue que j'ai appellée ici “langue morte” parce que derrière il n'y a déjà plus personne ou, s'il y a encore quelqu'un, il n'est pas loin de vouloir notre mort.

Fiche

Année
2009

Extrait

LE PESEUR. - J'aurais aimé qu'on parle un peu nous deux. Asseyez-vous un moment ici.
VANESSA. - Monsieur, c'est que j'ai...
LE PESEUR. - ... beaucoup de travail, oui, je sais, Vanessa. Je vous apprécie beaucoup, Vanessa. J'avais pensé que vous auriez pu m'accompagner au business lunch de demain.
VANESSA. - Oh, c'est bien aimable à vous, monsieur. Mais ne pensez-vous pas que ça pourrait alimenter les ragots dans les couloirs ?
LE PESEUR. - Je vous aime, Vanessa.
VANESSA. - Oh ! Monsieur ! Moi aussi, je vous aime ! Mais nous ne pouvons pas ! Ca risquerait de déstabiliser la structure hiérarchique et ça n'est pas vraiment dans la culture de notre entreprise.
LE PESEUR. - Au début, je vous considérais comme une relation amicale. J'ai laissé venir les choses... et...
VANESSA. - J'ai beaucoup d'admiration et de respect pour vous, monsieur. Je ne puis que vous conseiller de garder la tête froide. Pensez à ce que dirons les collègues et nos supérieurs.
LE PESEUR. - Nous sommes sur la même longueur d'ondes, Vanessa. Vous devancez mes désirs. Je suis le premier à apprécier la qualité de votre proactivité. Vous êtes une organisatrice née, vous présidez mon coeur à présent. Vous le mèneriez où bon vous semble s'il vous plaisait de...
VANESSA. - Avez-vous pensé à la pénibilité de nos relations par rapport à nos collègues si nous... ?

LE PESEUR. - Cela créerait à tout le moins la surprise, c'est un fait.
VANESSA. - A juste titre ! Certains pourraient penser que je vous aurais séduit pour effectuer en ma faveur une revalorisation barémique. Le porte-parolat du personnel pourait décider de se mettre en grève en front commun sectoriel...
LE PESEUR. - Tout à fait, vous avez tout à fait raison Vanessa. En tout état de cause, je vous aime tout de même.
VANESSA. - Moi aussi, monsieur, je vous aime. Mais ce serait considéré comme de la discrimination positive et risquerait de provoquer une crise grave du personnel.
LE PESEUR. - Ceci étant, je vous aime, j'aime la fonction que vous occupez dans mon coeur. Je vous désire, Vanessa.
VANESSA. - Dans ce cas de figure, nous pourrions peut-être envisager un transfert de compétences et nous mettre en réseau juste un moment sans que cela ne nuise au tissu social de notre unité de travail. Je pense qu'ensuite, sans imprévisibilité, nous pourrions rester bons camarades.