Je hais les hypocrites

De nos jours mais dans une famille bourgeoise « façon 19e » (dixit Charles, l’époux de la maîtresse de maison), Louise, très méfiante, qui n’entend pas marier son fils Simon à la première venue et surtout à des gens ruinés, a invité les parents de son éventuelle future belle-fille à venir passer le week-end pour faire connaissance. Elle veut en réalité en savoir plus sur leur situation financière avant de donner son consentement. Pour recueillir un maximum de renseignements sur eux, elle a imaginé un subterfuge : inverser les rôles avec sa domestique, Rose, pour mieux écouter aux portes et elle a mis Luc, le jardinier, dans la confidence également. Tout est prêt pour jouer la comédie mais la libido galopante de rose et Luc va venir singulièrement tout compliquer.

Fiche

Année
2019
Production
Compagnie des Sources, Péruwelz

Extrait

ACTE 1 SCENE 1 CHARLES et LOUISE (Louise rentre en scène, suivie par Charles.)

CHARLES. – Je ne trouve pas que ce soit une bonne idée.

LOUISE. – Si, Charles. Et vous vous y plierez comme d’habitude. CHARLES. – Arrêtez de me vouvoyer, j’ai horreur de ça.

LOUISE. – Soit. Tu t’y plieras comme d’habitude.

CHARLES. – Mais, Louise, nous ne les connaissons pas.

LOUISE. – Eh bien nous apprendrons à les connaître.

CHARLES. – Pendant tout un week-end ?

LOUISE. – Pendant tout un week-end.

CHARLES. – Mais qu’allons-nous en faire ?

LOUISE. – Les observer.

CHARLES. – Les observer ? Mais pourquoi ?

LOUISE. – Nous n’allons pas laisser notre fils s’amouracher de la première gourde venue et qui sait l’épouser ?

CHARLES. – Il est majeur et vacciné, que je sache, Louise.

LOUISE. – Pas contre l’aveuglement, Charles. L’amour rend aveugle. Heureusement, moi, j’ouvre les yeux.

CHARLES. – Et que vois-tu ?

LOUISE. – Une famille qui flaire la bonne affaire : nous, notre fortune…enfin plutôt la mienne.

CHARLES. – Mais laisse-le roucouler sans déjà penser à ça.

LOUISE. – Mais nous ne sommes pas des pigeons, justement. Je ne me laisserai pas faire.

CHARLES. – Je ? Mais, Louise, ton fils a vingt-cinq ans : l’âge de choisir.

LOUISE. – Non, Charles. Il y a des impératifs économiques.

CHARLES. – L’économie n’a que faire de l’amour.

LOUISE. – Je ne laisserai pas n’importe qui mettre la main sur notre entreprise. CHARLES. – Ce n’est pas n’importe qui. C’est une fille de bonne famille.

LOUISE. – Ruinée si mes informations sont exactes mais je veux en avoir le cœur net. CHARLES. – En les invitant ici, en stage d’observation ?

LOUISE. – Exactement.

CHARLES. – Et ensuite tu donneras ton consentement ou pas ?

LOUISE. – Exactement.

CHARLES. – Mais en oubliant une chose.

LOUISE. – Laquelle ?

CHARLES. – Nous ne sommes plus au 19e siècle. Ce n’est plus toi qui vas décider. LOUISE. – Si, Charles. J’expliquerai à Simon où est son intérêt…financier.

CHARLES. – Et tu penses qu’il t’écoutera ?

LOUISE. – Il comprendra. Et il n’aura pas le choix. Ne rentre pas qui veut dans notre famille.

CHARLES. – Bourgeoise façon dix-neuvième.

LOUISE. – Parfaitement.

CHARLES. – Tellement dix-neuvième que nous avons une bonne…comme dans les pièces de Feydeau (Luc, le jardinier, fait son entrée.) … et aussi un jardinier.

SCENE 2 CHARLES, LOUISE et LUC

LUC, rentrant. – Madame désire-t-elle que j’aménage aussi un massif devant l’autre balcon ?

LOUISE. – Oui. Evidemment.

CHARLES. – Moi, je m’abstiendrai. Vous n’aurez pas droit à un oui…massif. (Il sourit.) LUC. – Bravo, Monsieur.

LOUISE. – Ne le complimentez pas, Luc. Il est stupide.

CHARLES. – Merci, Luc. Mais ne me jetez pas de fleurs, repiquez-les plutôt.

LUC. – Justement : à propos des fleurs, Madame, que désirez-vous dans ce massif ? LOUISE. – La même chose qu’en-dessous de l’autre balcon, il faut que ce soit symétrique.

CHARLES. – Vous ne faites pas seulement du jardinage,

Luc, mais aussi de la géométrie.

LUC. – Je suis aussi chauffeur, ne l’oubliez pas.

CHARLES. – Vous avez une double casquette.

LUC. – Mais je n’en porte qu’une à la fois. En ce moment, c’est celle du jardinier. Et donc les fleurs ?

LOUISE. – Je viens de vous le dire : les mêmes qu’en dessous de l’autre balcon. CHARLES. – Pour que ce soit géométrique, Luc.

LUC. – C’est vrai que ce sera plus joli si c’est la même chose.

CHARLES. – Plus ennuyeux aussi. L’ennui naquit de l’uniformité : le parc ressemblera bientôt à Versailles.

LOUISE. – Le grand canal en moins. Il faudra une pièce d’eau aussi.

LUC. – C’est vrai que ce serait joli avec des carpes japonaises.

LOUISE. – Vous avez carte blanche, Luc.

CHARLES. – Plus qu’une carte blanche, il aura besoin d’un budget.

LUC. – Ah oui ! pour avoir une petite idée.

CHARLES. – Parce que la surface d’un bassin n’est pas celle d’une réplique du grand canal.

LOUISE. – Le budget, nous en reparlerons, Luc. Allez d’abord travailler à ce massif. CHARLES. – Mais pourquoi ne pas en parler maintenant ? Cinquante mille euros vous conviendraient-ils, Luc ?

LOUISE. – Cinquante mille euros mais ?

LUC. – Avec ça, faites-moi confiance, vous aurez de la surface, beaucoup de surface… CHARLES. – Une surface couverte de nénuphars, je les adore.

LOUISE. – Charles, ça suffit : à quoi jouez-vous ?

UC. – Je…je vais vous laisser. Je reviendrai. Chaque chose en son temps : d’abord le massif…sous le balcon…mais, Madame, vous savez qu’il est un peu plus bas que l’autre ? LOUISE. – L’autre ?

LUC. – Le deuxième balcon sous lequel je dois créer le massif, il est un peu plus bas que le premier.

LOUISE. – Un peu plus bas ? Mais ce n’est pas possible.

LUC. – Si.

LOUISE. – Vous voulez dire que ce n’est pas symétrique ?

LUC. – Non.

LOUISE. – Mais ce n’est pas possible ! Je vais voir. (Elle sort.)

CHARLES. – Pas symétrique dans une maison bourgeoise ? Il faut démolir et reconstruire.

LUC. – Pour un balcon un peu plus bas ? CHARLES. – Quand même.

LUC. – Il doit y avoir environ une cinquantaine de cm de différence.

CHARLES. – Cinquante cm, ce n’est pas rien.

LUC. – A mon avis, l’architecte avait bu un coup.

CHARLES. – Ou l’entrepreneur. LUC. – Dites, en parlant de travaux, c’est sérieux les cinquante mille euros ?

CHARLES. – Est-ce que j’avais l’air de rigoler ?

LUC. – Non mais Madame avait l’air de tiquer.

CHARLES. – Mais non. Elle est toujours comme ça.

LUC. – Elle tique souvent ?

CHARLES. – Souvent oui mais la nuit dernière heureusement qu’elle ne vous a pas entendu.

LUC, embarrassé. – La nuit dernière ?

CHARLES. – Sinon elle aurait tiqué.

LUC, même jeu. – Elle…elle aurait tiqué ?

CHARLES. – Oui. Ne faites pas semblant.

LUC, même jeu. – Mais je…je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

CHARLES. – Vous avez rejoint Rose dans sa chambre et ce n’était pas la première fois. LUC, même jeu. – Oh …je..

CHARLES. – Enfin, votre déplacement n’était pas bruyant. C’est plutôt Rose qui faisait du bruit…et c’est tout à votre honneur, Luc.

LUC, gêné. – Merci, Monsieur.

CHARLES. – Elle faisait même beaucoup de bruit, il faudra m’expliquer ce que vous lui faisiez.

LUC, même jeu. – Mais…Monsieur n’y pense pas. Vous n’êtes pas sérieux ?

CHARLES. – Mais si, on ne peut plus sérieux.

LUC. – Ah bon ? Eh bien je la chatouillais pendant…pendant que…

CHARLES. – Pendant que ?

LUC. – Mais … Monsieur…pendant que…

CHARLES. – Pendant que vous lui racontiez des histoires drôles, je vous fais marcher, Luc.

LUC. – Des…histoires drôles, voilà. (Il sourit.)

CHARLES. – Entre hommes, nous pouvons en rire, n’est-ce pas ?

LUC. – Bien sûr.

CHARLES. – Mais évitez quand même de la faire glousser trop fort.

LUC. – Glousser, dites-vous ?

CHARLES. – Oui, je crains que Madame n’apprécie pas d’être réveillée par des gloussements.

LUC. – Je…je comprends.

CHARLES. – Et moi, je ne comprends pas qu’elle ne soit pas encore revenue. Je vais aux nouvelles…comme un mathématicien.

LUC. – Comme un mathématicien ?

CHARLES. – Un mathématicien attiré par la symétrie. (Il sort.)

SCENE 3 LUC et ROSE

ROSE, entrant et d’une voix sensuelle. – Coucou.

LUC, l’imitant. – Coucou, ma petite dinde.

ROSE, surprise. – Ta petite dinde ? LUC. – Ma petite dinde que j’ai fait glousser cette nuit.

ROSE, même jeu. – Glousser ?

LUC. – Oui, les dindes gloussent.

ROSE. – Mais une dinde, c’est ce qu’on mange à Noël.

LUC. – Pas seulement…J’ai encore envie de te manger cette nuit mais…

ROSE. – Mais ?

LUC. – Il ne faudra pas que tu cries trop fort…enfin que je ne te fasse pas crier trop fort.

ROSE. – Mais c’était tellement bien.

LUC, flatté. – Oui, je sais…mais il faudra donc que je ne te fasse pas trop décoller. ROSE. – Décoller ?

LUC. – Vers le septième ciel. On s’arrêtera au sixième…Je freinerai.

ROSE. – Pas trop quand même.

LUC. – Mais si tu glousses, ça réveillera Madame.

ROSE. – Ça lui rendra peut-être des envies…Pauvre monsieur.

LUC. – Pauvre Monsieur ? ROSE. – Ils font chambre à part mais…

LUC. – Mais ?

ROSE. – Elle a un amant qu’elle va rejoindre deux fois par semaine en ville.

LUC. – Ah bon ? Comment le sais-tu ?

ROSE. – J’écoute souvent aux portes.

LUC. – Mais tu ne me l’avais jamais dit ?

ROSE. – Nous venons seulement de devenir…intimes.

LUC, émoustillé. – Des…intimes qui ont des relations…intimes qui te font glousser. ROSE. – Ne dis plus ça, je ne suis pas une dinde. Je préfère quand tu m’appelles « Ma petite fleur ».

LUC, tendrement. – Oui, Rose, ma petite fleur.

ROSE, émoustillée elle aussi. – Oh ! Comme j’ai envie que tu me fasses glousser !

LUC. – Cette nuit, ma dinde...rose…que je plumerai.

ROSE. – Le rose, c’est la couleur de l’amour.

LUC. – La couleur de l’amour nocturne. D’ici-là, repars dans ta cuisine. La patronne pourrait nous gronder.

ROSE. – Comme des petits enfants…qui joueront aux adultes cette nuit. A tout à l’heure, mon dindon. (Elle sort.) LUC. – A tout à l’heure, ma dinde rose…Les affaires marchent, Luc. Et tant qu’on a la santé, il faut en profiter. (Il sort.)

ROSE, revenant. – Glouglou ! Glouglou ! Oh ! Il n’est plus là… Les affaires marchent, Rose. Et tant qu’on a la santé, il faut en profiter. Glouglou ! Gouglou ! (Elle sort.)