Le soldat inconnu

Armistice

une petite fille voit ses frères déterrer des os...les os d'un soldat de la guerre 45....

Fiche

Année
2007

Extrait

...La nuit fut étrange. L'enfant dormait. A travers le drap, le petit corps visité par les esprits, était secoué de spasmes comme celui d'un chiot qui rêvait, secoué par
l'histoire de la grand-mère qui remontait à la surface. Une histoire étrange d'un soldat allemand tué d'un coup de fusil de chasse. Les rêves de la petite fille faisaient beaucoup de

vacarmes. Elle entendait le coup lâché, voyait le mort et Aril, le fermier, appelé en urgence pour balancer la moto ainsi que son propriétaire par-dessus bord. Elle entendait le souffle des quatre vents venir sur les ossements retrouvés, un fracas d'os qui s'entrechoquaient. L'ossement vers son ossement. Elle vit ceux-ci se couvrir de nerfs, de chair et de peau, et l'homme sortir de son tombeau de boue, courir après sa tête comme un coq que l'on venait de décapiter et qui continuait sa danse macabre avant de s'effondrer à l'ombre des noisetiers. L'enfant le vit s'affoler. Elle le vit, qui revenait vers elle, sans tête sur le cou. Deux yeux se promenaient au-dessus d'un corps et se disaient « zut ». Ils étaient blancs et globuleux, terrifiants. Elle vit tout cela si clairement et entendit un râle et l'écho d'un râle.
Alors que le jour ne pointait pas encore le nez, l'enfant, le front perlé de gouttelettes de sueur commença à avoir peur. L'air était moite et orageux, son pyjama mouillé, les draps souillés. Son ventre criait famine. Entre tous les bruits, c'était de loin, celui-là qui la fit se lever. Elle n'avait aucune notion du temps. Elle avait faim de sa part de gâteau mise au réfrigérateur et pensait que manger chasserait le mort-vivant de sa tête. Elle sauta du lit et descendit. En entrant dans la cuisine, elle vit un soldat trempé de la tête aux pieds, attablé. Son visage était masqué, comme invisible. Elle le regarda. Elle le regarda fort. Obscur était le mot pour dire ce regard. Effronté. Profond. Elle regardait la chair vivante, les yeux, surtout les yeux qui dans la face noircie ressortaient aussi gros que des yeux de bœuf, les habits aussi. Elle regardait tout. Elle dit :
- Qui êtes-vous ?
- …
- Qui vous a permis ?
- …
Le soldat n'était pas le moins du monde gêné de s'être invité. Il restait impassible.
- Comment avez-vous fait ?
- …
- Qui voulez-vous tuer ?