Appelez la police ! (version longue 70')

La vie: un long fleuve tranquille ? Trois braves policiers, poussés à bout par des plaintes plus loufoques les unes que les autres, finiront par établir un lien entre elles. Ballotés par les salades qu'on leur raconte, ils enverraient bien leur panier...à salades pour écrouer ces débiles venus apparemment tous de la rue de la...Folie pour le plus grand plaisir des amateurs de jeux de mots et des situations cocasses et absurdes. Quelle est cette galerie de personnages tous plus farfelus les uns que les autres ? Sont-ils venus pour épater ...la galerie? Qui est ce mystérieux James Bond, ce pépère au chapeau melon ? On se surprend à avoir envie de parler comme lui avec l'accent anglais. Où sont passées les douze voitures d'Harry Fer ? Et la vache ? Quelle  vache ? Mais la vache d'Inde, voyons ! Et le vol des lentilles ? Encore des salades ? Pas sûr. Cette fois, c'est juré, la suivante paiera les pots cassés. Prépare-toi, mémère...    

Fiche

Année
2009
Édition
Art et Comédie
Production
Compagnie des Sources, Péruwelz

Extrait

SCENE 1 : JULES, RAYMOND et HARRY FER

 

(Un commissariat de police au mobilier rudimentaire et vétuste. Un policier, Jules, rentre en scène, tenant un journal à la main.)

JULES – Après une tasse de café, rien de tel qu’un peu de lecture. Dix heures déjà et toujours aucune plainte, nous sommes partis pour une journée tranquille comme je les aime. (Il s’installe au bureau et ouvre son journal.) Alors, en politique, comme d’habitude, on parle pour ne rien dire…Les faits divers : accidents de voiture, du boulot pour les carrossiers et les assureurs…Passons aux choses sérieuses : les nouvelles sportives. 

(Un homme fait soudain irruption et s’adresse très énervé à Jules.)

HARRY FER – Vite ! Vite ! Police ! Police !

JULES – Quoi vite ? Mais vous y êtes à la police !

HARRY FER (empoignant le policier) – Mais vite ! Vite !

JULES – Mais lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Lâchez-moi ou j’appelle la police !

HARRY FER – Mais c’est vous la police !

JULES (surpris) – C’est moi la police ? Ah oui, c’est vrai ! Oui, eh bien, calmez-vous ou j’appelle mes collègues.

HARRY FER – Mais appelez-les alors vos collègues pour retrouver mes voleurs ! (Il l’empoigne à nouveau.)

JULES – A l’aide ! A l’aide ! Police ! Police ! Raymond, viens vite !

RAYMOND – Jules, qu’est-ce qui t’arrive ? Lâchez Jules, vous ! Lâchez Jules ! Vous entendez : lâchez-le ! (Il empoigne l’homme et le fait s’asseoir.) Et calmez-vous sinon je vous mets au trou.

HARRY FER – Mais c’est mon voleur qu’on doit mettre au trou, pas moi ! C’est le monde à l’envers !

RAYMOND – C’est peut-être le monde à l’envers mais si vous ne vous calmez pas, c’est pourtant ce qui va vous arriver. Alors, que se passe-t-il ?

HARRY FER – On m’a volé mes douze voitures.

JULES – Douze voitures, rien que ça ? Vous êtes milliardaire ?

HARRY FER – Milliardaire ? Et quoi encore ? Est-ce que je vous demande combien vous gagnez d’euros par mois ?

RAYMOND – Ici, c’est nous qui posons les questions. Répondez à mon collègue sans faire d’histoire.

HARRY FER – Je ne fais pas d’histoire non plus. Non, je ne suis pas milliardaire. Je travaille à l’usine et je ne suis pas le P.-D.-G. !

JULES – Soit ! Votre nom ?

RAYMOND – Oui, votre nom et en vitesse.

HARRY FER – Fer.

JULES – Quoi, fer ?

HARRY FER – Vous me demandez mon nom, je vous le donne : Fer. Je m’appelle Fer.

RAYMOND – Vous vous appelez Fer ?

HARRY FER – Et alors, c’est interdit ?

RAYMOND – Non. Prénom ?

HARRY FER – Harry.

JULES et RAYMOND (en chœur et en se regardant étonnés) – Fer Harry ? (Puis en chœur à l’homme.) Vous vous appelez Fer Harry ?

HARRY FER – Et alors ?

JULES – Vous êtes Anglais ?

L’HOMME – Ni Anglais ni Italien, je porte simplement un prénom anglais.

RAYMOND – Vous vous foutez de nous ?

HARRY FER (énervé) – Oui…enfin, non, évidemment. Vous me faites dire n’importe quoi !

JULES – C’est plutôt vous qui dites n’importe quoi. Vous vous appelez Fer Harry ?

HARRY FER – Mais oui !

RAYMOND – Ben voyons ! Et moi, je m’appelle Schumacher et j’ai été plusieurs fois  champion du monde et mon copain s’appelle Ayrton Senna !

JULES – T’énerve pas, Raymond.

RAYMOND – Mais je ne m’énerve pas, je n’ai jamais été aussi calme.

JULES – Bien, vous vous appelez donc Fer Harry…ou disons plutôt Harry Fer et on vous aurait volé douze voitures, c’est ça ?

HARRY FER – Pas « On m’aurait volé », on m’a volé.

RAYMOND – O.K., O.K…et que vous a-t-on volé comme voitures ?

HARRY FER – Deux Rolls, deux Jaguar, deux…

RAYMOND – Stop ! Procédons par ordre, monsieur qui travaille à l’usine sans être P.-D.-G. et milliardaire…

HARRY FER – Mais vous vous moquez de moi ! Je vais aller me plaindre.

JULES – Pas la peine, c’est ce que vous êtes en train de faire.

RAYMOND – Procédons donc par ordre : deux Rolls. Couleur ?

HARRY FER – Quoi, couleur ?

JULES (se relevant et s’emportant) – Raymond te demande leur couleur, t’as pas entendu : leur couleur !

RAYMOND – T’énerve pas, Jules !

JULES – T’en fais pas, Raymond ! J’ai jamais été aussi calme. (Il respire profondément.) 

RAYMOND (à l’homme) – Vous, je vous tiens personnellement responsable de la santé de mon collègue !

JULES – T’en fais pas, ça va aller, Raymond, ça va aller ! (Il va s’asseoir en titubant.)

RAYMOND – Mais non ! je vois bien que ça ne va pas ! Et tout ça à cause de ce débile, j’vais m’le faire ! j’vais m’le faire !

HARRY FER – Fer, Harry Fer, parfaitement !

RAYMOND (hors de lui) – Je me le fais, je me le fais ! (Il empoigne l’homme. Jules s’est relevé et le retient.)

JULES – Calme-toi, Raymond, calme-toi, ça va mieux, ça va mieux ! (Raymond relâche l’homme.)

RAYMOND (à Jules) – Tu veux que j’aille te chercher un petit remontant ?

HARRY FER – Et pendant ce temps-là, qu’est-ce qu’on fait pour mon voleur, hein ? Qu’est-ce qu’on fait ? Et pour mes voitures, hein, qu’est-ce qu’on fait ?

RAYMOND (à Jules) – Jules, tu ne diras rien, n’est-ce pas ? Tu ne diras rien mais je vais me le faire, je vais me le faire !

HARRY FER – Fer, Harry Fer, parfaitement !

RAYMOND – Toi, après le traitement que je te réserve, ce n’est pas à une Ferrari mais à une deux chevaux désossée que tu vas ressembler !

JULES – Calme-toi, Raymond. Pas de bavure, surtout pas de bavure.

RAYMOND – Mais Jules, ce n’est plus ça une bavure, c’est de la légitime défense, t’entends : c’est de la légitime défense !

JULES – Calme-toi, Raymond, on va se faire muter si tu ne te calmes pas, on va se faire muter.

HARRY FER – Si vous ne faites rien pour retrouver mon voleur, c’est moi qui vais vous faire muter : j’ai le bras long, vous verrez, j’ai le bras long.

RAYMOND – Et moi, j’ai le direct facile. Je vais t’allonger, t’as compris : j’vais t’allonger. (Puis à Jules.) Je vais me le faire, Jules, je vais me le faire, c’est de la légitime défense. Mieux, on me donnera une médaille, Jules, on me donnera une médaille !

JULES – Calme-toi, Raymond, calme-toi, sinon on va se faire muter, on va se faire muter. Tu veux bien faire plaisir à ton copain Jules, n’est-ce pas Raymond ?

RAYMOND – Je ferai tout ce que tu veux, Jules, mais après lui avoir réglé son compte, d’accord ?

JULES – Non, Raymond, non ! Tu vas me faire le plaisir de retourner dans ton bureau pendant que je termine avec lui. Raymond, je t’en conjure, pense à ta carrière, pense à la mienne.

HARRY FER – Et à mes voitures, vous y pensez à mes voitures ?

RAYMOND – Je ne fais que ça : au moins, elles, elles ont un pare-choc. Toi, t’en as pas, mon gars. Fer Harry, tu vas ressembler à une deux chevaux juste bonne à la casse.

JULES – Raymond, pas de bavure, je t’en prie, il ne demande que ça ! Pense à nos carrières.

RAYMOND – J’m’en fous.

JULES – Pense à ton ulcère alors, Raymond ! On n’a qu’une santé : retourne dans ton bureau.

RAYMOND – J’ai mal à l’estomac, le mal est fait, Jules.

JULES – Pense à ton vélo alors Raymond, tu les aimes tant tes balades en vélo du dimanche matin.

HARRY FER – Et à mes voitures, vous y pensez à mes voitures ?

JULES – Vous, taisez-vous sinon je lâche Raymond ! Il fait du judo et de la boxe française. Il est pire qu’un pit-bull. (Ensuite vers Raymond.) Allez Raymond, toi qui es un mordu de la bicyclette, pense à tes randonnées, va dans le petit bureau, va respirer à fond, va te calmer.

HARRY FER – C’est ça, il ira se calmer et pendant ce temps-là, on ne fait rien pour retrouver mon voleur. Lui, il ne pédale pas, il court.

RAYMOND – Jules, laisse-moi lui refaire le portrait, on demandera un devis après.

JULES – Non, Raymond, non ! On va le mettre au frais, le temps de se calmer, tu veux bien dis, tu veux bien ?

HARRY FER – Le mettre au frais, qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

JULES – On va te mettre à l’ombre, mon petit père, le temps d’enregistrer ta plainte.

HARRY FER – Non mais ça ne va pas ! On met les volés en prison et les voleurs peuvent courir, c’est ça ?

RAYMOND – C’est ça, monsieur le milliardaire, t’as tout compris !

JULES – Et tu pourras même appeler ton avocat. Il viendra payer ta caution de dix mille euros. (Ils l’empoignent et l’entraînent.)

HARRY FER – Mais vous êtes fous, vous êtes complètement fous ! Police, appelez la police !

RAYMOND – Eh bien, tu tombes bien, c’est nous la police.

JULES – T’es sauvé, mon gars, t’es sauvé !

HARRY FER – Police ! Police ! Appelez la police !

JULES – N’aie pas peur, Fer Harry, on est là, on est là !

HARRY FER – Lâchez-moi, lâchez-moi !

RAYMOND – Seulement quand tu seras au frais, mon p’tit père, seulement quand tu seras au frais !

JULES – T’avais raison, Raymond, c’est de la légitime défense. (Ils l’ont entraîné et sortent.)

RAYMOND (en voix off)Attrape-le Henri.

 

SCENE 2 : MADELEINE et RAYMOND

 

(Il revient.)

RAYMOND – Quelle histoire ! Alors qu’il ne s’était rien passé depuis ce matin. Enfin, Henri aura tout entendu avec cette cloison si mince…Incroyable, tout bonnement incroyable mais au garage, Fer Harry, au garage ! (Il s’assied, se met à écrire. Une femme fait son entrée. Elle ne dit rien. Au bout d’un moment, Raymond remarque sa présence.)

RAYMOND (l’apercevant) – Il y a longtemps que vous êtes là ?

MADELEINE – Euh…non !

RAYMOND – Qu’est-ce qui se passe ?

MADELEINE – Je... je voudrais déposer une plainte.

RAYMOND – Déposer une plainte ? Pourquoi pas ? Vous n’êtes pas la femme de Harry Fer, par hasard ?

MADELEINE – De...de qui ?

RAYMOND – Harry Fer, Fer Harry si vous préférez !

MADELEINE – Ferrari ? La voiture ?

RAYMOND – Quoi, la voiture ?

MADELEINE – Mais vous me dites Ferrari !

RAYMOND – Mais pas la voiture ! Fer Harry, l’autre débile à qui on a volé ses voitures.

MADELEINE – Mais ne vous fâchez pas ! (Elle se met à pleurer.)

RAYMOND – Mais vous n’allez pas vous mettre à pleurer comme une Madeleine, maintenant ! Comment vous appelez-vous ?

MADELEINE – Madeleine, justement ! (Elle pleure de plus belle.)

RAYMOND – Et vous pleurez parce que vous vous appelez Madeleine ?

MADELEINE – Mais non je ne pleure pas parce que je m’appelle Madeleine !

RAYMOND – Ouais ! on dit ça, on dit ça ! Votre nom ?

MADELEINE – Bonbon.

RAYMOND – Bonbon ?

MADELEINE – Oui, Bonbon, je n’ai pas le droit de m’appeler Bonbon ? Vous vous appelez bien je ne sais pas comment, vous !

RAYMOND – Je m’appelle comme je veux et d’ailleurs vous ne connaîtrez pas mon nom puisque vous vous moquez de moi.

MADELEINE – Je ne me moque pas de vous. C’est mon nom. Vous voulez que j’aille chercher ma sœur qui est restée dans la voiture ? Elle pourra vous le confirmer.

RAYMOND – Ben voyons ! Et comment s’appelle-t-elle votre sœur ? Rose Bonbon, c’est ça ?

MADELEINE – Mais oui ! Comment le savez-vous ?

RAYMOND (très étonné) – Elle s’appelle Rose Bonbon ?

MADELEINE – Mais oui ! C’est un délit de s’appeler Rose pour une femme ? Vous pouvez aller lui passer les menottes, si vous voulez ! (Elle se remet à pleurer.)

RAYMOND – Mais non, mais non ! Je veux bien faire un effort et vous croire…mais pourquoi pleurez-vous alors ?

MADELEINE – C’est parce qu’on m’a volé...

RAYMOND – Ne me dites pas qu’on vous a volé une voiture et surtout pas une Ferrari parce que je vois rouge !

MADELEINE – Mais non, on ne m’a pas volé de voiture, on m’a volé une vache !

RAYMOND – Une vache…ben voyons, c’est la journée !

MADELEINE – Mais vous ne me croyez pas ?

RAYMOND – Ben…figurez-vous que j’ai des doutes.

MADELEINE – Des doutes ? Vous ne croyez pas qu’on a volé ma vache ?

RAYMOND – Vous savez, ma petite dame, nous ne sommes pas à la campagne, alors voler une vache à Paris…Des chiens ou des chats, c’est déjà arrivé, mais une vache !

MADELEINE – Et une vache d’Inde, en plus !

RAYMOND (fâché) – Une vache d’Inde ? Un cochon d’Inde, j’aurais compris mais une vache d’Inde !

MADELEINE – Mais ne vous fâchez pas, ne prenez pas la mouche !

RAYMOND – Je ne prends pas la mouche : je prends un cochon, je prends une vache et je les prends en grippe en ce moment !

MADELEINE – Vous êtes malade ?

RAYMOND – Non, je ne suis pas malade : c’est votre vache que je prends en grippe. Je ne la connais pas et je ne peux déjà plus la voir.

MADELEINE (pleurant) – C’est moi qui ne la verrai plus ! Ma vache ! Qui me rendra ma vache ?

RAYMOND (s’emportant) – La ferme !

MADELEINE (pleurant de plus belle) – Mais elle n’était pas dans une ferme, elle était chez moi, chez moi ! Ma vache ! Qui me rendra ma vache ?

RAYMOND – Avoir une vache en plein Paris, une sœur qui s’appelle Rose Bonbon et on s’étonne ensuite que je prenne la mouche, non mais !

MADELEINE – Mais je ne vous ai dit que la vérité et vous ne me croyez pas !

RAYMOND (après un gros soupir) – Si ! Je vais me reconcentrer, faire un gros effort pour vous croire. Reprenons donc. Votre nom ?

MADELEINE – Bonbon, ça n’a pas changé !

RAYMOND – Bonbon, ça n’a pas changé. Votre prénom, qui n’a pas changé non plus ?

MADELEINE – Madeleine.

RAYMOND – Madeleine qui pleure comme une Madeleine.

MADELEINE – Vous voyez que vous ne me prenez pas au sérieux !

RAYMOND (moqueur) – Je sais, c’est vache, hein ?

MADELEINE – Vous recommencez ! Mais je vais me plaindre !

RAYMOND (tout sourire) – Vous tombez bien : c’est ici que ça se passe.

MADELEINE – Je voulais dire porter plainte contre vous.

RAYMOND (se fâchant) – Attention, ma petite dame, vous cherchez les ennuis !

MADELEINE – Je ne suis pas votre petite dame.

RAYMOND – Heureusement ! je ne vous supporterais pas. En plus, j’ai horreur des vaches !

MADELEINE – Et moi, j’ai horreur des flics qui font l’animal et qui prennent la mouche, nom d’un chien !

RAYMOND – Qu’est-ce que les chiens viennent faire là-dedans maintenant ?

MADELEINE – Je ne sais pas : je ne demande que ma vache, moi !

RAYMOND – Je finirai par le savoir. Et si on l’a conduite à l’abattoir, votre vache ?

MADELEINE (pleurant à nouveau) – A l’abattoir ? Mais pourquoi à l’abattoir ?

RAYMOND – Mais pour la tuer et la manger, pardi !

MADELEINE – La manger ? Mais ils sont fous les voleurs !

RAYMOND – Au prix de la viande, ils auraient tort de se gêner.

MADELEINE – Mais elle est sacrée ma vache, je ne veux pas qu’on y touche !

RAYMOND – Qu’elle soit Française ou qu’elle vienne d’Inde, aucune vache n’est sacrée pour des voleurs.

MADELEINE – Mais c’est absurde, elle est indigeste !

RAYMOND – Indigeste, indigeste, c’est vous qui le dites !

MADELEINE – Mais oui, je le dis : de la porcelaine, c’est forcément indigeste !

RAYMOND (étonné) – De la porcelaine ?

MADELEINE – Mais oui, de la porcelaine ! Elle est en porcelaine, ma vache !

RAYMOND – En porcelaine ?

MADELEINE – Oui, quand je suis allée en Inde, j’en ai ramené une petite vache en porcelaine.

RAYMOND – Et c’est maintenant que vous me le dites !

MADELEINE – Mais je le dis quand il m’est possible de le dire : vous ne me laissiez pas placer un mot !

RAYMOND – Alors comme ça, depuis 10 minutes, vous vous moquez de moi ?

MADELEINE – Mais je ne me moque de personne, c’est vous qui vous êtes moqué !

RAYMOND – Quoi ? Elle est forte, celle-là ! Sortez avant que je vous colle au trou.

MADELEINE (outrée) – C’est un scandale, je me plaindrai, vous allez voir, je me plaindrai. Ah ! c’est ça la police, bravo ! (Elle sort.)

RAYMOND – Incroyable, tout bonnement incroyable, quand je vais raconter ça aux autres. (Il se dirige vers la porte.) Jules ! Henri ! Vous ne devinerez jamais

 

SCENE 3 : HENRI, HARRY FER et CAROLE

(Henri croise Raymond qui sort.)

Henri – Mais j’ai tout entendu, Jules aussi d’ailleurs. Va te détendre un peu, je prends le relais. Mais ce n’est pas possible, on les a lâchés aujourd’hui. On a le son grâce à la minceur de la cloison, il ne manque plus que l’image. A quand un budget pour installer la vidéo en circuit fermé ? Y a pas de sous qu’ils vont répondre, y a pas de sous ! …Enfin, faut faire avec comme on dit, faut faire avec…Nous sommes déjà en personnel réduit le week-end et il faut en plus se taper les élucubrations de quelques débiles. Allons respirer quelques instants dehors, rien de tel pour se calmer. (Il sort.)

(De l’autre côté, a surgi Harry Fer, qui marche très doucement pour ne pas faire de bruit.)

FER – Doucement, ne gâchons pas notre chance, ils avaient oublié de fermer à clé. Ils ne t’ont pas vu filer, tu vas réussir mon gars, tu vas réussir.

(Henri revient. Fer plonge sous le bureau.).

HENRI – Quelques gouttes, rien de bien méchant mais je vais plutôt essayer le yoga. (Il s’assied en tailleur sur le bureau et commence à respirer profondément. Au bout d’un moment, Harry Fer commence à regarder, l’air inquiet.)

FER – Plus de pieds donc plus de jambes: il a dû rejoindre les autres.

(Il se relève doucement mais se retrouve nez à nez avec Henri et pousse un cri.)

FER – Ah !

HENRI (criant également) – Ah ! Jules ! Raymond ! (Ils font leur entrée très vite. Harry Fer court vers la sortie mais est rattrapé et ceinturé, ils l’emmènent.)

FER – Lâchez-moi, lâchez-moi !

JULES – Tentative d’évasion.

RAYMOND – Tu aggraves ton cas, mon gars.

HENRI – Et puis surtout, tu nous énerves, Fer Harry, tu nous énerves. Et on a besoin de calme.

FER – Mais lâchez-moi, lâchez-moi, je suis le volé, pas le voleur !

HENRI – Embarquez-le les gars, je reste assurer la permanence.

FER – Lâchez-moi ! Police ! Police !

JULES – Mais c’est nous la police !

FER – Police, police ! Appelez la police !

RAYMOND – On t’a dit que c’était nous la police !

JULES – T’es sauvé mon gars, t’es sauvé ! (Ils sortent.)

HENRI – Ouf ! il est reparti au garage.

(Une femme surgit.)

CAROLE – Vite monsieur, vite !

HENRI – Doucement, ma petite dame, parce que la journée est pour le moins agitée aujourd’hui.

CAROLE (en aparté) – Ma petite dame ? En voilà des familiarités.

HENRI – Vous avez le temps, pas de panique, nous sommes là !

CAROLE – Mais je n’ai pas le temps, on m’a volé ma Salade.

HENRI – On ne vous a volé que votre salade ? Et vous en faites tout un plat ?

CAROLE – Bien sûr que j’en fais tout un plat. D’ailleurs, depuis que c’est arrivé, je ne suis plus dans mon assiette.

HENRI – Comment est-ce arrivé ?

CAROLE – Très vite : je n’ai pas eu le temps de m’en rendre compte.

HENRI – En général, c’est toujours après qu’on s’en rend compte : en arrivant chez soi, dans sa cuisine, par exemple.

CAROLE – Pourquoi dans ma cuisine ?

HENRI – Dans un vol comme le vôtre, c’est là en général qu’on s’en rend compte, tout simplement. Bon ! je vous écoute : comment est-ce arrivé ?

CAROLE – Je sortais du supermarché, je me suis retournée et j’ai vu qu’on m’avait volé ma Salade.

HENRI – J’avais donc bien compris : on ne vous a volé que votre salade. Et vous venez déposer une plainte pour ça ? Les autres vont apprécier. Vous vous appelez comment ?

CAROLE (perdant patience) – Puisque vous n’avez pas l’air de me prendre au sérieux, je vous rends la pareille. Vous ne connaîtrez pas mon nom. Appelez-moi Marguerite si vous voulez, peu importe !

HENRI – Marguerite ? Vous allez nous refaire le coup de la vache ?

CAROLE – Le coup de la vache ? Quelle vache ?

HENRI – Mais la vache d’Inde, voyons !

CAROLE (d’abord en aparté) – Il tient des propos incohérents. Aurais-je affaire à un fou ? (Puis à Henry.) Mais de quoi voulez-vous parler ?

HENRI – Je vous expliquerai cela quand j’aurai le temps : il y a des vaches d’Inde comme il existe des cochons d’Inde. Mais restons en Europe, c’est déjà assez compliqué comme ça. Reprenons, je vous écoute.

CAROLE – Bon ! On m’a donc volé ma Salade, c’est clair ?

HENRI – On ne peut plus clair : aussi clair qu’une nappe de brouillard empêchant toute circulation à Londres. Comment est-elle ? Comme toutes les salades, je suppose ?

CAROLE (soudain nostalgique) – Non, pas comme toutes les salades : elle est tellement petite que je la mets dans mon sac.

HENRI – Donc, très petite, et en sortant du supermarché, vous l’aviez dans votre sac, c’est ça ?

CAROLE – Non, je l’avais déjà en rentrant.

HENRI – Vous rentrez avec votre salade au supermarché ?

CAROLE – Mais oui, je ne vais pas la laisser seule à la maison.

HENRI – Question de point de vue : elle pourrait rester dans votre cuisine. Et on ne vous a pas posé de questions à la caisse en vous voyant rentrer avec votre salade ?

CAROLE – Non, on me connaît, j’y passe presque tous les jours, ils ont l’habitude.

HENRI – Et depuis quand l’aviez-vous ?

CAROLE – Trois mois.

HENRI (dégoûté) – Trois mois ? Elle n’était plus très fraîche, dites donc !

CAROLE – Mais si. Elle sentait encore bien bon en tout cas.

HENRI – Soit ! Les goûts et les couleurs…Décrivez-la moi. Elle est verte, je présume ?

CAROLE – Verte ? Mais non, elle est brune.

HENRI – Brune, la salade ?

CAROLE – Mais oui, brune avec de fines moustaches.

HENRI – De fines moustaches ? Vous êtes sûre ?

CAROLE – Tout à fait sûre.

HENRI – De fines moustaches, une salade ?

CAROLE – Pas une salade, ma Salade, mon chien quoi !

HENRI – Un chien ? Depuis le début, vous me parlez d’un chien ?

CAROLE – Mais oui ! Mon chien s’appelle Salade. C’est interdit ?

HENRI – Et vous ne pouviez pas le dire dès le début, nom d’un chien !

CAROLE – Mais si Tintin rentrait ici, il dirait qu’on lui a volé Milou, pas son chien !

Moi, j’ai parlé de Salade, et ça n’a rien d’extraordinaire !

HENRI – Mais Tintin et Milou, tout le monde les connaît ! Pas salade et…et…comment vous appelez-vous au juste puisque vous ne vous appelez pas Marguerite ?

CAROLE – Carole Dubois.

HENRI – Scarole ?

CAROLE – Mais non pas scarole, Carole ! Nom d’un chien, comme vous dites !

HENRI – Dites donc, calmez-vous sinon je vous flanque au trou !

CAROLE – Ben voyons ! Et pourquoi moi et pas mon voleur ?

HENRI – Parce que vous m’embêtez à la fin avec vos salades et votre façon d’en faire tout un plat.

CAROLE – Oh ! ça va, je ne vous embêterai plus, je vais aller me plaindre ailleurs.

HENRI – C’est ça, allez à la S.P.A., ils sont là pour ça et bon débarras !

CAROLE – Je ne vous salue pas. (Elle sort furieuse.)

HENRI – Moi non plus. Quand je vais encore raconter ça aux copains ! Quelle journée ! Enfin, ils auront tout entendu avec cette cloison si mince.

(Il sort de l’autre côté.)

 

SCENE 4 : ANEMONE, JULES, RAYMOND puis HARRY FER.

 

(Une femme qui porte des lunettes fait irruption dans le bureau en criant.)

ANEMONE – Au voleur ! Au voleur !

JULES (en voix off à Henri) – T’en fais pas, Henri, je prends le relais. (Puis rentrant, attiré par les cris.) Calmez-vous, ma petite dame : vous n’êtes pas chez les pompiers, il n’y a pas le feu !

ANEMONE – Mais si, il y a le feu !

JULES – Ah oui ! Où çà ?

ANEMONE – Sur le boulevard.

JULES – Sur le boulevard ?

ANEMONE – Mais oui, sur le boulevard. Vous ne me croyez pas ?

JULES – De toute façon, ça ne regarde que les pompiers. Vous êtes à la police, ici. Pourquoi hurliez-vous « Au voleur ! » ?

ANEMONE – Mais parce que j’ai été volée, nom d’un chien !

JULES – Stop ! Je vous arrête tout de suite : s’il s’appelle Salade, on nous a déjà fait le coup.

ANEMONE – Mais je ne viens pas vous parler du chien de Carole !

JULES (étonné) – Vous êtes au courant ?

ANEMONE – Mais oui, je viens de la croiser, elle a eu le temps de me dire qu’on avait volé Salade.

JULES – Et vous vous connaissez ?

ANEMONE – Bien sûr, nous habitons le même immeuble.

JULES (soupçonneux) – Vous habitez le même immeuble ? (En aparté.) Serait-ce une piste ?  (Puis à Anémone.) Et vous avez un alibi pour le chien ?

ANEMONE – Dites donc, traitez-moi de voleuse tant que vous y êtes et envoyez-moi immédiatement le panier à salades.

JULES (s’énervant) – Ecoutez, Madame, ne nous parlez plus de salades : nous y sommes devenus allergiques. Ici, nous ne deviendrons jamais végétariens, nous sommes amateurs de bonne viande et même de chien, si vous voyez ce que je veux dire.

ANEMONE – Mais ne criez pas : on dirait que vous avez mangé de la vache enragée.

JULES – Si elle vient d’Inde, je suis preneur.

ANEMONE – Les vaches sont sacrées en Inde. Ici, apparemment, ce sont les voleurs puisqu’on ne peut même pas déposer une plainte.

JULES (se calmant) – Mais non, ils ne sont pas sacrés : si vous êtes vraiment la victime d’un vol, je veux bien vous écouter. Alors, que s’est-il passé ?

ANEMONE – On m’a volé mes lentilles.

JULES – Ben voyons ! En sortant du supermarché comme l’autre folle sans doute ?

ANEMONE – Dites donc, soyez poli, Carole n’est pas plus folle que vous. Et en disant « l’autre folle », c’est aussi à moi que vous faites allusion, évidemment ?

JULES – Si vous vous sentez visée, c’est que vous n’avez pas la conscience tranquille.

ANEMONE – Si ! J’ai la conscience tranquille, aussi tranquille qu’une victime innocente, et je voudrais bien que l’on retrouve mes lentilles, nom d’un chien !

JULES – Vous voyez, vous recommencez !

ANEMONE – Comment ça je recommence ?

JULES – Avec le chien.

ANEMONE – Mais non, je ne recommence pas, arrêtez vos salades !

JULES – Et vous avez le toupet de dire que vous ne recommencez pas : voilà les salades, maintenant !

ANEMONE – Je me moque de vos salades : je veux mes lentilles.

JULES – C’est du pareil au même.

ANEMONE – Mais non, ce n’est pas du pareil au même : retrouvez-moi mes lentilles et rien d’autre. Pas de salade, pas de chien, rien que mes lentilles, c’est trop demander ?

JULES (respirant) – Bon ! Je respire à fond pour me calmer, je fais même un effort gigantesque pour vous écouter : on vous a donc volé vos lentilles.

ANEMONE – Oui.

JULES – Combien de boîtes ?

ANEMONE – Comment ça combien de boîtes ? Une seule ! Au prix où sont les lentilles !

JULES (étonné) – Au prix où sont les lentilles ? Il faudra que je demande à ma femme : il y a peut-être une solide inflation ou une hausse spectaculaire du prix du baril.

RAYMOND (rentrant) – Alors on a volé du pétrole ou de l’essence ?

ANEMONE – C’est ça, moquez-vous !

JULES – Mieux que ça, Raymond : plus précieux que l’or, plus raffiné que le pétrole.

RAYMOND – Des diamants ?

JULES – Des lentilles, Raymond, des lentilles. Cours vite m’en acheter. A la bourse, le cours monte, monte.

RAYMOND – La bourse et moi, ça fait deux : je place mon argent en bon père de famille.

JULES – Moi aussi, Raymond, mais franchement une occasion pareille, ça ne se refuse pas.

ANEMONE – Quand vous aurez fini de parler de vos placements et de votre vie de famille, vous pourrez peut-être vous occuper de mon affaire ?

RAYMOND – Mais nous parlons affaires, madame, au pluriel seulement mais les affaires sont les affaires, comme vous le savez.

JULES – Elle doit le savoir, Raymond, au prix où sont les lentilles !

RAYMOND – A propos de lentilles, tu préfères quoi pour le casse-croûte : jambon ou fromage ?

JULES – Fromage, comme d’habitude.

RAYMOND – O.K., c’est comme si c’était servi. (Il sort.)

ANEMONE – Et moi, vous pouvez me servir au lieu de passer votre temps à vous moquer de moi ?

JULES – Je ne me moque pas de vous mais vous avez l’air de considérer les lentilles comme des denrées pour le moins précieuses.

ANEMONE – On voit bien qu’elles ne vous appartiennent pas. En tout cas, mon vol, j’ai vraiment beaucoup de mal à l’avaler.

JULES – Bien, je vais essayer de faire un dernier effort : vous aviez donc acheté une seule boîte… pour faire régime sans doute ?

ANEMONE – Vous êtes vraiment bête ou vous le faites exprès ?

JULES – Faites attention à ce que vous dites, sinon je vous garde un bon moment pour vous enlever l’envie de poser des questions stupides !

ANEMONE – Carole avait bien raison.

JULES – C’est-à-dire ?

ANEMONE – Que j’aurais bien de la chance si on daignait m’écouter sans qu’on se moque de moi.

JULES – Une patience d’ange, il faut une patience d’ange…Reprenons : on vous a donc volé une boîte de lentilles…

ANEMONE – Contenant des lentilles.

JULES – C’est la même chose !

ANEMONE (ironique) – Pas tout à fait, au prix où sont les lentilles.

JULES – Des lentilles de grande valeur donc…

ANEMONE (même jeu) – Evidemment, au prix du baril.

JULES – Je vois, je vois…

ANEMONE – Vous voyez ? Vous avez de la chance, parce que moi sans mes lentilles.

JULES – Sans vos lentilles ?

ANEMONE – Mais oui sans mes lentilles.

JULES (ouvrant de grands yeux) – J’ai compris : vous avez des problèmes de vue et vous portez des lentilles !

ANEMONE – Ouf ! vous avez effectivement compris.

JULES – Mais bon sang ! vous ne pouviez pas le dire plus tôt ?

ANEMONE – J’ai bien essayé…

JULES – Mais non, vous n’avez pas essayé : vous arrivez ici en parlant d’un incendie sur le boulevard, ça n’a rien à voir !

ANEMONE – Mais si, ça a à voir, comme vous dites : c’est pendant que je regardais que quelqu’un m’a volé ma boîte à lentilles.

JULES (s’énervant) – Mais si vous les aviez portées vos lentilles, personne ne vous les aurait volées !

ANEMONE – J’ai toujours porté des lunettes, j’allais passer aux lentilles mais progressivement.

JULES – Et quand vous ne les portez pas, vous les emportez pour ne pas les laisser seules chez vous, sans doute ? Comme c’est touchant !

ANEMONE – Vous direz encore que vous ne vous moquez pas ! Je venais de les acheter, mes lentilles ! Je sortais de chez l’opticien, vous entendez : de chez l’opticien, pas du supermarché ! Pas du rayon des fruits et légumes ! Et maintenant, c’est d’ici que je sors avant de faire une crise de nerfs.

JULES – Allez, calmez-vous, j’ai cru que vous vous moquiez de moi…

ANEMONE – Non, je ne me calme pas : je m’en vais. Si vous avez besoin de moi, je m’appelle Anémone Dujardin. Vous avez bien compris ? Anémone Dujardin, rue de la Folie, 33…33, comme chez le docteur…c’est facile ! Et si vous cherchez Carole Dubois, c’est le même immeuble : 33, rue de la Folie, c’est facile ! Vous verrez, 5 étages, il y a un monde fou ! (Elle sort furieuse croisant Raymond qui rentre, porteur d’un petit sac.)

RAYMOND – Ton casse-croûte t’attend, Jules.

JULES (perdu dans ses pensées) – 33, rue de la Folie…33, rue de la Folie…

RAYMOND – Tu t’occuperas des fous quand tu auras mangé. Viens.

JULES – 33, rue de la Folie…mais oui…ça alors !

RAYMOND (souriant) – Quoi ? C’est l’adresse de l’hôpital psychiatrique où nous allons interner Harry Fer ?

JULES – Il y habite déjà.

RAYMOND – Il y habite déjà ?

JULES – Mais oui, tantôt j’ai pris ses coordonnées complètes et il m’a donné la même adresse, c’est quand même curieux.

RAYMOND – Tiens ! rue de la Folie…rue de la Folie, oui ça existe, pas très loin du centre. Mais ça ne veut rien dire, ils se sont donné le mot pour nous rendre fous, tout simplement.

JULES – Bizarre quand même, je vais essayer d’éclaircir tout ça après avoir mangé.

RAYMOND – Tout ce que tu veux mais après avoir mangé. (Ils veulent sortir mais Harry Fer surgit et veut s’échapper. Ils le ceinturent.)

FER – Laissez-moi partir, laissez-moi partir, je veux qu’on retrouve mes voitures !

RAYMOND – On va les retrouver tes voitures, on écrira au père Noël !

JULES – Il te les apportera en traîneau, tu verras.

FER – Lâchez-moi, lâchez-moi, je ne suis pas fou et j’ai le bras long, j’ai le bras long !

RAYMOND – Et moi le direct facile ! T’es pas fou mais t’habites rue de la Folie, c’est ça ? Eh bien, on va en parler de ta rue de la Folie mais plus tard…

JULES – Et tu nous parleras d’Anémone Dujardin et de Carole Dubois, tant que tu y es !

FER (surpris) – Vous les connaissez ? Elles habitent dans mon immeuble.

RAYMOND – Oui, on les connaît mais on te racontera ça après avoir mangé. En attendant, au garage, Fer Harry, au garage !

FER – Non, pas au garage, non, pas au garage !  (Ils l’entraînent et sortent.)

 

SCENE 5: HENRI et PAMELA

 

(Henri fait son entrée et va s’asseoir.)

HENRI – Ils ont les mains occupées, c’est à mon tour. Après la tempête, espérons un retour au calme. Les nouvelles sportives, il n’y a que ça de vrai ! (Il se saisit du journal et veut l’ouvrir. Une femme, vêtue de façon très excentrique, fait irruption. Elle le voit assis et se précipite vers lui.)

PAMELA – Ah ! mon sauveur, vite !

HENRI (d’abord en aparté)  – C’est pas vrai, c’est reparti ! (Ensuite à la femme.) Sauveur, c’est vite dit ! On fera de son mieux, madame. Alors, qu’est-ce qui vous arrive ?

PAMELA – On m’a volé ma poupée, on m’a volé ma poupée !

HENRI (étonné) – Volé votre poupée ?

PAMELA – Mais oui, faites quelque chose !

HENRI – Une minute, madame, il n’y a pas le feu.

PAMELA – Mais si justement.

HENRI – Ah bon ! Où çà ?

PAMELA – Sur le boulevard.

HENRI – Ah oui ! c’est juste, j’en ai entendu parler. Et ça flambe toujours ?

PAMELA – Peu importe : je me moque de l’incendie, je veux qu’on retrouve ma poupée !

HENRI – Madame, avec tout le respect que je vous dois, nous en avons déjà vu de toutes les couleurs, des vertes et des pas mûres depuis ce matin, alors de grâce un peu de sérieux.

PAMELA – Mais je suis sérieuse, on ne peut plus sérieuse.

HENRI – Permettez-moi de penser le contraire.

PAMELA (très fâchée) – Mais dites tout de suite que je suis folle !

HENRI – Mais non, mais non…je ne veux pas perdre mon temps, c’est tout. Nous avons déjà assez donné depuis ce matin.

PAMELA (même jeu) – Je me moque de ce qui s’est passé ici depuis ce matin, je veux que vous actiez ma plainte.

HENRI – Bien ! nous allons acter, alors…actons…actons (Il se prépare à écrire.) On vous a donc volé votre poupée. Alors, le nom ?

PAMELA – Barbie.

HENRI – Barbie ? Mais je ne vous demande pas le nom de la poupée, c’est le vôtre qui m’intéresse !

PAMELA – De la poupée ? Mais c’est le mien, justement !

HENRI – Quoi le vôtre ?

PAMELA – Le nom, c’est le mien : je m’appelle Barbie.

HENRI – Ben voyons, moi, je me présente : (Il tend la main.) je m’appelle Action Man.

PAMELA – Non seulement vous ne me prenez pas au sérieux mais vous vous moquez carrément de moi !

HENRI – Je ne fais que vous rendre la pareille.

PAMELA – Rendez-moi plutôt ma poupée !

HENRI – A votre âge ! Nous avons autre chose à faire.

PAMELA – Ne vous occupez pas de mon âge, il ne vous regarde pas !

HENRI – Peut-être mais je sais juger les gens à qui j’ai affaire.

PAMELA – Eh bien ! vous avez affaire à Paméla Barbie. Ecrivez-le.

HENRI – Bien ! Action Man écrit donc :  Paméla Barbie.

PAMELA – Vous continuez à vous moquer : pourtant je suppose que vous avez déjà entendu parler de Klaus Barbie. C’est bien la preuve que le nom existe.

HENRI – Soit ! madame Barbie, on vous a donc volé votre poupée qui s’appelle ?

PAMELA – Prunelle.

HENRI (en aparté) – Prunelle après lentille, ben voyons, ce n’est que logique. (Puis à Paméla.) Prunelle, admettons, et puisque vous y tenez comme à la…prunelle de vos yeux, (Avec un grand sourire moqueur.) vous venez déclarer le vol, c’est logique.

PAMELA (très irritée) – C’est logique aussi de faire l’andouille ?

HENRI – Vous avez envie de finir au trou ?

PAMELA – Evidemment ! C’est facile : vous avez le beau rôle.

HENRI – J’ai peut-être le beau rôle mais c’est vous qui jouez la comédie !

PAMELA – D’habitude, oui mais pas en ce moment, non !

HENRI – Vous reconnaissez que vous jouez la comédie ?

PAMELA – Oui, chaque week-end, avec ma poupée !

HENRI – Franchement, madame Barbie, à votre âge, ce n’est pas sérieux.

PAMELA – Et pourquoi, monsieur Action Man ?

HENRI – Parce qu’à votre âge, on ne joue plus à la poupée.

PAMELA – Je vous répète de ne pas vous occuper de mon âge et ce n’est pas jouer à la poupée mais jouer avec une poupée.

HENRI – Et ça change quoi le « avec »  ?

PAMELA – Tout, ça change tout ! Je suis ventriloque, monsieur Action Man ! Ventriloque, vous entendez ? Je me sers de ma poupée, je la fais parler !

HENRI – Vous ne pouviez pas le dire tout de suite au lieu de commencer à délirer en parlant de l’incendie ?

PAMELA – Délirer ? Dites donc, attention à ce que vous dites !

HENRI – Des menaces à présent ?

PAMELA – Des menaces ? Mais c’est vous qui délirez et depuis le début parce que vous ne m’avez jamais prise au sérieux, monsieur Muscle, monsieur Action Man !

HENRI – Taisez-vous ou je vous mets à l’ombre !

PAMELA – Oh ! mais je me tais, du moins avec vous. Je pars, je téléphonerai à votre supérieur…Je suppose qu’il daignera m’écouter, lui, qu’il daignera écouter les délires d’une ventriloque ! (Elle sort.)

HENRI – Encore une histoire de fou, une de plus. (Il prend un calmant puis se dirige vers le bureau.) Eh ! les copains, vous n’avez pas envie de jouer à la poupée ?

(Il veut sortir mais il est bousculé par Harry Fer qui cherche à nouveau à s’échapper, poursuivi par Jules et Raymond. Il est rapidement rattrapé et ceinturé.)

FER – Laissez-moi partir, laissez-moi partir !

RAYMOND – Tu ne veux pas nous laisser manger en paix, hein, McLaren ?

FER – Fer Harry, Fer Harry !

JULES – C’est la même chose, c’est aussi une formule 1 et si mon collègue a envie de t’appeler McLaren, il ne va pas se gêner.

FER – Oui, mais moi, ça me gêne.

HENRI – Tu es bien le seul.

RAYMOND – On a essayé de te faire confiance, Fer Harry, on ne t’a pas enfermé.

JULES – Et t’en profite pour démarrer au quart de tour…

HENRI – Sur les chapeaux de roue.

RAYMOND – C’est pas sérieux, Fer Harry, c’est pas sérieux !

FER – Mais si, je suis sérieux et vous continuez à me prendre pour un fou.

JULES – Un peu de patience et on reparle tous ensemble du 33, rue de la Folie mais en attendant…

RAYMOND – …au garage, Fer Harry, au garage !

FER – Non, pas au garage, non !

(Ils sortent en l’entraînant.)