L'année sabbatique

Michel, médecin de son état, n’en peut plus. Il décide de prendre une année sabbatique sans avoir au préalable consulté Evelyne, son épouse, propriétaire d’un petit hôtel où vient de débarquer sans crier gare[PD1]  et déguisé en curé Pierre, son amant. Celui-ci va croiser Colette, agoraphobe et hypochondriaque, qui a réservé 5 chambres pour ne pas avoir de voisins dérangeants. Elle est évidemment ravie de retrouver Michel même si celui-ci qui ne veut plus entendre parler de médecine la prend aussitôt…en grippe. La situation, difficile à gérer pour Evelyne, va encore se compliquer quand le faux abbé Pierre va voir arriver à l’hôtel une vraie religieuse, sœur Angèle. Michel, de son côté, pour échapper au stress, a pris la mauvaise habitude de s’adonner à une drogue qui lui procure un effet de détente important…

 [PD1]

Fiche

Année
2018
Production
Compagnie des Sources, Péruwelz

Extrait

ACTE 1

 

SCENE 1

EVELYNE, PIERRE et MARIE

 

(Au lever du rideau, les spectateurs découvrent un curé dansant et chantant sur une musique entraînante.)

EVELYNE, rentrant et coupant la radio. – Tu as eu de la chance que ce n’était pas moi à la réception.

PIERRE, la suivant. – Tu ne m’aurais pas donné une chambre ?

EVELYNE. – Non, Pierre. En plus, tu arrives déguisé en curé.

PIERRE. – Mais, Evelyne, ma chérie, je croyais que tu aimais les déguisements.

EVELYNE. – Seulement quand nous sommes dans l’intimité.

PIERRE. – Hm ! J’espère que nous pourrons connaître de tels moments ici.

EVELYNE. – Tu rêves : je ne prendrai jamais ce genre de risques et c’est un hôtel sérieux.

PIERRE. – Hôtel sérieux mais petit.

EVELYNE. – Petit certes mais hôtel quand même, mon hôtel.

PIERRE. – Il n’y a que huit chambres dont certaines sont inoccupées, la réceptionniste me l’a dit.

EVELYNE. – Elle n’a pas à faire de commentaires la réceptionniste, surtout qu’elle n’est pas que réceptionniste, la réceptionniste.

MARIE, rentrant. – Je reviens parce que j’ai oublié la liste des courses.

EVELYNE. – Comme c’est étonnant, Marie. Vous les cumulez encore aujourd’hui.

MARIE. – Vous dites ça parce que j’ai oublié de monter le petit-déjeuner de la chambre six ?

EVELYNE. – Entres autres, oui.

PIERRE. – Ce n’est pas un péché très grave.

MARIE, souriant. – En tout cas pas assez pour me confesser. Et pourtant, il faudrait. Vous ne devinerez jamais que…

EVELYNE. – Je ne tiens pas à entendre l’énumération de vos frasques. (Marie regarde ses vêtements.) Non, cela ce sont vos fringues. Vos frasques…

PIERRE. – Disons que ce sont vos péchés.

MARIE, souriant à nouveau. – Un jour à l’église, je…

EVELYNE. – Je me moque de ce qu’il s’est passé à l’église. Allez remettre la main sur votre liste.

MARIE. – Où l’ai-je mise ? Où étions-nous quand vous me l’avez dictée ?

EVELYNE. – Dans la cuisine.

MARIE. – C’est juste et elle n’était pas longue. Je vais voir si je la retrouve sinon vous me la redicterez. Vous aimez bien me dicter…

EVELYNE. – Je me passerai de vos remarques. Filez et retrouvez cette liste.

MARIE. – Bien, Madame. (Elle sort.)

EVELYNE. – Elle n’arrête pas de faire des commentaires.

PIERRE. – Effectivement et c’est comme ça que je sais que certaines chambres sont libres.

EVELYNE. – Parce qu’une cliente a loué les 4 du deuxième étage et celle du premier qui se trouve en-dessous de la sienne.

PIERRE. – Pour elle toute seule ? Pourquoi ?

EVELYNE. – Parce qu’elle a peur, Pierre.

PIERRE. – Peur de quoi ?

EVELYNE. – Michel m’a dit qu’elle était agoraphobe.

PIERRE. – Agoraphobe ?

EVELYNE. – Des gens ont des peurs, des phobies. Chez elle, c’est la peur de la foule.

PIERRE. – Jamais entendu parler de ça.

EVELYNE. – Eh bien ça existe.

PIERRE. – Si c’est Michel, ton médecin de mari qui l’a dit, faisons-lui confiance.

EVELYNE. – Et si mon médecin de mari te trouve ici, cela fera des étincelles. Alors, repars.

MARIE, revenant. – Je repars.

EVELYNE. – C’est ça et faites diligence.

MARIE. – Faites diligence ?

EVELYNE. – Faites vite. Vous ne savez pas ce que c’est que faire diligence ?

PIERRE. – La diligence était souvent attaquée par les Indiens. Si vous voyez des flèches, baissez donc la tête.

MARIE. – Pourquoi est-ce que je baisserais la tête ? (Puis en aparté.) Il n’a pas toutes les frites dans le même paquet, celui-là.

EVELYNE. – Allez-y tête baissée ou droite mais allez-y maintenant.

PIERRE. – Et sans crainte : chez nous, les Indiens sont une espèce en voie de disparition.

MARIE, le dévisageant. – C’est comme les curés.

EVELYNE, choquée. – Oh ! Mais arrêtez de faire des commentaires. Vos courses vous attendent.

MARIE. – Je serai vite revenue : la liste est petite donc je mets le cap sur l’épicerie de Fernande. Vous savez ce que chante toujours son mari ? (Elle commence à chanter.) Quand je pense à Fernande, je…

EVELYNE, sèchement. – …bande tous mes muscles pour courir vers l’épicerie. Sortez.

PIERRE, en aparté. – Moi, ce ne sont pas tous mes muscles, un seul suffit.

EVELYNE, même jeu. – Sortez sinon je vous mets à la porte.

MARIE. – Mais c’est deux fois la même chose, vous ne savez plus ce que vous dites.

EVELYNE, même jeu. – Comment ça je ne sais plus ce que je dis ?

MARIE. – Non : sortir et être à la porte, c’est la même chose.

PIERRE. – Allez, on se calme. Partez maintenant, Fernande vous attend.

MARIE. – Oui, à cette heure-ci, il n’y aura pas foule. Heureusement, d’ailleurs, parce que je n’aime pas quand il y a beaucoup de monde.

PIERRE. – Donc, ça tombe bien, vous saluerez les autres agoraphobes pour nous.

MARIE, perplexe. – Les quoi ? Comment savez-vous qu’ils ont des chats angoras ?

PIERRE. – Je ne vous parle pas de chats angoras, je vous parle des agoraphobes.

EVELYNE. – Et je vous expliquerai plus tard ce que c’est. Pour la dernière fois, sortez.

MARIE. – Oui, parce que je n’ai pas tout compris…surtout la fin avec les chats angoras de Fernande. (Elle sort.)

 

SCENE 2

EVELYNE et PIERRE

 

EVELYNE. – Ouf ! Elle est enfin sortie. Et toi, repars, je ne veux pas que Michel te trouve ici.

PIERRE. – Ton Michel ne sait même pas que j’existe.

EVELYNE. – Mais il a des doutes, je sens qu’il pense que j’ai un amant.

PIERRE. – Il ne pensera jamais qu’il est ici déguisé en abbé. Ainsi habillé, je suis l’abbé Pierre. (Il sourit.)

EVELYNE. – Cela ne me fait pas rire, il remarquera très vite que tu n’es pas un vrai abbé… Pierre.

PIERRE. – Je donnerai le change : je suis bon comédien.

EVELYNE. – S’il te pose des questions sur la religion, tu resteras le bec dans l’eau.

PIERRE. – Plutôt dans le vin de messe. Mais pourquoi me poserait-il des questions ?

EVELYNE. – Parce qu’un curé à l’hôtel, ce n’est pas courant. Depuis dix ans, tu es le premier.

PIERRE. – Il faut toujours un premier et un curé en vacances, ça existe.

EVELYNE. – Sûrement mais ce n’est pas courant surtout dans un hôtel où il y a déjà une agoraphobe doublée d’une hypochondriaque.

PIERRE. – Une hypochondriaque ?

EVELYNE. – Oui, c’est moins connu qu’un hippopotame mais en Europe, on en croise.

PIERRE. – Hypochondriaque : qu’est-ce que c’est pour une bête ?

EVELYNE. – Quelqu’un qui a toujours peur d’être malade et qui, au moindre symptôme, croit être malade.

PIERRE. – Ah oui, je dois avoir vu un film là-dessus mais comment le sais-tu ? Elle te l’a dit ?

EVELYNE. – En cinq minutes, j’étais fixée : elle m’a parlé de la propreté de la chambre, que si elle n’était pas impeccable, elle allait tomber malade.

PIERRE. – On peut s’en inquiéter sans pour autant être…

EVELYNE. – Hypochondriaque ? Si. Elle a enchainé avec les acariens, qu’elle était allergique tout comme aux poils de chat, au gluten, au lactose et au pollen, entre autres.

PIERRE. – Et en parler, ça suffit pour être…

EVELYNE. – Hypochondriaque ? Oui, en cinq minutes, je n’ai entendu parler que de maladies.

 

SCENE 3

EVELYNE, PIERRE et MICHEL

 

MICHEL, rentrant en téléphonant. – Oui, vieux, je ne veux plus entendre parler de maladies, je prends une année sabbatique qui débute aujourd’hui…Ce que je vais faire ? Donner un coup de main à Evelyne. D’ailleurs, j’arrive à l’hôtel…Oui, je sais qu’il est petit…

PIERRE, en aparté. – Je ne suis pas seul à le dire.

EVELYNE, en aparté. – Une année sabbatique ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

MICHEL, même jeu. – Mais ce n’est pas parce qu’il est petit qu’il n’y a rien à y faire.

EVELYNE, même jeu. – Rien à y faire ? Je n’ai pas besoin d’aide.

MICHEL, même jeu. – Non, peut-être pas la cuisine sinon je risque d’empoisonner les clients.

EVELYNE, même jeu. – Et m’empoisonner l’existence par la même occasion.

PIERRE, même jeu. – Je prierai pour les défunts…puisque je suis curé.

MICHEL, même jeu. – Pas non plus du bricolage sinon je vais me taper sur les doigts, devoir aller aux urgences et je ne veux plus entendre parler de l’hôpital…

PIERRE, même jeu. – Je peux prier aussi pour les malades et les blessés.

EVELYNE, même jeu. – Oh que si ! Tu vas retourner y faire des consultations, mon gaillard, parce que, avant de prendre une année sabbatique, tu aurais pu me…consulter.

MICHEL, même jeu. – Je ne veux plus consulter ou ausculter. Oui, je raccroche pendant un an…minimum et je raccroche même tout court. Salut, vieux.

EVELYNE. – Vieux mais toi, tu ne l’es pas encore au point de prendre une année sabbatique.

MICHEL. – Evelyne, ma chérie, je t’ai dit plus d’une fois que j’étais au bord du burn-out…

EVELYNE. – Mais que vas-tu faire ?

MICHEL. – D’abord souffler… mais très peu de temps puis t’aider ici à l’hôtel.

EVELYNE. – Je n’ai pas besoin d’aide.

MICHEL. – Mais si.

EVELYNE. – Mais non.

MICHEL. – Mais si.

EVELYNE. – Mais non.

MICHEL. – Je te dis que si.

EVELYNE. – Je te dis que non.

PIERRE. – Veuillez m’excuser mais si vous voulez jouer au ni oui ni non, cela ne me regarde pas, je retourne dans ma chambre.

EVELYNE. – Mais vous m’aviez dit, Monsieur le curé, que vous étiez de passage, que vous repartiez dès aujourd’hui. (Puis en aparté à Pierre.) Je t’interdis de rester.

PIERRE. – Eh bien, j’ai changé d’avis. Je vais rester quelques jours.

MICHEL. – Restez, je ne vous chasse pas, bien au contraire.

PIERRE. – Vous ne chassez pas le curé, c’est déjà une bonne nouvelle.

MICHEL. – J’aurais déjà du mal avec les animaux. Je les adore et tout spécialement les chats.

PIERRE, d’abord en aparté. – Il n’est pas angoraphobe. (Puis à Michel.) Mais plutôt que d’aller voir ceux de Fernande, je vais me retirer.

MICHEL. – Ceux de Fernande ?

EVELYNE. – Tu demanderas à Marie et comme elle est encore très distraite aujourd’hui, je vais vous accompagner, monsieur l’abbé, pour vérifier que votre chambre était bien prête.

PIERRE, réjoui. – Oh oui, accompagnez-moi. (A Evelyne en aparté en fredonnant « Déshabillez-moi » de Juliette Gréco). Et puis, déshabillez-moi, oui mais pas tout de suite, pas trop vite.

EVELYNE, d’abord en aparté à Pierre. – Inutile de te faire des illusions. (Puis à Michel.) Nous reparlerons plus tard de cette année sabbatique.

MICHEL. – Si tu veux mais c’est acté et je vais enfin respirer. A plus tard, monsieur l’abbé.

PIERRE. – A plus tard. (Ils sortent.)

MICHEL. – Voilà que je laisse ma femme se retrouver dans une chambre avec un homme. Un homme ? Mais non, Michel, pas d’alerte rouge : c’est un curé.

 

SCENE 4

MICHEL et COLETTE

 

COLETTE, rentrant. – Veuillez m’excuser, Monsieur, vous ne savez pas où je peux trouver une pharmacie ?

MICHEL, d’abord en aparté. – Pharmacie est un mot que je ne veux plus entendre.

COLETTE. – En sortant de l’hôtel, j’ai tourné à gauche et j’ai marché quelques minutes sans en voir.

MICHEL. – Si vous aviez tourné plutôt à droite, vous auriez trouvé ce que vous cherchiez.

COLETTE. – C’était la direction du centre donc de la foule, j’en ai horreur, je ne la supporte pas.

MICHEL, en aparté. – Moi, c’est toi que je ne supporte pas. Serait-ce l’agoraphobe dont m’a parlé Evelyne ?

COLETTE. – Je cherche une pharmacie parce que je crains de ne pas avoir assez d’anti-douleurs pour mes migraines.

MICHEL, même jeu. – Agoraphobe et hypochondriaque : deux raisons de ne pas la supporter.

COLETTE. – Depuis mon installation hier, je suis migraineuse. Il y a peut-être des acariens dans la literie. J’y suis allergique.

MICHEL. – Et chez vous, avez-vous mal à la tête ?

COLETTE. – Oui, très souvent.

MICHEL. – Et avez-vous des acariens ?

COLETTE. – Non, j’ai pris mes précautions : toute ma literie est adaptée. Et j’ai utilisé une lotion spéciale pour traiter tous les endroits où l’on peut s’asseoir.

MICHEL. – Donc aucun rapport entre vos migraines et les acariens mais je me limiterai là dans mes constats. (Puis en aparté.) Je suis en année sabbatique.

COLETTE. – Quand même, je me méfie.

MICHEL. – Ma femme sélectionne avec beaucoup de rigueur la literie.

COLETTE. – Votre femme ? Mais vous êtes médecin alors ? Elle m’a parlé de vous.

MICHEL, d’abord en aparté. – Eh bien, elle aurait mieux fait de se taire. (Puis à Colette.) Parlé de moi ? Je suis un mari on ne peut plus normal, vous savez.

COLETTE. – Mais non, pas normal. Quelle chance a votre femme !

MICHEL. – Ah bon ? Il faudra le lui dire parce qu’elle n’en est pas souvent persuadée.

COLETTE. – Avoir un mari médecin aux petits soins pour vous, le rêve.

MICHEL. – N’en parlons plus.

COLETTE. – Mais si, parlons-en au contraire. Donnez-moi votre avis : quelle pourrait être la cause de mes migraines ?

MICHEL. – Madame, je…

COLETTE. – Appelez-moi, Colette, docteur.

MICHEL. – Si vous le désirez…Colette, mais appelez-moi Michel alors, pas docteur.

COLETTE. – Mais pourquoi ?

MICHEL. – Parce qu’il n’y a plus de docteur, je…je suis en congé et pas en consultation.

COLETTE. – En congé ? Mais ça ne vous empêche pas de me donner votre avis.

MICHEL. – Si. J’ai parfaitement le droit de me taire. Et la liberté individuelle, qu’en faites-vous ?

COLETTE. – Et le serment d’Hippocrate, qu’en faites-vous ? Vous ne pouvez pas refuser de me soigner.

MICHEL. – Mais vous n’êtes pas malade.

COLETTE. – Si.

MICHEL. – Et moi, ouvrez bien grand vos oreilles : je vous dis que non.

COLETTE. – Parlons-en justement de mes oreilles : elles bourdonnent régulièrement. Vous croyez que c’est lié à mes migraines ?

MICHEL. – Je ne crois rien du tout. Je suis en congé.

COLETTE. – Mais pas délivré du serment d’Hippocrate.

MICHEL, en aparté. – Si seulement je pouvais être délivré… de ta présence, Colette.

COLETTE. – C’est pour la vie que vous avez prêté serment.

MICHEL, même jeu. – Et toi ton serment, c’est d’être emmerdeuse à temps plein ?

COLETTE. – Respectez-le sinon Hippocrate va se retourner dans sa tombe et viendra vous tirer les orteils pour vous empêcher de dormir.

MICHEL, même jeu. – Les histoires à dormir debout à présent, suite logique. Je vais l’étrangler.

COLETTE. – Alors docteur, votre diagnostic ?

MICHEL, même jeu. – Diagnostic, encore un mot que je ne veux plus entendre.

COLETTE. – Docteur, je vous en prie, aidez-moi à guérir, que dois-je faire ?

MICHEL, même jeu. – Ta prière parce que je ne vois que l’euthanasie…dont je vais me charger si tu continues.

COLETTE. – Docteur, c’est Dieu qui vous a placé sur mon chemin, je le sens.

MICHEL, même jeu. – Et moi, j’ai le nez complètement bouché.

COLETTE. – Docteur, ce chemin n’a été que souffrance jusqu’ici.

MICHEL, même jeu. – Des souffrances que je vais abréger mais ressaisissons-nous. (Se ressaisissant.) Plus jamais docteur, je vous l’ai dit mais Michel, Colette.

COLETTE. – Oui, pardon, Michel, que dois-je faire ?

MICHEL. – Migraines répétitives et oreilles qui bourdonnent : vous manquez de sommeil.

COLETTE. – Mais oui, je dors très mal. J’avais oublié de vous le dire.

MICHEL. – Donc je vous prescris une cure immédiate avec pour consigne de multiplier les siestes. Allez immédiatement vous reposer.

COLETTE. – Mais il est déjà passé 16 h. Vous ne croyez pas qu’il est un peu tard ?

MICHEL, péremptoire. – S’il n’est pas d’heure pour les braves, il n’en existe pas non plus pour la sieste. Courez vous reposer… (Puis en aparté.) avant que je ne vous étrangle.

COLETTE. – Vous…vous avez raison. Une sieste avant le dîner, cela me fera le plus grand bien. A tout à l’heure. (Elle sort.)

MICHEL. – A tout à l’heure (Elle est sortie.) mais le plus tard possible.

 

SCENE 5

MICHEL et MARIE

 

MARIE, revenant. – Et voilà, les courses sont faites : j’ai fait diligence et baissé la tête pour éviter les flèches.

MICHEL. – Il y avait des Indiens ?

MARIE. – Non ou alors ils étaient bien cachés. Vous avez vu ? Il y a un curé dans l’hôtel.

MICHEL. – Je l’ai croisé, oui.

MARIE. – Mais si vous voulez mon avis : il n’a pas toutes les frites dans le même paquet.

MICHEL. – Toutes les frites dans le même paquet ? En bon français, ça donne quoi ?

MARIE. – Il est particulier comme curé : il dit des choses bizarres.

MICHEL. – Ces gens-là parlent à Dieu, c’est forcément particulier.

MARIE. – Mais là, c’est à moi qu’il parlait et je ne suis pas une petite sainte. (Elle sourit.)

MICHEL. – Donc, n’étant pas au même niveau, vous n’avez pas forcément compris : c’est logique.

MARIE, souriant à nouveau. – Non, je suis beaucoup plus bas. Si vous saviez…

MICHEL. – Je ne veux pas savoir.

MARIE. – Mais je parle alors que j’ai des choses à ranger au frigo.

MICHEL. – Des denrées périssables.

MARIE, en aparté. – Des denrées ? Lui aussi il parle bizarrement. (Elle sort.)

MICHEL, soupirant. – Elle met la main à la pâte en cuisine mais elle n’a pas inventé le fil à couper le beurre. (Son portable sonne.) Allo ? Oui, lui-même… Madame Chapelle ? Un rendez-vous ? Comment ça un rendez-vous ?...Mais qui vous a donné mon numéro ? …La secrétaire ?... Madame Lacro ?...Elle aime bien les chocolats…Vous lui avez offert une boîte de chocolats pour avoir mon numéro ?... Mais c’est de la corruption…Non, je ne suis plus disponible ou alors le prochain rendez-vous et c’est sans garantie, ce sera dans un an…au revoir, Madame Chapelle. (Il raccroche.)

Non seulement, elle passe ses journées à se goinfrer de chocolat mais elle transmet mon numéro. Madame Lacro…Lacro au chocolat, oui.

MARIE. – Et voilà. Vous êtes là beaucoup plus tôt : il y a moins de malades que d’habitude ?

MICHEL. – Non, c’est même tout le contraire. On peut y rajouter celle qui m’a téléphoné et Lacro.

MARIE. – Lacro ?

MICHEL. – Lacro au chocolat.

MARIE. – Et c’est une maladie d’être accro au chocolat ?

MICHEL. – Oui parce que ça engendre la corruption.

MARIE, d’abord en aparté. – On continue à mettre les frites hors du paquet. (Puis à Michel.) Répétez-moi ça un peu : quand on mange beaucoup de chocolat, ça quoi ?

MICHEL. – ça engendre la corruption.

MARIE. – Moi, je pensais que ça pouvait déclencher des éruptions, qu’on avait des boutons.

MICHEL. – Des boutons, ç’est moi qui en ai quand j’entends des choses pareilles.

MARIE. – Il faudra vérifier si vous n’êtes pas allergique. Un homme ne vient plus chez Fernande parce qu’il est allergique aux poils de chat.

MICHEL. – Fernande ?

MARIE. – Elle a des angoras qui viennent dans l’épicerie.

MICHEL. – Et alors ?

MARIE. – Elle a perdu un client. Comment il dit encore le curé ? Ah oui, il doit être angora quelque chose.

MICHEL. – Angora quelque chose ?

MARIE. – Mais oui, le curé avait l’air d’être au courant : ça doit être une maladie transmise par les chats angoras.

MICHEL, d’abord en aparté. – Elle aussi ne doit pas avoir toutes les frites dans le même paquet. (Puis à Marie.). Par les chats angoras, vous êtes sûre ?

MARIE. – Il me semble, oui.

MICHEL. – Jamais entendu parler de ça et puis ne me parlez plus de maladie, j’attrape de l’urticaire.

MARIE. – Vous voyez que vous devez être allergique.

MICHEL. – C’est ça, je suis devenu allergique à tout ce qui a trait à la médecine. Et ne cherchez pas dans un dictionnaire pour savoir comment ça s’appelle, ça n’existe pas.

MARIE. – Mais si, ça doit exister puisque vous l’êtes devenu.

MICHEL. – Non, ce n’est qu’une façon de parler. Et comme vous ne comprenez rien à rien, je vais voir ailleurs si j’y suis. (Il sort.)

MARIE. – Je vais voir ailleurs si j’y suis ? Et après, il dira que je ne comprends pas bien le français. Prétentieux, va. (Une nonne entre.) ça alors, une nonne après un curé, on les a lâchés aujourd’hui.

 

SCENE 6

MARIE et ANGELE

ANGELE. – Bonjour, ma fille.

MARIE. – Ma fille ? Mais votre fille n’est pas ici, Madame.

ANGELE. – Je le sais, ma fille, parce que je ne suis évidemment pas mère.

MARIE, sceptique et en aparté. – Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à parler bizarrement aujourd’hui ! (Puis à Angèle) Ben non, vous adorez la Vierge et vous l’êtes aussi…enfin, je suppose.

ANGELE. – Mais…vous supposez bien. J’ai prononcé mes vœux…

MARIE. – Moi aussi, quand j’ai vu une étoile filante. (Puis en aparté.) C’est comme les flèches de tantôt.

ANGELE. – Mais vous vous moquez de moi ?

MARIE. – Mais non. Vous, ce n’est pas quand vous avez vu une étoile filante ?

ANGELE. – Mais non, je suis rentrée dans les ordres, j’ai donc pris le voile.

MARIE. – Eh bien, vous avez raté de peu Monsieur Michel. Lui, il vient de les mettre les voiles.

ANGELE. – Et qui est ce monsieur Michel ?

MARIE. – Le mari de la patronne. Il est médecin mais il est devenu allergique.

ANGELE. – Allergique à quoi ?

MARIE, réfléchissant. – Ah, ça c’est plus compliqué. Si j’ai bien compris parce qu’il parait que je ne comprends pas très bien…

ANGELE, en aparté. – ça, ça ne m’étonne pas.

MARIE. – C’est un médecin qui est allergique à la médecine.

ANGELE. – Allergique à la médecine…ça existe ?

MARIE. – Oui mais il ne faut pas regarder dans un dictionnaire.

ANGELE. – Pourquoi est-ce que j’y regarderais ?

MARIE. – Pour trouver comment ça s’appelle parce que ça n’existe pas.

ANGELE, en aparté. – Elle tient des propos incohérents. A mon avis, on ne doit pas avoir mis toutes les pièces dans la bonne tirelire.

MARIE. – Enfin, c’est ce qu’il dit et répète.

ANGELE. – Il ?

MARIE. – Monsieur Michel.

ANGELE. – Soit, je ne suis pas ici pour parler allergie et médecine. Je voudrais une chambre.

MARIE. – Vous avez de la chance. Vous serez à la une et en pays de connaissance.

ANGELE. – Pourquoi ?

MARIE. – Parce qu’à la deux, c’est un curé.

ANGELE. – Un curé ? ça alors.

MARIE. – Ah oui , parce qu’un curé et une nonne en même temps dans l’hôtel,  ça donne envie de jouer au loto.

ANGELE. – Comment s’appelle-t-il ?

MARIE. – Attendez, je regarde. (Elle consulte le registre.) Pierre Duchêne.

ANGELE. – Je ne le connais pas. Nous ferons connaissance.

MARIE. – Et pour vous, j’indique quel nom ?

ANGELE. – Sœur Angèle.

MARIE. – Sœur Angèle ? Mais ce n’est pas un nom, ça !

ANGELE. – C’est pourtant le mien.

MARIE. – Mais ça ne suffit pas : il faut un vrai nom, une vraie identité. Imaginez que vous soyez déguisée en bonne sœur et que vous partiez sans payer.

ANGELE. – Partir sans payer ? Mais comment osez-vous ?

MARIE. – ça arrive et on fera quoi, nous ? On écrira au pape pour être remboursé ?

ANGELE. – Sûrement pas, il a d’autres chats à fouetter.

MARIE. – Pas des angoras, j’espère sinon il aura Fernande sur le dos.

ANGELE, en aparté. – Elle recommence avec ses propos incohérents.

MARIE. – Alors, votre nom ? Ah, mais vous aviez réservé, suis-je bête.

ANGELE, même jeu. – Heureusement qu’elle le sait.

MARIE. – Mademoiselle Angèle Dubois, c’est vous ?

ANGELE. – Mademoiselle, effectivement.

MARIE, en aparté. – Mademoiselle parce qu’elle n’a pas vu le loup. C’est pas comme moi. (Puis à Angèle.) Dites, Dubois à côté de Duchêne, c’est vraiment en pays de connaissance.

ANGELE. – Je ne suis pas là pour entendre de stupides jeux de mots.

MARIE. – Et moi, c’est Marie … mais pas Laforêt, je vous rassure. (Elle rit.)

ANGELE. – Tant mieux.

MARIE. – Vous paierez avec une carte de banque, mademoiselle Angèle ?

ANGELE. – Non, je paierai en espèces.

MARIE. – Avec l’argent de la collecte ?

ANGELE. – Mais comment osez-vous ? Vous croyez que je pique dans la caisse ? Donnez-moi la clé s’il vous plaît avant que je ne change d’hôtel.

MARIE, la lui tendant. – La voilà. C’est par là. (Désignant la porte côté jardin.) C’est au premier.

ANGELE. – Merci. (Elle sort.)

MARIE, se mettant à chanter Mademoiselle Angèle de Pierre Desproges. – Je frappe au numéro un, je demande mam’selle Angèle. La concierge me répond : « Mais quel métier fait-elle ? » Elle fait des pantalons, des jupes et des jupons et des gilets de flanelle. Elle fait des pantalons, des jupes et des jupons et des bonnets de coton. Ah, ah, ah, ah, je ne connais pas ce genre de métier, allez voir à côté.  (Elle sort.)

SCENE 7

COLETTE et MICHEL

 

COLETTE, revenant. – Impossible de m’assoupir, j’ai les oreilles qui bourdonnent. Je devrais peut-être aller à la pharmacie puisque j’ai oublié mes boules quies à la maison.

MICHEL, revenant à son tour et en aparté. – Flûte ! C’est ce qu’on appelle une mauvaise rencontre.

COLETTE. – Ah, docteur ! C’est le Bon Dieu qui vous ramène à moi.

MICHEL, en aparté. – Je n’y crois pas donc pas de remords si j’abrège ses souffrances.

COLETTE. – Je n’arrive pas à faire de sieste, mes oreilles bourdonnent beaucoup trop.

MICHEL. – Il y a peut-être près de vous quelques guêpes se préparant à vous piquer.

COLETTE. – Ne parlez pas de malheur et surtout ne plaisantez pas : faites quelque chose.

MICHEL. – Madame, je vous ai dit et je vous répète que je suis en congé.

COLETTE. – Mais enfin, vous ne pouvez pas me laisser dans un état pareil.

MICHEL, s’énervant. – Mais qu’est-ce qu’il a votre état ? Apparemment, vous allez très bien.

COLETTE. – Apparemment, vous venez de le dire mais les apparences sont souvent trompeuses.

MICHEL. – Mais non.

COLETTE. – Et moi, je vous dis que si. Vous ne pouvez pas refuser de me soigner.

MICHEL, en aparté. – Où est ma tronçonneuse, que je renie à jamais le serment d’Hippocrate ?

COLETTE. – Auscultez-moi.

MICHEL, même jeu. – Incitation à la débauche, ça va chercher dans les combien ?

COLETTE. – Auscultez-moi et faites-moi une ordonnance, s’il vous plaît.

MICHEL, même jeu. – Bon, tentons quand même d’éviter le massacre. (Puis à Colette.) Essayez des boules quies, c’est le premier traitement pour les oreilles qui bourdonnent.

COLETTE. – Alors je dois aller en racheter parce que je les ai oubliées chez moi.

MICHEL. – Mais qu’attendez-vous ? Courez à la pharmacie.

COLETTE. – J’y cours…mais docteur, celle que vous m’aviez indiquée, c’est dans le centre.

MICHEL. – Et alors ?

COLETTE. – Mais il y aura du monde, ça m’angoisse. Il n’y en a pas une autre plus près et dans un endroit moins fréquenté ?

MICHEL, réfléchissant. – Si…en sortant, à gauche.

COLETTE. – Mais tantôt il n’y en avait pas.

MICHEL. – Eh bien depuis on en a construit une.

COLETTE. – Vous vous moquez de moi ?

MICHEL. – Mais non. C’est un trait d’humour…sans moquerie.

COLETTE. – Bon, je veux bien vous croire. Donc à gauche ?

MICHEL. – Puis la première à gauche et ensuite tout droit pendant environ cinq cents mètres.

COLETTE. – Mais ce sera long, j’ai déjà marché vingt minutes tantôt.

MICHEL. – Vous n’avez pas l’habitude de marcher ?

COLETTE. – Non.

MICHEL. – Et vous vous étonnez d’avoir la migraine ou les oreilles qui bourdonnent ?

COLETTE. – Même les deux en même temps.

MICHEL. – La marche est le principal remède à ces problèmes.

COLETTE. – Vous êtes sûr ?

MICHEL. – Tout à fait sûr. Allez-y immédiatement…en marchant…lentement.

COLETTE. – Je pars tout de suite alors. Merci, docteur. (Elle sort.)

MICHEL. – Et prends surtout tout ton temps. Et je vais faire un petit tour également mais je tourne à droite en sortant. (Il sort.)

 

SCENE 8

EVELYNE et PIERRE puis MARIE

 

EVELYNE, rentrant. – Mais tu ne vas pas me suivre partout ?

PIERRE, la suivant. – Nous étions dans la bonne pièce. Pourquoi es-tu sortie ?

EVELYNE. – Parce que nous étions dans ta chambre et que tu devenais entreprenant.

PIERRE. – Je ne pouvais pas résister et je sentais que tu allais craquer.

EVELYNE. – Ce n’est pas possible. N’y pense même pas.

PIERRE. – Je ne pense qu’à ça.

EVELYNE. – Inutile de rêver : sous mon toit et avec un curé en plus.

PIERRE. – Mais je ne suis pas prêtre.

EVELYNE. – Mais tu en as l’habit.

PIERRE. – L’habit ne fait pas le moine. Je vais aller passer une chemise légère et un bermuda.

EVELYNE. – Sûrement pas.

PIERRE. – Pourquoi ?

EVELYNE. – Là, Michel verrait tout de suite que tu n’es pas curé.

PIERRE. – Mais non.

EVLYNE. – Si : la dernière fois que je t’ai vu…disons…pas très habillé…

PIERRE. – Un excellent souvenir.

EVELYNE. – …Tu avais les jambes très bronzées mais pas entièrement à cause de ton équipement cycliste.

PIERRE. – Il y a sûrement des curés qui roulent en vélo.

EVELYNE. – En vélo de course avec un ancien maillot Molteni en hommage à Eddy Merckx ?

PIERRE. – Mon idole.

EVELYNE. – En grimpant des cols ?

PIERRE. – Pour me rapprocher de Dieu.

EVELYNE. – Et en les dévalant à tombeau ouvert ?

PIERRE. – Pour me rapprocher de Dieu aussi…mais le plus tard possible.

EVELYNE. – Tu en rencontres le dimanche matin en roulant ?

PIERRE. – Je ne sais pas, je croise peut-être des médecins sans le savoir.

EVELYNE. – Mais pas des curés.

PIERRE. – Pourquoi pas ? C’est possible.

EVELYNE. – Non. Et sais-tu pourquoi ?

PIERRE. – Non mais je sens que tu vas me le dire.

EVELYNE. – Parce que le dimanche matin, ils sont devant leurs fidèles dans l’église.

PIERRE. – Et moi, j’ai devant moi une infidèle. Donc profitons-en. (Il veut l’enlacer. Elle le gifle au moment où Marie rentre.) Aïe !

MARIE. – Eh bien, ça s’est envoyé. Alors, M’sieur le curé, on a des envies ?

PIERRE, très perturbé. – Des… des envies ?

MARIE. – Vous n’êtes pas un petit saint non plus, hein, m’sieur le curé ?

EVELYNE. – Mais de…de quel droit ? Quelle mouche vous a piqué pour dire cela ?

PIERRE. – Ce…ce n’était pas une mouche mais…

EVELYNE. – Oui…mais une guêpe qui allait vous piquer…monsieur l’abbé…

PIERRE. – Alors, je me suis précipité vers vous…

MARIE. – C’était plutôt se jeter dans ses bras.

PIERRE. – …en criant…mais je ne sais plus ce que j’ai crié.

EVELYNE. – Moi…moi non plus.

MARIE. – Vous avez crié « Aïe » mais après.

PIERRE. – Alors que… je …je…ne sais plus ce que j’ai crié avant.

EVELYNE. – Ce doit…être …le choc.

MARIE. – Le choc de la gifle ?

PIERRE. – Non, le choc…avant…la peur…d’être piqué…

EVELYNE. – Par la guêpe…parce que vous…vous êtes allergique, ç’est ça, monsieur le curé ?

PIERRE. – Donc j’ai…j’ai eu peur parce que…si je suis piqué…

EVELYNE. – Vous gonflez…c’est ça ?

MARIE. – Gonflé, vous l’êtes drôlement, monsieur le curé.

PIERRE. – Et je…je pourrais en mourir.

MARIE. – Mourir d’une allergie ? Encore une allergie ? Après celle de monsieur Michel.

EVELYNE. – Michel ? Michel…est allergique ?

MARIE. – A la médecine, si j’ai bien compris…Enfin, non, j’ai pas bien compris. Et après ça…

PIERRE. – Après ça ?

MARIE. – Ben…il va devenir allergique aux curés. Dites, c’est pas à Paris qu’il y a l’Hôtel des Invalides ?

EVELYNE. – Si, si.

MARIE. – Eh bien ici, il va falloir rebaptiser l’hôtel, on va pouvoir l’appeler l’hôtel des allergiques.

EVELYNE. – Voilà. Nous y penserons, Marie même si ce n’est pas à priori une bonne idée.

MARIE. – Surtout si pour les soins, il faut gifler.

PIERRE. – Gifler ?

MARIE. – Mais oui, vous ne vous rappelez déjà plus ?

PIERRE. – Si…si

MARIE. – La gifle et le cri. Mais qu’est-ce que vous avez crié alors avant ? Vous ne l’avez toujours pas dit.

PIERRE. – Je ne l’ai toujours pas dit ?

EVELYNE. – Non…je pense que non.

PIERRE. – J’ai dû … crier…parce que j’avais peur et je…je lui ai demandé…

EVELYNE. – De la tuer, ç’est ça…elle était presque sur votre joue, monsieur le curé.

MARIE. – Elle…elle a mis … en joue la guêpe mais c’est la vôtre qu’elle a touché.

PIERRE. – La mienne ?

MARIE. – Votre joue.

EVELYNE. – Je …je n’ai jamais été très adroite.

MARIE. – Moi non plus…Vous me le dites souvent, n’est-ce pas, Madame ?

EVELYNE. – Je dis ça, moi ?

MARIE. – Mais oui, vous avez même menacé de me mettre à la porte.

EVELYNE. – Mais … non … non, je voudrais même vous augmenter.

MARIE. – Ah, ça, ce serait mieux, beaucoup mieux.

PIERRE. – Il faut toujours faire preuve de générosité.

MARIE. – Donc vous allez tendre l’autre joue, monsieur le curé ?

PIERRE. – Non…non…ça fait mal, je…je parlais de votre augmentation.

EVELYNE. – Et dès le mois prochain.

MARIE. – Non, dès ce mois-ci.

EVELYNE. – Non, le mois prochain.

MARIE. – Non, ce mois-ci…sinon…je parle de l’attaque.

PIERRE/EVELYNE, en choeur. – De l’attaque ?

MARIE. – De l’attaque de la guêpe.

EVELYNE. – Non…non…Vous…vous serez augmentée dès ce mois.

MARIE. – De combien ?

EVELYNE. – De cinquante euros.

MARIE. – De deux cents cinquante euros.

EVELYNE, suffoquant. – Deux … deux cents cinquante euros ? Mais ?

MARIE. – Oui…sinon…

EVELYNE. – La guêpe, j’ai compris.

PIERRE. – C’est vrai qu’il faut tendre l’autre joue.

MARIE. – ça c’est parlé, monsieur le curé.

EVELYNE, sous le choc. – J’ai…j’ai besoin de prendre l’air. (Elle sort.)

PIERRE. – Et moi de remonter dans ma chambre.

MARIE. – Le climatiseur ne fonctionne plus très bien.

PIERRE. – Ce…ce n’est pas bien grave.

MARIE. – Vous avez l’habitude des moments chauds, c’est ça ?

PIERRE. – Ce…ce doit être ça, oui. Et, comme dirait la guêpe, j’y vais…dare-dare. (Il sort.)

MARIE. – Marie, ma petite, tu as gagné au loto. Tu as bien fait d’écouter aux portes. (Le téléphone sonne. Elle décroche.) Allô, l’hôtel des allergiques, bonjour…heu non, pardon…des invalides…mais qu’est-ce que je raconte, moi ? Oui, vous êtes à l’hôtel « Le rêve d’Evelyne »…Non, vous n’avez pas de chance, c’est complet. Au revoir, madame. (Elle raccroche.) Complet mais une seule cliente a réservé 5 chambres. Beaucoup moins de travail, ça me convient très bien. (Elle sort.)

 

SCENE 9

MICHEL et EVELYNE

 

MICHEL, revenant et au téléphone. – Non, n’insistez pas. Je vous ai dit que j’étais en congé. (Il se met à crier.) Lâchez-moi les baskets, madame Chapelle. Et bien le bonjour à madame Lacro. (Il raccroche.)

EVELYNE. – Peux-tu, s’il te plaît, être plus poli et éviter de crier ? Les gens t’entendent et c’est une très mauvaise publicité pour l’hôtel.

MICHEL. – Tu es revenue à toi ? Tu avais l’air d’un zombie.

EVELYNE. – J’avais un coup de mou mais  tu m’as ramené dans la réalité en t’énervant.

MICHEL. – Il y a de quoi : cela fait deux fois qu’une connasse me téléphone pour obtenir un rendez-vous. (S’énervant à nouveau). Il n’y a plus de rendez-vous.

EVELYNE. – Ne t’énerve pas. La connasse, comme tu dis, n’est pas sensée savoir que tu as débuté une année sabbatique.

MICHEL. – Mais elle appelle sur mon téléphone personnel. Je ne donne mon numéro à personne.

EVELYNE. – On a peut-être dévié un appel.

MICHEL. – Dévié ? C’est plutôt un coup tordu. Elle a corrompu Lacro pour l’obtenir.

EVELYNE. – Corrompu ?

MICHEL. – Elle lui a offert du chocolat et sûrement beaucoup puisqu’elle s’en goinfre toute la journée.

EVELYNE. – De la corruption avec du chocolat ? C’est quand on offre de l’argent.

MICHEL. – Pas seulement : c’est en espèces ou en nature.

EVELYNE. – Tu réagis comme si elle avait touché des pots de vin.

MICHEL. – On n’en est pas loin : tu peux être sûre qu’elle boit aussi.

EVELYNE. – Du vin sans doute et en pot ?

MICHEL. – Ce qui expliquerait son élocution difficile, on dirait une bègue. (Il l’imite.) Bon…jour, doc…teur.

EVELYNE. – Ne t’en prends pas à elle, elle a l’air toute timide.

MICHEL. – Elle l’est mais en apparence seulement : elle doit boire et se gaver de chocolat pour avoir de l’assurance.

EVELYNE. – Arrête de t’en prendre à tout le monde et calme-toi.

MICHEL. – Je vais mettre le chef du personnel au parfum et ça ne sentira pas la rose pour elle.

EVELYNE. – Tu ne vas pas lui faire perdre son emploi ?

MICHEL. – Si : faute grave.

EVELYNE. – Aimer le chocolat, c’est une faute grave ?

MICHEL. – Oui. Lacro y est accro, elle y ajoute sûrement la boisson et se laisse donc corrompre.

EVELYNE. – Corrompre ? Si tu lui expliques qu’elle a commis une erreur, elle comprendra.

MICHEL. – Non, la faute est trop grave.

EVELYNE. – Et toi, tu n’as jamais commis d’erreur ? Tu m’as dit que tu avais envoyé une patiente chez un gastroentérologue alors que tu aurais dû voir qu’elle était enceinte.

MICHEL. –  Oui…Oui, ok. C’est bien la preuve que j’ai besoin de mon année sabbatique.

EVELYNE. – J’allais te dire qu’il n’en était pas question mais là, j’ai vraiment l’impression que tu as besoin de faire un break. (Elle sort.)

MICHEL. – Oui…Elle a peut-être raison. Je vais aller prendre quelques gouttes pour me détendre…avec un petit verre de rosé, tiens…Non, ce n’est peut-être pas raisonnable avec du rosé même si je supporte bien cette mixture à base de cannabis … en plus, j’y deviens accro moi aussi.

Allez, tant pis, j’en ai besoin. (Il sort.)

SCENE 10

PIERRE et ANGELE puis MICHEL

 

PIERRE, rentrant précipitamment et en aparté. – Mince ! Non seulement elle m’a vu mais elle me suit.

ANGELE. – Mais ne courez pas, mon père.

PIERRE. – Mais je ne cours pas, madame.

ANGELE. – Appelez-moi, ma sœur, mon père.

PIERRE, sceptique. – Comme…comme vous voulez, ma sœur.

ANGELE. – Sœur Angèle. Et vous comment vous appelez-vous ?

PIERRE. – Pierre, je…je suis l’abbé Pierre.

ANGELE, souriant. – Il y en a eu un autre avant vous. Quel beau prénom !

PIERRE. – Mon Dieu, c’est un prénom comme un autre.

ANGELE. – Vous êtes Pierre et c’est sur cette pierre que Dieu a bâti…a bâti…allez, dites-le-moi.

PIERRE, embarrassé. – Mais que voulez-vous que je vous dise ?

ANGELE. – Ce que Dieu a bâti sur vous, enfin sur cette pierre.

PIERRE. – Je…je suis trop modeste pour le dire.

ANGELE. – Cela vous honore. L’Eglise, sur cette pierre, Dieu a bâti l’Eglise.

PIERRE. – Vous … vous comprenez pourquoi je n’osais pas le dire, une église, c’est un fameux bâtiment.

ANGELE. – Et vous avez aussi le mot pour rire. Vous êtes plus agréable que la réceptionniste.

PIERRE. – Marie ?

ANGELE. – Oui, vous la connaissez ?

PIERRE. – J’ai entendu la patronne l’appeler plusieurs fois par son prénom.

ANGELE. – Non seulement elle est impertinente mais elle tient aussi des propos incohérents.

PIERRE. – Effectivement. Elle répondait à sa patronne…mais bizarrement.

ANGELE. – Elle insinuait que je détournais l’argent de la collecte.

PIERRE. – Non ? La salope.

ANGELE, choquée. – Mais mon père ? Vous n’avez pas le droit.

PIERRE, embarrassé. – Je…je ne sais pas ce qui m’a pris. C’est…c’est sûrement à cause des quelques jours de vacances, le relâchement.

ANGELE. – C’est récent vos vacances ?

PIERRE. – Je suis arrivé aujourd’hui.

ANGELE. – D’où ? Où exercez-vous votre ministère ?

PIERRE, en aparté. – Mon ministère ? Mais ils ne parlent pas français dans le coin. (Puis à Angèle.) Où…où j’exerce ?

ANGELE. – Mais oui, quelle est votre paroisse ?

PIERRE. – Ma…ma paroisse ? Ce…ce n’est pas important.

ANGELE. – C’est petit alors ? C’est un village ?

PIERRE. – Un village, oui.

ANGELE. – D’où vous êtes arrivé aujourd’hui. Vous avez donc eu l’occasion de faire votre sermon sur la sexualité et la contraception comme c’était demandé dimanche dernier.

PIERRE. – C’était de…mandé ?

ANGELE. – Vous voyez, je sais tout. Mon petit doigt me l’a dit et le Bon Dieu aussi, bien sûr.

PIERRE. – Bien sûr.

ANGELE. – Et donc votre sermon ?

PIERRE. – Mon…mon sermon ? Ah oui, mon sermon.

ANGELE. – Quelle est votre position ?

PIERRE. – Ma position ?

ANGELE. – A propos de la sexualité et de la contraception.

PIERRE. – Sans … sans entrer dans les détails, ma position…est…disons…variable. (Puis en aparté.) Si tu savais, je ne me contente pas du missionnaire.

ANGELE. – Et vous arrivez à en parler librement ?

PIERRE. – Tout à fait librement, c’est…c’est mon…devoir, ma mission.

ANGELE. – Vous vous sentez donc dans la position du missionnaire.

PIERRE. – Comme vous dites, l’abbé Pierre dans…dans la position du…du missionnaire.

MICHEL, rentrant avec un verre de rosé plein. – Le mari de la patronne vous salue et vous souhaite la bienvenue.

PIERRE, en aparté. – Ouf ! Sauvé par le gong. Lui, c’est le démissionnaire avec son année sabattique. (Puis à Michel et en prenant le verre.) Mettez-le sur ma note et comme j’ai très chaud, je vais le prendre en terrasse.

MICHEL. – Mais, mon verre.

PIERRE. – Mettez-le sur ma note. (Il sort.)

ANGELE. – Un verre, c’est un verre, mon fils.

MICHEL. – Mais mon verre contient…

ANGELE. – Contient quoi ?

MICHEL. – Du…du rosé.

ANGELE. – Allez vous resservir, mon fils.

MICHEL. – Je…j’y vais. (Il repart.)