Sergent-Chef Massamba

« SERGENT-CHEF MASSAMBA » L’improbable road trip du Belge Jean-Louis Sbille. Alors qu’au Japon un Tsunami secoue Fukushima et sa centrale nucléaire, un très vieux Tirailleur Sénégalais et un jeune producteur européen jouent à saute-mouton avec la mémoire cachée de la Grande Histoire, d’aéroports en hôpitaux, de péages d’autoroute en fermette typique alsacienne, de cimetière en magasin d’électroménager, de moules frites en choucroute garnie.

Fiche

Année
2020

Extrait

L’Airbus SN2582 Berlin-Bruxelles est toujours à l’heure : treize heures dix.
Même pas eu le temps d’ouvrir l’emballage de ma gaufre Suzy achetée à Berlin.
Je voyage léger. Je ne perds pas de temps au carrousel à bagages.
Je traverse le troupeau de bovins et de bovines qui attendent leurs valises.
Je dérive vers « EXIT EEC RESIDENT ONLY».
Mon portable vibre : deux messages. Chantal, l’assistante de Cajoub Production, confirme le rendez-vous avec les producteurs japonais. Et, la voix de Kisskiss, ma fraîche nana :
—Baby Alexandre, bien atterri ? Culculpanpan ce soir ? Je passe chez toi. T’oublies pas le birthday.
L’accent ukrainien de Kisskiss est puissant. Mes poils se hérissent. Les femmes, je les aime nature dans leur jus. Pas de prise de tête. Je ne serai jamais leur prince charmant.
Vivre d’aéroport en hôtel, de station-télé en studio, de taxi en avion, de resto en salon de massages exige une libido sécurisée et fiable. Je suis heureux.
Je fabrique du rêve. Je donne le change, et tout le monde y croit. Mes désirs sont comblés, j’existe.
Je hais les voyageurs et leurs voyages low-cost qui applaudissent à l’atterrissage. Je vomis dans la gueule crédule de ces envieux qui n’auront connu leurs cinq secondes de gloire qu’en selfies Barbie et Ken.
Même pas capables de prendre un flight qui scratche en bout de piste, comme ils disent dans leur pacotille blablateuse. Tout bien considéré leur stupidité m’amuse. Une maman marche devant moi. J’observe son dos, son cul, sa perruque. Elle trimbale sur le ventre un porte-bébé avec un petit chien. Je la dépasse. Pas une seule ride sur son visage. Botox injectable, filler et implants suintent de tous les côtés. J’ose pas imaginer le reste. Elle n’a plus d’âge depuis très longtemps. Quand son coeur de vioque lâchera, l’employé du crématorium devra se méfier des émanations toxiques. Son chien, s’il lui survit, devra, avant d’être euthanasié, s’habituer aux croquettes de chenil. La queue entre les pattes. C’est évident.
Après les contrôles, je fonce au parking souterrain VIP, P-1, allée 7. Avoir bandé à plus de neuf cents kilomètres à l’heure, à plus de dix mille mètres d’altitude et devoir traverser le parking de l’aéroport de Bruxelles est pénible.