Réflexions balistiques

Ce qui se passe dans le cerveau d'un homme qui voit s'approcher la cause de sa destruction imminente. Il peut se demander qui est derrière cette mort programmée. Cela peut être l'occasion d'une introspection féconde : rien de tel que l'urgence pour se remuer les méninges. Il peut même se réjouir de l'attention, très ciblée, qu'on lui porte. Mais finalement, ce qui compte, n'est-ce pas le rendez-vous pris entre ce petit bout de métal, lisse et froid, avec ce cerveau chaud et circonvolutionné ?

Fiche

Année
2000
Édition
Lansman, Maison des auteurs

Extrait

Je suis assis dans un fauteuil et je ne fais rien. Je ne lis pas, je ne parle pas, je n'écoute pas de musique et je peux à peine affirmer que je pense. Les jambes croisées, je regarde la vue à travers la baie vitrée du salon, distante d'une dizaine de mètres. Cette perspective me détend : d'abord, mon appartement spacieux et bien rangé – je vis seul – ensuite les maisons du quartier, dont j'aperçois seulement quelques toits, et au-delà, les tours du centre ville. Comme j'habite le septième étage d'un immeuble à loyers exagérés, je jouis d'une vue qui s'étend sur des kilomètres. Alors que tout est tranquille depuis au moins une heure, mon attention est attirée par un fait étrange : sans que cela fasse le moindre bruit, une étoile s'est formée sur la vitre principale de la baie vitrée. Au centre de cette étoile, à hauteur de mon visage, un petit trou. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter, il suffira d'appeler un vitrier et de contacter l'assurance. Cela occasionnera quelques démarches fastidieuses, mais j'ai le temps. C'est le luxe principal dont je jouis dans la vie. Le temps. La plupart des gens que j'ai côtoyés travaillent pour gagner de l'argent. Absurde. La richesse étant illimitée, donc impossible à assouvir, ils participent à une course aussi effrénée qu'inutile. Et la majorité d'entre eux finissent par mourir exténués, avec l'intime et frustrante conviction que la ligne d'arrivée les attendait justement derrière le prochain virage.