Barnabé, c'est moi !

Barnabé, dix-neuf ans, raconte. À huit ans, il rejoint sa troisième famille d'accueil, chez Adèle et Albert Brichot. Ils ont perdu Rémy, un fils du même âge, une dizaine d'années auparavant. L'amour et l'attention que Barnabé n'a jamais reçus de ses parents biologiques, il croira les trouver auprès d'Adèle, pieuse, aimante, protectrice et maternelle, et d'Albert, féru de modélisme. Après plus d'une année dans la famille Brichot, le vent tourne. L'attitude d'Adèle devient froide, même indifférente, aux yeux du garçon. Est-ce à cause de son désir de s'affirmer enfin tel qu'il est ou l'attitude de sa mère d'accueil cacherait-elle autre chose ? Il y a Myriam, la petite sœur de Barnabé, envoyée par les services sociaux aux fins fonds des Ardennes, loin de son frère et de leur passé chahuté, plus que trouble, une fugue au cours de laquelle Barnabé croisera la route de Monsieur Alphonse et de sa sœur, Marthe, un couple-refuge. Le copain et ami, Oscar, fils de la dernière ferme du coin, expert dans l'art de faire des farces. Il y a la propension de Barnabé à fréquenter les cimetières et à regarder la mort sous un jour très particulier. Propension nourrie par l'influence morbide de son milieu familial déchu et renforcée encore depuis sa rencontre avec Adèle. Barnabé, un enfant, puis un ado, fragile, hypersensible, à l'instabilité déstabilisante, mais attachante.

Fiche

Visuel
Images
Année
2018
Édition
Academia/l'harmattan, 2018

Extrait

Ils savent l'attitude attentive et penchée 
Que j'ai parmi les buis, les fosses et les croix ; 
Ils m'entendent marcher sur la feuille séchée ; 
Ils m'ont vu contempler des ombres dans les bois   (
Dans le cimetière de... Victor Hugo)

Chapitre XI

   Lorsqu'elle lui demandait des conseils, il lui répondait, prétendait-elle. L'intuition de faire telle chose plutôt qu'une autre lui venait alors. C'était magique. Il la consolait quand elle pleurait, presque couchée sur sa tombe, il lui disait de ne pas être chagrinée, de ne pas avoir peur, de se réjouir d'avoir à nouveau à ses côtés un garçon de son âge à lui quand il l'a quittée. Il voulait me connaître, il allait aussi me parler, comme il lui parlait depuis dix ans.
   Tout en brassant en moi les paroles d'Adèle, je parcourais les allées ratissées du petit cimetière de Cornimont. Je m'y sentais réconforté, après le bouleversement de ma rencontre avec Myriam. C'était évident ; contrairement à Duc qui n'était jamais revenu après la mort de Rémy, je reviendrais chez Adèle et je retournerais au cimetière. Seul ou avec elle. Pour parler à Rémy et écouter sa voix d'outre-tombe. C'était ma seule issue. Je ne pourrais jamais la détester. Elle retrouverait sa petite arsouille et me dirait pourquoi elle avait refusé que je revoie ma sœur. On trouverait bien une solution. Ma fugue à Cornimont avait été la plus grosse erreur de ma courte existence.
   J'espérais du plus profond de mon ventre qu'Adèle m'aurait pleuré depuis mon départ, qu'elle n'en aurait pas dormi, que je lui aurais manqué autant que Rémy dans sa tombe. Que je lui aurais manqué, parce que moi, j'étais Barnabé X., que j'étais plus grand que Rémy à mon âge, que j'avais les cheveux noirs et non blonds, le nez busqué et non droit, que je chaussais du trente et un et non du vingt-neuf, que je préférais les oiseaux aux chiens, mais ça, c'était parce que je n'en avais jamais eu à moi. Je l'espérais si fort que je choisis de ne pas rentrer tout de suite. L'attente attise le désir, dit-on.
   Au moment de quitter le jardin du silence de Cornimont, j'aperçus de l'autre côté, dans la dernière rangée de tombes, un attroupement de personnes. Cela ne ressemblait pas à un enterrement. Il n'y avait que des hommes en habits bleus, des ouvriers sans doute, les seuls qui travaillaient, puis d'autres en costumes de ville et une femme en tailleur de secrétaire bien rangée, qui les regardaient faire.
   Je m'approchai avec prudence. Une tombe avait été ouverte, un grand monceau de terre se trouvait sur le sentier. On était en train de retirer de la cavité un cercueil de bois vermoulu. Je me risquai encore plus près.
   — Qu'est-ce que vous faites là, à cette tombe ? demandai-je à deux hommes bien habillés.
   — Il ne faut pas rester ici. D'où sors-tu, toi ? Tu n'es pas à l'école ? Le cimetière est pourtant fermé. On procède à une exhumation.
   — C'est quoi une exhumation ?  
   — C'est ce que tu vois là, répondit l'un des deux.
   — Pourquoi ? ajoutai-je.
L'autre individu parla en aparté à son copain.
   — Eh bien dis donc, il est éveillé ce gosse.
   — Bof, curieux, c'est tout, répondit l'autre.
   — On doit retirer le cercueil ; affaire de justice, reprit le premier.
   — C'est comme dans les films, ça. Il y a eu sûrement un crime et on veut faire des analyses sur le cadavre pour prouver qu'il n'est pas mort de sa belle mort, de mort naturelle, quoi... C'est ça ?
   — Puisque tu sais tout, pourquoi tu nous le demandes ?
   — Pour rien, je voulais simplement être sûr.
   — Bon, maintenant que tu sais, tu peux t'en aller. Sacré môme, va. Si mon fiston pouvait être aussi futé que ça...
   La dernière réflexion de l'individu au costume chic me fit vraiment plaisir. Je quittai  le cimetière en enjambant la portion de mur plus basse que les autres et regagnai la rue et le centre du village. Je pris un bus pour Vresse. Je repasserais chez Alphonse et Marthe. Le monsieur bonhomme au gros nez et à la pipe m'avait paru sympathique. Je lui dirais que mon oncle n'avait pas pu me ramener à Namur. Avec un peu de chance, le vieux couple des frère et sœur m'inviterait à loger chez eux et, le lendemain, Alphonse me reconduirait à Gedinne. Tout rentrerait dans l'ordre, je serais de retour chez les Brichot, jeudi, pour le dîner. Ils me sonneraient les cloches, mais ils me pardonneraient aussitôt ; j'avais fugué pour une bonne cause après tout.