Feu mon cousin Germain

C'est (peut-être) la pièce que vous attendiez: décapante, politiquement incorrecte, follement irrévérencieuse. Tout y est modulable: la distribution (de 3 à 21 personnages), le nombre de scènes (reliées par un seul fil rouge: un cousin germain prénommé ... Germain est mort et sera incinéré) et donc la durée du spectacle, jusqu'à une heure cinquante rythmée par d'horribles jeux de mots à la gloire de "feu" Germain, cet incinéré qui était un "dur à cuire". Les situations cocasses se multiplient et les spectateurs rient jaune d'abord gênés dans ce curieux décor: est-ce vraiment un crématorium ? Une incinération un mercredi: est-ce le mercredi des cendres ? Ne vous posez pas trop de questions, riez de bon coeur, cela fait du bien et venez partager le quotidien d'une troupe qui prépare un spectacle. Riez mais si c'était l'un de vos amis à la place de Germain, diriez-vous que vous avez un pote-au-feu ?

Fiche

Année
2010
Édition
LIBRAIRIE THEATRALE
Production
Compagnie des Sources, Péruwelz

Extrait

ACTE 1

SCENE 1 : UN HOMME (LUI), UNE FEMME (ELLE), DANIEL

LUI – Ils auraient pu prévoir des rafraîchissements, j'ai déjà connu des salles d'attente plus agréables.
ELLE – Question de contexte: dans un crématorium, c'est assez normal.
LUI – Qu'est-ce qui est normal ? Qu'après la mise en bière, je ne puisse pas boire...une bière ?
ELLE – Ce n'est pas le moment.
LUI – Avec toi, ce n'est jamais le moment: pour l'humour ou autre chose, ce n'est jamais le moment.
ELLE – Tu ne vas pas me faire une scène ? L'endroit est mal choisi.
LUI – Mal choisi ? Que choisit-on dans la vie ? On ne choisit pas sa famille, heureusement qu'on peut choisir ses amis.
ELLE – Tu n'as peut-être pas choisi ta famille mais respecte au moins ton cousin.
LUI – Germain. J'avais un cousin...germain qui s'appelait...Germain. Encore heureux qu'il n'avait pas de berger allemand.
ELLE – Peux-tu, s'il te plaît, respecter les défunts ?
LUI – Un.
ELLE – Quoi "Un" ?
LUI – C'est un défunt, pas "les". Il n'y a pas lieu de mettre Germain au pluriel même s'il est singulier d'avoir un cousin germain qui s'appelle...
ELLE, sèchement. – Tu l'as déjà dit.
LUI – Eh bien, figure-toi que j'aime le répéter. Un cousin germain qui se serait appelé Alphonse, ça ne m'aurait pas fait sourire mais (Prenant l'accent allemand.) un cousin germain appelé Germain, je ris, je ricane, je jubile.
ELLE – Tu jubiles alors qu'en ce moment le pauvre est en train...
LUI – ... de passer à la casserole (Il s'esclaffe.)
ELLE – Tu es odieux.
LUI – Lui, il était athée. Je suis odieux, il était athée. (Il s'esclaffe à nouveau.)
ELLE – Respecte les morts.
LUI – Nous progressons: il y a peu, c'était un défunt. A présent, il est simplement mort. Il a dû régresser dans ton estime.
ELLE – C'est toi qui régresses dans mon estime.
LUI – Dans la vie, on a ses périodes: on engraisse puis on régresse, mince alors ! Ensuite on maigrit et en vieillissant, on s'aigrit.
ELLE – Au lieu de philosopher, tu aurais mieux fait d'assister à la crémation.
LUI – Toi aussi.
ELLE – Je suis trop sensible.
LUI – Et moi, je n'en avais pas envie mais elle se prolonge la crémation, il est vrai que c'était un dur à cuire. (Il s'esclaffe à nouveau puis s'arrête subitement.) Attends, je vais le dire à ta place: respecte les défunts, que dis-je ? les morts, les décédés, les trépassés.
ELLE – Tout ça parce que tu n'aimais pas Germain. Si c'était l'un de tes amis à sa place...
LUI – Je dirais que j'ai un pote-au-feu. (Il s'esclaffe à nouveau.) Non, les potes, c'est sacré. Mais tu ne trouves pas que cela sent le brûlé ?
ELLE – Comment oses-tu ?
LUI – Il a bien osé toute sa vie courir les jupons, lui. Et sa pauvre épouse n'y a vu...que du feu. Finalement, c'est bien qu'il se soit fait incinérer, il y a une justice.
ELLE – S'il y avait une justice pour condamner ton manque de respect, j'applaudirais des deux mains.
LUI – Tu as raison, respectons ... feu Germain. (Il s'esclaffe à nouveau.)
ELLE – Tu n'as décidément aucun sens moral.
LUI – Ne t'aurait-il pas déclaré sa flamme, à toi aussi, cet incinéré pour que tu t'ériges en défenderesse des valeurs ? Et à propos de valeurs, ne t'aurait-il pas couchée sur son testament par hasard ? (Il rit à nouveau.)
ELLE – C'est dans son lit qu'il m'a couchée si c'est ce que tu désires entendre. (Il s'est arrêté de rire.) Et si tu veux le savoir, il ... brûlait d'amour pour moi, il était ... tout feu tout flamme. Il avait un tempérament ... volcanique.
LUI, après un long silence. – Je ne te crois pas, tu me dis ça parce que je t'ai exaspéré.
ELLE – Tu ne me crois pas ? Tu en mettrais ta main...au feu ? Tu ne crois pas qu'il...se consumait d'amour pour moi ?
LUI – Eh bien, s'il se consumait, il n'en reste plus grand-chose à présent. Au fait, quel jour sommes-nous ?
ELLE – Mercredi.
LUI – Mercredi ? C'est le mercredi des cendres. (Il rit à nouveau.) En rentrant, tu me feras du poisson.
ELLE – Et si c'était du poison ? C'est tout ce que tu mérites. Et si tu continues, notre histoire se terminera...en queue de poisson. (Un temps.)
LUI – Alors comme ça, tu m'as trompé avec feu l'incinéré ?
ELLE – Oui mais il y a prescription: il est mort.
LUI – Mort, défunté, décédé, trépassé: peu importe. Plus de poursuites possibles, il a passé l'arme à gauche, avalé son extrait de naissance. Il est mort de sa belle mort. Il était poussière et il est retourné en poussières. Vive le mercredi des cendres !
ELLE – Je ne regrette rien: je t'ai trompé et tu l'as bien mérité.
LUI – Combien ?
ELLE – Quoi "Combien ?". Tu penses qu'il m'a payée ?
LUI – Combien de fois. Je te demande si tu m'as trompé souvent avec lui. Je me doute bien qu'il ne t'a pas payée. Bien que je sache qu'il allait voir aussi des professionnelles. Un jour, je l'avais croisé... (Il s'arrête net.)
ELLE – Tu l'avais croisé ? Ah bon ! Et où ça, dans une maison spécialisée où tu étais donc présent toi aussi ?
LUI, embarrassé. – Ne fantasme pas. Je voulais simplement dire que je l'avais croisé, qu'on avait parlé et qu'il m'avait avoué être allé voir une...péripa...non...une technicienne de surface.
ELLE – Une technicienne de surface ?
LUI – Une technicienne de surface ? Non: une technicienne de la surface. Voilà: de la surface, c'est ainsi qu'il les appelait. Il m'avait dit: cousin, il faut se faire plaisir et, comme on conduit sa voiture à l'entretien, il faut confier son corps à une technicienne de la surface.
ELLE, ironique. – De la surface, vraiment ? C'est prodigieusement intéressant, terre à terre mais intéressant. Mais pourquoi de la surface ?
LUI – Il parlait de la surface corporelle, de la superficie du corps...C'est pour ça que c'était un type qui ne manquait pas d'air. (Il rit à nouveau.)
ELLE – D'air ? Qu'est-ce que ça vient faire dans tes explications ?
LUI – L'aire, la surface, la superficie. Et un type qui ne manquait pas d'air aurait dû mourir étouffé. Oh ! comme je suis bon aujourd'hui ! Le mercredi des cendres, ça me réussit.
ELLE – Tu réussis surtout à ...noyer le poisson, à éviter d'avouer que tu l'avais croisé dans un endroit de luxure, un antre de perdition.
LUI – Un antre de perdition ? On entre ou on sort. Je n'y suis jamais rentré. Lui, il en sortait et sûrement euphorique après ce qu'il venait de connaître, donc il m'en a parlé.
ELLE – Parce qu'on est euphorique après ?
LUI, la regardant droit dans les yeux. – Je ne sais pas, je ne me rappelle plus. Il y a tellement longtemps mais je comprends pourquoi tu disais non. Avec d'autres, tu étais plus disponible, plus affirmative.
ELLE – Parle-moi plutôt de tes visites dans ces antres de perdition.
LUI – Parle-moi plutôt de l'hôtel où tu le retrouvais pour vous livrer à de la gymnastique. Je parie que c'était ça tes séances de fitness. Tu retrouvais l'incinéré, j'en mets ma main...au feu.
ELLE – Dépravé ! Débauché !
LUI – Je préfère ne pas te qualifier, les mots dépasseraient ma pensée. Me faire ça à moi et avec mon cousin encore bien.
ELLE – Avec ton cousin Germain, au moins ça restait dans la famille. Tu aurais préféré que je te trompe avec un inconnu ?
LUI – Qui ne l'aurait pas été pour toi. Mais Germain, je le connaissais suffisamment bien, et toi aussi d'ailleurs, pour savoir qu'il collectionnait les maîtresses. Tu ne représentais rien pour lui : juste un passe-temps, un nom au bas d'une liste.
ELLE – Et pour toi, je représente quelque chose ?
LUI – Bien sûr.
ELLE – Et quoi plus précisément ?
LUI, après un temps de réflexion. – Ma...femme, mon...foyer...mais en parlant de foyer, il n'est pas encore cuit celui-là ?
ELLE – Arrête de changer de conversation et tout spécialement avec des remarques déplacées. Ton foyer donc et...?
LUI – La chaleur de mon foyer. Mais en parlant de chaleur, quand tu y penses : tu meurs, tu refroidis et puis on te réchauffe à grandes flammes si tu choisis la crémation...
ELLE – Tu comptes poursuivre ton numéro de music-hall encore longtemps ?
LUI – Tu te rappelles quand nous avons été un bon moment ...en froid avec lui ? ...Oui, je sais, n'y revenons pas, c'est...du réchauffé.
ELLE – Quand tu étais en froid avec lui, parce que de mon côté, c'est à ce moment-là...
LUI – ...qu'il t'a déclaré sa flamme et comme je connais sa finesse, c'était sûrement...au lance-flammes.
DANIEL, rentrant. – Désolé, j'avais dit que j'écoutais jusqu'au bout mais j'interviens, car c'est vraiment n'importe quoi ! D'abord, que revient faire cette histoire de technicienne de la surface ? Je te rappelle que je n'en voulais pas.
ELLE – Moi aussi, Dany, ça m'a étonnée mais j'ai continué, je me souvenais encore de l'ancien texte.
LUI – Tu n'en voulais pas ?
DANIEL – Parfaitement. Si tu étais venu aux trois dernières répétitions, tu serais au courant.
LUI – Je t'ai à chaque fois prévenu que j'avais un empêchement.
DANIEL – Deux fois sur trois, à cinq minutes à peine du début de la répétition. Il n'y a pas que dans cette scène qu'il faut te rappeler la notion de respect.
ELLE – Et toc !
DANIEL – C'était la huitième absence en vingt-deux répétitions.
LUI – Ah ! parce que tu les comptes, maintenant ! Merci pour la confiance.
DANIEL – Merci pour le respect des autres, merci pour le respect d'un travail collectif.
ELLE – Et retoc !
LUI – Toi, ne jette pas de l'huile sur le feu. Tu as été absente au moins une fois, ça je le sais puisque j'étais, ce soir-là, orphelin de ma partenaire.
DANIEL – Bien. Maintenant, calmons les choses : nous sommes à moins d'un mois de la première. Et je rappelle également que je ne voulais pas de cette histoire de déclarer sa flamme au lance-flammes. Si des anciens combattants sont présents dans la salle, cela fera encore un beau scandale.
LUI – Pourquoi encore ?
DANIEL – L'année dernière, nous avons déjà eu des problèmes. Inutile de mettre le feu aux poudres.
ELLE – Et si on reparlait de l'incinéré, de feu Germain ?
DANIEL – Il est plus que temps: on a beau avoir une part d'improvisation dans le spectacle, tout doit tenir la route.
ELLE – Avouez quand même que l'idée du crématorium n'était pas mauvaise.
LUI – Surtout que c'est toi qui l'avais trouvée, j'aime ta modestie.
DANIEL – Et moi, j'aimerais surtout qu'on termine cette première scène.
LUI – C'est bien beau de venir nous interrompre mais maintenant, j'ai perdu le fil.
ELLE – Tu en étais au lance-flammes.
DANIEL – Non, pas au lance-flammes ! Sinon...
LUI – ...nous allons nous faire allumer par les anciens combattants. (Il s'esclaffe.) Oh ! comme je suis bon aujourd'hui.
ELLE – Que me disais-tu il y a peu ? Ah oui ! J'aime ta modestie.
DANIEL, sèchement. – On termine cette première scène. C'est trop demander ?
LUI – Mais qu'est-ce que je dis si je ne peux plus parler du lance-flammes ?
DANIEL – Ne me dis pas que tu n'as pas reçu le correctif que je t'ai envoyé par internet la semaine dernière ?
LUI – Je n'ai rien reçu du tout, je change d'opérateur et je n'ai plus de connexion avant la semaine prochaine.
ELLE – Hier, tu m'as pourtant encore envoyé tes blagues stupides.
LUI – Depuis mon ordinateur du bureau.
ELLE – C'était pourtant ton adresse e-mail habituelle.
LUI – Je répète que je n'ai rien reçu et même au bureau, je n'ai rien vu passer.
DANIEL, désignant sa montre. – Moi, par contre, je vois le temps passer. Alors, peu importe que ton employeur te paye pour surfer sur internet pour envoyer des blagues débiles ou que tu t'absentes trop souvent aux répétitions, mais je voudrais au moins que tu prennes connaissance des corrections de texte.
LUI – Parfois, ma boîte de réception est pleine, alors je ne reçois plus rien.
DANIEL – A présent, tu termines la première scène, tu comprends ? Je ne veux plus entendre parler d'autre chose. (Il sort de scène.)
ELLE – Je reprends. Tu comptes continuer ton numéro de music-hall longtemps ?
LUI, en boudant. – Tu te rappelles quand nous avons été un bon moment ...en froid avec lui ? ...Oui, je sais, n'y revenons pas, c'est...du réchauffé.
ELLE – Quand tu étais en froid avec lui, parce que de mon côté, c'est à ce moment-là...
LUI – ...qu'il t'a déclaré sa flamme et comme je connais sa finesse, c'était sûrement...au lance-flammes. Voilà, je le savais, je me suis trompé, je l'ai encore dit. Forcément, je n'ai pas reçu le changement de texte.
DANIEL, en voix off. – Si tu veux ton changement de troupe de théâtre, je peux m'en occuper immédiatement.
LUI – A moins d'un mois du spectacle ? Et tout reprendre à zéro avec un autre, ne me fais pas rire.
ELLE – Vous n'allez pas recommencer ?
LUI – Non, on termine. Je place la dernière réplique et on passe à une autre scène. On répètera la fin de celle-ci la prochaine fois.
DANIEL, en voix off. – Eh bien, balance-la alors ta dernière réplique, qu'on puisse passer à autre chose.
LUI – La voilà. J'ai compris pourquoi il s'est fait incinérer: il était pompier.

Noir

SCENE 2 : UN HOMME (LUI), UNE FEMME (ELLE), DANIEL
(Le metteur en scène pourra rester en permanence sur scène ou dans la salle ou alterner répliques "in" et en voix off comme indiqué s'il sort de scène.)

DANIEL, en voix off. – Dieu, que le noir est reposant ! Allez, on remet la lumière et on attaque la deux. (La lumière revient.)
LUI, rentrant en pleurnichant. – Mon cousin Germain.
ELLE, même jeu. – Avoir un cousin germain qui s'appelait Germain, c'est encore plus triste.
LUI, même jeu. – Et que va devenir son berger allemand ?
ELLE, étonnée. – Son berger allemand ? Mais il n'en avait pas.
LUI – Et que dois-je répondre à ça ?
ELLE – Mince, c'est juste ! C'est dans la première scène qu'on dit: "Encore heureux qu'il n'avait pas de berger allemand."
DANIEL, en voix off. – Les comédiens sont priés de connaître leur texte. Ils sont également priés de recevoir les corrections quand tout est envoyé non pas par la poste mais par ce grand outil de communication qu'est internet. Je le rappelle puisque certains ne reçoivent, paraît-il, rien.
LUI – Grand outil mais toi, c'est petit, mesquin.
ELLE – Vous vous comportez tous les deux comme des gamins, tout le monde peut se tromper.
DANIEL, en voix off .– Certains plus que d'autres, malheureusement. On a déjà fait très fort avec la première scène, je préfèrerais ne pas poursuivre sur cette lancée.
LUI – O.K., essayons de fumer le calumet de la paix.
ELLE – Bon ! On se reconcentre et tout le monde fait un effort. (Elle entraîne l'homme. Ils ressortent et rentrent aussitôt.)
LUI, rentrant en pleurnichant. – Mon cousin Germain.
ELLE, même jeu. – Avoir un cousin germain qui s'appelait Germain, c'est encore plus triste.
LUI, même jeu. – Et que va devenir son berger allemand ?
ELLE, même jeu. – Son berger allemand ? Mon Dieu, son berger allemand, si brave à l'image de son maître. Ce brave Rouky.
LUI – Rox.
ELLE – Quoi Rox ?
LUI – Depuis le début des répétitions, il s'appelle Rox.
DANIEL, en voix off. – Je confirme.
ELLE – Eh bien, je me suis trompée. Je crois que j'ai des circonstances atténuantes avec toutes vos bêtises. J'ai dû confondre à cause du dessin animé, Rox et Rouky.
DANIEL, en voix off. – De toute façon, du moment que tu cites un nom de chien, ce n'est pas grave.
ELLE – Moi, ça me perturbe, je sais que je me suis trompée.
DANIEL, en voix off. – Mais le public ne le sait pas. Que tu l'appelles Pluto, Rox ou Rouky, peu importe.
LUI – Du moment que tu ne dis pas qu'il avait cent un Dalmatiens dont le plus jeune se nommait Bambi et qu'il se trémoussait au son d'une musique jouée par les Aristochats, je confirme qu'il n'y a pas de souci.
ELLE – Mais tu te moques de moi, ma parole !
DANIEL, criant en voix off. – Stop ! Il est l'heure du couvre-feu. Alors, vous laissez tomber vos histoires signées Walt Disney et vous poursuivez la scène et de préférence sans le roi Lion ou Peter Pan.
ELLE – Je le savais, je le savais.
LUI – Et que savais-tu au point de le dire deux fois ?
ELLE – Le même contexte, des similitudes dans le comportement des personnages, les répliques qui se ressemblent: il n'a pas de berger allemand dans une scène, il en a un dans la suivante. Je savais qu'on allait se planter.
LUI – Que tu allais te planter.
ELLE – Merci pour ta solidarité.
DANIEL, en voix off. – J'ai été clair depuis le début: je vous ai demandé d'apprendre toutes les scènes pour que nous puissions jouer le cas échéant avec un petit nombre de comédiens.
ELLE – Oui mais nous ne sommes pas des professionnels.
DANIEL, en voix off – Et la pièce peut être jouée également par toute une troupe puisque chaque scène n'est reliée à une autre que par le même thème : faire allusion au décès du cousin Germain.
ELLE – Mais dans la pratique, tout apprendre, ce n'est pas évident avec ces répliques qui se ressemblent.
DANIEL, en voix off. – Je n'ai jamais dit que c'était évident mais j'en appelle à présent à votre sens des responsabilités. Reprenez la scène, songez que nous nous produisons dans moins d'un mois au profit d'une noble association.
LUI – L'Amicale des Sourds et Malentendants: l'ASM mais je ne savais pas qu'avoir de l'asthme, c'était être sourd et malentendant.
DANIEL, en voix off. – Prononce en épelant A.S.M. et arrête tes jeux de mots stupides, spécialement quand ils ne font pas partie du texte.
ELLE – Mais si le public est constitué de sourds et de malentendants, ils ne vont rien comprendre.
LUI, prenant l'accent italien. – Ma que, je ferai comme à Napoli, je parlerai avec les mains. Et je leur expliquerai qu'on avait préparé tout spécialement un spectacle pour eux, que s'ils ne comprennent pas, c'est un malentendu. (Il s'esclaffe puis reparle normalement.) Un malentendu avec des sourds, je tiens la forme ! Dans le fond, si l'acoustique de la salle n'était pas bonne, pour une fois, ce ne serait pas grave. (Il s'esclaffe à nouveau.)
ELLE – Tu es franchement pénible.
DANIEL, en voix off. – Consternant. Et j'en profite pour vous rappeler que le public sera plutôt constitué des sympathisants, des proches de sourds et de malentendants mais pas forcément donc des personnes souffrant de ce type de handicap.
ELLE – Il doit avoir peur de ne pas entendre rire de ses bêtises.
LUI – J'espère qu'on a placé assez d'affiches parce que si on compte sur le bouche-à-oreille (Il s'esclaffe à nouveau puis reprend l'accent italien.), il n'y aura personne, ce sera encore un malentendu.
DANIEL, en voix off. – Mon Dieu, pardonnez-lui, il ne sait pas ce qu'il fait. J'en profite également pour rappeler que le spectacle sera joué au total douze fois et qu'il devient urgent de poursuivre la répétition. Allez-y. (Ils repartent et reviennent aussitôt.)
LUI, rentrant en pleurnichant et reprenant l'accent italien. – Mon cousin Germain.
ELLE, pleurnichant. – Avoir un cousin germain qui s'appelait Germain, c'est encore plus triste.
LUI, pleurnichant et prenant l'accent allemand. – Et que va devenir son berger allemand ?
DANIEL, criant en voix off. – C'est fini, oui ?
ELLE, même jeu. – Son berger allemand ? Mon Dieu, son berger allemand, si brave à l'image de son maître. Ce brave Rou...Rox, ce brave Rox.
LUI – C'était un héros.
ELLE – Un homme, un vrai.
LUI – Souvent, aux enterrements, on ne dit que du bien des gens. A croire qu'ils sont tous mûrs pour être béatifiés. Mais ici, il méritait tous les éloges. Tiens, saint Germain, ça me rappelle quelque chose.
DANIEL, en voix off. – Eh bien, tu oublies ce quartier-là de Paris. Parce que là aussi, le texte avait été corrigé.
LUI – Je n'ai rien reçu.
ELLE – Toutes les boîtes de réception n'acceptent que les blagues, c'est bien connu.
LUI – Toi, va plutôt t'occuper de Rox et Rouky. (Puis réalisant.) Va plutôt...Pluto, le chien Pluto, je fais même des jeux de mots inconsciemment. C'est la forme olympique.
ELLE – Tu es surtout modeste, j'aime à le répéter. Mais si je dois Pluto waf ! waf ! aller m'occuper des chiens, toi concentre-toi plutôt sur ton texte.
DANIEL, en voix off. – La ferme ! On reprend.
LUI – Je vais montrer l'exemple. Je me reconcentre, c'est parti... C'était un héros.
ELLE – Un homme, un vrai.
LUI – Souvent, aux enterrements, on ne dit que du bien des gens. A croire qu'ils sont tous mûrs pour être béatifiés. Mais ici, il méritait tous les éloges. Tiens, saint Germain, cela ne me rappelle plus quelque chose. Donc je l'oublie.
DANIEL, en voix off. – Et tu fais bien.
LUI, avec gravité. – Non, monsieur Germain Lallemand, je ne vous oublierai jamais.
DANIEL, criant en voix off. – Non, pas Germain Lallemand. Le nom a été changé dès le début parce que avoir ou non un berger allemand, ça ne pouvait pas fonctionner avec un nom pareil.
ELLE – Très juste: Germain Lallemand qui avait ou pas un berger allemand, ce n'était pas des plus heureux.
DANIEL, en voix off. – Ton cousin germain s'appelait Germain Deutch, pas Germain Lallemand !
LUI – J'ai oublié, ça arrive.
ELLE – Trop souvent : à chaque fois qu'on l'a répété, tu t'es trompé.
DANIEL, en voix off. – Encore une fois, ce n'est pas moi qui le dis.
LUI – Monsieur le metteur en scène me cherche ?
DANIEL, rentrant. – Je cherche de la mémoire, de l'application, de la rigueur, de la concentration. Est-ce trop demander d'être dans son personnage ? Combien de fois faut-il vous répéter par exemple de ne pas jouer avec votre portable dans une poche ? Parce que là aussi, il y a des spécialistes qui reçoivent appels ou messages pendant qu'on répète. Comment peut-on se concentrer dans ces conditions ? Tenez, moi, mon portable, le voilà (Il le sort de sa poche.) mais on ne l'entendra pas, il peut simplement vibrer. Tiens, c'est justement ce qu'il est en train de faire.
LUI, ironique. – Que disais-tu à propos de la rigueur et de la concentration ?
DANIEL – Je réponds parce que cela commence par th. Allô ?...
ELLE – Ça veut dire quoi :" Cela commence par th" ?
DANIEL, d'abord au téléphone. – Salut, Bernard, un petit instant et je suis à toi. (Puis aux deux comédiens.) Tous mes contacts théâtre commencent par th. Si j'ai répondu, c'est parce que j'ai vu que la communication concernait le théâtre, sinon, je ne l'aurais pas fait, compris ? (Puis à nouveau à son correspondant.) Sorry Bernard, je vais être bref parce que je suis en répétition. Je te rappellerai plus tard....Oui, dans un mois...Non, pas du boulevard comme d'habitude, j'en avais un peu marre...C'est une pièce comique, enfin on essaiera de l'être...Une succession de scènes avec un fil rouge: on y parle à chaque fois d'un cousin appelé Germain qui se fait incinérer...Le décor est un local dans le crématorium ou un intérieur contemporain mais le titre est quand même un clin d'oeil au boulevard puisque ça s'intitule "Feu mon cousin Germain"...Evidemment, par référence à "Feu la mère de Madame"... Non, je te rappelle plus tard. Salut (Il remet le portable en poche.)
ELLE – L'exemple vient d'en haut.
LUI – A qui le dis-tu.
ELLE, à Daniel. – A propos du local puisque tu viens d'en parler, quand pourrons-nous jouer dans le vrai décor et non plus avec des meubles de jardin ?
DANIEL – C'est ce qui rappelait le plus le mobilier prévu pour la salle d'attente dans le crématorium ou la table de la cuisine familiale et ça ne prend pas de place.
LUI, à Daniel. – Tu n'as pas répondu à sa question.
DANIEL – Parce que tu réponds aux miennes quand je te demande pourquoi tu n'assistes pas à une répétition ?
LUI – Nous touchons ici à un domaine sensible: celui du respect de la vie privée.
ELLE – Tu n'as toujours pas répondu à ma question.
DANIEL – J'attends le coup de fil du décorateur.
ELLE – Le décorateur ? Parlons plutôt de quelqu'un qui est bon bricoleur et qui nous aide...
DANIEL – ...quand il le peut et il est débordé en ce moment, alors j'attends, je ne peux rien faire d'autre.
LUI – Mais comment veux-tu être bon dans ces conditions ?
DANIEL – En étant vêtus comme l'exige la situation. Comment serez-vous habillés pour une scène pareille quand nous nous produirons en spectacle ?
ELLE – En noir, en habits de deuil.
DANIEL – Je ne te le fais pas dire. Je vous ai d'ailleurs demandé de les revêtir aujourd'hui pour la scène finale mais vous auriez pu vous habiller correctement dès le début. Regardez : moi, je suis prêt.
LUI – Tu n'avais qu'à...
DANIEL, sèchement. – Tu n'avais qu'à quoi ? Le demander ? Vous auriez pu prendre l'initiative mais non, à chaque répétition, je ne vois que des couleurs le plus souvent vives. Avant-hier, tu es même venu en short.
LUI – C'est l'été indien.
DANIEL – Laisse Joe Dassin où il est et concentre-toi sur Germain, est-ce au-dessus de tes forces ?
LUI – Non, mais avec toutes ces discussions, je ne sais plus où on en est.
DANIEL – Dans la dernière partie de la seconde scène, autrement dit et je vais laisser le dire par ta partenaire.
ELLE – Le passage qu'il ne connaît pas.
DANIEL – Voilà. Parce qu'il mélange les Deutch, les Allemands et les bergers du même nom.
LUI – Chez d'autres, ce sont les Rox, les Rouky, les Pluto et les Aristochats mais c'est toujours à moi qu'on en veut.
ELLE – Arrête, Cendrillon, tu vas me faire pleurer.
LUI – Tu sais ce qu'il te dit Cendrillon ?
DANIEL – Stop ! On se calme. Je renvoie chacun au vestiaire et à ses responsabilités. On oublie momentanément les deux premières scènes et leurs pièges et on enchaîne avec la troisième. (Il sort.)

Noir

SCENE 3 : UN HOMME (LUI), UNE FEMME (ELLE), DANIEL

DANIEL, en voix off. – J'espère que tout le monde s'est calmé. On remet la lumière et on attaque la trois. (La lumière revient.)
LUI, rentrant. – Eh bien, voilà, il est parti.
ELLE, même jeu. – Il s'en est allé sans crier gare.
LUI – Pourtant, il aurait pu, il était cheminot.
ELLE – Ce n'est ni le moment ni l'endroit.
LUI – J'oubliais le respect, je n'ai pas le droit de dérailler.
ELLE – Il y a un temps pour tout, voilà tout. Sinon, je sais bien que ce n'était pas un saint, Bernard.
DANIEL, en voix off. – Non ! Non, pas Bernard ! Il s'appelait Germain.
LUI, à elle. – Mais oui, pourquoi l'as-tu appelé Bernard ?
ELLE – Je n'en sais rien, peut-être tout simplement parce que je pensais déjà à la fameuse réplique avec le chien. Alors, j'ai dû dire Saint-Bernard par association d'idées.
DANIEL, en voix off. – On reprend !
LUI – Où ?
DANIEL, en voix off. – Depuis le début, vous veniez de commencer.
ELLE – O.K., chef.
DANIEL, en voix off. – Pas "chef", s'il vous plaît, ce n'est pas la première fois que je le demande.
LUI – Allons-y gaiement. (Ils ressortent.)
DANIEL, en voix off. – Allez, chauffe, Marcel !
LUI, en voix off. – Tu dis "chauffe" parce que tu penses au crématorium ?
DANIEL, en voix off. – Non, je dis "chauffe" pour qu'on commence. Allez, chauffe Marcel !
LUI, rentrant. – Eh bien, voilà, il est parti.
ELLE, même jeu. – Il s'en est allé sans crier gare.
LUI – Pourtant, il aurait pu : il était cheminot.
ELLE – Ce n'est ni le moment ni l'endroit.
LUI – J'oubliais le respect, je n'ai pas le droit de dérailler.
ELLE – Il y a un temps pour tout, voilà tout. Sinon, je sais bien que ce n'était pas un saint, Germain.
LUI – Quand on dispersera ses cendres sur la pelouse, ce sera Saint-Germain-des-Prés.
ELLE – On aurait pu l'enterrer au Père-Lachaise.
LUI – Et pourquoi pas à la Mère-Fauteuil, tant que tu y es ?
ELLE – Je l'aurais bien vu au milieu de toutes les célébrités, il aimait tant Paris.
LUI – Moi aussi, j'aime bien Paris. Je ne voudrais pas m'y faire enterrer pour autant. Il adorait son berger allemand, on n'allait pas l'enterrer dans un cimetière pour chiens non plus.
ELLE – Tu as raison. De toute façon, incinérer n'est pas enterrer. Moi, je ne pourrais pas.
LUI – Tu ne sentirais plus rien.
ELLE – Qu'en sais-tu ? Personne n'est jamais revenu raconter son expérience.
LUI – C'est une expérience unique, unique comme lui. Mon cousin Germain était à la fois unique, singulier et si souvent pluriel.
ELLE – Tu pourrais mettre des sous-titres pour que je comprenne ?
LUI – Il changeait tellement souvent d'opinion. Comment dit-on encore ? Ah oui, versatile. Il était versatile, une vraie girouette.
ELLE – C'est vrai que ses goûts étaient pour le moins particuliers.
LUI – Et sa façon de parler, pour le moins particulière aussi. Quand on lui demandait pourquoi il s'habillait avec une longue tunique blanche, il répondait: "Ne me distrayez pas avec des questions futiles et sournoises de ma quête d'absolu, de spiritualité."
ELLE – A lui aussi il fallait demander des sous-titres.
LUI – Quarante ans après les hippies, il les avait réinventés. (Geste à l'appui, les doigts en v.) Love and peace, mes frères, love and peace ! Peace où tu veux mais pas dans mon salon !
ELLE – Quand on allait chez lui à cette époque, il y avait de la fumée partout, de l'encens, de la musique hindoue. Tiens, au fait, dit-on hindoue ou indienne ?
LUI – Indienne mais comme c'était religieux, on peut dire hindoue, voire même hindouiste. De toute façon, à peu de chose près, on ne risque pas de se tromper.
ELLE – Chez les Hindous, n'y a-t-il pas régulièrement ou systématiquement une crémation ?
LUI – Si.
ELLE – Oui mais régulièrement ou systématiquement ?
LUI – Je ne sais pas. Ce n'est qu'un détail.
ELLE – En tout cas, je crois savoir qu'on disperse ensuite leurs cendres dans leur fleuve sacré. Comment s'appelle-t-il encore ?
LUI – Le Gange.
ELLE – Le Gange, voilà.
LUI – Eh bien, ici, il perdra au Gange, il se contentera d'une pelouse : ce sera Saint-Germain-des-Prés.
ELLE – Tu l'as déjà dit.
LUI – J'aime bien répéter mes jeux de mots.
ELLE – Perdre au Gange, c'est quand même un peu tiré par les cheveux. Mais à propos de cheveux, sa période hippie, c'était avant ou après sa période bouddhiste ?
LUI – Je ne sais plus, je me rappelle simplement qu'on l'appelait Boubou.
ELLE – Boubou ?
LUI – Mais oui, Boubou pour bouddhiste.
ELLE – J'avais compris mais je ne me souvenais pas qu'on utilisait ce diminutif.
LUI – C'était avec les copains, je ne l'employais peut-être pas devant toi.
ELLE – Tes copains, tes inséparables copains. Ils ne t'ont pas suivi jusqu'ici ?
LUI – Apparemment non.
ELLE – Ils connaissaient Germain ?
LUI – Certains oui.
ELLE – Et personne pour lui rendre un dernier hommage ?
LUI – Un dernier hommage ? On dirait une vision militaire de la mort. Allons-nous défiler au garde-à-vous ? Aurait-on prévu une salve d'adieu ? Combien y aura-t-il de coups de canon pour saint Germain des Prés canonisé pour services rendus à la Patrie ?
ELLE – Canonisé, vraiment ? Qu'aurait-il fait de si extraordinaire en étant cheminot ?
LUI – Il remettait chacun sur les bons rails, sur la bonne voie. C'est si important du train où vont les choses.
ELLE – Pourtant, certains ne se sont pas gênés pour évoquer une double vie.
LUI – Sans porter des lunettes à double foyer mais il ne trompait pas sa femme : il se trompait de femme, la nuance est importante.
ELLE – Finalement, il était comme monsieur tout-le-monde : un homme fait de qualités et de défauts.
LUI – Des qualités quand il était en quête de spiritualité et des défauts entre ses périodes religieuses, à croire qu'il se défoulait.
ELLE – Là, il devenait coureur de jupons, il jouait à Dom Juan.
LUI – Il collectionnait les conquêtes féminines mais tout en travaillant sérieusement. Il était au moule et au fourin...heu... au four et au moulin. Pourquoi ai-je parlé de moule, moi ?
DANIEL, en voix off. – On se le demande. Je n'ai pas l'impression que cela figurait dans le texte.
ELLE – J'approuve la remarque. J'ai suffisamment de mal à retenir les répliques. Si on en rajoute, je suis perdue. Il faut déjà travailler sans souffleur, c'est tout sauf évident.
DANIEL, en voix off. – Je sers de souffleur aussi, si vous croyez que cela m'amuse.
ELLE – L'année dernière, nous en avions un.
DANIEL, en voix off. – Il n'est venu que pour les spectacles.
LUI – Très juste, il ne connaissait même pas le texte. Il aurait fallu souffler au souffleur.
ELLE – Mon Dieu ! C'est vrai, il n'a même pas voulu se glisser dans le trou.
LUI – Parce que tu voudrais t'y trouver, toi et affronter les souris et les araignées géantes ?
ELLE – Il suffirait de demander de le nettoyer avant.
LUI – Donc il faut y descendre. On en revient au même problème.
ELLE – On pourrait pulvériser.
LUI – Pulvériser ? Je sais bien que le théâtre, c'est de la culture, mais à ce point-là.
DANIEL, en voix off. – Désolé d'interrompre vos discussions au sujet de la prochaine foire agricole mais laissez tomber les pucerons et autres insectes nuisibles et reprenez la scène. Nous préparons un spectacle.
ELLE – Désolée aussi de répéter ce que j'ai déjà dit mais je suis perdue.
LUI – Pour une fois, je suis d'accord également, j'ai besoin d'une boussole.
DANIEL, en voix off. – Reprenez à " Il collectionnait les conquêtes féminines mais tout en travaillant sérieusement. Il était au moule et au fourin...heu... au four et au moulin." Et on n'ajoute plus: "Pourquoi ai-je parlé de moule, moi ?"
LUI – O.K., chef.
DANIEL, en voix off. – Pour rappel, j'ai horreur qu'on m'appelle chef.
LUI – Je reprends donc sans t'appeler chef.
DANIEL, en voix off – Tu le fais exprès ?
LUI – Il collectionnait les conquêtes féminines mais tout en travaillant sérieusement. Il était au moule et au fourin...heu... au four et au moulin mais sans stress, c'est un état que Germain ne connaissait pas.
ELLE – Qu'en sais-tu ?
LUI – Germain prenait son travail au sérieux mais il ne se prenait pas au sérieux.
ELLE – Et surtout il n'était pas très sérieux, spécialement avec les femmes.
LUI – Toujours au moule et au fourin.
ELLE – Ton humour me dépasse. Germain avait beau ne pas être un saint, n'oublie pas que nous sommes dans un crématorium.
LUI – J'oubliais le respect, le maître-mot.
ELLE – Appelle ça respect, conventions, peu importe: il y a les choses qu'on fait...
LUI – ...et celles qu'on ne fait pas, je sais. Et il y a les choses qu'on ne dit pas, ce sont celles que je préfère.
ELLE – Et pourquoi ça ?
LUI, sur un ton mystérieux. – Quand on sait tout ce qu'on sait, quand on sait qu'on ne nous dit pas tout, quand on devine tout ce qu'on ne nous dit pas, quand on imagine tout ce qu'on ne sait pas...
ELLE – Et alors ?
LUI – On a bien raison de penser ce qu'on pense.
ELLE – Et que penses-tu ? Peux-tu éclairer ma lanterne ?
LUI, sur un ton enfantin. – Non, ma chandelle est morte et je n'ai plus de feu.
ELLE – Laisse les comptines de côté. Tu as bien raison de penser ce que tu penses, soit ! Mais que penses-tu ?
LUI – Qu'il est temps de faire la révolution.
ELLE – La révolution, toi ? Tu détales au premier pétard mouillé.
LUI – Ça, c'est mon côté docteur Jekill. Il y a aussi en moi une bête qui sommeille, un mister Hyde.
ELLE – Une bête qui sommeille, laisse-moi rire. Est-ce pour cela que tu ronfles si souvent ?
LUI – Voilà: tu as trouvé l'explication. Je suis une bête qui ronfle mais le réveil sera terrible. Les institutions n'ont qu'à bien se tenir. La bête accumule les rancoeurs et va bientôt exploser.
ELLE – Exploser comme un pétard mouillé.
LUI – Comme une bombe, une des multiples bombes que je vais poser. Il faut refaire le monde.
ELLE – Est-ce que tu ne le refais pas assez souvent avec tes copains ? Quand je te demande d'où tu viens quand tu rentres tard, tu me réponds toujours que tu as pris un verre avec eux et qu'autour d'une table, vous refaites le monde.
LUI – Et nous serons bientôt des terroristes d'un genre nouveau. Là, je rejoins ce pauvre Germain dans sa période hippie, nous allons remettre au goût du jour tous les rêves fous des années soixante.
ELLE – Si vous voulez vous appeler les Beatles, je te signale que le nom a déjà été pris.
LUI – Nous serons les nouveaux Beatles, les Beatles du troisième millénaire.
ELLE – Je ne t'ai jamais vu avec une guitare.
LUI – Tu ne m'as jamais vu poser une bombe non plus.
ELLE – Tu m'as bien caché ce côté explosif.
LUI – La bête se réveille.
ELLE – Il est temps.
LUI – Comment ça "Il est temps ?"
ELLE – Au lieu de ronfler, de sombrer immédiatement dans le sommeil, tu devrais penser de temps en temps à honorer celle qui partage ta couche. Fais d'abord ta révolution chez toi, explose une ou deux fois par semaine, ça t'évitera peut-être une arrestation par la brigade anti-terrorisme.
LUI – Et comment dois-je prendre une telle attaque ?
ELLE – Comme une attaque justement: une attaque contre ta passivité, ta léthargie. Non seulement tu ronfles mais tu dors aussi comme un loir. On dirait que tu hibernes dès que tu rentres dans ton lit.
LUI – Tu me provoques ?
ELLE – Mais quand je te provoque, tu ne réagis même pas.
LUI – Tu me provoques, toi ? Quand ?
ELLE – Quand j'essaie d'attirer ton attention avant les dix secondes nécessaires à ton endormissement. Mais quand je t'appelle "Chéri", "Chéri", "Chéri" (Le ton se fait à chaque fois plus langoureux.), je n'entends en écho que tes premiers ronflements.
LUI – Je suis las.
ELLE – Je vois bien que tu es là.
LUI – Mais non: je suis las, fatigué si tu préfères.
ELLE – Heureusement que tu n'as pas mal à la tête, ce serait le monde à l'envers. Alors que je voudrais de temps à autre que tu me fasses perdre mon bon sens, que je confonde l'endroit de l'envers, que tu me mettes sans dessus dessous, que tu m'arraches mes dessous pour que je n'aie plus rien dessus.
LUI, après un moment de silence. – Tu me fais un exercice de diction ?
ELLE – Un exercice de diction ?
LUI – Avec tes dessous dessus. En plus, tu n'as déjà plus de dessous quand tu vas au lit, tu enfiles un pyjama, un pyjama anti-devoir conjugal.
ELLE – Evidemment, tu le considères comme un devoir et comme tu n'as jamais été brillant à l'école.
LUI – Et que veut encore dire cette comparaison douteuse ?
ELLE – Devine.
LUI – Et c'est ici que j'ai un problème.
ELLE – Mais ce n'est pas la bonne réplique.
DANIEL, en voix off. – Alors là, pas du tout, quel est ton problème ? Et rapidement parce que j'ai un spectacle sur le feu, moi.
LUI – Il y aura fatalement dans la salle des gens qui nous connaissent.
DANIEL, en voix off. – Et alors ?
LUI – Alors, ceux-là savent que nous avons vécu ensemble pendant trois ans. (Il désigne sa partenaire.)
ELLE – Deux et demi.
DANIEL, en voix off. – Et alors ? Au risque de me répéter: et alors ?
LUI – Ils vont penser que les répliques sont le reflet de notre vie commune.
DANIEL, en voix off. – Et alors ? Je ne vois pas le rapport.
LUI – Justement, c'est à propos des rapports.
ELLE – Nous y voilà.
DANIEL, en voix off. – Et alors ?
LUI – Arrête de dire "Et alors ?" ou sinon je t'appelle chef.
DANIEL, en voix off. – Et alors ?
LUI – Alors, chef, non seulement ceux qui me connaissent me prendront pour un gros ronfleur mais aussi pour une nullité sur le plan sexuel.
DANIEL, en voix off. – Je ne vois pas le rapport.
LUI, s'énervant. – Mais puisque je te dis que c'est justement à propos des rapports.
ELLE – De toute façon, ce n'était pas terrible.
LUI, vexé. – Ce n'était pas terrible ?
DANIEL, en voix off et criant. – Ce n'est pas de toi mais de ton personnage dont il est question. Combien de fois faudra-t-il vous répéter que vous abandonnez votre identité dans les loges pour devenir quelqu'un d'autre ?
LUI – Oui mais tout ce passage-là me pose problème, à cause justement du rapport avec la vie privée.
ELLE – Tu vois: tu reparles de rapport.
LUI – Toi, ne jette pas de l'huile sur le feu.
ELLE – Pourquoi pas ? Germain se consumera plus vite.
LUI – Germain n'a rien à voir dans cette histoire.
ELLE – Justement: on t'explique que pas plus que Germain n'est ou n'était en réalité ton cousin, tu n'es pas non plus dans la vie mon mari.
LUI – Mais étant donné qu'on a vécu ensemble, les gens vont croire que nous transposons dans la pièce notre vie privée.
ELLE – Moi, ça ne me gêne pas.
DANIEL, en voix off. – Et moi non plus puisque tu dois jouer, tu incarnes un personnage, tu n'es plus toi-même.
LUI – Mais si, je suis moi-même, sinon je ne me serais pas arrêté: ça me pose vraiment un problème.
DANIEL, rentrant et explosant. – Tu iras voir un psy si tu veux mais il est hors de question de changer le texte.
LUI – Pourtant, on l'a déjà fait. Le texte n'est pas définitif, il n'est même pas encore terminé.
ELLE – Peux-tu cesser tes gamineries et reprendre, s'il te plaît ?
DANIEL – Si le texte n'est pas terminé, ce qui peut l'être, c'est ton rôle dans le spectacle, si tu vois ce que je veux dire.
LUI – Des menaces ?
ELLE – On nage en plein délire.
DANIEL – Non seulement on nage mais surtout on est en train de couler avec des enfantillages pareils. Reprends et en vitesse sinon je t'envoie grossir la liste des artistes au chômage, sans indemnités de rupture.
LUI – Forcément, on n'est pas payés.
DANIEL – Nous sommes en théâtre amateur mais des amateurs pour jouer une pièce, j'en ai une liste d'attente complète. Alors, tu reprends ou je te vire. (Il sort.)
ELLE – Allez, ne fais pas l'enfant. (Elle le ramène à l'endroit où il devrait se trouver sur la scène puis dit sa réplique.) Heureusement que tu n'as pas mal à la tête, ce serait le monde à l'envers. Alors que je voudrais de temps à autre que tu me fasses perdre mon bon sens, que je confonde l'endroit de l'envers, que tu me mettes sans dessus dessous, que tu m'arraches mes dessous pour que je n'aie plus rien dessus.
LUI, après un moment de silence. – Tu me fais un exercice de diction ?
ELLE – Un exercice de diction ?
LUI – Avec tes dessous dessus. En plus, tu n'as déjà plus de dessous quand tu vas au lit, tu enfiles un pyjama, un pyjama anti-devoir conjugal.
ELLE – Evidemment, tu le considères comme un devoir et comme tu n'as jamais été brillant à l'école.
LUI – Que sous-entends tu par cette comparaison douteuse ?
ELLE – Devine.
LUI – Mettrais-tu en doute certaines de mes capacités ?
ELLE – Je les mets effectivement clairement en doute.
LUI – Pourquoi m'as-tu épousé alors ?
ELLE – Je me le demande. Figure-toi que je me le demande de plus en plus même.
LUI – Et cette remarque-là, que veut-elle dire ?
ELLE – Cela veut dire que je ne suis pas contente de notre vie commune, tout simplement.
LUI – Lorsque nous sommes rentrés dans ce local, tu me parlais de respect. Crois-tu que ce soit le lieu pour évoquer ce genre de choses au moment où feu mon cousin part en fumée ?
ELLE – Part en fumée, tu as de ces expressions.
LUI – Que veux-tu que je te dise ? Qu'après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts, il a fini par s'éteindre.
ELLE – Comme notre amour: il s'est éteint, s'est endormi, chéri (Prononcé de façon très ironique.)...Il s'est endormi en ronflant comme un loir. Il ne vaut plus rien.
LUI – Pourtant le loir est cher.
ELLE – Le loir est cher ? Tu te crois intéressant avec tes jeux de mots débiles ?
LUI – Dormir, cela n'a pas de prix.
ELLE – Eh bien dorénavant, tu dormiras tout seul. Je vais faire chambre à part.
LUI – Cela ne me dérange pas. De toute façon, j'ai toujours été...un type...à part.

Noir

ENVIE DE CONNAITRE LA SUITE ?

Le livret est disponible sur le site d’Art et Comédie

https://www.artcomedie.com/

ou sur le site de la Librairie théâtrale

https://www.librairie-theatrale.com/

Dans la barre de recherche, vous tapez Philippe Danvin.
N’hésitez pas à communiquer sur le contact de mon site

www.philippedanvin.com courriel : philippedanvin@hotmail.com

ACTE 1

SCENE 1 : UN HOMME (LUI), UNE FEMME (ELLE), DANIEL

LUI – Ils auraient pu prévoir des rafraîchissements, j'ai déjà connu des salles d'attente plus agréables.
ELLE – Question de contexte: dans un crématorium, c'est assez normal.
LUI – Qu'est-ce qui est normal ? Qu'après la mise en bière, je ne puisse pas boire...une bière ?
ELLE – Ce n'est pas le moment.
LUI – Avec toi, ce n'est jamais le moment: pour l'humour ou autre chose, ce n'est jamais le moment.
ELLE – Tu ne vas pas me faire une scène ? L'endroit est mal choisi.
LUI – Mal choisi ? Que choisit-on dans la vie ? On ne choisit pas sa famille, heureusement qu'on peut choisir ses amis.
ELLE – Tu n'as peut-être pas choisi ta famille mais respecte au moins ton cousin.
LUI – Germain. J'avais un cousin...germain qui s'appelait...Germain. Encore heureux qu'il n'avait pas de berger allemand.
ELLE – Peux-tu, s'il te plaît, respecter les défunts ?
LUI – Un.
ELLE – Quoi "Un" ?
LUI – C'est un défunt, pas "les". Il n'y a pas lieu de mettre Germain au pluriel même s'il est singulier d'avoir un cousin germain qui s'appelle...
ELLE, sèchement. – Tu l'as déjà dit.
LUI – Eh bien, figure-toi que j'aime le répéter. Un cousin germain qui se serait appelé Alphonse, ça ne m'aurait pas fait sourire mais (Prenant l'accent allemand.) un cousin germain appelé Germain, je ris, je ricane, je jubile.
ELLE – Tu jubiles alors qu'en ce moment le pauvre est en train...
LUI – ... de passer à la casserole (Il s'esclaffe.)
ELLE – Tu es odieux.
LUI – Lui, il était athée. Je suis odieux, il était athée. (Il s'esclaffe à nouveau.)
ELLE – Respecte les morts.
LUI – Nous progressons: il y a peu, c'était un défunt. A présent, il est simplement mort. Il a dû régresser dans ton estime.
ELLE – C'est toi qui régresses dans mon estime.
LUI – Dans la vie, on a ses périodes: on engraisse puis on régresse, mince alors ! Ensuite on maigrit et en vieillissant, on s'aigrit.
ELLE – Au lieu de philosopher, tu aurais mieux fait d'assister à la crémation.
LUI – Toi aussi.
ELLE – Je suis trop sensible.
LUI – Et moi, je n'en avais pas envie mais elle se prolonge la crémation, il est vrai que c'était un dur à cuire. (Il s'esclaffe à nouveau puis s'arrête subitement.) Attends, je vais le dire à ta place: respecte les défunts, que dis-je ? les morts, les décédés, les trépassés.
ELLE – Tout ça parce que tu n'aimais pas Germain. Si c'était l'un de tes amis à sa place...
LUI – Je dirais que j'ai un pote-au-feu. (Il s'esclaffe à nouveau.) Non, les potes, c'est sacré. Mais tu ne trouves pas que cela sent le brûlé ?
ELLE – Comment oses-tu ?
LUI – Il a bien osé toute sa vie courir les jupons, lui. Et sa pauvre épouse n'y a vu...que du feu. Finalement, c'est bien qu'il se soit fait incinérer, il y a une justice.
ELLE – S'il y avait une justice pour condamner ton manque de respect, j'applaudirais des deux mains.
LUI – Tu as raison, respectons ... feu Germain. (Il s'esclaffe à nouveau.)
ELLE – Tu n'as décidément aucun sens moral.
LUI – Ne t'aurait-il pas déclaré sa flamme, à toi aussi, cet incinéré pour que tu t'ériges en défenderesse des valeurs ? Et à propos de valeurs, ne t'aurait-il pas couchée sur son testament par hasard ? (Il rit à nouveau.)
ELLE – C'est dans son lit qu'il m'a couchée si c'est ce que tu désires entendre. (Il s'est arrêté de rire.) Et si tu veux le savoir, il ... brûlait d'amour pour moi, il était ... tout feu tout flamme. Il avait un tempérament ... volcanique.
LUI, après un long silence. – Je ne te crois pas, tu me dis ça parce que je t'ai exaspéré.
ELLE – Tu ne me crois pas ? Tu en mettrais ta main...au feu ? Tu ne crois pas qu'il...se consumait d'amour pour moi ?
LUI – Eh bien, s'il se consumait, il n'en reste plus grand-chose à présent. Au fait, quel jour sommes-nous ?
ELLE – Mercredi.
LUI – Mercredi ? C'est le mercredi des cendres. (Il rit à nouveau.) En rentrant, tu me feras du poisson.
ELLE – Et si c'était du poison ? C'est tout ce que tu mérites. Et si tu continues, notre histoire se terminera...en queue de poisson. (Un temps.)
LUI – Alors comme ça, tu m'as trompé avec feu l'incinéré ?
ELLE – Oui mais il y a prescription: il est mort.
LUI – Mort, défunté, décédé, trépassé: peu importe. Plus de poursuites possibles, il a passé l'arme à gauche, avalé son extrait de naissance. Il est mort de sa belle mort. Il était poussière et il est retourné en poussières. Vive le mercredi des cendres !
ELLE – Je ne regrette rien: je t'ai trompé et tu l'as bien mérité.
LUI – Combien ?
ELLE – Quoi "Combien ?". Tu penses qu'il m'a payée ?
LUI – Combien de fois. Je te demande si tu m'as trompé souvent avec lui. Je me doute bien qu'il ne t'a pas payée. Bien que je sache qu'il allait voir aussi des professionnelles. Un jour, je l'avais croisé... (Il s'arrête net.)
ELLE – Tu l'avais croisé ? Ah bon ! Et où ça, dans une maison spécialisée où tu étais donc présent toi aussi ?
LUI, embarrassé. – Ne fantasme pas. Je voulais simplement dire que je l'avais croisé, qu'on avait parlé et qu'il m'avait avoué être allé voir une...péripa...non...une technicienne de surface.
ELLE – Une technicienne de surface ?
LUI – Une technicienne de surface ? Non: une technicienne de la surface. Voilà: de la surface, c'est ainsi qu'il les appelait. Il m'avait dit: cousin, il faut se faire plaisir et, comme on conduit sa voiture à l'entretien, il faut confier son corps à une technicienne de la surface.
ELLE, ironique. – De la surface, vraiment ? C'est prodigieusement intéressant, terre à terre mais intéressant. Mais pourquoi de la surface ?
LUI – Il parlait de la surface corporelle, de la superficie du corps...C'est pour ça que c'était un type qui ne manquait pas d'air. (Il rit à nouveau.)
ELLE – D'air ? Qu'est-ce que ça vient faire dans tes explications ?
LUI – L'aire, la surface, la superficie. Et un type qui ne manquait pas d'air aurait dû mourir étouffé. Oh ! comme je suis bon aujourd'hui ! Le mercredi des cendres, ça me réussit.
ELLE – Tu réussis surtout à ...noyer le poisson, à éviter d'avouer que tu l'avais croisé dans un endroit de luxure, un antre de perdition.
LUI – Un antre de perdition ? On entre ou on sort. Je n'y suis jamais rentré. Lui, il en sortait et sûrement euphorique après ce qu'il venait de connaître, donc il m'en a parlé.
ELLE – Parce qu'on est euphorique après ?
LUI, la regardant droit dans les yeux. – Je ne sais pas, je ne me rappelle plus. Il y a tellement longtemps mais je comprends pourquoi tu disais non. Avec d'autres, tu étais plus disponible, plus affirmative.
ELLE – Parle-moi plutôt de tes visites dans ces antres de perdition.
LUI – Parle-moi plutôt de l'hôtel où tu le retrouvais pour vous livrer à de la gymnastique. Je parie que c'était ça tes séances de fitness. Tu retrouvais l'incinéré, j'en mets ma main...au feu.
ELLE – Dépravé ! Débauché !
LUI – Je préfère ne pas te qualifier, les mots dépasseraient ma pensée. Me faire ça à moi et avec mon cousin encore bien.
ELLE – Avec ton cousin Germain, au moins ça restait dans la famille. Tu aurais préféré que je te trompe avec un inconnu ?
LUI – Qui ne l'aurait pas été pour toi. Mais Germain, je le connaissais suffisamment bien, et toi aussi d'ailleurs, pour savoir qu'il collectionnait les maîtresses. Tu ne représentais rien pour lui : juste un passe-temps, un nom au bas d'une liste.
ELLE – Et pour toi, je représente quelque chose ?
LUI – Bien sûr.
ELLE – Et quoi plus précisément ?
LUI, après un temps de réflexion. – Ma...femme, mon...foyer...mais en parlant de foyer, il n'est pas encore cuit celui-là ?
ELLE – Arrête de changer de conversation et tout spécialement avec des remarques déplacées. Ton foyer donc et...?
LUI – La chaleur de mon foyer. Mais en parlant de chaleur, quand tu y penses : tu meurs, tu refroidis et puis on te réchauffe à grandes flammes si tu choisis la crémation...
ELLE – Tu comptes poursuivre ton numéro de music-hall encore longtemps ?
LUI – Tu te rappelles quand nous avons été un bon moment ...en froid avec lui ? ...Oui, je sais, n'y revenons pas, c'est...du réchauffé.
ELLE – Quand tu étais en froid avec lui, parce que de mon côté, c'est à ce moment-là...
LUI – ...qu'il t'a déclaré sa flamme et comme je connais sa finesse, c'était sûrement...au lance-flammes.
DANIEL, rentrant. – Désolé, j'avais dit que j'écoutais jusqu'au bout mais j'interviens, car c'est vraiment n'importe quoi ! D'abord, que revient faire cette histoire de technicienne de la surface ? Je te rappelle que je n'en voulais pas.
ELLE – Moi aussi, Dany, ça m'a étonnée mais j'ai continué, je me souvenais encore de l'ancien texte.
LUI – Tu n'en voulais pas ?
DANIEL – Parfaitement. Si tu étais venu aux trois dernières répétitions, tu serais au courant.
LUI – Je t'ai à chaque fois prévenu que j'avais un empêchement.
DANIEL – Deux fois sur trois, à cinq minutes à peine du début de la répétition. Il n'y a pas que dans cette scène qu'il faut te rappeler la notion de respect.
ELLE – Et toc !
DANIEL – C'était la huitième absence en vingt-deux répétitions.
LUI – Ah ! parce que tu les comptes, maintenant ! Merci pour la confiance.
DANIEL – Merci pour le respect des autres, merci pour le respect d'un travail collectif.
ELLE – Et retoc !
LUI – Toi, ne jette pas de l'huile sur le feu. Tu as été absente au moins une fois, ça je le sais puisque j'étais, ce soir-là, orphelin de ma partenaire.
DANIEL – Bien. Maintenant, calmons les choses : nous sommes à moins d'un mois de la première. Et je rappelle également que je ne voulais pas de cette histoire de déclarer sa flamme au lance-flammes. Si des anciens combattants sont présents dans la salle, cela fera encore un beau scandale.
LUI – Pourquoi encore ?
DANIEL – L'année dernière, nous avons déjà eu des problèmes. Inutile de mettre le feu aux poudres.
ELLE – Et si on reparlait de l'incinéré, de feu Germain ?
DANIEL – Il est plus que temps: on a beau avoir une part d'improvisation dans le spectacle, tout doit tenir la route.
ELLE – Avouez quand même que l'idée du crématorium n'était pas mauvaise.
LUI – Surtout que c'est toi qui l'avais trouvée, j'aime ta modestie.
DANIEL – Et moi, j'aimerais surtout qu'on termine cette première scène.
LUI – C'est bien beau de venir nous interrompre mais maintenant, j'ai perdu le fil.
ELLE – Tu en étais au lance-flammes.
DANIEL – Non, pas au lance-flammes ! Sinon...
LUI – ...nous allons nous faire allumer par les anciens combattants. (Il s'esclaffe.) Oh ! comme je suis bon aujourd'hui.
ELLE – Que me disais-tu il y a peu ? Ah oui ! J'aime ta modestie.
DANIEL, sèchement. – On termine cette première scène. C'est trop demander ?
LUI – Mais qu'est-ce que je dis si je ne peux plus parler du lance-flammes ?
DANIEL – Ne me dis pas que tu n'as pas reçu le correctif que je t'ai envoyé par internet la semaine dernière ?
LUI – Je n'ai rien reçu du tout, je change d'opérateur et je n'ai plus de connexion avant la semaine prochaine.
ELLE – Hier, tu m'as pourtant encore envoyé tes blagues stupides.
LUI – Depuis mon ordinateur du bureau.
ELLE – C'était pourtant ton adresse e-mail habituelle.
LUI – Je répète que je n'ai rien reçu et même au bureau, je n'ai rien vu passer.
DANIEL, désignant sa montre. – Moi, par contre, je vois le temps passer. Alors, peu importe que ton employeur te paye pour surfer sur internet pour envoyer des blagues débiles ou que tu t'absentes trop souvent aux répétitions, mais je voudrais au moins que tu prennes connaissance des corrections de texte.
LUI – Parfois, ma boîte de réception est pleine, alors je ne reçois plus rien.
DANIEL – A présent, tu termines la première scène, tu comprends ? Je ne veux plus entendre parler d'autre chose. (Il sort de scène.)
ELLE – Je reprends. Tu comptes continuer ton numéro de music-hall longtemps ?
LUI, en boudant. – Tu te rappelles quand nous avons été un bon moment ...en froid avec lui ? ...Oui, je sais, n'y revenons pas, c'est...du réchauffé.
ELLE – Quand tu étais en froid avec lui, parce que de mon côté, c'est à ce moment-là...
LUI – ...qu'il t'a déclaré sa flamme et comme je connais sa finesse, c'était sûrement...au lance-flammes. Voilà, je le savais, je me suis trompé, je l'ai encore dit. Forcément, je n'ai pas reçu le changement de texte.
DANIEL, en voix off. – Si tu veux ton changement de troupe de théâtre, je peux m'en occuper immédiatement.
LUI – A moins d'un mois du spectacle ? Et tout reprendre à zéro avec un autre, ne me fais pas rire.
ELLE – Vous n'allez pas recommencer ?
LUI – Non, on termine. Je place la dernière réplique et on passe à une autre scène. On répètera la fin de celle-ci la prochaine fois.
DANIEL, en voix off. – Eh bien, balance-la alors ta dernière réplique, qu'on puisse passer à autre chose.
LUI – La voilà. J'ai compris pourquoi il s'est fait incinérer: il était pompier.

Noir

SCENE 2 : UN HOMME (LUI), UNE FEMME (ELLE), DANIEL
(Le metteur en scène pourra rester en permanence sur scène ou dans la salle ou alterner répliques "in" et en voix off comme indiqué s'il sort de scène.)

DANIEL, en voix off. – Dieu, que le noir est reposant ! Allez, on remet la lumière et on attaque la deux. (La lumière revient.)
LUI, rentrant en pleurnichant. – Mon cousin Germain.
ELLE, même jeu. – Avoir un cousin germain qui s'appelait Germain, c'est encore plus triste.
LUI, même jeu. – Et que va devenir son berger allemand ?
ELLE, étonnée. – Son berger allemand ? Mais il n'en avait pas.
LUI – Et que dois-je répondre à ça ?
ELLE – Mince, c'est juste ! C'est dans la première scène qu'on dit: "Encore heureux qu'il n'avait pas de berger allemand."
DANIEL, en voix off. – Les comédiens sont priés de connaître leur texte. Ils sont également priés de recevoir les corrections quand tout est envoyé non pas par la poste mais par ce grand outil de communication qu'est internet. Je le rappelle puisque certains ne reçoivent, paraît-il, rien.
LUI – Grand outil mais toi, c'est petit, mesquin.
ELLE – Vous vous comportez tous les deux comme des gamins, tout le monde peut se tromper.
DANIEL, en voix off .– Certains plus que d'autres, malheureusement. On a déjà fait très fort avec la première scène, je préfèrerais ne pas poursuivre sur cette lancée.
LUI – O.K., essayons de fumer le calumet de la paix.
ELLE – Bon ! On se reconcentre et tout le monde fait un effort. (Elle entraîne l'homme. Ils ressortent et rentrent aussitôt.)
LUI, rentrant en pleurnichant. – Mon cousin Germain.
ELLE, même jeu. – Avoir un cousin germain qui s'appelait Germain, c'est encore plus triste.
LUI, même jeu. – Et que va devenir son berger allemand ?
ELLE, même jeu. – Son berger allemand ? Mon Dieu, son berger allemand, si brave à l'image de son maître. Ce brave Rouky.
LUI – Rox.
ELLE – Quoi Rox ?
LUI – Depuis le début des répétitions, il s'appelle Rox.
DANIEL, en voix off. – Je confirme.
ELLE – Eh bien, je me suis trompée. Je crois que j'ai des circonstances atténuantes avec toutes vos bêtises. J'ai dû confondre à cause du dessin animé, Rox et Rouky.
DANIEL, en voix off. – De toute façon, du moment que tu cites un nom de chien, ce n'est pas grave.
ELLE – Moi, ça me perturbe, je sais que je me suis trompée.
DANIEL, en voix off. – Mais le public ne le sait pas. Que tu l'appelles Pluto, Rox ou Rouky, peu importe.
LUI – Du moment que tu ne dis pas qu'il avait cent un Dalmatiens dont le plus jeune se nommait Bambi et qu'il se trémoussait au son d'une musique jouée par les Aristochats, je confirme qu'il n'y a pas de souci.
ELLE – Mais tu te moques de moi, ma parole !
DANIEL, criant en voix off. – Stop ! Il est l'heure du couvre-feu. Alors, vous laissez tomber vos histoires signées Walt Disney et vous poursuivez la scène et de préférence sans le roi Lion ou Peter Pan.
ELLE – Je le savais, je le savais.
LUI – Et que savais-tu au point de le dire deux fois ?
ELLE – Le même contexte, des similitudes dans le comportement des personnages, les répliques qui se ressemblent: il n'a pas de berger allemand dans une scène, il en a un dans la suivante. Je savais qu'on allait se planter.
LUI – Que tu allais te planter.
ELLE – Merci pour ta solidarité.
DANIEL, en voix off. – J'ai été clair depuis le début: je vous ai demandé d'apprendre toutes les scènes pour que nous puissions jouer le cas échéant avec un petit nombre de comédiens.
ELLE – Oui mais nous ne sommes pas des professionnels.
DANIEL, en voix off – Et la pièce peut être jouée également par toute une troupe puisque chaque scène n'est reliée à une autre que par le même thème : faire allusion au décès du cousin Germain.
ELLE – Mais dans la pratique, tout apprendre, ce n'est pas évident avec ces répliques qui se ressemblent.
DANIEL, en voix off. – Je n'ai jamais dit que c'était évident mais j'en appelle à présent à votre sens des responsabilités. Reprenez la scène, songez que nous nous produisons dans moins d'un mois au profit d'une noble association.
LUI – L'Amicale des Sourds et Malentendants: l'ASM mais je ne savais pas qu'avoir de l'asthme, c'était être sourd et malentendant.
DANIEL, en voix off. – Prononce en épelant A.S.M. et arrête tes jeux de mots stupides, spécialement quand ils ne font pas partie du texte.
ELLE – Mais si le public est constitué de sourds et de malentendants, ils ne vont rien comprendre.
LUI, prenant l'accent italien. – Ma que, je ferai comme à Napoli, je parlerai avec les mains. Et je leur expliquerai qu'on avait préparé tout spécialement un spectacle pour eux, que s'ils ne comprennent pas, c'est un malentendu. (Il s'esclaffe puis reparle normalement.) Un malentendu avec des sourds, je tiens la forme ! Dans le fond, si l'acoustique de la salle n'était pas bonne, pour une fois, ce ne serait pas grave. (Il s'esclaffe à nouveau.)
ELLE – Tu es franchement pénible.
DANIEL, en voix off. – Consternant. Et j'en profite pour vous rappeler que le public sera plutôt constitué des sympathisants, des proches de sourds et de malentendants mais pas forcément donc des personnes souffrant de ce type de handicap.
ELLE – Il doit avoir peur de ne pas entendre rire de ses bêtises.
LUI – J'espère qu'on a placé assez d'affiches parce que si on compte sur le bouche-à-oreille (Il s'esclaffe à nouveau puis reprend l'accent italien.), il n'y aura personne, ce sera encore un malentendu.
DANIEL, en voix off. – Mon Dieu, pardonnez-lui, il ne sait pas ce qu'il fait. J'en profite également pour rappeler que le spectacle sera joué au total douze fois et qu'il devient urgent de poursuivre la répétition. Allez-y. (Ils repartent et reviennent aussitôt.)
LUI, rentrant en pleurnichant et reprenant l'accent italien. – Mon cousin Germain.
ELLE, pleurnichant. – Avoir un cousin germain qui s'appelait Germain, c'est encore plus triste.
LUI, pleurnichant et prenant l'accent allemand. – Et que va devenir son berger allemand ?
DANIEL, criant en voix off. – C'est fini, oui ?
ELLE, même jeu. – Son berger allemand ? Mon Dieu, son berger allemand, si brave à l'image de son maître. Ce brave Rou...Rox, ce brave Rox.
LUI – C'était un héros.
ELLE – Un homme, un vrai.
LUI – Souvent, aux enterrements, on ne dit que du bien des gens. A croire qu'ils sont tous mûrs pour être béatifiés. Mais ici, il méritait tous les éloges. Tiens, saint Germain, ça me rappelle quelque chose.
DANIEL, en voix off. – Eh bien, tu oublies ce quartier-là de Paris. Parce que là aussi, le texte avait été corrigé.
LUI – Je n'ai rien reçu.
ELLE – Toutes les boîtes de réception n'acceptent que les blagues, c'est bien connu.
LUI – Toi, va plutôt t'occuper de Rox et Rouky. (Puis réalisant.) Va plutôt...Pluto, le chien Pluto, je fais même des jeux de mots inconsciemment. C'est la forme olympique.
ELLE – Tu es surtout modeste, j'aime à le répéter. Mais si je dois Pluto waf ! waf ! aller m'occuper des chiens, toi concentre-toi plutôt sur ton texte.
DANIEL, en voix off. – La ferme ! On reprend.
LUI – Je vais montrer l'exemple. Je me reconcentre, c'est parti... C'était un héros.
ELLE – Un homme, un vrai.
LUI – Souvent, aux enterrements, on ne dit que du bien des gens. A croire qu'ils sont tous mûrs pour être béatifiés. Mais ici, il méritait tous les éloges. Tiens, saint Germain, cela ne me rappelle plus quelque chose. Donc je l'oublie.
DANIEL, en voix off. – Et tu fais bien.
LUI, avec gravité. – Non, monsieur Germain Lallemand, je ne vous oublierai jamais.
DANIEL, criant en voix off. – Non, pas Germain Lallemand. Le nom a été changé dès le début parce que avoir ou non un berger allemand, ça ne pouvait pas fonctionner avec un nom pareil.
ELLE – Très juste: Germain Lallemand qui avait ou pas un berger allemand, ce n'était pas des plus heureux.
DANIEL, en voix off. – Ton cousin germain s'appelait Germain Deutch, pas Germain Lallemand !
LUI – J'ai oublié, ça arrive.
ELLE – Trop souvent : à chaque fois qu'on l'a répété, tu t'es trompé.
DANIEL, en voix off. – Encore une fois, ce n'est pas moi qui le dis.
LUI – Monsieur le metteur en scène me cherche ?
DANIEL, rentrant. – Je cherche de la mémoire, de l'application, de la rigueur, de la concentration. Est-ce trop demander d'être dans son personnage ? Combien de fois faut-il vous répéter par exemple de ne pas jouer avec votre portable dans une poche ? Parce que là aussi, il y a des spécialistes qui reçoivent appels ou messages pendant qu'on répète. Comment peut-on se concentrer dans ces conditions ? Tenez, moi, mon portable, le voilà (Il le sort de sa poche.) mais on ne l'entendra pas, il peut simplement vibrer. Tiens, c'est justement ce qu'il est en train de faire.
LUI, ironique. – Que disais-tu à propos de la rigueur et de la concentration ?
DANIEL – Je réponds parce que cela commence par th. Allô ?...
ELLE – Ça veut dire quoi :" Cela commence par th" ?
DANIEL, d'abord au téléphone. – Salut, Bernard, un petit instant et je suis à toi. (Puis aux deux comédiens.) Tous mes contacts théâtre commencent par th. Si j'ai répondu, c'est parce que j'ai vu que la communication concernait le théâtre, sinon, je ne l'aurais pas fait, compris ? (Puis à nouveau à son correspondant.) Sorry Bernard, je vais être bref parce que je suis en répétition. Je te rappellerai plus tard....Oui, dans un mois...Non, pas du boulevard comme d'habitude, j'en avais un peu marre...C'est une pièce comique, enfin on essaiera de l'être...Une succession de scènes avec un fil rouge: on y parle à chaque fois d'un cousin appelé Germain qui se fait incinérer...Le décor est un local dans le crématorium ou un intérieur contemporain mais le titre est quand même un clin d'oeil au boulevard puisque ça s'intitule "Feu mon cousin Germain"...Evidemment, par référence à "Feu la mère de Madame"... Non, je te rappelle plus tard. Salut (Il remet le portable en poche.)
ELLE – L'exemple vient d'en haut.
LUI – A qui le dis-tu.
ELLE, à Daniel. – A propos du local puisque tu viens d'en parler, quand pourrons-nous jouer dans le vrai décor et non plus avec des meubles de jardin ?
DANIEL – C'est ce qui rappelait le plus le mobilier prévu pour la salle d'attente dans le crématorium ou la table de la cuisine familiale et ça ne prend pas de place.
LUI, à Daniel. – Tu n'as pas répondu à sa question.
DANIEL – Parce que tu réponds aux miennes quand je te demande pourquoi tu n'assistes pas à une répétition ?
LUI – Nous touchons ici à un domaine sensible: celui du respect de la vie privée.
ELLE – Tu n'as toujours pas répondu à ma question.
DANIEL – J'attends le coup de fil du décorateur.
ELLE – Le décorateur ? Parlons plutôt de quelqu'un qui est bon bricoleur et qui nous aide...
DANIEL – ...quand il le peut et il est débordé en ce moment, alors j'attends, je ne peux rien faire d'autre.
LUI – Mais comment veux-tu être bon dans ces conditions ?
DANIEL – En étant vêtus comme l'exige la situation. Comment serez-vous habillés pour une scène pareille quand nous nous produirons en spectacle ?
ELLE – En noir, en habits de deuil.
DANIEL – Je ne te le fais pas dire. Je vous ai d'ailleurs demandé de les revêtir aujourd'hui pour la scène finale mais vous auriez pu vous habiller correctement dès le début. Regardez : moi, je suis prêt.
LUI – Tu n'avais qu'à...
DANIEL, sèchement. – Tu n'avais qu'à quoi ? Le demander ? Vous auriez pu prendre l'initiative mais non, à chaque répétition, je ne vois que des couleurs le plus souvent vives. Avant-hier, tu es même venu en short.
LUI – C'est l'été indien.
DANIEL – Laisse Joe Dassin où il est et concentre-toi sur Germain, est-ce au-dessus de tes forces ?
LUI – Non, mais avec toutes ces discussions, je ne sais plus où on en est.
DANIEL – Dans la dernière partie de la seconde scène, autrement dit et je vais laisser le dire par ta partenaire.
ELLE – Le passage qu'il ne connaît pas.
DANIEL – Voilà. Parce qu'il mélange les Deutch, les Allemands et les bergers du même nom.
LUI – Chez d'autres, ce sont les Rox, les Rouky, les Pluto et les Aristochats mais c'est toujours à moi qu'on en veut.
ELLE – Arrête, Cendrillon, tu vas me faire pleurer.
LUI – Tu sais ce qu'il te dit Cendrillon ?
DANIEL – Stop ! On se calme. Je renvoie chacun au vestiaire et à ses responsabilités. On oublie momentanément les deux premières scènes et leurs pièges et on enchaîne avec la troisième. (Il sort.)

Noir

SCENE 3 : UN HOMME (LUI), UNE FEMME (ELLE), DANIEL

DANIEL, en voix off. – J'espère que tout le monde s'est calmé. On remet la lumière et on attaque la trois. (La lumière revient.)
LUI, rentrant. – Eh bien, voilà, il est parti.
ELLE, même jeu. – Il s'en est allé sans crier gare.
LUI – Pourtant, il aurait pu, il était cheminot.
ELLE – Ce n'est ni le moment ni l'endroit.
LUI – J'oubliais le respect, je n'ai pas le droit de dérailler.
ELLE – Il y a un temps pour tout, voilà tout. Sinon, je sais bien que ce n'était pas un saint, Bernard.
DANIEL, en voix off. – Non ! Non, pas Bernard ! Il s'appelait Germain.
LUI, à elle. – Mais oui, pourquoi l'as-tu appelé Bernard ?
ELLE – Je n'en sais rien, peut-être tout simplement parce que je pensais déjà à la fameuse réplique avec le chien. Alors, j'ai dû dire Saint-Bernard par association d'idées.
DANIEL, en voix off. – On reprend !
LUI – Où ?
DANIEL, en voix off. – Depuis le début, vous veniez de commencer.
ELLE – O.K., chef.
DANIEL, en voix off. – Pas "chef", s'il vous plaît, ce n'est pas la première fois que je le demande.
LUI – Allons-y gaiement. (Ils ressortent.)
DANIEL, en voix off. – Allez, chauffe, Marcel !
LUI, en voix off. – Tu dis "chauffe" parce que tu penses au crématorium ?
DANIEL, en voix off. – Non, je dis "chauffe" pour qu'on commence. Allez, chauffe Marcel !
LUI, rentrant. – Eh bien, voilà, il est parti.
ELLE, même jeu. – Il s'en est allé sans crier gare.
LUI – Pourtant, il aurait pu : il était cheminot.
ELLE – Ce n'est ni le moment ni l'endroit.
LUI – J'oubliais le respect, je n'ai pas le droit de dérailler.
ELLE – Il y a un temps pour tout, voilà tout. Sinon, je sais bien que ce n'était pas un saint, Germain.
LUI – Quand on dispersera ses cendres sur la pelouse, ce sera Saint-Germain-des-Prés.
ELLE – On aurait pu l'enterrer au Père-Lachaise.
LUI – Et pourquoi pas à la Mère-Fauteuil, tant que tu y es ?
ELLE – Je l'aurais bien vu au milieu de toutes les célébrités, il aimait tant Paris.
LUI – Moi aussi, j'aime bien Paris. Je ne voudrais pas m'y faire enterrer pour autant. Il adorait son berger allemand, on n'allait pas l'enterrer dans un cimetière pour chiens non plus.
ELLE – Tu as raison. De toute façon, incinérer n'est pas enterrer. Moi, je ne pourrais pas.
LUI – Tu ne sentirais plus rien.
ELLE – Qu'en sais-tu ? Personne n'est jamais revenu raconter son expérience.
LUI – C'est une expérience unique, unique comme lui. Mon cousin Germain était à la fois unique, singulier et si souvent pluriel.
ELLE – Tu pourrais mettre des sous-titres pour que je comprenne ?
LUI – Il changeait tellement souvent d'opinion. Comment dit-on encore ? Ah oui, versatile. Il était versatile, une vraie girouette.
ELLE – C'est vrai que ses goûts étaient pour le moins particuliers.
LUI – Et sa façon de parler, pour le moins particulière aussi. Quand on lui demandait pourquoi il s'habillait avec une longue tunique blanche, il répondait: "Ne me distrayez pas avec des questions futiles et sournoises de ma quête d'absolu, de spiritualité."
ELLE – A lui aussi il fallait demander des sous-titres.
LUI – Quarante ans après les hippies, il les avait réinventés. (Geste à l'appui, les doigts en v.) Love and peace, mes frères, love and peace ! Peace où tu veux mais pas dans mon salon !
ELLE – Quand on allait chez lui à cette époque, il y avait de la fumée partout, de l'encens, de la musique hindoue. Tiens, au fait, dit-on hindoue ou indienne ?
LUI – Indienne mais comme c'était religieux, on peut dire hindoue, voire même hindouiste. De toute façon, à peu de chose près, on ne risque pas de se tromper.
ELLE – Chez les Hindous, n'y a-t-il pas régulièrement ou systématiquement une crémation ?
LUI – Si.
ELLE – Oui mais régulièrement ou systématiquement ?
LUI – Je ne sais pas. Ce n'est qu'un détail.
ELLE – En tout cas, je crois savoir qu'on disperse ensuite leurs cendres dans leur fleuve sacré. Comment s'appelle-t-il encore ?
LUI – Le Gange.
ELLE – Le Gange, voilà.
LUI – Eh bien, ici, il perdra au Gange, il se contentera d'une pelouse : ce sera Saint-Germain-des-Prés.
ELLE – Tu l'as déjà dit.
LUI – J'aime bien répéter mes jeux de mots.
ELLE – Perdre au Gange, c'est quand même un peu tiré par les cheveux. Mais à propos de cheveux, sa période hippie, c'était avant ou après sa période bouddhiste ?
LUI – Je ne sais plus, je me rappelle simplement qu'on l'appelait Boubou.
ELLE – Boubou ?
LUI – Mais oui, Boubou pour bouddhiste.
ELLE – J'avais compris mais je ne me souvenais pas qu'on utilisait ce diminutif.
LUI – C'était avec les copains, je ne l'employais peut-être pas devant toi.
ELLE – Tes copains, tes inséparables copains. Ils ne t'ont pas suivi jusqu'ici ?
LUI – Apparemment non.
ELLE – Ils connaissaient Germain ?
LUI – Certains oui.
ELLE – Et personne pour lui rendre un dernier hommage ?
LUI – Un dernier hommage ? On dirait une vision militaire de la mort. Allons-nous défiler au garde-à-vous ? Aurait-on prévu une salve d'adieu ? Combien y aura-t-il de coups de canon pour saint Germain des Prés canonisé pour services rendus à la Patrie ?
ELLE – Canonisé, vraiment ? Qu'aurait-il fait de si extraordinaire en étant cheminot ?
LUI – Il remettait chacun sur les bons rails, sur la bonne voie. C'est si important du train où vont les choses.
ELLE – Pourtant, certains ne se sont pas gênés pour évoquer une double vie.
LUI – Sans porter des lunettes à double foyer mais il ne trompait pas sa femme : il se trompait de femme, la nuance est importante.
ELLE – Finalement, il était comme monsieur tout-le-monde : un homme fait de qualités et de défauts.
LUI – Des qualités quand il était en quête de spiritualité et des défauts entre ses périodes religieuses, à croire qu'il se défoulait.
ELLE – Là, il devenait coureur de jupons, il jouait à Dom Juan.
LUI – Il collectionnait les conquêtes féminines mais tout en travaillant sérieusement. Il était au moule et au fourin...heu... au four et au moulin. Pourquoi ai-je parlé de moule, moi ?
DANIEL, en voix off. – On se le demande. Je n'ai pas l'impression que cela figurait dans le texte.
ELLE – J'approuve la remarque. J'ai suffisamment de mal à retenir les répliques. Si on en rajoute, je suis perdue. Il faut déjà travailler sans souffleur, c'est tout sauf évident.
DANIEL, en voix off. – Je sers de souffleur aussi, si vous croyez que cela m'amuse.
ELLE – L'année dernière, nous en avions un.
DANIEL, en voix off. – Il n'est venu que pour les spectacles.
LUI – Très juste, il ne connaissait même pas le texte. Il aurait fallu souffler au souffleur.
ELLE – Mon Dieu ! C'est vrai, il n'a même pas voulu se glisser dans le trou.
LUI – Parce que tu voudrais t'y trouver, toi et affronter les souris et les araignées géantes ?
ELLE – Il suffirait de demander de le nettoyer avant.
LUI – Donc il faut y descendre. On en revient au même problème.
ELLE – On pourrait pulvériser.
LUI – Pulvériser ? Je sais bien que le théâtre, c'est de la culture, mais à ce point-là.
DANIEL, en voix off. – Désolé d'interrompre vos discussions au sujet de la prochaine foire agricole mais laissez tomber les pucerons et autres insectes nuisibles et reprenez la scène. Nous préparons un spectacle.
ELLE – Désolée aussi de répéter ce que j'ai déjà dit mais je suis perdue.
LUI – Pour une fois, je suis d'accord également, j'ai besoin d'une boussole.
DANIEL, en voix off. – Reprenez à " Il collectionnait les conquêtes féminines mais tout en travaillant sérieusement. Il était au moule et au fourin...heu... au four et au moulin." Et on n'ajoute plus: "Pourquoi ai-je parlé de moule, moi ?"
LUI – O.K., chef.
DANIEL, en voix off. – Pour rappel, j'ai horreur qu'on m'appelle chef.
LUI – Je reprends donc sans t'appeler chef.
DANIEL, en voix off – Tu le fais exprès ?
LUI – Il collectionnait les conquêtes féminines mais tout en travaillant sérieusement. Il était au moule et au fourin...heu... au four et au moulin mais sans stress, c'est un état que Germain ne connaissait pas.
ELLE – Qu'en sais-tu ?
LUI – Germain prenait son travail au sérieux mais il ne se prenait pas au sérieux.
ELLE – Et surtout il n'était pas très sérieux, spécialement avec les femmes.
LUI – Toujours au moule et au fourin.
ELLE – Ton humour me dépasse. Germain avait beau ne pas être un saint, n'oublie pas que nous sommes dans un crématorium.
LUI – J'oubliais le respect, le maître-mot.
ELLE – Appelle ça respect, conventions, peu importe: il y a les choses qu'on fait...
LUI – ...et celles qu'on ne fait pas, je sais. Et il y a les choses qu'on ne dit pas, ce sont celles que je préfère.
ELLE – Et pourquoi ça ?
LUI, sur un ton mystérieux. – Quand on sait tout ce qu'on sait, quand on sait qu'on ne nous dit pas tout, quand on devine tout ce qu'on ne nous dit pas, quand on imagine tout ce qu'on ne sait pas...
ELLE – Et alors ?
LUI – On a bien raison de penser ce qu'on pense.
ELLE – Et que penses-tu ? Peux-tu éclairer ma lanterne ?
LUI, sur un ton enfantin. – Non, ma chandelle est morte et je n'ai plus de feu.
ELLE – Laisse les comptines de côté. Tu as bien raison de penser ce que tu penses, soit ! Mais que penses-tu ?
LUI – Qu'il est temps de faire la révolution.
ELLE – La révolution, toi ? Tu détales au premier pétard mouillé.
LUI – Ça, c'est mon côté docteur Jekill. Il y a aussi en moi une bête qui sommeille, un mister Hyde.
ELLE – Une bête qui sommeille, laisse-moi rire. Est-ce pour cela que tu ronfles si souvent ?
LUI – Voilà: tu as trouvé l'explication. Je suis une bête qui ronfle mais le réveil sera terrible. Les institutions n'ont qu'à bien se tenir. La bête accumule les rancoeurs et va bientôt exploser.
ELLE – Exploser comme un pétard mouillé.
LUI – Comme une bombe, une des multiples bombes que je vais poser. Il faut refaire le monde.
ELLE – Est-ce que tu ne le refais pas assez souvent avec tes copains ? Quand je te demande d'où tu viens quand tu rentres tard, tu me réponds toujours que tu as pris un verre avec eux et qu'autour d'une table, vous refaites le monde.
LUI – Et nous serons bientôt des terroristes d'un genre nouveau. Là, je rejoins ce pauvre Germain dans sa période hippie, nous allons remettre au goût du jour tous les rêves fous des années soixante.
ELLE – Si vous voulez vous appeler les Beatles, je te signale que le nom a déjà été pris.
LUI – Nous serons les nouveaux Beatles, les Beatles du troisième millénaire.
ELLE – Je ne t'ai jamais vu avec une guitare.
LUI – Tu ne m'as jamais vu poser une bombe non plus.
ELLE – Tu m'as bien caché ce côté explosif.
LUI – La bête se réveille.
ELLE – Il est temps.
LUI – Comment ça "Il est temps ?"
ELLE – Au lieu de ronfler, de sombrer immédiatement dans le sommeil, tu devrais penser de temps en temps à honorer celle qui partage ta couche. Fais d'abord ta révolution chez toi, explose une ou deux fois par semaine, ça t'évitera peut-être une arrestation par la brigade anti-terrorisme.
LUI – Et comment dois-je prendre une telle attaque ?
ELLE – Comme une attaque justement: une attaque contre ta passivité, ta léthargie. Non seulement tu ronfles mais tu dors aussi comme un loir. On dirait que tu hibernes dès que tu rentres dans ton lit.
LUI – Tu me provoques ?
ELLE – Mais quand je te provoque, tu ne réagis même pas.
LUI – Tu me provoques, toi ? Quand ?
ELLE – Quand j'essaie d'attirer ton attention avant les dix secondes nécessaires à ton endormissement. Mais quand je t'appelle "Chéri", "Chéri", "Chéri" (Le ton se fait à chaque fois plus langoureux.), je n'entends en écho que tes premiers ronflements.
LUI – Je suis las.
ELLE – Je vois bien que tu es là.
LUI – Mais non: je suis las, fatigué si tu préfères.
ELLE – Heureusement que tu n'as pas mal à la tête, ce serait le monde à l'envers. Alors que je voudrais de temps à autre que tu me fasses perdre mon bon sens, que je confonde l'endroit de l'envers, que tu me mettes sans dessus dessous, que tu m'arraches mes dessous pour que je n'aie plus rien dessus.
LUI, après un moment de silence. – Tu me fais un exercice de diction ?
ELLE – Un exercice de diction ?
LUI – Avec tes dessous dessus. En plus, tu n'as déjà plus de dessous quand tu vas au lit, tu enfiles un pyjama, un pyjama anti-devoir conjugal.
ELLE – Evidemment, tu le considères comme un devoir et comme tu n'as jamais été brillant à l'école.
LUI – Et que veut encore dire cette comparaison douteuse ?
ELLE – Devine.
LUI – Et c'est ici que j'ai un problème.
ELLE – Mais ce n'est pas la bonne réplique.
DANIEL, en voix off. – Alors là, pas du tout, quel est ton problème ? Et rapidement parce que j'ai un spectacle sur le feu, moi.
LUI – Il y aura fatalement dans la salle des gens qui nous connaissent.
DANIEL, en voix off. – Et alors ?
LUI – Alors, ceux-là savent que nous avons vécu ensemble pendant trois ans. (Il désigne sa partenaire.)
ELLE – Deux et demi.
DANIEL, en voix off. – Et alors ? Au risque de me répéter: et alors ?
LUI – Ils vont penser que les répliques sont le reflet de notre vie commune.
DANIEL, en voix off. – Et alors ? Je ne vois pas le rapport.
LUI – Justement, c'est à propos des rapports.
ELLE – Nous y voilà.
DANIEL, en voix off. – Et alors ?
LUI – Arrête de dire "Et alors ?" ou sinon je t'appelle chef.
DANIEL, en voix off. – Et alors ?
LUI – Alors, chef, non seulement ceux qui me connaissent me prendront pour un gros ronfleur mais aussi pour une nullité sur le plan sexuel.
DANIEL, en voix off. – Je ne vois pas le rapport.
LUI, s'énervant. – Mais puisque je te dis que c'est justement à propos des rapports.
ELLE – De toute façon, ce n'était pas terrible.
LUI, vexé. – Ce n'était pas terrible ?
DANIEL, en voix off et criant. – Ce n'est pas de toi mais de ton personnage dont il est question. Combien de fois faudra-t-il vous répéter que vous abandonnez votre identité dans les loges pour devenir quelqu'un d'autre ?
LUI – Oui mais tout ce passage-là me pose problème, à cause justement du rapport avec la vie privée.
ELLE – Tu vois: tu reparles de rapport.
LUI – Toi, ne jette pas de l'huile sur le feu.
ELLE – Pourquoi pas ? Germain se consumera plus vite.
LUI – Germain n'a rien à voir dans cette histoire.
ELLE – Justement: on t'explique que pas plus que Germain n'est ou n'était en réalité ton cousin, tu n'es pas non plus dans la vie mon mari.
LUI – Mais étant donné qu'on a vécu ensemble, les gens vont croire que nous transposons dans la pièce notre vie privée.
ELLE – Moi, ça ne me gêne pas.
DANIEL, en voix off. – Et moi non plus puisque tu dois jouer, tu incarnes un personnage, tu n'es plus toi-même.
LUI – Mais si, je suis moi-même, sinon je ne me serais pas arrêté: ça me pose vraiment un problème.
DANIEL, rentrant et explosant. – Tu iras voir un psy si tu veux mais il est hors de question de changer le texte.
LUI – Pourtant, on l'a déjà fait. Le texte n'est pas définitif, il n'est même pas encore terminé.
ELLE – Peux-tu cesser tes gamineries et reprendre, s'il te plaît ?
DANIEL – Si le texte n'est pas terminé, ce qui peut l'être, c'est ton rôle dans le spectacle, si tu vois ce que je veux dire.
LUI – Des menaces ?
ELLE – On nage en plein délire.
DANIEL – Non seulement on nage mais surtout on est en train de couler avec des enfantillages pareils. Reprends et en vitesse sinon je t'envoie grossir la liste des artistes au chômage, sans indemnités de rupture.
LUI – Forcément, on n'est pas payés.
DANIEL – Nous sommes en théâtre amateur mais des amateurs pour jouer une pièce, j'en ai une liste d'attente complète. Alors, tu reprends ou je te vire. (Il sort.)
ELLE – Allez, ne fais pas l'enfant. (Elle le ramène à l'endroit où il devrait se trouver sur la scène puis dit sa réplique.) Heureusement que tu n'as pas mal à la tête, ce serait le monde à l'envers. Alors que je voudrais de temps à autre que tu me fasses perdre mon bon sens, que je confonde l'endroit de l'envers, que tu me mettes sans dessus dessous, que tu m'arraches mes dessous pour que je n'aie plus rien dessus.
LUI, après un moment de silence. – Tu me fais un exercice de diction ?
ELLE – Un exercice de diction ?
LUI – Avec tes dessous dessus. En plus, tu n'as déjà plus de dessous quand tu vas au lit, tu enfiles un pyjama, un pyjama anti-devoir conjugal.
ELLE – Evidemment, tu le considères comme un devoir et comme tu n'as jamais été brillant à l'école.
LUI – Que sous-entends tu par cette comparaison douteuse ?
ELLE – Devine.
LUI – Mettrais-tu en doute certaines de mes capacités ?
ELLE – Je les mets effectivement clairement en doute.
LUI – Pourquoi m'as-tu épousé alors ?
ELLE – Je me le demande. Figure-toi que je me le demande de plus en plus même.
LUI – Et cette remarque-là, que veut-elle dire ?
ELLE – Cela veut dire que je ne suis pas contente de notre vie commune, tout simplement.
LUI – Lorsque nous sommes rentrés dans ce local, tu me parlais de respect. Crois-tu que ce soit le lieu pour évoquer ce genre de choses au moment où feu mon cousin part en fumée ?
ELLE – Part en fumée, tu as de ces expressions.
LUI – Que veux-tu que je te dise ? Qu'après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts, il a fini par s'éteindre.
ELLE – Comme notre amour: il s'est éteint, s'est endormi, chéri (Prononcé de façon très ironique.)...Il s'est endormi en ronflant comme un loir. Il ne vaut plus rien.
LUI – Pourtant le loir est cher.
ELLE – Le loir est cher ? Tu te crois intéressant avec tes jeux de mots débiles ?
LUI – Dormir, cela n'a pas de prix.
ELLE – Eh bien dorénavant, tu dormiras tout seul. Je vais faire chambre à part.
LUI – Cela ne me dérange pas. De toute façon, j'ai toujours été...un type...à part.

Noir

ENVIE DE CONNAITRE LA SUITE ?

Le livret est disponible sur le site d’Art et Comédie

https://www.artcomedie.com/

ou sur le site de la Librairie théâtrale

https://www.librairie-theatrale.com/

Dans la barre de recherche, vous tapez Philippe Danvin.
N’hésitez pas à communiquer sur le contact de mon site

www.philippedanvin.com courriel : philippedanvin@hotmail.com