Sur l'océan de nos âges (roman)

Lorsque Lara fait la connaissance d'Antonine au Doux Repos, la dame affiche quatre-vingt-quinze printemps, une santé de fer et une sacrée dose d'humour teintée de sarcasme. « On m'a dit que j'étais vieille ! » s'insurge Antonine. Et de conclure son monologue intérieur sur le quotidien dans la maison de retraite par un constat fataliste, presque amusé: « On meurt beaucoup ici. »
 

Entre la rude Wallonne qui a traversé toutes les guerres et Lara, la jeune pianiste si troublante, une amitié indéfectible va éclore. Trois années de conversations, de confidences mutuelles dans la douceur des gestes et le secret des silences. Mais en vérité, qui est Lara ? Qui est la musicienne surdouée, fragile au point d'avoir renoncé à une carrière hors du commun ?

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Fiche

Visuel
Année
2013
Édition
Luce Wilquin

Extrait

Les gens sont sots ! Dans ma vie d'avant, j'avais une belle-mère. Elle mettait du saindoux sur ses tartines. Un jour, elle a avalé le sirop préparé pour mon petit Cyprien : des figues bouillies, de la réglisse et du sucre candi. Elle avait tellement rempli son estomac qu'en sortant de chez moi, elle a dû s'accroupir sur la place du village. Puis elle m'a demandé un seau d'eau pour se laver. Un autre jour, en voyant un suppositoire, elle a cru que c'était un bonbon. « Vaut mieux panse crevée que pomme de terre laissée », elle disait.

J'ai de beaux vêtements dans mon armoire : des robes en coton, des gilets, et les deux paires de bas qu'elle m'a apportées. Si Albert voyait ça !

Dès qu'elle arrive, je lui montre mes petites affaires. Elle porte de nouveau son affreux djin. On dirait un marin. La fois passée, elle est venue avec une jupe qui montrait ses genoux. J'ai dit : « Tire sur ta jupe, on voit ta culotte ! » Elle a eu l'air gêné, a posé son sac sur ses cuisses et fait semblant de rien. La semaine suivante, elle avait apporté un appareil photographique. Cette jeune personne est bien gentille, décidément.

Elle a pris des photographies de moi. Je portais ma petite robe mauve et mon foulard. Puis elle m'a donné l'appareil. J'ai fermé mon oil. Avec l'autre, je la voyais tout entière. Elle était assise sur ma chaise. Elle souriait, les bras croisés. J'ai poussé sur le bouton rouge qu'elle m'avait montré. « C'est bien », elle a dit. La fois suivante, elle a apporté les photos. Comment un si petit appareil peut faire de si grandes photographies ? Encore un mystère.

Elle n'a pas d'enfant. C'est bien étrange. Comment vit-on sans enfants ? Elle aime beaucoup son Gérald. Et lui ? L'aime-t-il ?