Ecrire.Devenir.

Dans certaines pratiques d’ateliers, écriture et développement personnel sont liés. Il y a un intérêt grandissant, aujourd’hui, et beaucoup d’initiatives vont dans ce sens, à associer art et épanouissement personnel, art et construction de soi, art et thérapie. Ce qui pose, entre autres, la question suivante : écrit-on dans l’espoir d’obtenir quelque chose ? Se sentir mieux ? Se libérer ? Se connaître ? Etre aimé, reconnu ? Grandir ? Se découvrir serein, apaisé, consolé, pardonné ? La liste est longue des bénéfices rêvés. Pourtant, nous connaissons tous des écrivains, des peintres, des musiciens, des créateurs dans toutes les disciplines, qui sont allés vers la mort. D’autres que les écrits ou l’œuvre ont forcés à l’exil, ont envoyés en prison. Il est naïf de croire que les pratiques artistiques portent en elles-mêmes de quoi nous mener d’office vers une sorte de mieux-être. Parce que les artistes sont vivants, leurs pratiques entretiennent un rapport étroit avec la vie, donc avec la mort, la souffrance, le désespoir. Comment pourrait-on l’oublier ou le minimiser ? Mais alors, qu’est-ce qu’écrire et où cela nous mène-t-il ? La question qui nous occupe dans ce dossier est posée aux hommes depuis que la parole existe et pourrait être formulée ainsi : au-delà de ses pouvoirs cathartiques, en quoi écrire aide-t-il les mutations nécessaires de l’être, bousculé, malmené, désiré par la vie ? S’il l’aide. Devant une question aussi vaste, que pourrions-nous répondre ? Notre seule intelligence se sent dépourvue. Il ne s’agit pas seulement de savoir, mais d’être et d’éprouver. De quelle écriture parlons-nous ?

Fiche

Année
2009
Édition
Indications

Extrait

L’ACTE D’ÉCRIRE

EN ATELIER ET/OU CHEZ SOI

Ecrire en atelier ou seul chez soi est du même ordre quant à ce qui est convoqué de soi, qu’on en ait conscience ou non. Bien sûr, on pourrait faire la liste des différences de modalités, dont certaines fondamentales, entre l’écriture en atelier et l’écriture solitaire.
En fonction des points de vue, l’acte d’écrire dans un groupe est facilité par la présence de l’animateur et des autres participants mais compliqué par eux aussi, notamment en raison des questions de projection et de transfert.
Mais que l’on soit écrivain publié, reconnu, ou auteur modeste et confidentiel de textes écrits en ateliers, le socle de l’expérience reste le même : écrire est un acte multiforme, certes, mais aux racines profondes touchant à la source de l’énergie créatrice et à son manque qui nous fait vivre, désirer et nous transformer. Même si l’on dit écrire de la fiction, même si l’on croit être à mille lieues de soi et de son propre vécu, écrire c’est tirer à soi quelque chose qui vient de ces profondeurs et élaborer un langage pour le transmettre. L’imagination implique toujours les profondeurs, que cela soit ou non reconnu.
On peut passer beaucoup de temps, dans l’écriture (comme dans la vie), à minimiser, esquiver, ne pas consentir à la force de gravité qui nous relie au terrestre, au corps, aux soubassements de l’être et à ses ombres, individuelles et collectives. Ou tout autant refuser l’attirance vers le haut, l’aérien, le subtil, l’espace et la lumière d’un esprit qui tend vers encore plus de paix, d’espace, et de lumière. (…) se contenter d'associations superficielles, venant déguiser sous une rutilante peau de mots les drames, les souffrances, les déchirures qui se nouent à la jonction de l'âme et du corps .
Mais que sait-on du temps qu’il faut à chacun pour tenter de se rejoindre ? Est-ce un moment identifiable ou plutôt une oscillation autour d’un point d’équilibre sans cesse remis en question ? Entre l’infrarouge des instincts et de la matière et l’ultraviolet des hautes sphères de l’esprit, l’être humain cherche sa place et les liens tendus entre ces deux pôles sont ceux de sa condition, contradictoire jusqu’au conflit, assoiffée, dans le même mouvement, d’équilibre et d’excès. Ecrire se situe là. Autant que possible.

UNE PRATIQUE ARTISTIQUE

Ma position est claire, et c’est ce à quoi j’invite dans les ateliers que j’anime : écrire est une pratique artistique, quel que soit ce niveau de pratique et quelle que soit la manière dont on la nomme. Et cette pratique, parce qu’elle est artistique, engage l’être. L’art naît dans cette ouverture et cette intelligence des «fonds», dans cette inlassable recherche de formes liées à ces fonds, dans cette double rigueur exigée par l’œuvre. C’est là qu’écrire et vivre commencent à tisser ces liens qui font l’étoffe de qui nous devenons.

On écrit comme on vit et ce n’est jamais en ligne droite. Que l’on s’en préoccupe ou non, écrire nous interroge sur ce qu’est la réalité, le corps, l’imaginaire, la mémoire, les émotions, les rêves, le goût des histoires, le vrai et le faux, l’autre, le monde, la nature, nos manques et nos incompétences maladives, la présence du mal sous tant de formes toutes intolérables, ce besoin si profond de langage et cette difficulté si grande d’être l’auteur du sien.
Les questions que pose l’écriture ouvrent, affinent, interrogent nos sensibilités, nos mémoires et nos intelligences physiques, affectives, réflexives en même temps que notre usage des mots et de la langue. Elles nous mènent aussi vers un meilleur entendement des influences du temps et de la collectivité, qui pèsent sur nous et nous font écrire ce que nous écrivons que nous écrivons et comment nous écrivons.

De quand date votre première expérience d’avoir été bouleversé par une musique, une image, un texte, un conte ? Et de quelle manière en avez-vous été modifié ?
L’art n’est pas seulement dans l’objet contemplé, il est dans le lecteur et il est dans la rencontre. Pour cela il faut un espace. Dans cet intervalle, il y a une flamme qui passe d’un être à un autre, on pourrait dire source, flux d’énergie, souffle. On la sent, on la reçoit, et quels que soient l’âge et la manière, cette flamme nous ravit, nous comble un moment et nous renvoie à notre propre travail d’être.
Ecrire donc, simplement parce que cela nous touche là où nous sommes, blessés, incomplets, imaginant et désirant, et que d’être touchés là nous est nécessaire.
Le pourquoi et le pour quoi ou qui (ou contre qui), cause et but, nous échapperont toujours. Par la pensée, nous pouvons donner quelques réponses, propres à chacun. Mais nous savons à quel point nous ne sommes les auteurs que de nos pensées les plus en surface, et qu’il y a un «fond» à l’écoute duquel il nous est nécessaire d’apprendre à nous mettre, qui nous maintient dans le mouvement vers cette vérité dont nous avons si soif.
Nous reste le comment. Avec l’écriture, nous bricolons un puits, une corde, un treuil, un seau pour descendre vers ces fonds-sources, et en remonter ce qu’on peut, eaux et boues. En faire de l’écriture encore, la sienne. Tenter de le faire, ne plus s’arrêter de le tenter.

Oui, l'art m'intéresse beaucoup, mais la vérité m'intéresse infiniment plus. Plus je travaille, plus je vois autrement, c'est à dire tout grandit jour par jour, au fond, cela devient de plus en plus inconnu, de plus en plus beau. Plus je m'approche, plus cela grandit, plus cela s'éloigne.... cela vaudrait la peine pour moi de travailler, même s'il n'y a aucun résultat pour les autres, pour ma vision à moi...
Alors qu'il y ait un résultat ou non, qu'est-ce que vous voulez que ça fasse?
Ca ne revient jamais en arrière. C'est une longue marche. Une espèce de délire exaltant pour moi, exactement comme l'aventure la plus extraordinaire.
....Je n'ai rien à demander, sinon de continuer éperdument.
Alberto Giacometti.

ÉCRIRE : L’ENTRÉE EN CRÉATION

Le mot vivre est un verbe d’action. Ecrire aussi.

LA STRUCTURE DU CONTE MERVEILLEUX

Voici la structure des contes merveilleux : elle est très simple, elle est universelle. Autrement dit, elle raconte en elle-même quelque chose de commun à tous les hommes. Elle parle de ces forces élémentaires qui mettent l’âme humaine en mouvement.

Les contes merveilleux s’appuient tous sur la même structure. Un conte part du manque, (d’amour, d’argent, de nourriture le plus souvent) et de la conscience d’un danger de mort. Ce manque pousse le héros à quitter, rarement de son plein gré, cette situation de départ si insatisfaisante. C’est la première étape. L’indispensable séparation – et la perte qui y est associée – précipite dans l’errance. Le héros marche toutes antennes dehors, il guette une piste, une issue, un indice qui l’orienterait. Cette deuxième étape est essentielle en ce qu’elle permet la lente mise en place chez le héros d’une disponibilité à ce qui vient, quel qu’en soit l’aspect, souvent rébarbatif ou pire : insignifiant. Ainsi, il acquiert un nouveau regard.

Et des rencontres viennent, positives ou non. Toutes paraissent hasardeuses, aucune n’est gratuite. Des actions s’en suivent, les unes réussies, les autres non. Tout l’environnement semble s’éveiller. Les bêtes parlent et apportent leur aide, les monstres s’apprivoisent, se transforment ou sont mis hors d’état de nuire. Le héros avance vers il ne sait quoi, qui mènera à la découverte imprévue de l’autre, masculin ou féminin, endormi, enfermé, et qu’il faut éveiller, délivrer, aimer. L’errance s’achève au château, au mariage, au trésor, à un torrent d’enfants, bref au lieu de l’alliance intérieure, à l’abondance de la vie, de la création. C’est là qu’on s’aperçoit que ce voyage désordonné fut un itinéraire, et qu’il s’est construit par le fait même de s’être mis en route.
Les contes s’intéressent peu au résultat, qu’ils citent en une phrase, toujours la même : ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Les contes ne s’intéressent qu’au voyage et comment cela va transformer le héros qui s’y engage par devers lui et sans la moindre idée de ce qui l’attend.

Se souvenir aussi que le héros des contes, au début, c’est toujours le plus petit, le plus jeune, le plus bête, le plus naïf, le plus soumis, le plus empêtré dans son manque d’initiatives et sa capacité à souffrir, le plus rêveur, le moins dégourdi, le moins aimé, celui qui est hors case, hors cadre, hors rails. Bref, vous, moi, chacun, dans nos pauvretés, nos faiblesses, notre vulnérabilité.
Les contes disent aussi que ce chemin est nécessairement un chemin amoureux. La rencontre amoureuse a lieu, non cherchée, non prévue. Hors du désir et de l’amour, le conte n’est plus un conte.
Ils disent enfin que chaque étape, chaque rencontre, en bien comme en mal, participe à l’élaboration progressive de l’errance des débuts en itinéraire chargé de sens. Quelque chose de mystérieux prend soin et guide le «héros», en dehors de sa volonté, vers l’issue ouverte, généreuse, aboutie. On le nomme comme on veut.
C’est l’itinéraire d’un patient en psychanalyse. Est-ce si étonnant ?

C’est aussi bien l’itinéraire de celui qui, écrivant, entre en création. Avec tout son poids de surprises, d’émerveillements, de peines, de plaisirs et de sens sans cesse remis en question. Chacun les vivra à sa manière dans des durées et des intensités diverses. Avec ces moments de grâce où, soudain, le voyage se fait simple, léger, lumineux, où l’on est, sans l’avoir cherché, comme dans les contes, dans le lieu de l’amour, d’une œuvre réalisée.
Un itinéraire en cinq étapes, comme dans les contes.