Fracas

Une jeune fille va en Israël voir sa grand-mère. En découvrant le pays, elle découvre l'histoire des juifs, ses racines et la guerre....

Fiche

Année
2009

Extrait

Quelque chose, quelque chose a troublé Ella hier. L’expérience lui a suffi, elle se dit : J’arrête les frais, je ne suis pas venue ici pour me retrouver projetée dans les horreurs de la seconde guerre mondiale. L’héritage du passé, ce n’est pas pour moi, cela ne me concerne pas. C’est donc de mauvaise grâce qu’elle retourne au musée d’histoire. Elle a pris rendez-vous avec Schmuel. Ella veut se débarrasser du document qu’elle a toujours dans la poche. Elle pénètre dans les galeries souterraines. Elle les visite par la force des choses. Elle regarde les objets, les photographies, les œuvres d’art, distraitement d’abord. Elle lutte. Enfin, une partie d’elle dit : Sortir d’ici, vite ! L’autre la tire sur un chemin qui s’approche du père de famille, de l’épouse, de l’enfant au pyjama rayé qui viennent vers elle. Les traits d’Ella changent à chaque détour comme si tout avait commencé dans la rencontre des corps enchevêtrés. Ils prennent forme et visage. Les corps se recouvrent, se redressent, se meuvent et, en elle, la rejoignent. Dans la salle du dôme, dans un silence immolé, elle se plie et s’assied comme on s’abîme ou prend racine. Lui reviennent en mémoire les paroles de son père : « Parce qu’il est mort sans tombe, parce qu’il n’y a que cette trace de son passage sur cette terre... ». Elle sort de sa poche le document, regarde attentivement la photo de l’aïeul, l’approche encore, si près qu’elle y voit sourire son père et entend monter en elle le souvenir d’un chant en yiddish. Oppressée, elle inspire. Elle est accablée sans comprendre. Schmuel est bien sympathique, chaleureux même. Ce n’est donc pas la peur de l’inconnu qui l’oppresse ainsi.
A la sortie du musée, alors qu’elle se dit : « C’est fait ! », elle se retourne et découvre sur toute la longueur de la façade, écrit en lettres hébraïques, le verset d’Isaïe : « Et je leur donnerai dans ma maison, et dans mes murailles un mémorial et un nom qui ne sera jamais effacé ». Là, à cet instant précis, en revisitant les gestes, les mots, Il manquait un visage sur l’empreinte, le plissement des yeux et l’attitude de recueillement de Schmuel, elle comprend que l’aïeul a pris place parmi ses frères et, Schmuel qui veut peut-être dire Salomon, devient pour Ella, à jamais, « Celui qui donne un visage , un sursis à l’oubli ». Ella sent sa poitrine, un magma noué, se soulever, ses jambes se dérober.

La nuit tombe et la porte du musée se referme sur les âmes endormies qui lui sont confiées. Lentement, Ella déplie le corps comme on sort d’une longue amnésie. Elle se met en marche en tenant entre les doigts la corde du temps.

Myriam est impatiente et inquiète face à la venue de sa petite fille. Demain, c’est shabbat. Tout ferme plus tôt, tout doit être prêt. Son mari a été transféré à l’hôpital italien tenu par des religieuses. « Là », pense Myriam, « quand Ella rendra visite à son grand père, elle sera en
sécurité ». Sur la route vers Haïfa, gros problème de trafic, l’ancien pont nord-sud qui traverse la ville au niveau de la mer est démantelé. Au milieu des embouteillages, une nouvelle alerte. Myriam met cinq heures et demie pour parcourir un peu moins de 40 kilomètres.

Pour Ella, retrouver ses grands-parents, c’est rentrer à la maison. Son grand-père récupère des forces. L’hôpital italien proche est un havre de paix et de beauté. Pendant que Myriam fait la toilette de son mari, Ella explore le couvent, son cloître et ses jardins. L’air du soir est doux et odorant. Ella se laisse envahir par la même sensation de satiété que celle ressentie sur l’Esplanade des Mosquées. Ses pas l’éloignent du centre hospitalier. Elle n’entend pas le portable de Myriam crachoter : « Tut-tut-tut....Vous avez 30 secondes ». Et quand les sirènes hurlent, et quand les murs lambrissés et décorés de reproductions de la chapelle Sixtine tremblent, il est trop tard. Autour d’elle, il pleut des missiles comme le souvenir d’un feu d’artifice entendu dans un combiné de téléphone.