Jacky Degueldre

  • Écrit / Son / Audiovisuel / Multimedia

1984, le film d'après Orwell: la transmédialité par la théâtralité? (Suivi de) "La voix de fer"

Analyse iconique du film 1984, de Michael Radford (1984), « un film terrifiant adapté du roman culte de George Orwell »*. Suivie de « La voix de fer » Note complémentaire sur le film 1984 

« Big Brother is watching you » Big Brother vous regarde, Big Brother vous observe, Big Brother vous surveille. Quelle qu’en soit la traduction française la plus appropriée, c’est en anglais que cette expression clichée en forme d’oxymoron (l’inquiétant syntagme du Grand Frère / qui « veille » sur vous) est le plus souvent reprise et paraphrasée dans les médias actuels1. Notamment popularisée par une émission de téléréalité internationalement célèbre2, elle est passée dans la langue courante pour désigner la tentation totalitaire qui guette nos sociétés hypermodernes, à l’âge écranique de la prolifération des écrans de contrôle comme des caméras de surveillance. Beaucoup sans doute ignorent encore qu’elle est un leitmotiv tiré du roman 1984 du britannique George Orwell (1948), dont elle résume au mieux l’esprit. Qu’un autre Anglais, Michael Radford, ancien de la BBC lui aussi, ait attendu 1984 pour porter l’œuvre à l’écran n’est évidemment pas un fait du hasard.

Fiche

Année
2010

Extrait

Question de recherche : la théâtralité au centre du projet ?
Ce n’est pas par hasard non plus que Radford, scénariste et réalisateur de 1984, choisit pour incarner tous ses premiers rôles des comédiens rompus à l’art dramatique théâtral.
Grand acteur du théâtre shakespearien, Richard Burton1 n’est pas mort sur les planches, mais presque, faisant en août 1984 et à moins de 59 ans une sortie tragique de la scène publique. Quelques jours à peine après avoir – très bien et très sobrement – interprété le rôle-clé d’O’Brien dans 1984, «pour la dernière fois au cinéma », souligne fort à propos l’éditeur du DVD, qui semble y trouver un argument commercial supplémentaire.
Quoique suremployé par le cinéma depuis ses débuts cinématographiques en 1962, John Hurt2 est lui aussi un pur produit de la scène britannique classique, notamment formé à la prestigieuse Royal Academy of Dramatic Art (RADA). Incarnant Winston Smith, victime de la contre-utopie totalitaire figurée par Big Brother dans 1984, il sera plus tard, notable renversement des rôles, le bigbrotheresque Chancellor Sutler d’une Grande-Bretagne fascisante dans V pour vendetta (du débutant James Mc Teigue, 2006, scénarisé par les frères Wachowski), où il communique avec ses favoris via un moniteur vidéo géant… Pour lui donner la réplique amoureuse dans 1984 avec le personnage de la rebelle Julia, Radford choisit la jeune et talentueuse londonienne Suzanna Hamilton3, formée à la fameuse Central School of Speech and Drama. Il la choisit sur casting, mais un casting opéré avec soin dans une autre école d’art dramatique (Anna Scher Theatre) fréquentée par la belle Suzan et réputée pour sa méthode d’improvisation théâtrale.
Dans ces conditions, il est légitime de se demander si la théâtralité potentielle de 1984 n’est pas, aux yeux de Radford, le paramètre essentiel de sa transmédialité.
Sinon de son hypermédialité actuelle (cf. l’émission Big Brother ou Secret Story, son casting poussé et ses ramifications hypertextuelles). Et si tel est le cas, quels sont les procédés du langage cinématographique mis en œuvre pour exprimer cette théâtralité ?
Une théâtralité4 qui, aujourd’hui encore, semble indissociable de la représentation des excès du pouvoir comme de son exercice: « (…) la pensée unique signe la victoire de l’esprit de monopole au sein d’une société prisonnière de dictateurs à penser et à vendre qui ont pris le contrôle de la théâtralité publique et de la machine à désirs ».