Lune de miel en Antarctique

Fiche

Année
1964
Édition
Marabout

Extrait

Le lendemain eut lieu la distribution des équipements spéciaux; le surlendemain, le commandant de la base et les techniciens spécialisés qui s'occupaient de l'opération « Cobayes » réunirent les vingt-quatre jeunes volontaires pour leur faire les dernières recommandations et leur expliquer quel serait le déroulement des différentes phases de l'expérience. Enfin, le 4 janvier à cinq heures du matin, le groupe tout entier, harnaché, chargé de nombreux bagages, prit congé du commandant de la base et du commandant Duff qui allait regagner les Etats-Unis. Les hommes de Petite-Amérique qui n'étaient pas de service ce matin-là, faisaient la haie pour voir défiler les weasels. Aux antennes des véhicules flottaient de petites oriflammes. Un vent assez fort s'était levé et chassait de la neige poudreuse. Mary-Ann et Lewis traînant leur kit-bug, grimpèrent à bord de leur weasel où avaient déjà pris place, en plus du conducteur et du convoyeur, Kid et Véronica. Les moteurs grondèrent. Il y eut de grands signes d'au revoir, et le commandant de la base cria: - Bonne chance !... Le premier véhicule, monté par des techniciens, et qui comportait un dispositif de repérage des crevasses, s'ébranla, aussitôt suivi de la file cahotante. A chaque weasel, était attelé un traîneau portant une cargaison arrimée avec soin. Bien sûr, ce n'étaient pas là les seules provisions destinées au Village 100, ainsi baptisé parce que situé à une centaine de milles de Petite-Amérique; un important tonnage avait déjà été acheminé" dans les magasins préfabriqués. Le système de chauffage de la cabine du weasel diffusait des flots d'air chaud, mais malgré cela, la température demeurait assez basse, et Mary-Ann comprenait le bien-fondé des ultimes recommandations qui avaient été faites concernant l'habillement. Elle jeta un coup d'œil vers l'arrière. Les bâtiments de la base avaient disparu derrière une ondulation de neige' que le ciel teintait de bleu. - Voici la Barrière de Ross proprement dite, dit le conducteur. Par une série' de plans inclinés que les bulldozers avaient tracés, la caravane gravit le gigantesque escalier, puis remit le cap au sud, et bientôt le plateau antarctique qui s'élevait graduellement vers le pôle, fut atteint. Les weasels avançaient lentement, suivant les traces des chenilles du chef de file qui se profilait sur le ciel sans nuages. Le vent continuait de chasser la neige poudreuse, et des petits courants d'air glacé s'insinuaient dans la cabine. Le givre collait au pare-brise et derrière le véhicule une épaisse colonne de vapeur blanche s'élevait. Le premier des weasels repéra une crevasse importante et entreprit un long détour vers l'est afin de trouver un pont de neige capable de supporter le passage de la caravane. Lorsque leur véhicule passa au-dessus de la crevasse invisible, le conducteur, un nommé Orson, rassura ses quatre compagnons en leur disant qu'il arrivait parfois que les occupants d'un tracteur qui avait dégringolé dans un abîme, demeurassent un jour ou deux coincés dans le fond! Pendant que le weasel, gaz au ralenti, franchissait la zone dangereuse, Mary-Ann retint son souffle, tendant l'oreille au moindre craquement des glaces. Par la suite, les crevasses furent si nombreuses, qu'elle se força au fatalisme et se fia aux estimations des spécialistes de l'avant-garde qui étaient chargés de calculer si, oui ou non, tel ou tel pont de neige était capable de supporter le poids des véhicules. Le soir venu, le ciel vira au violet. C'était l'instant du long crépuscule antarctique qui ne finissait qu'à l'aube. Les weasels s'arrêtèrent l'un derrière l'autre. Il fallut monter les tentes. Mary-Ann comprit que le temps des jeux était fini. Il gelait à -22° F' à cause du vent qui était assez fort; et dresser une tente dans ces conditions, n'est pas une sinécure pour quelqu'un qui ne l'a jamais fait. Il ne fallait espérer aucune aide des chauffeurs des véhicules qui devaient veiller à l'entretien des moteurs et qui, sans doute, avaient reçu l'ordre de laisser les « cobayes » se débrouiller. Heureusement, le prince viking avait déjà vécu dans ces parages et son visage, sous le capuchon fourré, reflétait la joie. - Kid, tiens ce piquet! Et toi, Véronica, tire sur le tendeur... Ils s'escrimaient à bien faire, encore malhabiles. Il y avait surtout ces gants qui gênaient. Mary-Ann voulut les ôter. - Tu es folle! cria Lewis. Tu veux te geler les doigts! - Mais, Lewis, ce n'est guère facile... - Tu t'y feras... Prends le marteau et enfonce les crampons dans la glace. Plus d'une fois, elle frappa à côté ou sur ses doigts. Malgré l'épaisse semelle de ses bottes, elle sentait la brûlure de la glace. Elle avait faim, soif, froid, envie de pleurer. Non, vraiment, ce n'était plus un jeu... Elle serra les dents, enfonça ses crampons. - O. K., fit Lewis. Il y aura place pour nous quatre. Nous allons à présent installer les sacs de couchage... - Puis nous préparerons une bonne tasse de nescafé bouillant, dit Mary-Ann. Il la regarda, narquois. - Du nescafé, chérie? As-tu pensé à l'eau?... - N... non... - Alors, dépêche-toi de faire fondre de la neige, et peut-être que dans une heure et demie nous pourrons boire une tasse de café tiède!... « Zut, zut, Lewis! " pensa-t-elle. Elle eut soudain envie d'être méchante. Pouvoir se cacher et pleurer comme jadis à New York... Mais Mary-Ann n'était plus une petite fille, n'était plus une jeune fille américaine trop choyée par la vie. Elle était une jeune femme qui avait choisi l'aventure, et aux cours, on lui avait enseigné comment faire fondre de là neige, par petits paquets. Oui, elle avait soif et froid, mais elle grimaça un sourire à l'adresse de son mari. - O. K., Lewis...