La directrice était en retard

Dans une école secondaire, un conseil de classe va déboucher sur une situation explosive. Et la directrice mégalomaniaque, qui rêvait de doper ses élèves pour qu’ils gagnent un festival de théâtre, doit subir la vengeance de ses professeurs. Mais ceux-ci vont rapidement se rendre compte qu’ils ont commis une terrible bêtise et que celle-ci peut briser leur carrière.

Fiche

Année
2004
Production
G Théâtre de Mons

Extrait

ACTE 1

SCENE 1 (EVELYNE BOULIER, JULIEN DEGROOTE, PATRICK DUPONT, FRANCIS GRENIER, NATACHA LAFOSSE, MICHEL LEGROS, DANY MARICHAL, RAMONA PETIT, PIERRE RENARD, FRANÇOIS SIMON, ANGELIQUE VINCENT)

LAFOSSE – Elle est encore en retard, la vieille peau !
BOULIER – Si l’exactitude est la politesse des rois…
GRENIER – On voit bien que ce n’est pas une reine dans sa catégorie.
PETIT – Je vous en prie, un peu de tenue et un peu de retenue. Après, vous irez vous plaindre de l’impolitesse de vos élèves !
LAFOSSE – Tais-toi, vieille peau !
PETIT (choquée) – Oh !
LAFOSSE (grimaçant) – « Oh! » qu’elle a fait la vieille peau !
LEGROS (à Lafosse) – Je t’en prie, Natacha, Madame Petit a raison. Rien ne nous empêche d’attendre poliment !
SIMON – Sans compter que la grossièreté n’a jamais résolu aucun problème.
DUPONT – Bien parlé, Maître Simon. Soyons dignes de notre statut.
MARICHAL – C’est ça, ne pataugeons pas dans la boue, ça éclabousse !
DEGROOTE – Et en plus, ça tache ! Et vous savez que dans ces cas-là, plus vous la remuerez et plus vous en mettrez partout.
VINCENT – Et on finit par se heurter au barrage de l’odeur !
PETIT – Bravo, Angélique ! Vous relevez au moins le niveau.
LAFOSSE (ironique) – Lequel ? Celui du barrage de l’odeur ?
BOULIER - Une nouvelle histoire d’eau, pourquoi pas ?
GRENIER – En tout cas, toujours pas de trace de la reine.
LEGROS – Madame Durieux, directrice pour l’essentiel et accessoirement reine des retardataires.
SIMON – Peut-être n’ose-t-elle pas paraître encore, chers collègues ? Attendrait-elle quelque chose, recluse au fond d’un tiroir de son bureau ?
VINCENT – Ben voyons ! Notre reine attend le retour de d’Artagnan. Envoyé en mission spéciale en Angleterre, il doit occire tous les gardes du Cardinal qui ont l’inconscience de se dresser sur son chemin pour rapporter…
DEGROOTE – Non pas les ferrets de la reine offerts par le duc de Buckingham, son amant, mes chers auditeurs, mais tout simplement les procès-verbaux de conseil de classe mystérieusement égarés depuis la dernière visite du vérificateur.
LEGROS – Lequel a, ensuite, été retrouvé assassiné dans un fossé, portant au front la mystérieuse botte de Nevers.
SIMON – Pourquoi pas une botte de radis, tant que vous y êtes ? Vous confondez les histoires. Aux dernières nouvelles, Lagardère a parfois joué le rôle d’un bossu, jamais celui d’un mousquetaire.
LAFOSSE – Il avait peut-être bu plusieurs « Porthos» avant ?
BOULIER – Rempli « Ara...mis », alors !
GRENIER – Et par Athos, naturellement, comme ça, on aura fait le tour.
LAFOSSE – Le Tour de France, évidemment. Et sans dopage. Que des produits naturels !
MARICHAL – Ah ! le Porthos ! Qu’il est doux à boire, avec ou sans mousquetaires.
TOUS LES PROFS (en choeur, à l’exception de Petit, sur l’air de : « Ah ! le petit vin blanc)
Ah ! le petit porthos qu’on boit sous les tonnelles, quand les filles sont belles, du côté de…
PETIT (les interrompant sèchement) – Ça suffit ! Taisez-vous !
(Les autres profs se taisent, gênés.)
DUPONT (en voyant entrer Renard) - Et voilà enfin d’Artagnan qui a déjoué les pièges tendus par les gardes du Cardinal.
DEGROOTE – C’est qu’il est rusé, notre monsieur Renard.
RENARD (saluant avec un chapeau imaginaire) – Maître Goupil, pour vous servir.
PETIT – De relais auprès des parents, noble tâche, Monsieur le psy.
LAFOSSE (en aparté) – Vieille peau et idéaliste en plus. Un cas désespéré, en somme !
SIMON – Et cette noble tâche est-elle bien rémunérée, monsieur le rusé Renard ?
RENARD – Motus ! secret d’état.
VINCENT – Voyons, François, on ne demande pas à un futur mousquetaire qui sauve la reine du déshonneur en lui rapportant ses bijoux ce qu’il a reçu en récompense.
DUPONT – Un baiser peut-être… mais nous manquons à tous nos devoirs.
PETIT – Comme nos élèves, en somme.
GRENIER – Je l’avais sur le bout de la langue.
BOULIER – Et ça ne te gênait pas, Francis ?
GRENIER – Si…quand même.
MARICHAL – Alors, que fait notre reine, maintenant qu’elle a retrouvé ses bijoux ?
LEGROS – Elle chante peut-être.
LAFOSSE (chantant) – Ah ! je ris de me voir si belle en ce miroir !
DUPONT – De reine, la voilà à présent changée en Castafiore !
BOULIER – Et de quel capitaine Haddock serait-elle amoureuse ?
RENARD – Serait-ce de monsieur Simon ?
SIMON – Il me manque la barbe.
VINCENT – Et le pognon ! Vous l’avez déjà vue fringuée dans les grandes occasions ?
BOULIER – Question train de vie, elle est difficile à suivre.
DUPONT – Forcément : elle roule en Porsche.
DEGROOTE – Et passe sous le porche à une vitesse qui décoiffe.
LAFOSSE – C’est le «Chauve-qui-peut ».Tout le monde aux abris, v’là la dirlo.
(Elle la voit rentrer et incline la tête.) Madame la Directrice.
TOUS (en chœur) - Madame la Directrice.

SCENE 2 (LES MEMES plus MADAME DURIEUX)

DIRECTRICE – Veuillez m’excuser pour ce léger retard mais figurez-vous, Monsieur Simon, que votre inspecteur vient seulement de quitter mon bureau. Quelle éloquence ! J’étais suspendue à ses lèvres.
VINCENT (en aparté) – Tant que ce n’est que suspendue.
DIRECTRICE – Dès qu’il parle de ses auteurs favoris, il est intarissable.
VINCENT (en aparté) – Et tout coule de source.
DIRECTRICE – J’étais littéralement plongée dans l’univers d’un roman d’Alexandre Dumas.
TOUS (en chœur) – Les trois mousquetaires.
DIRECTRICE (un peu étonnée) – Non, le Comte de Monte-Christo! Et figurez-vous que tout en appréciant la prestation de Gérard Depardieu dans la dernière adaptation télévisée, il ne le voyait pas vraiment dans le rôle. Lui qui défend si bien d’habitude la langue française, il a carrément parlé d’une erreur de casting.
SIMON – C’est étonnant. Tu aurais cru ça possible, Natacha ?
LAFOSSE – Pas du tout. Je suis sciée.
DIRECTRICE – Enfin, bref...
LAFOSSE (en aparté) Comme disait Pépin parce que…
VINCENT (en aparté) Pépin le Bref.
DIRECTRICE (Elle tend une feuille que chacun signera à tour de rôle.) – Vous signerez la feuille de présence, comme d’habitude, vu le nombre d'absents et parmi eux, les deux spécialistes, Dubois et Meurant, évidemment.
PETIT – Monsieur Dubois est en congé syndical, Madame Durieux, vous savez bien que c’est parfaitement légal.
DIRECTRICE – Parfaitement légal, en effet, mais ce parfaitement légal coïncide néanmoins, Madame Petit, régulièrement avec une journée suivie d’un conseil de classe ou d’une réunion de parents.
PETIT – Que sous-entendez-vous par là ?
DIRECTRICE – Oh ! je me borne à constater, Madame Petit, tout comme je me borne à constater que Monsieur Meurant a régulièrement la grippe les semaines de conseils de classe.
LEGROS – Il a simplement pris froid en accompagnant les élèves à la patinoire.
DIRECTRICE – Soit ! Terminons-en avec ce terrain pour le moins glissant mais je vous rappelle malgré tout que toute absence pénalise les présents, c’est-à-dire vous, puisqu’il faut bien assurer des remplacements.
LEGROS – Oui, mais tout le monde peut tomber malade.
DIRECTRICE – En théorie, oui. Dans la pratique, je suis forcée de constater des différences.
Mais peu importe, j’aurai l’occasion d’en discuter avec les personnes concernées.
VINCENT (en aparté) – T’avais raison, Madame Durieux, c’est un croisement entre Hitler…
LAFOSSE (en aparté) – Et Margaret Thatcher.

SCENE 3 (LES MEMES plus CARINE LAURENT et ESTHER CARLIER)

LAURENT (entrant) – Veuillez m’excuser, Madame la Directrice, mais Madame Carlier
est arrivée et elle vous attend.
DIRECTRICE – C’est vrai, je l’avais oubliée. Allez la chercher, Carine, et faites-la entrer.
LAURENT – Bien, Madame.
DIRECTRICE – J’avais omis de vous prévenir que la remplaçante de Monsieur Borelli avait été désignée. Elle m’a téléphoné tantôt et je lui ai proposé de passer après la fin des cours pour qu’elle fasse votre connaissance et celle de notre école. Elle commencera demain.
LAURENT (entrant) – Par ici, Madame.
CARLIER (entrant) – Je vous suis.
DIRECTRICE – Venez, Madame Carlier, que nous fassions les présentations.
(Elle les désigne l’un après l’autre. Elle commence par Petit.)
Madame Petit, professeur de sciences et de géographie.
PETIT – Bienvenue parmi nous, Madame Carlier.
CARLIER (en lui serrant la main) – Merci beaucoup.
DIRECTRICE - Voilà Madame Boulier qui enseigne les mathématiques.
BOULIER – Avec un nom prédestiné. Enchantée.
CARLIER – Enchantée.
LAFOSSE (à Vincent, en aparté) – Le boulier compteur, on ne s’en lasse pas.
DIRECTRICE – Monsieur Grenier, professeur de langues.
GRENIER – Vivantes, Madame Carlier. Avec une préférence pour l’anglais.
CARLIER – Hello, alors !
GRENIER – Hello !
LEGROS (se levant) – Michel Legros. Vous êtes charmante, chère Madame. Je leur enseigne la politesse et les langues également.
CARLIER – Tout un programme.
LEGROS – En effet, bien que le programme…(Il sourit et se rassoit.)
DIRECTRICE - Monsieur Simon, professeur de français et d’histoire, amateur d’orthographe et également de bons vins.
CARLIER – Bonjour. J’apprécie un bon Bordeaux…
SIMON – Bienvenue au club, alors !
CARLIER – Mais je suis parfois brouillée avec l’orthographe, du moins quand elle côtoie
les cimes des grands concours.
SIMON – Rassurez-vous, vous n’êtes pas la seule, chère Madame, je connais moi-même certaines faiblesses dans ces circonstances.
CARLIER – Je ne dois donc pas faire de complexes, alors ?
SIMON – Sûrement pas.
DIRECTRICE – Voilà Monsieur Dupont qui enseigne la religion.
DUPONT – Un vrai sacerdoce, Madame Carlier. Je porte souvent ma croix et le chemin est parfois long et semé d'embûches.
VINCENT (en aparté) – Mais il a une pêche d’enfer et envoie les élèves au diable.
CARLIER – Enchantée. Etant professeur de morale, j’ose espérer que nous ne nous marcherons pas sur les pieds et que nous ne nous ferons pas la guerre.
DUPONT – Rassurez-vous, je ne combats que les hérétiques et l’Inquisition, c’est de l’histoire ancienne.
SIMON – Pas toujours.
CARLIER – Vexé l’historien ?
SIMON – Vigilant seulement.
DIRECTRICE – Madame Marichal, professeur de gymnastique.
MARICHAL – Pour les filles, bien sûr.
CARLIER (lui serrant la main) – Et elles courent bien ?
MARICHAL – Pas trop mal mais surtout derrière les garçons.
CARLIER – Et elles les rattrapent ?
MARICHAL – Là aussi, la vigilance s’impose.
DIRECTRICE – Monsieur Degroote, qui enseigne les mathématiques.
DEGROOTE – Ravi de vous accueillir, Madame Carlier.
CARLIER – Tout le plaisir est pour moi, Monsieur.
DEGROOTE – Vous verrez, vous vous plairez très vite chez nous.
DIRECTRICE – Madame Vincent, professeur de géographie et de sciences.
VINCENT – Enchantée et bienvenue dans notre zone rurale d’enseignement prioritaire.
CARLIER – Enchantée.
DIRECTRICE – Et voilà Madame Lafosse.
VINCENT – Celle qui est toujours sceptique.
LAFOSSE – Celle-là, on me l’a déjà faite cent fois. Professeur de français et d’histoire, et j’incite mes élèves à faire accessoirement du théâtre. Quitte à ce qu’ils nous jouent la comédie, autant que je puisse les guider. Bonjour.
CARLIER – Bonjour.
DIRECTRICE – Enfin, voici Monsieur Renard, notre psychologue.
RENARD – Et ce n’est pas le travail qui manque.
CARLIER – Je m’en doute, cher Monsieur.
DIRECTRICE – Voilà, nous avons fait le tour. (Elle se tourne vers Carine.)
Madame Laurent, vous aurez l’obligeance de faire visiter notre établissement à Madame Carlier. Au revoir et à demain, chère Madame, n’oubliez pas : huit heures quinze précises.
CARLIER – Vous pouvez compter sur moi, Madame la Directrice, à demain et au revoir à tous.
TOUS LES PROFS – Au revoir.
LAURENT – Allons-y, Madame Carlier, c’est parti pour le tour de la future propriétaire.
Vous verrez, ce n’est pas tellement compliqué. C’est petit, l'avantage de la zone rurale.
CARLIER – Je vous suis. (Elles sortent.)
BOULIER – Par qui commençons-nous, Madame Durieux ?
DIRECTRICE – Par les 1ère A.
SIMON – Bon ! j’ai compris. J’ai le temps d’aller faire mes photocopies.
LEGROS – Moi aussi. Meurant m’a demandé de photocopier son syllabus pour le cours de gym.
DEGROOTE – Et moi, je vais attaquer mes corrections.
VINCENT – Par la face nord, c’est la plus accessible. Je vais te donner un coup de main.
(Les quatre sortent.)

SCENE 4 (BOULIER, DUPONT, DURIEUX, GRENIER, LAFOSSE, MARICHAL, PETIT, RENARD puis LAURENT)

DIRECTRICE – Vous êtes leur titulaire, Madame Boulier, allons-y.
BOULIER – Dans l’ensemble, c’est une bonne classe mais il y a bien sûr quelques cas dont nous devrons parler. Commençons par Anzaldi. Rien à dire, c’est une bonne élève.
GRENIER – Excellente, même.
BOULIER – Arditi. C’est bien dans l’ensemble mais il a un échec en mathématiques. Il n’aime pas mon cours, il me l’a dit.
DIRECTRICE – Et il ne fait pas d’efforts ?
BOULIER – Pas vraiment. En tout cas, il ne travaille pas à domicile.
DUPONT – Et en classe, il fait semblant d’écouter. On connaît la chanson.
LAFOSSE (chantant sur l’air de « La boîte de jazz » de M. Jonasz) - Par cœur, je la connais par cœur.
PETIT (sévère) – Madame Lafosse, je vous en prie.
BOULIER – Passons à Bachely. Six échecs. Rien ne l’intéresse à part son football.
MARICHAL – Mais il joue bien. Tout n’est pas négatif.
RENARD – A quelle place joue-t-il ?
MARICHAL – A l’extérieur.
DIRECTRICE (s’étonnant) - A l’extérieur ? Pendant que les autres jouent sur le terrain, il joue sur le côté ?
LAFOSSE (en aparté) – Mon Dieu, qu’elle est bête !
MARICHAL – Mais non, Madame, il joue à l’extérieur et même extérieur droit, je crois; ça veut dire qu’il joue sur une aile.
DIRECTRICE – Sur une aile ? J’ai déjà entendu que certains pouvaient jouer sur une jambe mais sur une aile ?
LAFOSSE (en aparté) – Bientôt, ce sera Coluche dans « L’aile ou la cuisse ». Au niveau culture sportive, elle frise le zéro.
MARICHAL – Enfin ! bref ! Madame, il ne joue pas au milieu mais sur le côté droit.
GRENIER – Bien parlé, Dany. Voilà qui a le mérite de la clarté.
DIRECTRICE – Et on ne peut rien faire pour le motiver ?
DUPONT – Il n’y a que ses entraînements et ses matchs pour le motiver.
PETIT – Si on l’interroge le mercredi, le jeudi ou le vendredi, c’est le zéro assuré.
DIRECTRICE – Pourquoi ?
RENARD – Laissez-moi deviner. Pratiquement une semaine sur deux, ce sont les coupes d’Europe à la télé et on joue le mardi, le mercredi ou le jeudi, c’est ça ?
LAFOSSE – Bien raisonné, Watson. Vous ferez un bon détective.
DIRECTRICE – Il ne reste donc que le lundi, si j’ai bien compris.
PETIT – Avec un peu de chance et l’aide des copains.
GRENIER – Parce que, dès le vendredi après-midi, il se concentre sur son match du dimanche matin.
DUPONT – Et le dimanche après-midi, il récupère ou il va voir l’équipe première si elle ne joue pas en déplacement.
DIRECTRICE – Donc, il ne reste au mieux qu’un lundi sur deux. Monsieur Renard, il faudrait voir ce garçon et lui expliquer qu’il y a autre chose que le football dans la vie.
RENARD – J’essaierai de lui expliquer mais le résultat ne me semble pas garanti.
BOULIER – Au tour de Barteau. Les résultats sont satisfaisants mais il faudrait que Monsieur Renard la voie également parce qu’elle ne fait que mentir. Et elle change trente-six fois de version.
LAFOSSE – Oui, elle nous mène en barteau.
PETIT (sarcastique) – Ah ! ah ! Toute blague stupide mise à part, c’est vrai qu’elle me paraît
un tantinet mythomane.
DIRECTRICE – C’est-à-dire ?
PETIT – Eh bien ! elle vous explique par exemple qu’elle n’a pas pu faire son devoir parce qu’elle est allée à l’enterrement de sa tante.
DUPONT – On lui répond alors qu’elle est allée au même enterrement quinze jours auparavant.
PETIT – Et elle vous rétorque, sûre d'elle, que vous devez confondre, qu’elle n’avait qu’une seule tante.
BOULIER – J’ai demandé à Carine de téléphoner à ses parents. Verdict : elle a trois oncles mais aucune tante.
LAFOSSE (hilare) – Trois oncles incarnés et une tante réincarnée, c’est le pied !
DIRECTRICE – Vous devriez effectivement la voir, Monsieur Renard.
RENARD – C’est comme si c’était fait ! Enfin un cas amusant.
BOULIER – Le petit Connard, à présent.
DIRECTRICE (très étonnée, voire vexée) – Le petit connard ?
BOULIER – Oui ! Connard, c’est son nom et en plus il est très petit.
DIRECTRICE – Et qu’est-ce que ça donne, tout ça ?
GRENIER – Un grand complexe.
DUPONT (insistant) – Un grand ? Un énorme complexe.
PETIT – Et ses camarades de classe ne l’épargnent pas, évidemment.
MARICHAL – Et les parents ?
LAFOSSE – Chez ces gens-là, on est Connard de père en fils. C’est héréditaire, on ne peut rien faire !
MARICHAL – On peut changer de nom. J’ai connu un Saligot qui est devenu un Sartigot.
GRENIER – Moi, j’ai connu un beau salopard mais il l’est resté toute sa vie.
LAFOSSE – Si tous les Cocu changeaient de nom, il n’y en aurait pas moins au kilomètre carré.
DIRECTRICE (choquée et furieuse) – Madame Lafosse !
LAFOSSE – Veuillez m’excuser, Madame.
DIRECTRICE – Bon ! il faut quand même faire quelque chose. Je verrai les élèves de sa classe et nous allons convoquer les parents à la prochaine réunion.
RENARD – Je les connais, Madame, et leur situation financière également. S’ils n’ont pas changé de nom jusqu’à présent, c’est que ça ne les dérange pas outre mesure ou que la procédure est trop coûteuse.
DIRECTRICE – Enfin ! nous verrons. L’essentiel est d’essayer de faire quelque chose.
BOULIER – Nous arrivons à Dupont.
DUPONT – Sans lien de parenté avec moi.
LAFOSSE – Evidemment, les Dupont, ça court les rues.
DUPONT – Tu sais ce qu’il te dit le Dupont qui fait du jogging ?
DIRECTRICE (sèchement) – Mais où vous croyez-vous donc ?
BOULIER – Pas de problèmes en tout cas, ni pour les deux suivants : Garnier et Honoré.
LAFOSSE – En français, il me fait de superbes rédactions. Je l’appelle d’ailleurs Honoré de Balzac.
DUPONT – En français ? Il les écrit en français ?
LAFOSSE – Evidemment, pas en patois !
DUPONT – On ne sait jamais, nous sommes en zone rurale.
MARICHAL – Et nous en sommes fiers.
GRENIER – Tout à fait. Faisons-en des premiers au village plutôt que des seconds à la ville.
PETIT (souriant) – On dirait que vous allez vous présenter aux prochaines élections.
GRENIER - Eh bien ! figure-toi, Ramona, que j’ai déjà pensé à me lancer dans la politique.
MARICHAL – Tu perdrais ton temps.
PETIT – Et tes illusions.
DUPONT – Et il vaut mieux les garder, on en a tellement besoin dans l’enseignement.
PETIT – Bien parlé, Patrick.
LAURENT (entrant) – Veuillez m’excuser, Madame la Directrice, mais votre mari vous demande au téléphone.
DIRECTRICE (étonnée) – Maintenant ? Il sait pourtant que je suis en conseil de classe!
LAURENT – Oui, Madame et il dit que c’est urgent.
DIRECTRICE (se levant) – Ah ! Deux petites minutes et je suis à vous. (Elle sort.)
LAURENT (s’approchant avec un grand sourire) – Elle va en prendre pour son grade, il avait l’air fou furieux.
BOULIER – Vite, Carine, racontez-nous !
LAURENT – Il a cru que c’était elle qui décrochait.
GRENIER (impatient) – Et alors ?
LAFOSSE (jubilant) – Oh oui! alors ?
LAURENT – Alors, quand j’ai décroché, il a directement hurlé : « Où as-tu encore fourré ma chemise saumon, espèce d’enfoirée ? Je devrais déjà être à mon rendez-vous et je perds un temps fou avec ta manie de ne pas ranger convenablement mes affaires ! »
Dès que j’ai pu en placer une, je lui ai bien sûr dit : « Mais c’est Carine ici, Monsieur Durieux ! »
DUPONT – Mais il fallait jouer le jeu plus longtemps.
MARICHAL – On en aurait appris des vertes et des pas mûres.
PETIT – Et cette petite aurait perdu son emploi, avec vos bêtises.
LAFOSSE – Plus vieille peau et plus vieux jeu que ça, tu meurs !
PETIT – De misère au chômage, petite inconsciente !
LAFOSSE – Si on ne peut plus rigoler.
LAURENT – Avec des choses pareilles, non. Madame Petit a raison, Madame Lafosse.
BOULIER – Dommage qu’il n’ait pas appelé sur le portable on aurait été aux premières loges.
GRENIER – J’aurais donné cher pour voir son visage.
DUPONT – Elle aurait dû faire un effort terrible pour ne pas perdre contenance devant nous.
MARICHAL – Enfin, apparemment, elle doit se venger à l’école vu qu’à domicile, elle doit marcher à la baguette !
RENARD – Un cas intéressant à étudier.
LAURENT – Je vais y retourner sinon la colère divine va s’abattre sur moi.
LAFOSSE – C’est docteur Jekyll et Mister Hide, la dirlo ! (Elle rentre à ce moment-là.)
Madame la Directrice.
TOUS (en chœur, par réflexe) – Madame la Directrice.
DIRECTRICE (visiblement très fâchée) – Quoi, Madame la Directrice ?
PETIT – Euh!…rien, Madame.
DIRECTRICE – Bon ! alors, inutile de recommencer à me saluer ! Quant à vous, Carine, votre place n’est pas ici. Il est dix-sept heures, vous pouvez partir mais repassez par le bureau pour brancher le répondeur. En tout cas, si le téléphone sonne, vous ne répondez pas. Vous avez bien compris, vous ne répondez pas !
LAURENT – Bien, Madame. Au revoir, Madame. Au revoir à tous.
TOUS LES PROFS (en chœur) – Au revoir, Carine. (Elle sort.)

SCENE 5 (BOULIER , DUPONT, DURIEUX, GRENIER, LAFOSSE, MARICHAL,
PETIT, RENARD)

DIRECTRICE (en aparté) – Sale con !
PETIT (qui a entendu) – Pardon, Madame ?
DIRECTRICE – La leçon ! La leçon !
TOUS LES PROFS (en chœur, s'étonnant) – Quoi, la leçon ?
DIRECTRICE – La leçon, leurs leçons, il faut qu’ils les connaissent, soyez impitoyables !
Il faut leur bourrer le crâne, lavez-leur le cerveau.
LAFOSSE (en aparté) – Comme une chemise.
DIRECTRICE – Il faut qu’ils aient le goût de l’effort ! (Elle s’assoit.)
LAFOSSE (en aparté) – Comme un saumon qui remonte le courant. (Elle se met à chanter.) Où est ma chemise ? Où est ma chemise ? où ? où ? où ? Où l’as-tu mise ? Où l’as-tu mise ? où ? où ? où ?
BOULIER – Revenons à nos saumons…heu!…moutons, moutons. Revenons à nos moutons. Revenons à nos élèves.
PETIT – Et lavons-leur le cerveau.
LAFOSSE – Plus blanc que blanc.
BOULIER – A propos de blanc, Madame, le suivant ne se lave pas et en plus, il ne sent pas bon.
MARICHAL – Nous voilà revenus au barrage de l’odeur.
DIRECTRICE – Et comment s’appelle-t-il cet homme des cavernes ?
BOULIER – Lenoir, Madame, et ce n’est pas un jeu de mots.
DIRECTRICE - Si ce n’est pas un jeu de mots, c’est bien imité. Monsieur Renard, vous le connaissez ?
RENARD - Oui, mais sans particulièrement l’approcher.
DIRECTRICE - A ce point-là ?
GRENIER – Hélas !
PETIT - Et si vous avez le malheur d’avoir cours avec lui en début d’après-midi...
DUPONT - C’est-à-dire après qu’il a pris son repas.
PETIT- Il se laisse aller, si vous voyez ce que je veux dire.
DUPONT - Il doit avoir des problèmes intestinaux.
DIRECTRICE - Et les autres élèves ?
LAFOSSE - Ils se plaignent, évidemment.
DIRECTRICE - Vous connaissez les parents, je suppose, Monsieur Renard ?
RENARD - Oui, bien sûr. Mais je crains de ne pas pouvoir faire grand chose, si vous voyez ou plutôt si vous sentez ce que je veux dire.
DIRECTRICE - Je sens, je sens. Enfin ! faites de votre mieux. Au suivant, Madame Boulier.
BOULIER - Lepreux, Madame. Pas de problèmes, il travaille.
MARICHAL - Et il se lave.
BOULIER - Leureux, le bien nommé. Quatre branches en échec, il se laisse vivre.
GRENIER - Oui, il se la coule douce.
LAFOSSE - Ce n’est pas le nom d’un pape, ça ?
DUPONT – Je suis prof de religion et je ne vois pas le rapport.
LAFOSSE – Mais si voyons, après Islakoul XI, il y a eu un Islakoul XII.
DUPONT (soupirant) – Pénible et très discutable, ton humour.
MARICHAL – Voire même illogique, on dirait un pape turc.
GRENIER – On a bien un Polonais en ce moment, mais un Turc, ça paraît un peu fort.
LAFOSSE – Justement : ne dit-on pas « fort comme un Turc » ?
BOULIER – Revenons chez nous. Vous avez déjà sanctionné le suivant, Madame, et pour vol. Vous vous rappelez cette histoire de baladeur dérobé par Lupant ?
LAFOSSE – Arsène Lupant ?
BOULIER – Non, Pierre.
DIRECTRICE – Madame Lafosse, vous commencez à exagérer !
LAFOSSE – Veuillez m’excuser, Madame, mais je n’arrive pas à me retenir.
GRENIER – Tu y arrives bien si tu as envie d’aller aux toilettes pendant les cours.
LAFOSSE – Ce n’est pas la même chose.
BOULIER – Toujours est-il que, de temps à temps, il arrive qu’un stylo disparaisse dans la classe et les autres le rendent responsable, évidemment. Mais on ne retrouve rien. Donc, si c’est lui, on ne peut pas le coincer.
RENARD – J’étais intervenu après le vol du baladeur mais sans effet concret. Il a avoué qu’il ne parvenait pas à s’en empêcher. Il a d’ailleurs déjà été pris en flagrant délit chez un disquaire et dans une grande surface également.
MARICHAL – Il vole les petits comme les gros, quoi !
DUPONT – Il pourrait se contenter des gros, ce serait un peu plus moral. C’est ce que faisait Arsène Lupin.
GRENIER – Ou Robin des Bois, tant que vous y êtes. Vous oubliez la réputation de l’école.
DIRECTRICE – Je le verrai pour le mettre au pied du mur et nous convoquerons les parents.
RENARD – S’ils viennent. Ils en sont honteux. Ce sont de braves gens, très honnêtes, des travailleurs.
MARICHAL – C’est souvent ainsi, malheureusement.
BOULIER – Après une mythomane et un kleptomane, nous arrivons à Mention. Travail impeccable, si elle continue, elle sera reçue avec mention. (Elle arbore un grand sourire.) C’était bien mon tour.
PETIT – Très fin, Evelyne.
DIRECTRICE (avec un sourire forcé) – Continuons, Madame Boulier. Je suppose que Madame Lafosse n’est pas jalouse.
LAFOSSE – Pas du tout, Madame, je commençais à me fatiguer.
(Laurent, en manteau, entre subitement, poursuivie par Legros.)
LAURENT - Mais, arrêtez voyons !
DIRECTRICE - Que se passe-t-il encore ? C'est de nouveau mon mari ?
LAURENT - Euh ! …non, Madame, veuillez m'excuser.
LEGROS - C'est ma faute, Madame la Directrice, je la chatouillais.
DIRECTRICE (se levant, sévère) - Vous la chatouilliez, vraiment ?
LEGROS (timidement) - Euh ! …oui. (Les profs n'osent pas intervenir.)
DIRECTRICE - Vous la chatouilliez, mais cela ne me fait pas rire, vous entendez : cela ne me fait pas rire !
LEGROS - Je comprends.
DIRECTRICE - Un élève, je le punirais mais vous ! Franchement, quel âge avez-vous ?
LEGROS - Eh bien, j'ai…
DIRECTRICE (criant) - Je me moque de votre âge, vous me faites perdre mon temps. Sortez, nous réglerons ça plus tard.
LEGROS - Bien Madame. (Il sort.)
DIRECTRICE - Quant à vous, Carine, nous en reparlerons demain, je vous avais dit de repartir, pas de courir le cent mètres dans les couloirs !
LAURENT - Mais je pars, du moins, c'est ce que j'essayais de faire, Madame. Au revoir, Madame. Au revoir à tous.
LES PROFS (en chœur) - Au revoir, Carine.
DIRECTRICE - Revenons à nos saumons…euh ! …moutons…Enchaînons, Madame Boulier.
BOULIER – Noret. De très bons résultats et c’est un comédien né. Une bonne recrue pour le théâtre, Natacha ?
LAFOSSE – Si ce n’est qu’il fait trop de grimaces. Il imite De Funès, son idole. Je préfère un peu plus de sobriété.
DIRECTRICE – A propos, où en êtes-vous dans vos répétitions pour le festival international ?
LAFOSSE – Au début, Madame, au tout début, même. Ils n’étudient pas leur texte, comme d’habitude. Ils pensent que nous neutraliserons la dernière semaine de cours, comme nous avons dû le faire l’an dernier.
DIRECTRICE – Cette année, s’il le faut, nous neutraliserons les deux dernières semaines.
TOUS (sauf Renard, en chœur) – Quoi ?
DIRECTRICE – Il n’y a pas de « quoi ?». L’année dernière, nous avons eu droit à une standing ovation mais nous avons dû partager le premier prix avec les petits Suisses. Cette fois-ci, je veux la standing ovation et la victoire sans partage. J’espère que je me fais bien comprendre, Madame Lafosse.
LAFOSSE (indignée) – Mais, Madame !
DIRECTRICE – Il n’y a pas de « mais » qui tienne.
LAFOSSE – La pièce n’est même pas suffisamment comique.
DIRECTRICE – Ecrivez vous-même quelques scènes supplémentaires. En tant que professeur de français, vous en êtes capable; du moins si vous n’avez pas eu votre diplôme dans une boîte de lessive bien connue.
PETIT (scandalisée) – Madame, vous outrepassez vos droits.
DIRECTRICE – Je n’outrepasse rien, Madame. Je veux simplement garantir la survie de notre école.
PETIT – En faisant travailler cette petite comme une malheureuse.
LAFOSSE – C’est vrai, ça. Je n’en sors plus, Madame. Ils veulent tous faire du théâtre : les petits, les moyens, les grands, les timides comme les trop francs. J’en ai une petite centaine au total. Je n’en sors plus. J’ai un horaire complet en français et en histoire, pas en art dramatique.
DIRECTRICE – Je ne vous demande pas de faire du dramatique mais du comique. Je veux voir les spectateurs pleurer mais pleurer de rire, seulement.
LAFOSSE – Si vous croyez que c’est facile. En plus, nous sommes programmés à vingt et une heures. Nos acteurs ne sont que des adolescents. A cette heure-là, non seulement ils seront stressés mais en plus déjà fatigués.
DIRECTRICE – Nous leur ferons des piqûres.
TOUS (choqués, en chœur) – Oh !
RENARD – Du doping ?
DIRECTRICE – Des vitamines, deux piqûres quotidiennes pendant la dernière semaine.
GRENIER – Mais ils font du théâtre, pas le Tour de France !
DIRECTRICE – Je vous l’ai dit : je veux la victoire.
DUPONT – Mais on a déjà des évanouissements pour la cuti.
DIRECTRICE – Nous prendrons de petites aiguilles et, s’il le faut, nous les maintiendrons.
LAFOSSE (dans un état second) – Un croisement entre Hitler et Margaret Thatcher, on était en-dessous de la vérité, c’est entre Caligula et Lucrèce Borgia. Si seulement elle pouvait prendre tantôt une bonne trempe de son mari.
DIRECTRICE – Que dites-vous, Madame Lafosse ?
LAFOSSE (reprenant ses esprits) – Qu’en vous entendant, je suis fort marrie.
MARICHAL – Après le premier jour, ils vont détaler comme des lapins.
DIRECTRICE – Nous les garderons ici. Nous dirons aux parents que nous organisons des classes vertes.
PETIT – C’est de la séquestration.
DIRECTRICE – Tout de suite les grands mots. J’appelle ça un camp d’entraînement avant la compétition.
GRENIER – Vous avez de ces mots.
DIRECTRICE – Le chapitre est clos. La suite, Madame Boulier.
(Un temps. Ils se regardent tous, visiblement sous le choc.)
DIRECTRICE (sèchement) – La suite, Madame Boulier.
BOULIER (au bord des larmes) – Oui, Madame. Nutin : un petit échec en mathématiques. Mais il est de bonne volonté, il s’en sortira. Randour, le suivant, est dans le même cas.
DIRECTRICE – Accélérons, Madame Boulier.
BOULIER – Revard. Un gros échec en français et un petit en géographie.
LAFOSSE – Elle est faible et ne travaille pas à domicile. De plus, elle n’aura pas le temps de se rattraper, elle fait du théâtre. (Elle éclate en sanglots.)
PETIT – Chez moi, elle confond tout : les continents, les pays, les capitales. Elle croit dur comme fer que l’Australie est un continent, qu’on y trouve des mammouths et que Washington en est la capitale.
DIRECTRICE – Pourquoi des mammouths ?
PETIT – En histoire, elle a entendu parler des premiers hommes, des australopithèques.
D’australo à Australie, elle a vite fait l’amalgame.
BOULIER – Passons à Robert.
DIRECTRICE – Robert ?
BOULIER - C’est son nom. Elle s’appelle Martine Robert. Pas de problèmes pour elle : de bons résultats et un bon comportement.
GRENIER – Heureusement qu’elle ne fait pas de théâtre !
DIRECTRICE – Je vous en prie, Monsieur Grenier, n’en rajoutez pas.
GRENIER – Non, mais…
DIRECTRICE (sèchement) – Je vous ai dit que le chapitre était clos.
La suite, Madame Boulier.
BOULIER – Séverin : deux gros problèmes en anglais et en français.
GRENIER – Sa prononciation est catastrophique. Elle est brouillée pour toujours avec les accents toniques.
LAFOSSE (en sanglotant) – Chez moi, ils sont tout sauf toniques. On dirait des points. Elle n’ose aller ni vers la gauche ni vers la droite. Le son é ou è, pour elle, c’est du pareil au même. D’ailleurs, c’est l’ensemble des sons qui posent problème. Résultat des courses : une orthographe catastrophique. Il faudrait tout reprendre à zéro.
DUPONT – Et tu n’as pas le temps avec le théâtre.
DIRECTRICE (fâchée) – Monsieur Dupont, je le dis et je le répète : le chapitre est clos, définitivement clos.
RENARD – Mais, Madame…
DIRECTRICE – Il n’y a pas de « mais », ne vous mêlez pas de ce qui ne vous regarde pas.
RENARD – Dans ce cas, permettez-moi de quitter ce conseil de classe en guise de protestation. (Il se lève.) Au revoir.
TOUS (lentement en s'interrogeant du regard, sauf la Directrice) – Au revoir, Monsieur Renard. (Il sort.)
PETIT – Je crois que nous allons en faire autant, Madame.
DIRECTRICE – Quoi, une mutinerie ?
LAFOSSE – C’est ça, vous nous ferez mettre aux fers ou peut-être même pendre au grand mât.
MARICHAL – Si pas jeter en pâture aux requins !
DIRECTRICE – Votre attitude est inqualifiable.
BOULIER – La vôtre également, Madame. Notre départ ne pose aucun problème : il ne restait que trois élèves à citer et leurs résultats sont brillants. Venez, chères collègues.
(Elles se lèvent et quittent silencieusement le local.)
DIRECTRICE – Faites rentrer immédiatement les autres. (Ils sont tous sortis, elle fulmine.)
Je ferai des rapports, je vous écraserai comme de la vermine.(Les quatre autres rentrent.) Prenez place. Je m’absente deux petites minutes, le temps de donner un coup de téléphone. (Ils s’assoient tandis qu’elle se lève.)
PETIT (rentrant d’un pas décidé) – Madame, certaines choses peuvent nous exaspérer dans la vie. Mais, en aucun cas, cela ne peut justifier qu’on adopte un comportement inadmissible
avec des personnes qui ont le seul tort de se trouver devant vous au mauvais moment.
Réfléchissez-y, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! (Elle sort.)
DIRECTRICE (après un temps et sans prêter attention aux autres qui se sont assis) – Elle a peut-être raison, et tout ça à cause d’un vulgaire mari (Elle se rend compte qu’ils sont là et qu’ils l’observent.)… d’un vulgaire mardi (Elle insiste.)…mardi…d’un vulgaire mardi de conseil de classe. Je hais les conseils de classe le mardi. Veuillez m’excuser, j’en ai pour deux petites minutes. (Elle sort.)

SCENE 6 (SIMON, DEGROOTE, LEGROS, VINCENT, puis MADAME DURIEUX)

DEGROOTE – Mais nous ne sommes pas mardi! Vous ne trouvez pas qu’elle est bizarre en ce moment ?
VINCENT – Et qu’elle tient des propos incohérents ?
SIMON – Vous avez vu la tête des autres en sortant ? Il a dû se passer quelque chose.
LEGROS – Vous avez compris ce qu’ils disaient, vous ? Non seulement, on n’a pratiquement pas eu le temps d’échanger quelques mots mais, en plus, ils parlaient tous en même temps.
DEGROOTE – J’ai cru comprendre qu’on allait organiser des classes vertes pendant la semaine qui précède le festival de théâtre.
VINCENT – Le moment ne me paraît pas tellement bien choisi.
SIMON – C’est un euphémisme. Elle qui attache tant d’importance au festival international.
LEGROS – Et puis, elle avait décidé, il y a trois ans, après avoir passé une nuit entière à chercher deux élèves, que nous n’en organiserions plus jamais.
DEGROOTE – Oui, mais c’est surtout à cause du feu de camp.
VINCENT – Oui, quand toute la ferme a brûlé.
SIMON – Pour toute, c’était toute : l’habitation particulière et toutes les dépendances.
LEGROS – Tout est parti en fumée : sa maison, la porcherie, l’étable, la paille.
DEGROOTE – Si on n’avait pas été bien assuré, il s’y retrouvait, sur la paille.
VINCENT – Même ainsi, il y a laissé de fameuses plumes.
SIMON – Tu parles ! on n’a rien retrouvé non plus de la basse-cour.
DEGROOTE – Dans un cas pareil, même assuré, on est toujours perdant.
LEGROS – Merci, c’est gentil !
DEGROOTE – Quoi, c’est gentil ?
LEGROS – C’est parce que je suis également assureur que tu dis ça ?
DEGROOTE – Pas du tout. Mais tu es bien placé pour savoir que les compagnies ne sèment pas l’argent à tout vent. Elles s’y retrouvent d’abord, avoue-le.
LEGROS – Mais non, mais non, tu exagères !
VINCENT – Tu manques de franchise pour un assureur.
SIMON – C’est un comble ! Au fait, vous avez compris quelque chose avec cette histoire de piqûres ? Ils ont pourtant déjà fait la cuti.
VINCENT – Je crois qu’il était question d’en faire pendant un camp d’entraînement pour le Tour de France mais je ne sais pas si j’ai bien tout saisi.
LEGROS – Elle débloque.
DEGROOTE – Entre la randonnée pour nos élèves cyclotouristes organisée par Meurant et le Tour de France, il y a une fameuse différence.
VINCENT – Elle t’a parlé de quelque chose, François, pour l’organisation du voyage de fin d’année ?
SIMON – Pas du tout mais je suis partant pour un Tour de France gastronomique ou pour une route des vins. Je me vois déjà faire tout le Bordelais puis la vallée du Rhône.
DEGROOTE (étonné) – En vélo ?
SIMON – En voiture ! Tu m’as déjà bien regardé ? Moi, les Côtes du Rhône, je ne les monte pas, je les descends ! (Il fait semblant de boire.)
LEGROS – Mais ça ne pourrait jamais marcher. Même si ça n’était qu’un mini-tour d’une semaine par exemple, les parents n’accepteraient jamais.
DEGROOTE – A raison ! On ne pourrait jamais le proposer à un prix démocratique.
VINCENT – On lui a peut-être alloué un budget extraordinaire.
SIMON – Tu crois encore au Père Noël, après toutes les restrictions de ces dernières années.
LEGROS – Tu as raison. Arrêtons de rêver. (Un temps.)
DEGROOTE – Nous ne sommes que quatre. Je suppose que nous n’en aurons pas pour longtemps.
VINCENT – Cinq avec Renard. Il doit revenir en principe.
SIMON – En tout cas, il marchait drôlement vite dans le couloir.
VINCENT – Et apparemment fâché, lui aussi, alors qu’il est toujours souriant.
SIMON – Il a dû se passer quelque chose de bizarre, tout le monde avait une tête d’enterrement.
VINCENT – Eh bien! nous irons tous aux funérailles.
LEGROS (se levant) – Venez tous, Mesdames et Messieurs les professeurs, nous vous invitons à l’enterrement de vos dernières illusions.
SIMON – L’enseignement vient de mourir, Mesdames et Messieurs, après une lente, longue et pénible agonie. Les assassins sont activement recherchés et l’enquête semble conduire vers les milieux politiques. (Legros se rassoit.)
DEGROOTE (ironique) – Tu en es sûr ? Ce serait vraiment très, très étonnant, très bizarre.
VINCENT (imitant Louis Jouvet) – Vous avez dit « bizarre », Monsieur Degroote, comme c’est bizarre !
DEGROOTE (même imitation) – Moi, j’ai dit « bizarre » ? Comme c’est bizarre !
LEGROS – Quand c’est politique, on ne trouve jamais. A moins que l’assassin ne se trouve parmi nous, parmi nos élèves, même.
VINCENT – Tu as des soupçons ?
LEGROS – Oui, bien sûr. Le commanditaire est chez nous : c’est Bonnet.
SIMON – Le gros Bonnet ?
LEGROS – Précisément : le gros Bonnet. Dans ces histoires-là, il y a toujours un gros bonnet.
VINCENT – Allez ! fin de la chronique policière, c’est trop sinistre.
DEGROOTE (regardant sa montre) – Deux petites minutes…c’est bien ce qu’elle nous a dit.
LEGROS (essayant d’imiter Lafosse) – Comme dirait Natacha, elle est encore en retard la vieille peau. (Elle rentre à ce moment-là, ils se lèvent.)
TOUS (en chœur) – Madame la Directrice.
DIRECTRICE (visiblement toujours fâchée) – Restez assis, je vous en prie.
(Ils se rassoient.) Allons-y, Monsieur Simon.
SIMON – On commence avec Allard, Madame la Directrice. Rien de spécial à en dire. Ses résultats sont satisfaisants, son comportement également.
DEGROOTE – Mais il ne participe pas suffisamment.
LEGROS – Si on commence à faire ce genre de remarque, on sera encore là à deux heures du matin. On a déjà suffisamment de mal avec ceux qui sont trop bavards ou qui perturbent de manière agressive les cours.
VINCENT – Tu as raison, Michel. Ne voyons pas de problèmes là où il n’y en a pas.
DEGROOTE – Il participe, chez toi, en anglais ?
LEGROS – Pas spécialement mais je n’en fais pas un plat.
DIRECTRICE – Passons au suivant. Je ne tiens pas à m’éterniser non plus aujourd’hui.
VINCENT (étonnée) – Ce n’est pas dans vos habitudes, Madame !
DIRECTRICE (sèchement) – Disons que je tiens simplement à rentrer plus tôt, n’en faisons pas un fromage.
DEGROOTE – Comme dirait un corbeau que nous avons tous bien connu.
SIMON – A propos de corbeau, que devient Monsieur Renard ?
VINCENT – Il boit à la fontaine.
DIRECTRICE – Ne fabulez pas, Madame Vincent, il a simplement préféré repartir chez lui.
DEGROOTE – Et apparemment de méchante humeur, lui d’ordinaire si affable.
VINCENT – Comme dirait La Fontaine.
SIMON – Sans compter que nous nous réunissons sans prof de morale.
DEGROOTE – Mais Madame Carlier a l’air également très affable.
DIRECTRICE (joignant les mains) – Ecoutez, Dieu sait si j’ai la chance de compter dans mon établissement des professeurs à l'esprit très alerte mais ne croyez-vous pas qu’avec moins de jeux de mots, nous irions un peu plus vite ?
SIMON – Si, mais en apparence seulement. Le lièvre est réputé bien plus rapide que la tortue. Vous connaissez pourtant la suite.
DIRECTRICE – La suite, je l’attends, Monsieur Simon, sans vouloir vous faire…la morale.
SIMON (souriant) – Vous avez l’air de meilleure humeur, Madame.
DIRECTRICE – Que voulez-vous dire par là, Monsieur Simon ?
SIMON (embarrassé) – Euh…rien . Baquet : un échec…dans chaque branche.
DEGROOTE – Mais que fait-elle à ce niveau ?
LEGROS – Et ses absences ! Il n’y a que dans ce domaine qu’elle soit brillante.
VINCENT – Elle ne comprend rien. C’est comme si on lui parlait dans une langue étrangère.
LEGROS – Mais très étrangère, parce que l’anglais, c’est du patois chinois, pour elle, et en plus, elle l’articule comme une vache espagnole.
DEGROOTE – Et ça t’émeut ?
VINCENT (en aparté) – Meu !
SIMON – Ne soyez pas vache avec elle.
DIRECTRICE – C’est si grave que cela ?
LEGROS – C’est gravissime, Madame.
DEGROOTE – Mais que fait-elle à ce niveau ?
DIRECTRICE – Nous déciderons après les examens. Il faudra sans doute la réorienter.
DEGROOTE – Sûrement ! Quand on lui parle des points cardinaux, elle croit qu’on lui parle de religion.
VINCENT – Mais avec les garçons, ce n’est pas une petite sainte.
SIMON – Là, au moins, elle ne perd pas le nord.
LEGROS – Oserais-je dire que c’est son pôle d’attraction.
SIMON – Ose. Nous arrivons à Blaireau, Madame la Directrice...
LEGROS (vivement) – Celui-là, je ne peux pas le blairer.
SIMON – Un échec en anglais.
DEGROOTE (prenant un air dégoûté) – C’est vrai qu’il est désagréable.
DIRECTRICE – J’ai reçu un coup de téléphone des parents. Ils se plaignent, Monsieur Legros, de l’ostracisme dont vous faites preuve à l’égard de leur fils.
LEGROS (toujours aussi vivement) – Ostracisme ? Ostracisme ? Mais que je n’aime pas ce garçon ! Et d’abord, qu’est-ce que ça veut dire « ostracisme » ? Qui leur apprend des mots pareils ?
SIMON – C’est moi, en histoire.
LEGROS – Tu deviens fou ?
SIMON – Pas du tout. C’est dans le programme.
LEGROS (fâché) – Ah ! parce que tu leur enseignes ce que demande le programme, toi !
Et après on s’étonne d’avoir des problèmes avec les parents ! Ils n’ont qu’à mieux s’occuper de l’éducation de leur fils, ceux-là ! (Il joint les mains.) Ah ! les gens !
DIRECTRICE – Et que faut-il leur répondre à ces gens ?
LEGROS - Qu’ils viennent à la réunion de parents ! Je leur montrerai les interrogations de leur fils, ils verront si je fais preuve d’os machin chouette.
DEGROOTE – D’ostracisme.
LEGROS – Ostracisme ! Ostracisme ! Mais que je n’aime pas ce garçon ! (se tournant vers Simon) Et toi, parle-leur des Ostrogoths plutôt que d’ostratruc !
VINCENT – D’ostracisme.
LEGROS – C’est ça, d’ostracisme ! Mais que je n’aime pas ce garçon !
DIRECTRICE (consternée) – Mais c’est pire que Bossemans et Coppenolle !
LEGROS – C’est qui, ceux-là ? Ils ne sont pas élèves chez nous !
DIRECTRICE (ironiquement) – Pas plus que Mademoiselle Beulemans, d’ailleurs. Elle est déjà en âge de se marier. Refermons la parenthèse.
DEGROOTE – C’est ça ! Nous avons eu la thèse des parents, nous aurons celle de Michel à la prochaine réunion.
LEGROS – Dites ! vous ne pourriez pas me prêter un vélo pour que je suive la conversation ?
DIRECTRICE (ironiquement) – Pour cela, il faudrait que vous vous intéressiez au théâtre et que vous ayez vécu, comme moi, quelques années à Bruxelles, Monsieur Legros. Enfin, peu importe ! Allons-y, Monsieur Simon !
SIMON – Nous arrivons à Bonnet.
VINCENT (insistant) – Le gros Bonnet.
DEGROOTE – Le commanditaire.
DIRECTRICE (étonnée) – Le commanditaire ?
SIMON (réalisant) – Ah, oui ! le commanditaire. (Rires des profs)
DIRECTRICE (visiblement très fâchée) – Puis-je savoir de quoi il s’agit ?
DEGROOTE – Ce ne sont que des bêtises, Madame.
DIRECTRICE – Je m’en doute. Vous êtes des spécialistes en la matière.
VINCENT (vexée) – Merci ! Mais par commanditaire, il faut comprendre « instigateur », l’instigateur des mauvais coups, c’est lui !
DEGROOTE – Et il ne se fait jamais prendre, évidemment !
SIMON – Plus hypocrite que ça, tu meurs !
LEGROS (tout sourire et en insistant sur le mot "ostracisme ") – Voyons, François, ne fais pas preuve d’ostracisme. (Rires des autres profs, la directrice s'énerve de plus en plus.)
DEGROOTE – Tu as enfin intégré ce mot dans ton vocabulaire, bravo !
LEGROS (ravi) – Ah ! ça fait du bien !
VINCENT – Donc, Madame, si vous nous avez bien compris : ce Bonnet, nous ne réussissons jamais à lui faire porter le chapeau.
DIRECTRICE (sèchement) – J’ai bien compris. Enfin ! faites en sorte de le coincer. En attendant, je le verrai pour lui expliquer que nous avons vu clair dans son petit jeu.
SIMON – Surtout que c’est le suivant, Coupez, qui se fait sanctionner à sa place. Il est tellement bête qu’il fait tout ce que Bonnet lui suggère.
VINCENT – Les basses besognes, et c’est vrai qu’il est bête.
DEGROOTE – Mais que fait-il à ce niveau ?
LEGROS – On se le demande tous et sans faire d’ostracisme à son égard, je dirai que je n’aime pas ce garçon. (toujours ravi et insistant encore sur le mot « ostracisme » )
DIRECTRICE – Et jusqu’où sa bêtise va-t-elle ?
SIMON - Sept échecs.
DEGROOTE – Et il va faire la course avec Baquet pour l’égaler.
VINCENT – En voiture, alors, et dans un siège baquet. (Tous se mettent à rire.)
LEGROS – Il faut vous expliquer, Madame, qu’il a un seul centre d’intérêt : les voitures.
SIMON – D’ailleurs, je ne sais pas s’il l’a fait exprès mais, dans une expression écrite, il a cité « Jean de Florette », d’un certain Marcel Bagnole. Marcel Bagnole, on aura tout vu !
DIRECTRICE (consternée) – Bon ! nous avons fait le tour du Salon de l’auto. Passons au suivant.
SIMON – Le suivant ne roule plus en coupé mais carbure à la super. Il s’agit de Draguet. C’est un excellent élément et, avec son nom, toutes les filles de la classe sont bien entendu folles de lui.
DIRECTRICE (irritée) – Bien entendu.
SIMON - Passons à François : des résultats très moyens et un gros problème chez moi, en histoire. Il semble incapable de comprendre la chronologie. Je vous cite de mémoire sa réponse à la question « Qu’est-ce qu’un siècle ? » : c’est une année tellement longue qu’elle dure cent ans.
DEGROOTE – Donc, la guerre de cent ans n’a duré qu’une grosse année pour lui ?
SIMON – Dans sa logique chronologique, sûrement ! Dans le même registre, 3 000 avant J.-C., pour lui, cela devient 3 000 avant Jules César. Et il croit dur comme fer qu’Astérix et Obélix ont réellement existé. Mais, pour revenir à Jules César, auteur de « La guerre des Gaules », cela évoque pour lui le championnat de football.
LEGROS – Et là, je parie qu’il sait qu’un match dure nonante minutes.
DIRECTRICE – Dans l’autre classe, il y a déjà un spécimen comme lui qui a un ballon à la place du cerveau. Et il joue ?
SIMON – Bien entendu.
DIRECTRICE – Ne me dites pas qu’il joue aussi à l’extérieur ?
SIMON – Non, en salle seulement. Monsieur François a horreur de se salir.
DIRECTRICE (rectifiant, irritée) – Quand je disais « à l’extérieur », je parlais de sa place. Enfin, bref ! au suivant !
SIMON – Au féminin pluriel, car les trois suivantes, Grisselin, Hourez et Jaumain sont trois bonnes élèves.
DIRECTRICE – Cela fait plaisir à entendre.
SIMON – Nous arrivons à Lhoir.
DIRECTRICE (très énervée) – Je parie que vous allez me dire qu’il dort comme l’animal du même nom, qu’il hiberne et toutes vos bêtises habituelles. Au suivant !
(Un temps. Tous s’interrogent du regard.)
SIMON – Malaise.
DIRECTRICE – Et celui-là, il s’évanouit régulièrement pendant les cours, je suppose ? Bref ! il nous fait régulièrement un petit malaise.
(Un temps. Les profs sont silencieux. Elle se lève.) Alors, vous ne dites plus rien ? Vous avez l’air mal à l’aise. (Elle savoure son effet.) Continuons, Monsieur Simon, je n’ai pas que cela à faire, moi ! (Elle se rassoit. Un temps.)
SIMON – Noisier fait pratiquement le maximum dans chaque branche. Elle est de loin la plus brillante de nos élèves.
DIRECTRICE (ironiquement) – Fait-elle du théâtre, cette charmante enfant ?
DEGROOTE – Hélas, non, Madame !
DIRECTRICE (même jeu) – Comme c’est dommage !
DEGROOTE – C’est surtout dommage pour Madame Lafosse, elle n’a pas forcément que des pur-sang dans son écurie.
DIRECTRICE – Mais elle nous gagnera le Grand Prix, vous verrez !
LEGROS – Nous l’espérons tous, Madame.
VINCENT – A propos, Madame, est-il vrai que nous organiserons des classes vertes la semaine précédant le festival ?
DIRECTRICE (étonnée) – Il n’a jamais été question de ça, les dernières ont coûté assez cher comme ça.
LEGROS (rassuré) – Je me disais aussi.
SIMON (intéressé) – Puis-je contacter mon agence habituelle pour organiser un petit tour de France d’une semaine environ ?
DIRECTRICE (ouvrant de grands yeux) – Mais où avez-vous la tête, Monsieur Simon ?
Pensez-vous que nous avons gagné au lotto ?
LEGROS – Je me disais aussi.
SIMON – J’avais cru comprendre…
DIRECTRICE – Comprendre qui ? Et croire qui ? Descendez du traîneau du Père Noël. Vous vous contenterez d’un jour…à Paris, je suppose, comme d’habitude ?
SIMON (déçu et articulant péniblement) – Oui, comme d’habitude ! Et nous passerons par Versailles.
DEGROOTE – Allez, tu l’auras ta vie de château !
VINCENT – Et tu salueras le Roi Soleil de notre part.
LEGROS (tout sourire) – Il se croit victime d’un ostracisme, Madame.
(Tous rient, sauf Madame Durieux.)
DEGROOTE – Et le camp d’entraînement, Madame ?
DIRECTRICE (fâchée) – Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Meurant fait de l’athlétisme avec ses élèves ? C’est bien la première fois qu’il fait quelque chose, cet olibrius !
DEGROOTE (choqué) – Madame ! vous n’avez pas le droit ! Monsieur Meurant n’est pas là pour se défendre.
VINCENT – C’est vrai, ça ! C’est trop facile !
LEGROS – Mais, expliquez-nous, alors Madame. Nous n’avons pas rêvé. C’est quoi, cette histoire de camp ?
DIRECTRICE (très fâchée et se levant pour arpenter la scène) – Mais vous m’embêtez tous à la fin avec vos questions ! Gardez vos élucubrations pour vous ! Tout irait bien mieux si vous ne pensiez pas continuellement à faire des voyages ou à partir en congé. Travaillez, bande de fainéants, au lieu de faire de l’humour comme des débiles !
LES PROFS (scandalisés) – Oh ! (Ils se lèvent.)
DEGROOTE – Cette fois, c’en est trop !Vous le finirez seule, votre conseil de classe.
VINCENT – Comme vous décidez tout toute seule, vous ne serez pas dépaysée.
(Ils se dirigent vers la porte.)
DIRECTRICE (fulminant) – Revenez ! je ferai des rapports !
LEGROS – Fais-les, salope ! (Ils sortent.)
DIRECTRICE (au bord de la crise de nerfs, hurlant) – Sales profs ! Minables ! Débiles ! vous m’entendez ? Débiles !
LEGROS (revenant et ressortant aussitôt) – Salope !
DIRECTRICE (hurlant toujours) – Débile !