Devine qui j'ai invité pour la Saint-Valentin

Saint-Valentin : la fête des amoureux ? Pas forcément : c’est peut-être même celle des hypocrites. Que Sylvie va-t-elle annoncer à Nicolas, son notaire de mari ? Qui a-t-elle invité pour un repas tout à fait particulier et dans quel but ? Serait-ce une thérapie de groupe ? Passera-t-on seulement à table ? Nicolas, qui pensait passer une fête de Saint-Valentin classique (à deux) s’attendait à tout sauf à cela…car sa femme va lui annoncer qu’elle désire divorcer et que son beau-frère s’en chargera.

Et, au lieu de l’intimité souhaitée, l’on va se bousculer : Monique, la sœur de Sylvie et Claude, son mari (elle va lui faire la même annonce, qu’est-ce que cela cache ?), un certain Gérard Lenoir apparemment en quête de vengeance venu terroriser tout ce beau monde dont les deux clercs, Nadine et Angélique, qui ne sont pas forcément très…claires non plus. Bref, de quoi passer un bon moment truffé de surprises et de rebondissements.

Fiche

Année
2018
Production
Compagnie des Sources, Péruwelz

Extrait

ACTE 1

 

SCENE 1

 

NICOLAS et SYLVIE

 

NICOLAS, rentrant. – Mais nous sommes le 14 février !

SYLVIE, le suivant. – Et alors ?

NICOLAS. – C’est la Saint-Valentin !

SYLVIE. – Et alors ?

NICOLAS. – Arrête de répéter “Et alors ? “!

SYLVIE. – Moi, j’ai répété “Et alors ?”, et alors ?

NICOLAS. – Tu me provoques, Sylvie, tu te fous de moi.

SYLVIE. – Moi ? Mais non, mon chéri.

NICOLAS. – Mon chéri ? Alors que tu m’annonces que tu veux divorcer…le 14 février ?

SYLVIE. – J’aime bien te taquiner, Nicolas.

NICOLAS. – Ah, c’est…c’est une taquinerie ? Tu n’étais donc pas sérieuse ?

SYLVIE. – Mais si, je suis sérieuse. Alors, je te taquine en m’appelant “Mon chéri”.

NICOLAS. – Si tu es sérieuse, arrête de me taquiner. L’idée de divorcer ne me fait pas rire.

SYLVIE. – Moi si, ça met du piment.

NICOLAS. – Du piment ? Tu sais bien, Sylvie, que je n’aime pas manger très épicé.

SYLVIE. – Apprends : ce qui est fade ne mérite pas d’être vécu.

NICOLAS. – Je n’ai pas envie d’entendre tes propos philosophiques.

SYLVIE. – Dire que ce qui est fade ne mérite pas d’être vécu, c’est de la philosophie ?

NICOLAS. – Je ne pense pas que ce soit de la cuisine.

SYLVIE. – Si, Nicolas : de la cuisine intérieure…fade…sans piment…intérieur puisqu’il y a du piment extérieur.

NICOLAS. – Comment ça : du piment extérieur ?

SYLVIE. – Tu manges fade ici, tu pimentes ailleurs.

NICOLAS, décontenancé. – Je…je pimente ailleurs ?

SYLVIE. – Une pincée çà et là.

NICOLAS, même jeu. – Une pincée ?

SYLVIE. – Une pincée d’infidélité : une maîtresse par-ci, une maîtresse par là.

NICOLAS, même jeu. – Mais…mais qu’est-ce que tu racontes ?

SYLVIE. – Je raconte ta vie : aujourd’hui, Alice. Hier : Carole. Avant-hier : Marianne.

NICOLAS. – Une par jour : tu me prêtes une fameuse santé.

SYLVIE. – On ne prête qu’aux riches, à ceux qui en ont beaucoup.

NICOLAS. – Beaucoup d’argent ?

SYLVIE. – Beaucoup de maîtresses.

NICOLAS. – Tu fabules. Je ne t’ai jamais trompée.

SYLVIE. – Mais c’est qu’il a l’air d’y croire.

NICOLAS. – Mais évidemment que j’y crois.

SYLVIE. – Collectionneur…et mythomane.

SCENE 2

 

NICOLAS, SYLVIE et ANGELIQUE

 

ANGELIQUE, rentrant. – Veuillez m’excuser, Maître, mais je vous avais posé une question et vous ne m’avez pas répondu.

NICOLAS. – Je… je n’ai pas répondu ?

ANGELIQUE. – Et madame Lenoir attend. Elle voudrait que vous reportiez son rendez-vous.

NICOLAS. – Eh bien, reportez-le.

ANGELIQUE. – A la semaine prochaine.

NICOLAS. – A la semaine prochaine, Angélique ? Vous partez déjà en week-end ? Mais il n’est que onze heures trente.

ANGELIQUE. – Mais non, je ne pars pas déjà en week-end. Elle veut reporter son rendez-vous à la semaine prochaine.

SYLVIE, ironique. – Mais oui, enfin, tu n’avais pas compris, Nicolas…mon chéri ?

ANGELIQUE. – Voilà, vous n’aviez pas compris, mon ch…heu…Maître.

NICOLAS. – Non…Je n’avais pas saisi. (Regardant Sylvie.) J’ai d’autres soucis en tête.

ANGELIQUE. – Alors, que dois-je lui dire ?

NICOLAS. – Regardez l’agenda et fixez-lui rendez-vous mais pour la semaine prochaine, ça me semble compliqué.

ANGELIQUE. – Donc je lui dis que c’est compliqué ?

NICOLAS. – Mais je vous ai dit de regarder l’agenda.

SYLVIE. – Mais oui, regardez l’agenda, Angélique, pour voir s’il n’y a pas de possibilité pour la semaine prochaine.

ANGELIQUE. – Bien, Madame. (Elle ne bouge pas.)

NICOLAS, à Angélique. – Elle attend.

ANGELIQUE. – Qui ?

SYLVIE. – Madame Lenoir, Angélique.

ANGELIQUE. – Elle attend ?

NICOLAS. – Mais oui : au téléphone.

ANGELIQUE. – Ah oui, j’oubliais.

NICOLAS. – Alors, allez-y. Pronto !

ANGELIQUE. – Pronto ?

SYLVIE. – Rapidement. Elle attend.

ANGELIQUE. – C’est juste. Je m’excuse. (Elle repart.)

NICOLAS. – Elle n’a pas inventé l’eau chaude, celle-là.

SYLVIE. – Ni le fil à couper le beurre. Je me demande sur quels critères tu l’as engagée… mon chéri… Des critères cu…linaires, peut-être ?

NICOLAS. – Cu…linaires ?

SYLVIE. – Oui, à base de piment, de cuisine pimentée, mon lapin, mon chaud lapin.

NICOLAS. – Chaud lapin ? Me voilà transformé en civet à présent…mais un civet auquel je ne goûte que très modérément, Sylvie.

SYLVIE. – Tu y as pourtant souvent mordu à pleines dents, mon chaud lapin, dans ces lapines.

ANGELIQUE, revenant. – Je m’excuse.

NICOLAS. – Que se passe-t-il encore ?

ANGELIQUE. – J’ai oublié ce que je devais dire.

SYLVIE. – Vous devez regarder s’il est possible de reporter son rendez-vous à la semaine prochaine.

NICOLAS. – Mais ça me paraît mal barré.

ANGELIQUE. – Mal barré ? Je dois la barrer dans l’agenda ?

SYLVIE. – Mais non ! Qui vous a dit ça ?

ANGELIQUE. – Mais c’est vous, ché…heu Maître.

NICOLAS. – Je ne vous ai rien dit de tel.

ANGELIQUE. – Mais si, je vous assure.

SYLVIE. – Il vous a dit que c’était mal barré : c’est différent.

NICOLAS. – Mal barré, c’est une expression, Angélique.

ANGELIQUE. – Une expression ?

SYLVIE. – Il a voulu dire par là qu’il y avait peu de chances qu’on puisse reporter son rendez-vous à la semaine prochaine.

ANGELIQUE. – Donc je ne dois pas la barrer, la supprimer dans l’agenda ?

NICOLAS. – Non : vous consultez l’agenda et vous lui refixez un autre rendez-vous.

SYLVIE. – C’est ce qu’on essaie de vous expliquer depuis cinq minutes.

NICOLAS. – Donc il y a au moins cinq minutes qu’elle attend au téléphone pour que vous lui répondiez. Allez-y.

ANGELIQUE. – Pardon. Veuillez m’excuser mais je n’avais pas bien compris. (Elle sort.)

SYLVIE. – ça, on l’avait remarqué.

NICOLAS. – Si tu avais décroché toi-même, Sylvie, puisque tu es employée au secrétariat aussi, on n’en serait pas là.

SYLVIE. – Pourquoi « employée au secrétariat aussi » ?

NICOLAS. – Tu n’es pas seulement mon épouse, tu travailles aussi à mi-temps à l’étude.

SYLVIE. – J’y travaille aussi, oui, comme tes deux autres clercs. Mais voilà, au lieu de décrocher, j’ai demandé à te parler en particulier.

NICOLAS. – Alors que nous avions toute l’après-midi pour ça puisque tu m’as demandé de fermer l’étude à midi.

SYLVIE. – Pour mieux fêter la Saint-Valentin par un déjeuner en amoureux…mon chéri.

NICOLAS. – Tu parles d’une Saint-Valentin ! Tu m’annonces que tu veux divorcer.

ANGELIQUE, revenant. – Excusez-moi, Maître, mais Nadine me dit que je dois quand même barrer madame Lenoir dans l’agenda demain.

NICOLAS. – Si vous lui refixez un rendez-vous dans une semaine, oui.

ANGELIQUE. – Mais vous m’aviez dit le contraire.

NICOLAS. – Mais non.

SYLVIE. – Je pense que si.

NICOLAS, à Sylvie. – Tu ne vas t’y mettre, toi aussi ? (Puis à Angélique.) Et vous, allez répondre au téléphone…si vous avez enfin compris.

ANGELIQUE. – Je pense que oui, Maître. (Elle repart au bureau.)

 

SCENE 3

 

NICOLAS et SYLVIE

 

SYLVIE. – Si, je vais m’y mettre puisque je vais partir…le plus vite possible.

NICOLAS. – Comment ça le plus vite possible ?

SYLVIE. – Tes fredaines n’ont que trop duré… mais autant faire les choses agréablement : c’est-à-dire autour d’un bon repas…original.

NICOLAS, intrigué. – Original ? Que veux-tu dire par là ?

SYLVIE. – Nous ne serons pas seuls.

NICOLAS, même jeu. – Pas seuls ?

SYLVIE. – Non. Devine qui j’ai invité pour la Saint-Valentin.

NICOLAS. – Aucune idée, je donne ma langue au chat.

SYLVIE. – Eh bien, le chat te répond même si nous ne sommes pas à la mi-août mais à la Saint-Valentin: Claude et Monique.

NICOLAS. – Claude et Monique ? Mais pourquoi ?

SYLVIE. – Pour manger, je viens de te le dire.

NICOLAS. – Pour manger ? Une Saint-Valentin à quatre ?

SYLVIE. – Avec ma sœur et son mari, cela te dérange ?

NICOLAS. – Une Saint-Valentin, c’est à deux.

SYLVIE. – Une Saint-Valentin normale sans doute mais celle-ci est particulière : c’est la dernière !

NICOLAS. – La dernière ? Mais attends, prenons le temps de discuter.

SYLVIE. – Des modalités du divorce ?

NICOLAS. – Mais non, voyons, je n’ai pas l’intention de divorcer.

SYLVIE. – Moi si. Et comme tu ne me garderas pas de force…

NICOLAS. – Tu tentes le coup…de force.

SYLVIE. – Je tente le coup du consentement mutuel, c’est différent…parce que je compte sur ta coopération.

NICOLAS. – Ma coopération ? Tu as de ces mots.

SYLVIE. – Tu ne gagneras rien à faire de la résistance.

NICOLAS. – Mais si : je fais de la résistance…puisque tu veux la guerre.

SYLVIE. – Divorcer par consentement mutuel, c’est la guerre ?

NICOLAS. – Oui…surtout quand on l’annonce le jour de la Saint-Valentin.

SYLVIE. – C’est un jour comme un autre…pour te fusiller.

NICOLAS. – Non, pas comme un autre. Pour un couple, c’est un jour particulier.

SYLVIE. – Qu’a-t-il de si particulier ? C’est le jour des hypocrites.

NICOLAS. – Je ne suis pas un hypocrite.

SYLVIE. – Si…avec tes infidélités répétitives !

NICOLAS. – Que tu dis ! Je passe la majeure partie de mon temps ici, à l’étude.

SYLVIE. – Où tu as l’occasion de nouer des contacts.

NICOLAS. – Purement professionnels.

SYLVIE. – Je te rappelle également, Nicolas, que tu sors très régulièrement pour expertiser des immeubles.

NICOLAS. – Des immeubles ! Pas les femmes qui les possèdent, Sylvie. D’ailleurs, elles sont très souvent accompagnées d’un mari.

SYLVIE. – Comme si un mari était un obstacle ! Surtout quand tu les rencontres dans une procédure de divorce.

NICOLAS. – Tu vois le mal partout.

SYLVIE. – Pas partout : surtout en toi qui proposes à ces femmes éplorées une consolation.

NICOLAS. – Eplorées ? Elles sont souvent bien décidées à franchir le pas.

SYLVIE. – Le pas … pour prendre leur pied … avec toi ?

NICOLAS. – Non, pas avec moi : le pas du divorce.

SYLVIE. – Eh bien, moi, je le franchis : un petit pas pour moi…

NICOLAS. – Mais un grand pas pour l’Humanité, c’est ça ? Tu penses marcher sur la Lune ?

SYLVIE. – Je change de planète, de maison.

NICOLAS. – De maison ? Tu as déjà une solution de repli ?

SYLVIE. – Je vais trouver…rapidement…le temps de mettre en route la procédure.

NICOLAS. – La procédure ? Laisse-moi rire.

SYLVIE. – Et dès aujourd’hui !

NICOLAS. – Le jour de la Saint-Valentin : c’est indispensable ?

 

SCENE 4

 

NICOLAS, SYLVIE et NADINE

 

NADINE, rentrant. – Maître, il y a du grabuge au téléphone.

SYLVIE/NICOLAS, en chœur. – Du grabuge ?

NADINE. – Le mari est furieux.

SYLVIE/NICOLAS, en chœur. – Quel mari ?

NADINE. – Le mari de madame Lenoir, monsieur Lenoir.

NICOLAS. – Il ne m’a jamais paru très clair celui-là.

SYLVIE. – Et que veut-il, Nadine ?

NADINE. – Apparemment, il ne veut pas reporter le rendez-vous, lui. Il veut même venir tout de suite pour lancer la procédure de divorce aujourd’hui.

SYLVIE/NICOLAS, en chœur. – Le 14 février ?

NADINE. – Et alors ?

SYLVIE/NICOLAS, en chœur. – Mais c’est le jour de la Saint-Valentin !

NADINE. – Et alors ?

SYLVIE/NICOLAS, en chœur. – Mais arrêtez de répéter « Et alors ? »

NADINE. – Moi, j’ai répété « Et alors ? »

NICOLAS. – Parfaitement.

SYLVIE. – Dites-lui, Nadine, qu’on ne lance pas une procédure de divorce le 14 février.

NICOLAS, satisfait. – Tiens ! Je suis très heureux de te l’entendre dire.

SYLVIE, à Nicolas. – Dans une heure à peine, nous fermons l’étude. Je ne vais pas décaler notre repas de Saint-Valentin.

NICOLAS. – Tu parles d’une Saint-Valentin.

SYLVIE, à Nadine. – Quand avait-il rendez-vous ?

NADINE. – Demain.

SYLVIE. – Eh bien, il n’a qu’à revenir demain.

NADINE. – Mais demain, c’est le quinze.

SYLVIE/NICOLAS, en chœur. – Et alors ?

NADINE. – Mais ce ne sera plus la Saint-Valentin !

SYLVIE/NICOLAS, en chœur. – Et alors ?

NADINE. – Mais j’ai cru comprendre, je l’ai entendu tellement il crie, qu’il voulait que ça se fasse aujourd’hui, le 14.

SYLVIE. – Je vous répète qu’il faut lui dire qu’on ne lance pas une procédure aujourd’hui, le jour de la Saint-Valentin.

NICOLAS, à Sylvie. – C’est la deuxième fois que je l’entends. A la troisième, ce sera adjugé.

SYLVIE, à Nicolas. – Ce n’est pas une mise aux enchères. Tu ne t’en sortiras pas : ce qui est valable pour les autres ne l’est pas pour nous.

NICOLAS. – Les autres, du moins un autre, ils veulent débarquer.

NADINE. – Que faut-il lui dire alors ? Parce qu’il crie.

NICOLAS. – Ecoutez, ma petite Nadine, dites-lui de respecter le rendez-vous prévu.

NADINE. – Mais il va crier encore plus.

NICOLAS. – Eh bien ! il criera.

NADINE. – Et s’il veut quand même venir ?

NICOLAS/SYLVIE, en chœur. – Vous lui dites non.

NADINE. – Vous croyez que ça suffira de lui dire ?

NICOLAS/SYLVIE, en chœur. – Oui.

NADINE. – Bien. Je vais transmettre votre réponse.

NICOLAS. – C’est ça : transmettez.

SYLVIE. – Et maintenant, sortez. (Elle sort.)