Le plus beau jour de ma vie

Quand David, un prêtre, revient dans sa famille, qui a toujours eu une valeur d’exemple, pour procéder au mariage de sa nièce, il va de découverte en découverte. Chacun semble traîner de grosses casseroles, le marié lui-même et le témoin de la mariée sont loin d’être exempts de tout reproche eux aussi.

Entre une sœur, Angélique, qui semble traumatisée à vie par la perte de son grand amour, une autre qui trompe son mari et parie sur les résultats de matchs de football par l’entremise d’une domestique pas très honnête et un beau-frère qui semble ne pas se contenter de son épouse, David doit-il faire abstraction de tout et se faire le complice de tant de péchés ? Alors que lui-même…

 

Fiche

Année
2017
Édition
Art et Comédie
Production
Compagnie des Sources, Péruwelz

Extrait

ACTE 1

 

SCENE 1 : MARIE, THERESE puis DAVID

 

MARIE, rentrant. – Elle me gêne. Mais pourquoi avoir engagé une femme de chambre ?

THERESE, même jeu. – C’est un signe extérieur de richesse.

MARIE. – Un signe extérieur de richesse ?

THERESE. – Parfaitement. Ainsi, on nous croit riches.

MARIE. – Nous ne le sommes plus ?

THERESE. – Plus pour longtemps. Ce mariage est notre dernière chance puisque la faillite semble inéluctable.

MARIE. – Tu en es sûre ?

THERESE. – Aussi sûre qu’un et un font deux et que tous les chiffres de nos livres de compte sont dans le rouge.

MARIE. – Mais je ne pourrais jamais vivre pauvre. Il n’y a pas de solution ?

THERESE. – La solution, c’est ton mariage avec cet écervelé de Thomas qui croit tout comme le saint du même nom…

MARIE. – Maman, je t’en prie, ne te moque pas de lui.

THERESE. – … et qui le fils d’un gros industriel qui renflouera nos caisses.

MARIE. – Tu as une vision très romantique du mariage.

THERESE. – Réaliste seulement : qui se marie encore à l’heure actuelle ?

MARIE. – Moi…un peu contrainte et forcée par le poids de la famille.

THERESE. – Et par ton ventre qui va bientôt s’arrondir. Puisque tout en fréquentant Thomas, tu as visiblement batifolé avec un illustre inconnu…

MARIE. – Disons que je préfère qu’il le reste.

THERESE. – …qui serait le père de ton futur enfant. Autant faire endosser à saint Thomas la paternité, il n’ira pas demander un test.

MARIE. – Qu’en sais-tu ?

THERESE. – Je suppose qu’il ne doute pas. Donc, il s’est forcément passé des choses avec lui.

MARIE. – Maman, je porte le prénom de la Vierge mais je n’ai pas attendu l’intervention divine.

THERESE. – Ne fais jamais ce genre de réflexion devant ta tante : tu sais comme elle est bigote.

MARIE. – Il n’y a pas qu’elle pour que tonton soit devenu curé.

THERESE. – Si tu avais mieux connu tes arrière-grands-parents, tu comprendrais : ils seraient allés jusqu’au Vatican à pieds rien que pour apercevoir le pape.

MARIE. – Heureusement que tu n’es pas rentrée dans les ordres, je ne serais pas là pour en parler.

THERESE. – Je suis croyante et pratiquante mais je me relâche de temps en temps. Et il m’arrive de jurer, nom de Dieu ! (Le curé rentre alors.) Au nom de Dieu, Marie, au nom de Dieu tu t’engageras…

DAVID. – …avec Thomas par les liens sacrés du mariage dans deux jours déjà alors que c’était initialement prévu dans trois mois…mais pourquoi tant de précipitation ?

THERESE. – Elle…elle n’en peut plus.

DAVID. – Elle n’en peut plus ?

THERESE. – Elle est jeune et sa…sa libido la travaille.

MARIE, surprise. – Ma libido ?

DAVID, se signant. – Sa libido ? Mon dieu ! Mais elle n’a qu’à prier.

MARIE. – J’ai…j’ai essayé…mais ça ne fait pas le même effet.

DAVID, même jeu. – Pas le même effet ? Mon dieu !

THERESE. – Mais oui, enfin, David, tu dois quand même le savoir…mais oui, tu le sais…

DAVID, même jeu. – Oui…bon…ne nous étendons pas sur le sujet…C’était il y a bien longtemps.

THERESE. – Et ça ne fait pas le même effet.

DAVID, même jeu. – Mon dieu, ma sœur…

THERESE. – Arrête de m’appeler « ma sœur », j’ai l’impression d’être une nonne au lieu d’être ta sœur.

DAVID. – Justement, j’appelle « ma sœur » ma sœur.

THERESE. – Et je ne suis pas une nonne…enfin tu m’as comprise.

MARIE. – Les voies du Seigneur sont impénétrables…Non, réflexion faite, je vais aller prier.

THERESE. – C’est ça, ça calmera ta libido. (Marie sort.)

 

SCENE 2 : THERESE, DAVID puis LAETITIA

 

DAVID, même jeu. – Sa libido ? Mon Dieu, ma sœur !

THERESE. – Arrête de m’appeler ma sœur !

DAVID. – Pardon, ça m’a échappé…Tu sais, Thérèse, je suis très heureux de pouvoir marier Marie. Notre famille est vraiment un exemple dans un monde sans foi ni loi.

THERESE. – Tout le plaisir est pour nous.

DAVID. – Et c’est un plaisir également de passer quelques jours près de vous.

THERESE. – Surtout que tu t’es fait rare depuis ton départ.

DAVID. – Tu sais que j’avais des raisons de ne pas revenir.

THERESE. – Et pas de souci pour te loger dans cette grande maison, ça aide d’avoir des parents qui ont réussi.

DAVID. – A propos, les affaires vont toujours bien ?

THERESE. – Très…très bien.

DAVID. – Tu es sûre ? Je te sens hésitante.

THERESE. – Je…je n’ai pas envie d’en parler…étaler toute notre richesse alors que toi, tu as choisi une autre vie.

DAVID. – Ce n’est plus l’Eglise des premiers temps, je ne vis pas dans le dénuement.

THERESE. – Toutes ces histoires d’argent ne feraient que te distraire de ta mission spirituelle.

LAETITIA, rentrant. – Veuillez m’excuser, Madame, Monsieur.

THERESE, désignant David. – Laetitia, on ne dit pas « Monsieur » mais « Mon père ».

LAETITIA. – Mais mon père, il est à la maison et je l’appelle papa.

DAVID. – Mon enfant…

LAETITIA. – Mais je ne suis pas votre fille.

DAVID. – Je le sais, c’est une façon de parler.

THERESE. – Laetitia, quand vous vous adressez à un prêtre, vous l’appelez « Mon père ».

DAVID. – Et quand je m’adresse à vous, je vous appelle « Ma fille » ou « Mon enfant » comme j’appelle ma sœur « Ma sœur ».

THERESE. – Non, pas ma sœur, justement.

LAETITIA. – Dites, c’est vraiment compliqué votre truc, j’ai rien compris.

DAVID. – Ecoutez,  ma fille…

LAETITIA. – Mais puisque je vous dis que je ne suis pas votre fille.

DAVID. – Ecoutez, Laetitia, simplifions : appelez-moi monsieur et n’en parlons plus.

THERESE. – N’en parlons plus en effet mais pourquoi nous avoir dérangés, Laetitia ?

LAETITIA. – Pour dire à Madame que le parrain de mademoiselle Marie avait téléphoné.

THERESE. – Ah bon ! Et pourquoi ?

LAETITIA. – Comme il arrivera demain soir et prendra son petit-déjeuner ici samedi matin, il demandait qu’on aille acheter du pain sans gluten.

DAVID. – Du pain sans gluten ?

THERESE, à David. – C’est vrai qu’aux dernières nouvelles, il y était devenu intolérant.

LAETITIA. – Et il voudrait qu’on achète un pain spécial.

THERESE. – Eh bien, ça promet pour le mariage : il y aura fatalement du gluten au menu.

DAVID. – Le pauvre, il doit porter sa croix.

THERESE. – Nous la portons tous, David.

DAVID. – Oui, ma sœur.

THERESE. – Tu le fais exprès ?

DAVID. – Mais non, ça m’a échappé.

LAETITIA, à David. – Mais pourquoi ne pouvez-vous pas appeler « ma sœur » votre sœur ou votre sœur « ma sœur » ? …Enfin, vous m’avez comprise.

DAVID. – Ecoutez, ma fille…

LAETITIA. – Mais puisque je vous répète que je ne suis pas votre fille.

THERESE, énervée, à Laetitia. – Sortez ma fille.

LAETITIA. – Mais je ne suis pas la vôtre non plus.

DAVID/THERESE, en chœur. – Sortez.

LAETITIA. – Bien, je sors mais j’ai toujours rien compris. (Elle sort mais revient aussitôt.) Madame, il y a aussi autre chose.

THERESE. – Quoi donc ?

LAETITIA. – Mon frère a téléphoné.

THERESE, se déplaçant très vite vers elle et en aparté. – Soyez discrète, ma fille.

LAETITIA, en aparté également. – Encore « Ma fille » ? Mais je vous répète...

THERESE, en aparté. – Vous le faites exprès ! Que demande-t-il votre frère ?

LAETITIA , même jeu. – S’il faut parier 500 ou 1000 € ?

THERESE, même jeu. – Mille, je dois me refaire. Et Arsenal va gagner, c’est sûr ?

LAETITIA. – Les doigts dans le nez, vous verrez.

THERESE, même jeu. – La dernière fois, Chelsea allait aussi gagner les doigts dans le nez...

LAETITIA, même jeu. – Il y a eu deux goals sur hors-jeu. Il demande aussi quand il va avoir l’argent.

THERESE, même jeu. – Allez-y, je vous rejoins dans cinq minutes.

LAETITIA. – Bien Madame. (Laetitia sort.)

 

SCENE 3 : THERESE, DAVID puis ANGELIQUE

 

THERESE. – Elle n’est pas très fûtée…le propre des domestiques sans doute.

DAVID. – Voyons, Thérèse, sont-ce là des propos dignes d’une chrétienne ?

THERESE, souriant. – Tu as raison, frère David, ce ne sont-ce pas des propos chrétiens.

DAVID, souriant. – Voilà, dédramatisons, ne sonsons pas….et je répète mon plaisir d’être ici présent pour le mariage de Marie et la valeur d’exemple de notre famille.

THERESE. – Je ne pouvais décemment pas demander à un autre prêtre de bénir cette union.

DAVID. – Je l’aurais pris pour une offense,  je suis quand même et surtout ton frère. (Angélique fait son entrée.) Et voilà mon autre sœur, ma sœur Angélique.

ANGELIQUE. – Mais je n’ai pourtant pas toujours été un ange.

THERESE. – Mais si : trop souvent puisque tu es restée célibataire.

ANGELIQUE. – J’ai pourtant eu l’occasion de me marier… avec Benoît. (Elle pleurniche.)

THERESE, en aparté. – Mince, j’aurais mieux fait de me taire, c’est reparti !

DAVID. – Benoît ?

THERESE. – Tu ne te rappelles pas ? Le sacristain.

DAVID. – Mon Dieu : le sacristain, j’avais oublié.

ANGELIQUE. – Il était seul à minuit dans la sacristie…C’était un jeudi. (Elle pleurniche de plus belle.)

DAVID. – Que faisait-il là ? A Noël, on aurait compris mais n’est-ce pas arrivé à la fin de l’été ?

ANGELIQUE, pleurnichant de plus belle. – Si…pourquoi y a-t-il eu cette tempête ?

DAVID. – Comme le rappelait Marie, les voies du Seigneur sont impénétrables.

THERESE. – Et surtout ce toit qui s’est effondré.

ANGELIQUE, même jeu. – En plein sur sa tête.

DAVID. – Pour une tuile, c’était une tuile. (Elles le regardent étonnées. Angélique pousse un énorme sanglot.) Oh, pardon ! (Il se signe.) Je ne sais pas ce qui m’a pris.

ANGELIQUE, même jeu. – Je…je vais enfin vous dire…pourquoi il était là.

DAVID. – Mais oui, libère-toi. Cela restera entre nous, considère qu’il s’agit presque du secret de la confession.

THERESE. – Je ne peux décemment dire la même chose mais cela ne sera pas ébruité.

ANGELIQUE, même jeu. – Il…il se repentait et demandait du courage à Dieu.

DAVID. – Et de quoi se repentait-il ?

ANGELIQUE, même jeu. – Il avait osé m’inviter à danser au bal de la paroisse.

DAVID. – Quoi de plus normal pourtant : moi-même, cela m’est arrivé.

ANGELIQUE, même jeu. – Oui mais ensuite, on s’est promenés dans le parc.

THERESE. – Mais tu ne m’avais jamais parlé de ça.

DAVID. – Chut ! Continue, Angélique.

ANGELIQUE, même jeu. – Et puis, c’est allé très loin.

DAVID. – Comment ça très loin ? (Il se signe.)

THERESE. – Chut ! Continue, Angélique.

ANGELIQUE, même jeu. – Il m’a prise dans ses bras et m’a embrassée…sur la bouche.

THERESE. – Sur la bouche ? Mais c’est normal.

DAVID. – Il n’y a pas de quoi fouetter un chat.  Moi-même je…non, j’allais dire une bêtise. (Il se signe à nouveau.)

THERESE. – Mieux vaut les dire que les faire, frère David.

DAVID, en aparté. – Je les ai pourtant faites avec mon Adèle.

ANGELIQUE, même jeu. – Et il était à l’église pour demander du courage à Dieu.

DAVID. – Quel courage, Angélique ?

ANGELIQUE, même jeu. – Il allait venir demander ma main à papa.

THERESE. – Le pauvre !

ANGELIQUE, même jeu. – Oui, le pauvre.

DAVID. – Les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables…Réflexion faite, je vais aussi aller prier…et cela n’a rien à voir avec ma libido. (Puis en aparté.) Enfin presque, le souvenir d’Adèle.

 

SCENE 4 : THERESE, ANGELIQUE puis ROMAIN

 

THERESE. – Angélique, tu ne vas pas porter cette croix toute ta vie.

ANGELIQUE. – C’est mon destin, Dieu l’a voulu.

THERESE. – Il n’est pas trop tard pour accomplir un bout de chemin avec un homme.

ANGELIQUE. – Je…je ne sais pas…Prier dieu me suffit.

THERESE. – Tu ne fais que cela de tes journées. Tu dois vivre.

ANGELIQUE, pleurnichant à nouveau. – Mais lui, il est mort.

THERESE. – Mais pas toi, Angélique. Que le mariage de Marie te serve d’exemple et d’encouragement. (Elle veut sortir mais se retrouve nez à nez avec Romain, son mari, qui vient d’entrer.)

ROMAIN. – Quelle plaie, quand même, cette grossesse !

ANGELIQUE. – Cette grossesse ?

THERESE. – Seur, cette grosseur (Puis en aparté à Romain.) Personne ne doit être au courant de la grossesse de Marie sinon David ne voudra pas la marier. Tu le connais : il est devenu intégriste !

ROMAIN, d’abord en aparté à Thérèse. – Et sans mariage, tu as raison, plus d’argent frais. (Puis à Angélique.) Une grosseur, parfaitement…et il faudra que j’aille consulter…

THERESE. – Le dermatologue… ne tarde pas.

ANGELIQUE. – Où ça ?

ROMAIN. – Le dermatologue ?

ANGELIQUE. – Non, la grosseur !

ROMAIN. – Eh bien…la grossesse, c’est au ventre. (Thérèse lui donne un coup de coude.) La grosseur, pas la grossesse, qu’est-ce que je raconte !

ANGELIQUE. – Je peux voir ? Tu sais bien que la médecine, c’est mon dada.

THERESE. – Non, on ne peut pas : c’est plutôt au bas-ventre, on ne peut pas.

ANGELIQUE. – Au bas ventre ?

ROMAIN. – Oui et gros comme un œuf de pigeon. C’est bien simple : j’en avais deux et à présent, on dirait que j’en ai trois.

THERESE, en aparté à Romain. – N’en fais pas trop quand même.

ANGELIQUE. – Trois ?

THERESE. – Il exagère toujours. (A Romain.) Vantard, va.

ROMAIN. – Ce n’est pas de la vantardise, c’est de l’inquiétude.

THERESE. – Oui, c’est juste, mon pauvre chéri. Que de soucis avec cette grossesse !

ROMAIN. – Seur, grosseur ! Mais je vais prendre les choses en mains.

ANGELIQUE. – Les choses ? Quelles choses ?

ROMAIN. – Je…je vais téléphoner pour prendre rendez-vous, c’est ce que je voulais dire.

ANGELIQUE. – C’est plus prudent.

THERESE. – Je vous laisse : je vais essayer de trouver du pain sans gluten pour le parrain de Marie.

ANGELIQUE. – Du pain sans gluten ?

ROMAIN. – C’est vrai que j’ai oublié qu’il y était devenu intolérant, j’aurais pu me renseigner.

ANGELIQUE. – Des gens adoptent le régime même sans y être intolérants parce que c’est meilleur pour la santé.

THERESE. – Parole d’experte mais au lieu d’être toujours plongée dans tes magazines médicaux et ensuite te trouver toutes les maladies, suis mon conseil : revis, Angélique. (Elle sort.)

ROMAIN. – ça va, Angélique, bien installée ?

ANGELIQUE. – Bien assise dans le canapé, oui.

ROMAIN. – Non, je voulais dire : « Bien installée dans ta chambre ? »

ANGELIQUE. – Oui, c’est sobre mais ça me convient. Tant qu’il y a un crucifix !

ROMAIN. – C’est la chambre bleue. La rouge pour David. L’avoir pour voisin, je suppose que cela te convient.

ANGELIQUE. – C’est un saint. Et la petite chambre du fond ?

ROMAIN. – Elle servira de temps en temps à la bonne mais Julie, le témoin de Marie, va l’occuper pendant trois jours.

ANGELIQUE. – Pourquoi avoir engagé une domestique ?

ROMAIN. – C’est…pour une courte période : le temps des préparatifs du mariage. Nous verrons ensuite si nous la gardons.

ANGELIQUE. – Comment s’appelle-t-elle ?

ROMAIN. – Laetitia comme la chanson de Gainsbourg (En chantant.): l-a e dans l’a t-i-t-i-a.

ANGELIQUE. – Je n’aime pas tellement Gainsbourg, c’était un provocateur.

ROMAIN. – Disons qu’il appelait un chat un chat.

ANGELIQUE. – Ses chats n’étaient pas très racés. Et puis, je n’aime pas les chats, je suis allergique à leurs poils.

ROMAIN. – Une allergique aux poils de chats et un intolérant au gluten. On vous a mis ensemble dans la suite…pardon dans le cortège nuptial, soignons notre vocabulaire.

ANGELIQUE. – Il n’y avait vraiment personne d’autre que François ?

ROMAIN. – Deux célibataires, on ne pouvait pas vous rater…Tu sais, François est un bon parti.

ANGELIQUE. – Peu importe, il ne m’intéresse pas.

ROMAIN, se rapprochant. – Et moi ?

ANGELIQUE, reculant. – Tu ne vas pas recommencer ! Si ma pauvre sœur était au courant…

ROMAIN. – Elle t’a dit de vivre, ta sœur.

ANGELIQUE. – Tu as de la chance que je la protège en me taisant et que la seule idée du divorce…

ROMAIN. – Du divorce ? Quel divorce ?

ANGELIQUE. – Du vôtre si je parle. Quand on se marie, c’est devant Dieu et ce n’est pas pour divorcer un jour même si c’est pour le meilleur et pour le pire.

ROMAIN. – C’est justement le meilleur que je veux pour toi. Laisse-toi faire. (Il la renverse dans le canapé pour l’embrasser.)

ANGELIQUE, en se débattant. – Non !

 

SCENE 5 : ANGELIQUE, ROMAIN puis MARIE

 

MARIE, rentrant. – Papa !

ROMAIN, embarrassé. – Ta…ta tante a fait un malaise.

MARIE. – Un malaise ? Mais je l’ai entendue crier « Non ! »

ANGELIQUE, même jeu. – Oui…J’ai crié « Non ! »…

ROMAIN, à Angélique. – Tu…tu as crié « Non ! » ? Mais pourquoi ?

MARIE. – Mais oui, pourquoi ?

ANGELIQUE, embarrassée. – Je…je me suis sentie mal et j’ai crié : « Non, je ne veux pas mourir ! »

MARIE. – Mais je n’ai entendu que « Non ! », pas « Je ne veux pas mourir ! »

ANGELIQUE. – Je…je n’ai pas eu le temps. J’ai commencé la phrase…

ROMAIN. – Mais elle n’est pas arrivée à la fin parce que j’ai plongé aussi vite pour la réanimer.

MARIE, soupçonneuse, à Romain. – Tu ne manques pas de réflexes ! Au premier mot tu as plongé ?

ROMAIN, embarrassé. – A…vant de crier, elle est…devenue toute pâle et je m’étais déjà rapproché.

MARIE, même jeu. – Je la trouve plutôt rouge, pourtant.

ANGELIQUE. – En…en tombant en arrière, le…le sang est revenu à la tête et…mon visage a rougi.

MARIE. – Si tu le dis… et ça t’arrive souvent ce genre de malaise ?

ANGELIQUE. – C’est l’émotion…On a reparlé de Benoît et…je me suis sentie mal.

ROMAIN. – Benoît ?

MARIE. – Le sacristain ?

ROMAIN . – Ah oui, Benoît…mais que diable faisait-il dans la sacristie ?

ANGELIQUE. – Et chaque fois qu’on reparle du toit qui s’est effondré, je m’effondre également. (Elle se remet à pleurer.) Même David a dit que c’était une fameuse tuile. (Elle pleure de plus belle.)

ROMAIN, à Marie. – Laissons-la seule, ça va passer.

MARIE, à Angélique. – Tu préfères rester seule, tatie ?

ANGELIQUE. – Oui…ou accompagne-moi plutôt au jardin. (Elle regarde Romain.) L’air sera plus respirable dehors. (Elles sortent toutes les deux.)

ROMAIN, l’imitant. – L’air sera plus respirable dehors. (Puis normalement.) Foutue grenouille de bénitier.

 

SCENE 6 : ROMAIN et THOMAS, puis DAVID

 

THOMAS, rentrant de l’autre côté portant son costume de marié. – Bonjour Romain.

ROMAIN. – Bonjour Thomas.

THOMAS . – Je profite de vous appeler Romain tant que je le peux encore. Bientôt, ce sera beau-papa.

ROMAIN. – Profitez, je vous en prie. Alors, Thomas, les affaires vont toujours bien ?

THOMAS. – Nickel. Normal, papa et moi sommes dans la métallurgie. (Il s’esclaffe.)

ROMAIN. – Excellent et il faut le…faire. (Il s’esclaffe à son tour.) Un-un. (Son portable sonne. Il répond.) Allô ! Salut François…Oui, on pense à toi…David est là, oui…Tu aimerais communier durant le mariage ? …Lui demander s’il peut prévoir une hostie sans gluten ? …C’est indispensable ?...Je lui en parlerai. …Ton pain ? Thérèse devait s’en occuper. ..Oui, je vais lui demander aussi…Je te rappelle…Tu veux le savoir immédiatement pour prendre tes dispositions ?...Bon, attends, reste en ligne…(A Romain.) Veuillez m’excuser, Thomas, je reviens : un intolérant au gluten, un cas prioritaire. (Il sort. Le portable de Thomas sonne.)

THOMAS. – Allô ! Ah, c’est toi Pierre…Un peu dangereux de m’appeler, je suis justement chez ma promise…(David est rentré, Thomas lui tourne le dos.) Ils vont m’apporter l’argent frais pour rembourser  mes dettes de poker…Je ne pouvais pas demander à papa : ses affaires ne vont plus très bien...Oui, tu seras remboursé d’ici un mois maximum…Je raccroche parce que ce n’est pas très prudent. (Il coupe son portable. David, qui a écouté, sort après s’être signé.)

ROMAIN, revenant de l’autre côté. – Pour l’hostie sans gluten, il patientera. David est sans doute parti faire un tour. Vous ne l’avez pas vu, Thomas ?

THOMAS. – David ?

ROMAIN. – Le prêtre qui vous mariera. Pas vu ?

THOMAS. – Pas vu la moindre soutane, non.

ROMAIN. – Alors,  qu’allez-vous offrir comme voyage de noce à ma fille ? Elle n’a rien voulu nous dire.

THOMAS – Nous n’en avons pas encore parlé. (Puis en aparté.) Si tu savais, mon vieux, je suis fauché.

ROMAIN. – Pas encore parlé ? Mais vous vous mariez samedi.

THOMAS. – Je voulais dire que…je ne lui en avais pas encore parlé, c’est une surprise.

ROMAIN. – Une surprise…pour elle. Je garderai le secret.

THOMAS. – Je…je ne peux rien dire. D’ailleurs, je...n’ai pas encore vraiment décidé et on n’est pas obligés de partir tout de suite.

ROMAIN. – Vous n’allez pas attendre trois mois quand même ?

THOMAS. – Pourquoi ? On ne peut pas ?

ROMAIN. – Parce que…trois mois, ça me paraît …un peu gros. (Il regarde son ventre.)

THOMAS. – Un peu gros ?

ROMAIN. – Oui…enfin…façon de parler. Et vous espérez avoir rapidement des enfants ?

THOMAS, songeur. – Des enfants ?

ROMAIN. – Marie brûle de devenir maman.

THOMAS. – Elle ne m’a jamais rien dit pourtant, rien ne presse.

ROMAIN. – Mais c’est pourtant urgent !

THOMAS. – Urgent ?

ROMAIN. – Enfin…je veux dire qu’elle en a vraiment très envie.

THOMAS. – Je vous l’ai dit : rien ne presse.

ROMAIN. – ça…peut venir aussi par accident.

THOMAS. – En couple, on décide à deux. Elle ne va quand même pas me faire…un enfant dans le dos. (Il se met à rire.) Deux-un, je reprends l’avantage.

ROMAIN. – Sur ce sujet, je ne vous confierai pas…ma position. (Il rit.) Deux-deux. Egalisation rapide.

THOMAS. – Bien joué. J’aime quand le match est serré. Ça me motive. Ce qui me branche moins par contre, c’est cette idée de répétition du mariage.

ROMAIN. – Elle veut être sûre de ne pas commettre d’erreur samedi, surtout si elle est émue.

THOMAS. – Alors autant profiter de la présence du prêtre.

ROMAIN. – Nous répéterons donc…comme au théâtre.

THOMAS. – Vous n’allez quand même pas faire…une scène à ma future épouse ? (Il rit.) Trois-deux.

ROMAIN. – Personnellement, j’espère surtout que vous serez honnête avec elle : ne lui jouez pas…la comédie. (Il sourit.) Trois-trois.

THOMAS. – Pas mal. Vraiment un match très serré mais je m’attendais à ne pas gagner…d’un boulevard. (Il rit à nouveau.) Quatre-trois.

ROMAIN. – Le théâtre de boulevard, bien joué. Je m’incline.

THOMAS. – Moi, je me relève pour aller rejoindre Marie. A plus tard.

ROMAIN. – A plus tard.

THOMAS. – Vous n’avez pas compté ?

ROMAIN. – Compté quoi ?

THOMAS. – Le score. Je m’incline…et je me relève…ça vaut bien un petit cinq-trois, non ?

ROMAIN. – Effectivement, je…m’incline. Cinq-quatre ! (Thomas sort en souriant.)

 

SCENE 7 : ROMAIN et DAVID, puis THERESE et LAETITIA

 

DAVID, rentrant de l’autre côté. – Romain, qui est cette Julie ?

ROMAIN. – La meilleure amie de Marie, elle sera son témoin.

DAVID. – Mais elle n’a pas l’air dans son état normal. Elle me paraît un peu…spéciale.

ROMAIN. – C’est vrai que…

DAVID. – Elle ne fumerait pas des substances illicites ?

ROMAIN. – Elle est un peu olé-olé.

DAVID. – Olé-olé ? ça veut dire quoi ‘olé-olé’ ?

ROMAIN. – Qu’elle ne met pas que du lait dans son café olé…cinq cinq…ah non, c’est vrai, c’est un autre match.

DAVID. – Un autre match ? Tu n’aurais pas fumé un joint toi aussi par hasard ?

ROMAIN. – Non, pas aujourd’hui…mais ça m’est arrivé il y a bien longtemps.

DAVID. – Mon Dieu ! (Il se signe.) Ma pauvre sœur !

ROMAIN. – Rassure-toi, c’était avant de la connaître et de l’épouser.

DAVID. – Tu me rassures…mais justement à propos d’épouser, il faudrait reporter le mariage.

ROMAIN. – Reporter le mariage ? Impossible, nous courons à la faillite.

DAVID. – Vous courez à la faillite ?

ROMAIN, embarrassé. – Non…je veux dire que tout est commandé…le traiteur…et tutti quanti.

DAVID. – Tutti quanti ?

ROMAIN. – Enfin…je veux dire le Chianti…150 bouteilles… à 20 euros pièce.

DAVID, étonné. – Vingt euros la bouteille ? Tu m’en garderas quelques-unes pour la messe.

ROMAIN. – Et il n’y a pas que le traiteur :…il y a …il y a…

DAVID. – Il y a quoi ?

ROMAIN. – Le…le voyage de noces…tout est réservé :…avion…hôtel…et on a payé d’avance.

DAVID. – Mais ce n’est pas possible. Tu n’as pas souscrit une assurance-annulation ?

ROMAIN. – Si…mais ensuite…on a annulé.

DAVID. – Ah tu vois ! Tu as annulé le voyage ?

ROMAIN. – Non : l’assurance…annulation…

DAVID. – Tu as annulé l’assurance-annulation ? Mais pourquoi ?

ROMAIN. – C’était…c’était trop cher.

DAVID. – Trop cher ? Comment ça trop cher ?

ROMAIN. – Pour…pour payer le Chianti…il a fallu annuler l’annulation…c’était trop cher.

DAVID. – Mais enfin, que me racontes-tu là ? Vous avez pourtant les moyens.

ROMAIN. – C’est…Marie qui a tenu absolument à payer elle-même le voyage et à la fin, son budget était serré.

DAVID. – Si tu le dis…mais je n’en démords pas : il faut reporter, le temps d’éclaircir les choses avec ce Thomas.

ROMAIN. – Comment ça éclaircir les choses ?

DAVID. – Notre famille doit rester un exemple et ce Thomas me paraît être le loup que nous allons faire rentrer dans la bergerie.

ROMAIN. – Mais enfin, ce garçon est très bien et apportera la sécurité financière à Marie.

DAVID. – Je n’en suis pas si sûr. Sans compter que le témoin d’un mariage religieux doit avoir une moralité irréprochable, ce qui ne me paraît pas le cas de cette Julie.

ROMAIN. – Mais, c’est…impossible de reporter,  il y a la grossesse…seur, la grosseur…la grosseur.

DAVID. – La grosseur ? Quelle grosseur ?

ROMAIN. – Au bas-ventre…j’ai une grosseur au bas-ventre…et je vais me faire opérer juste après le mariage.

DAVID. – Ah bon ? Je ne suis pas au courant.

ROMAIN. – On…on n’a pas voulu t’inquiéter…c’est peut-être grave et…

DAVID. – Et je serais d’un grand réconfort…Pourquoi me le cacher ? Je suis prêtre.

ROMAIN. – C’est…c’est sexuel.

DAVID. – Comment ça sexuel ?

ROMAIN. – C’est comme une maladie honteuse, je ne peux t’en dire plus.

DAVID. – Et tu as attrapé ça comment ?

ROMAIN. – Comment ? …Eh bien…Je…je ne peux pas te le dire, c’est…c’est trop délicat.

DAVID. – J’exige de connaître la vérité. Je peux tout entendre…et pardonner.

ROMAIN. – Si tu y tiens. Tu me garantis le secret de la confession ?

DAVID. – Je porte la soutane, ça ne suffit pas ?

ROMAIN – Si. (Il lui parle à l’oreille.)

DAVID, choqué. – Avec un transsexuel ? Mais ça existe, ça ? (Romain lui parle de nouveau à l’oreille.) Mais je sais pertinemment bien ce qu’est un transsexuel, je parle de la grosseur après…après…enfin tu m’as compris.

ROMAIN. – Evidemment que ça existe, j’en suis la preuve vivante.

DAVID. – Montre-moi, je peux également tout voir.

ROMAIN, s’éloignant. – Ah non ! Je regrette mais je suis pudique, il n’en est pas question !

DAVID, en aparté. – Mais où suis-je tombé ? Le futur marié est un joueur fauché, le témoin une droguée et le père de la mariée, mon beau-frère, a trompé ma sœur avec un transsexuel.

ROMAIN, en aparté. – Pourquoi ai-je inventé ça ? Heureusement qu’il le gardera pour lui.

DAVID, même jeu. – Et il a une grosseur, une grosseur ! Nous sommes au royaume de Sodome et Gomorrhe.

ROMAIN. – Je vais faire amende honorable ailleurs.

DAVID. – Prie surtout. D’ailleurs, je vais le faire tout de suite pour toi. (Romain sort.) Mon dieu ! Que faire maintenant avec cette opération nécessaire ? Prions. (David s’est placé derrière le canapé et en s’agenouillant, il perd l’équilibre.) Satanée soutane ! (Il se retrouve couché.)

THERESE, rentrant. –Venez, Laetitia. Ici, il n’y a personne.

LAETITIA, rentrant à son tour. – Mon frère m’a dit que si vous rajoutez 500 €, vous allez non seulement vous refaire mais aussi réaliser un coup fumant. (David, étonné, ouvre de grands yeux mais ne se relève pas. Les deux femmes ignorent sa présence.)

THERESE. – Et vous êtes sûre qu’Arsenal va l’emporter ?

LAETITIA. – C’est comme si c’était fait.

THERESE. – Comme Chelsea la dernière fois, on a vu le résultat. Et vous avez besoin de l’argent immédiatement ?

LAETITIA. – Si Madame n’a pas de liquidités, la banque est juste à côté.

THERESE. – Je sais bien que la banque est à côté. Vous n’allez quand même pas me dicter mon comportement, ma petite ?

LAETITIA. – Madame, je ne suis pas votre petite.

THERESE. – Vous n’allez pas recommencer ! Sortez. (Elle sort rapidement.) Et moi, comme je n’ai pas tellement le choix, je file à la banque… (Son téléphone sonne, elle répond.) Mais qu’est-ce qui te prend de me téléphoner ? Ce n’est pas prudent…Je sais bien que c’est jeudi mais je ne pouvais pas te voir avec la préparation du mariage…Mais oui, moi aussi, je t’aime…Bisous…partout. (Elle sort à son tour.)

DAVID, toujours couché. – Si même ma sœur s’y met. Le démon du jeu, c’est le pire des vices. Une flambeuse, ça va en enfer. Et cerise sur le gâteau, elle trompe son mari…aussi. Mon dieu, je ne peux pas fermer les yeux, devenir leur complice.

 

SCENE 8 : DAVID, MARIE et JULIE

 

(Marie et Julie, dans un état second, rentrent de l’autre côté. Marie porte sa robe blanche de mariée.)

MARIE. – Il n’était pas plus fort que d’habitude, ton joint ?

JULIE. – Exact. Il faut essayer du neuf, tu vas bien te marier.

MARIE. – Je proclame le premier juin jour d’initiation à la drogue.

DAVID, toujours couché, en aparté. – Mon dieu ! (Il se signe.) C’est de mal en pis.

JULIE. – Mais nous ne sommes pas le premier juin.

MARIE. – Non mais mon premier pétard, c’était le premier juin.

JULIE. – Eh ! Ce n’est peut-être pas très bon pour ton bébé.

MARIE. – T’inquiète, je ne suis qu’au début de ma grossesse.

DAVID, en aparté. – Une grossesse ? En plus ? Mon Dieu, mais je ne peux pas la marier dans cet état.  (Il se signe, veut se relever mais retombe, attirant l’attention des deux filles.)

JULIE. – Eh ! Il y a un homme !

MARIE. – C’est tonton David ! (En aparté.) Mince ! Il aura entendu pour ma grossesse. (Puis à David.) Mais qu’est-ce que tu fais là ?

DAVID, en se relevant péniblement. – Je prie.

JULIE. – Couché ? (Puis à Marie.) Il est marrant, ton tonton. (Puis à David.) Eh, tonton, t‘es un marrant.

DAVID. – Je ne suis pas votre tonton. Appelez-moi « Mon père », ma fille.

JULIE. – Mais je ne suis pas votre fille.

DAVID. – Oui, je sais, personne n’est ma fille, ici.

MARIE. – Tu n’as pas l’air bien, tonton ?

DAVID. – Si, si mais ne m’appelle pas tonton devant…une pécheresse, s’il te plaît, Marie...même si tu as péché, toi aussi.

JULIE. – Une pécheresse ? ça veut dire quoi, ça ?

DAVID. – ça veut dire que l’alcool et la drogue ramollissent le cerveau, c’est bien connu.

MARIE. – Mais, tonton…

JULIE. – Mais c’est qu’il est en train de m’insulter, le curé !

DAVID. – Veuillez m’excuser, ma fille, la douleur m’égare et je ne sais plus ce que je dis.

JULIE. – Encore « ma fille » ! Eh, t’es vraiment pas le genre de maman, alors il n’y a aucune chance que je le sois.

DAVID. – Dieu m’en préserve.

MARIE. – Tonton, tu es sûr que tout va bien ? Qu’est-ce que tu faisais derrière le canapé ?

DAVID. – Je te l’ai dit : je priais.

JULIE. – Couché ? Quand je priais quand j’étais toute petite fille, c’était à genoux.

DAVID. – J’étais… prosterné… en direction… de La Mecque.

MARIE. – Tu t’es converti à l’Islam ?

DAVID. – Je …je suis pour le rapprochement des religions.

MARIE. – Je t’ai connu plus à cheval sur les traditions chrétiennes.

DAVID. – Oui mais là, je n’étais pas à cheval…j’étais tombé.

JULIE. – Tombé de cheval ? C’est moi qui fume et c’est lui qui est dans les vapes !

DAVID. – J’ai…j’ai fait un malaise.

MARIE. – Encore ?

DAVID. – Pourquoi encore ?

MARIE. – Tatie en a déjà fait un tantôt et papa a plongé pour la ranimer. Enfin, je ne suis pas vraiment convaincue.

JULIE, riant. – Moi, pour plonger, j’ai besoin d’eau ou alors, quand je ne paie pas le resto, je finis… à la plonge.

DAVID. – Moi aussi, j’ai…j’ai besoin d’eau…pour mes ablutions, je vais donc aller voir le bassin de jardin.

JULIE. – Pour plonger ?

DAVID. – Non, pour prier, ma fille que je sais ne pas être ma fille.

JULIE. – Mais pourquoi le dites-vous alors ?

DAVID. – Je me comprends.

MARIE. – Reste, tonton. On a besoin de toi.

DAVID. – Ah bon ? Et pourquoi ?

MARIE. – Tu ne vois pas que j’ai mis ma robe de mariée ?

JULIE. – Et moi, ma robe de témoin. (Elle rit.)

DAVID, en aparté. – Mon Dieu, une robe blanche alors que…

MARIE. – On fait une petite répétition, tu as oublié ?

DAVID. – Cinq minutes, laissez-moi cinq minutes. (Puis en aparté.) Mon Dieu, je ne peux décemment pas la marier enceinte et avec un père qui… , une mère qui…, un fiancé qui…, un témoin qui… (Il se signe à nouveau et sort.)

 

SCENE 9 : MARIE et JULIE puis THOMAS

 

JULIE. – Il m’a l’air un peu coincé, ton curé.

MARIE. – Ce n’est pas mon curé mais mon tonton. (Soupirant.) Ouh ! Je me sens un peu naze. Qu’est-ce qu’on a fumé ?

JULIE. – Un nouveau pétard qui nous a… explosés.

MARIE. – On va mettre le feu, alors…comme dans les concerts.

JULIE. – Il viendra avec toi aux festivals de rock ton Jules ?

MARIE. – ça m’étonnerait : la musique et lui, ça fait deux.

JULIE. – Enfin, tant qu’il aime la musique de chambre.

MARIE. – Pourquoi la musique de chambre ?

JULIE. – Ben, pour le plumard . La musique de chambre, c’est forcément pour le plumard.

MARIE. – T’es bête.

JULIE. – Ouais, je sais, ma mère me l’a assez dit. J’ai essayé de poursuivre mes études mais je ne les ai jamais rattrapées.

MARIE. – T’as pas couru assez vite.

JULIE. – J’ai jamais été rapide. D’abord, à l’école, j’ai toujours eu horreur du cours de gym. Je trouvais le cours…trop long. J’aimais les cours…courts.

MARIE. – Moi aussi…et puis, on était entre filles : c’était pas motivant.

JULIE. – T’es comme moi : t’aurais préféré frimer devant les garçons, leur courir derrière.

MARIE. – Ouais, les aguicher, sentir monter la température.

JULIE. – Il n’y avait pas que la température qui montait. (Elles rient.)

MARIE. – Heureusement que tonton n’a pas entendu ça.

JULIE. – Il serait retombé…de cheval. (Elle rit à nouveau.) Tiens, c’est peut-être ça qu’il cherche sur la pelouse.

MARIE. – Quoi ?

JULIE. – Son cheval et c’est pour cela qu’il a détalé…comme un lapin. (Elle rit encore.)

THOMAS, rentrant. – Ah, vous êtes là, les filles ! Alors, cette répétition ?

MARIE. – Tonton David fait un break.

THOMAS. – Tonton David ? On dirait une rockstar.

JULIE. – Mais c’est une star puisque c’est le curé de la famille. Je parie qu’il joue des vieux rocks sur son orgue et que ça doit balancer dur.

MARIE. – ça m’étonnerait, il est plutôt conservateur le tonton.

THOMAS. – Où est-il que je fasse sa connaissance ?

MARIE. – Au jardin.

THOMAS. – Je pars chasser la soutane. (Il sort.)

JULIE. – Et qu’il y a-t-il sous tane ? Tout ce qui fait d’un curé un homme.

MARIE – S’il t’entendait !

JULIE. – Quoi ? Il retomberait de cheval ?

 

SCENE 10 :MARIE, JULIE, ROMAIN puis LAETITIA

 

ROMAIN, rentrant de l’autre côté. – Ta mère n’est pas là ?

JULIE/MARIE, en chœur. – Non !

ROMAIN. – Julie, je ne vous demande pas si votre maman n’est pas là mais je le demande à ma fille, Marie.

MARIE. – A moins qu’elle ne soit cachée derrière le canapé, tu vois bien qu’elle n’est pas là.

ROMAIN. – Mais que ferait-elle cachée derrière le canapé ?

JULIE. – Elle prierait à genoux dans la direction de La Mecque…comme tonton.

ROMAIN. – Vous me semblez…en forme, Julie. Pour un peu, je croirais que vous avez fumé.

JULIE. – Mais j’ai fumé : j’assume parfaitement.

ROMAIN, inquiet. – Toi aussi, Marie ?

MARIE. – Non, rassure-toi : moi aussi, j’assume…ma grossesse.

ROMAIN. – Seur !

JULIE/MARIE, en chœur. – Quoi, seur ?

ROMAIN. – Grosseur, pas grossesse ! Surtout devant David, parlez toujours de grosseur, pas de grossesse.

JULIE. – Mais pourquoi ?

ROMAIN. – Il…il va nous faire un malaise…et comme il est cardiaque, il faut le ménager.

MARIE. – Il est cardiaque ? Je ne suis pas au courant.

ROMAIN. – C’est…c’est tout récent…Il ne s’est confié qu’à ta maman et moi en arrivant ici.

(Il va agiter une sonnette sur la table.)

JULIE. – Eh, c’est quoi, ce truc ?

ROMAIN. – Ce truc, comme vous dites, c’est pour appeler Laëtitia.

JULIE. – La bonne ?

ROMAIN. – La bonne, oui, mais elle n’est jamais très rapide, ni très efficace d’ailleurs.

JULIE. – Alors, c’est une mauvaise.

ROMAIN. – Une mauvaise ?

JULIE. – Oui : si elle n’est pas bonne, c’est qu’elle est mauvaise alors.

MARIE. – Comme tu dis : elle est en forme.

LAETITIA, rentrant. – Monsieur a sonné ?

JULIE. – Forcément qu’il a sonné, sinon vous ne seriez pas là.

ROMAIN. – Julie, vous êtes ici en tant qu’amie et témoin de Marie. Merci de ne pas l’oublier.

JULIE. – Mais je dis ça pour vous aider…Les domestiques, de nos jours, vous savez…

LAETITIA, vexée. – Les domestiques ?

MARIE, à Julie. – N’en fais pas trop tout de même.

ROMAIN, à Julie. – Julie, tantôt à la cuisine, je vous ai dit de faire comme chez vous mais il y a des limites.

LAETITIA, à Julie. – Tu sais ce qu’elle te dit la domestique, connasse ?

JULIE. – Eh ! Comment tu m’as appelée, toi ?

MARIE, à Julie. – Julie, stop ! Viens, allons chercher tonton.

JULIE. – Mais tu n’as pas entendu comme elle m’a appelée.

ROMAIN, à Julie. – N’en rajoutez pas. (Il entraîne Julie en compagnie de Marie. Les deux filles sortent.)  

LAETITIA. – Pour qui elle se prend, celle-là ?

ROMAIN. – Il faut l’excuser : elle n’est pas dans son état normal mais qu’étiez-vous venue faire ici ?

LAETITIA. – Vous avez sonné.

ROMAIN. – J’ai sonné ? Ah oui, j’avais oublié. Savez-vous où se trouve ma femme ?

LAETITIA. – A la banque. Mais elle ne va pas tarder à revenir sinon il sera trop tard pour l’heure du match.

ROMAIN. – L’heure du match ? Quel match ?

LAETITIA, embarrassée. – Du match…de boxe parce que je vais la réduire en bouillie cette Julie.

ROMAIN. – On se calme. On hisse le drapeau blanc et on bat en retraite à la cuisine.

LAETITIA. – Mais je n’ai rien à y faire pour l’instant.

ROMAIN. – Peu importe. Allez-y et réfléchissez à la recette d’une hostie sans gluten.

LAETITIA. – Mais que voulez-vous que je fasse d’une hostie sans gluten ?

ROMAIN. – Vous, rien ! Mais le parrain de Marie, lui, en aura bien besoin.

LAETITIA. – Vous auriez pu me dire de débarrasser le plancher, j’aurais compris.

ROMAIN. – Que vous débarrassiez le plancher ou battiez en retraite, je ne veux pas d’histoire avec Julie, compris ?

LAETITIA. – Compris, chef ! (Elle sort.)

 

SCENE 11: DAVID, ROMAIN puis JULIE, MARIE, THOMAS et THERESE

 

DAVID, rentrant préoccupé. – Ah ! J’espérais que tu sois seul. Il faut que je te parle.

ROMAIN. – Je suis tout ouïe.

DAVID. – Grosseur ou pas, il y a plus urgent que ton opération.

ROMAIN. – Mon opération ?

DAVID. – Mais oui, ta grosseur….le transsexuel…ton opération.

ROMAIN, réalisant. – Ah oui, mon opération…J’avais la tête ailleurs…(Puis en aparté.) Il faut dire que ça n’a vraiment ni queue ni tête.

DAVID. – Il faut absolument postposer ou annuler…

ROMAIN. – L’opération ?

DAVID. – Non, le mariage.

ROMAIN. – Postposer le mariage ? Mais il n’en est pas question, tu vas nous ruiner…

DAVID. – Vous ruiner ?

ROMAIN. – Me ruiner…me ruiner la santé et nous…parce que ta sœur ne supporterait pas non plus le report.

DAVID. – Pourquoi ?

ROMAIN. – Si…si on reporte mon opération, elle va se faire un sang d’encre pour moi.

JULIE, rentrant avec Marie et Thomas. – Il est là, le tonton coureur.

MARIE. – C’est vrai que  tu nous as pris de vitesse.

JULIE. – Tu ne devrais pas, ce n’est sans doute pas très bon pour ton cœur.

DAVID. – Mon cœur ?

THOMAS. – Ménagez vous, monsieur le curé.

ROMAIN. – Ne…parlons plus de sport, il y a la répétition du mariage.

DAVID, à Romain, en aparté. – Mais puisque je te dis qu’il faut le reporter !

THERESE, rentrant. – Me voilà.

ROMAIN, courant vers elle puis en aparté. – Ton frère veut repousser le mariage.

THERESE, en aparté à Romain. – Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il lui prend ?

MARIE, à David. – On commence ?

THOMAS. – Nous sommes prêts.

JULIE. – Oh oui, qu’on puisse rigoler !

DAVID. – Il n’en est pas question !

THERESE. – Comment ça « pas question ? »

DAVID. – Je…je ne peux pas.

THERESE. – Comment ça tu ne peux pas ?

DAVID. – C’est vrai que je ne me sens pas très bien…le cœur sans doute.

ROMAIN. – Mais non, tu te portes comme un charme.

MARIE. – Mais oui, tonton et puis, je n’ai pas mis ma robe pour rien.

JULIE. – Et moi, je ne suis pas venue pour rien.

THOMAS. – Et moi non plus, je veux savoir ce qui m’attend samedi.

MARIE. – On dirait que ce sera désagréable.

THOMAS. – Mais non, ma chérie, mais ce sera tellement important.

JULIE. – Alors, tonton David, on y va ?

ROMAIN. – Julie, je vous rappelle une nouvelle fois à l’ordre.

JULIE. – Et je n’ai pas l’habitude d’obéir aux ordres, mon capitaine.

DAVID. – A l’ordre, au respect et à la politesse…Non, je ne peux pas.

ROMAIN, en aparté à David. – C’est une question de vie ou de mort, pense à la

grosseur.

DAVID,  après un long moment d’hésitation. – Bien…Allons-y.

MARIE. – Où dois-je me placer, tonton ?

DAVID. – Peu importe, nous répétons simplement le texte. Plus, ce serait un sacrilège.

THERESE. – Un sacrilège ? Ne dramatisons pas. Asseyons-nous tous et écoutons.

DAVID. – Non…Il manque le témoin du marié. On ne peut pas.

THOMAS. – Il n’était pas libre. Et puis, il n’est pas né de la dernière pluie, il connaît la musique.

ROMAIN. – Et il nous faut un mariage sans fausse note. Musique sans fausse note, cinq-cinq, Thomas.

THOMAS. – Bien joué.

DAVID. – Non, on ne peut pas. Il y a la lecture des textes par les témoins.

JULIE. – Je lirai le texte une fois samedi matin, ça suffira.

THOMAS. – Et mon témoin fera de même, l’important c’est le consentement.

ROMAIN. – Mais oui, on ne va quand même pas passer le réveillon là-dessus.

MARIE. – Vas-y, tonton.

DAVID, résigné, sortant un livret de sa poche, l’ouvrant et lisant. – Marie et Thomas, vous avez écouté la parole de Dieu qui a révélé aux hommes le sens de l'amour et du mariage. Vous allez vous engager l'un envers l'autre. Est-ce librement et sans contrainte ?

THOMAS. – Oui.

MARIE. – Oui, tonton.

DAVID. – Non, pas tonton. C’est au prêtre que tu t’adresses, pas à l’oncle.

MARIE. – Mince, c’est vrai, pardon.

DAVID. – Et en chœur, s’il vous plaît. Si vous répétez, c’est pour être au point. Je reprends : est-ce librement et sans contrainte ?

MARIE/THOMAS, en chœur. – Oui.

DAVID. – Vous allez vous promettre fidélité. Est-ce pour toute votre vie ?

MARIE/THOMAS, même jeu. – Oui, pour toute notre vie.

JULIE, en aparté. – La vie ? Moi, je ne tiendrais pas une semaine.

DAVID. – Dans le foyer que vous allez fonder, acceptez-vous la responsabilité d'époux et de parents ?

MARIE/THOMAS, même jeu. – Oui, nous l’acceptons.

THERESE. – Mon Dieu, je me sens fondre et ce n’est qu’une répétition.

DAVID, désignant Thomas. – C’est à vous, maintenant. J’espère que vous n’avez pas oublié.

THOMAS. – Marie, veux-tu être ma femme ?

MARIE. – Oui, je le veux. Et toi, Thomas, veux-tu être mon mari ?

THOMAS. – Oui, je le veux. Marie, je…te reçois et…je ne sais plus.

JULIE. – C’est malin.

ROMAIN. – Julie, pas de commentaire !

THERESE. – Vous m’avez cassé mon émotion, vous deux.

DAVID, tendant son livret à Thomas. – Lisez.

THOMAS, lisant. – Oui, je le veux. Marie, je te reçois comme épouse et je me donne à toi pour t'aimer fidèlement tout au long de notre vie.

MARIE, repoussant le livret que lui tendait à présent David. – Mais je le sais moi.

JULIE. – Elle a étudié, elle, au moins.

ROMAIN. – Julie, encore une fois : taisez-vous.

MARIE. – Thomas, je te reçois comme époux et je me donne à toi pour t'aimer fidèlement tout au long de notre vie.

DAVID. – Embrassez-vous. (Ils s’embrassent.) Et voilà, c’est ficelé, je vous déclare unis par les liens du mariage.

MARIE. – Comment ça « C’est ficelé ? ». Mais et les alliances ?

THOMAS. – Je ne les ai pas prises, ma chérie.

DAVID, sèchement. – Il a bien fait. C’est terminé !

MARIE, perplexe. – Mais…tonton.

DAVID. – Non, j’en ai déjà trop fait...Et d’ailleurs, samedi, il n’y aura pas de mariage.

MARIE, éclatant en sanglots. – Tu n’es vraiment pas gentil, non vraiment pas gentil. (Elle sort.)

JULIE, la suivant. – Marie, attends.

THERESE, à Thomas. – Et vous, ne restez pas là comme un empoté. Allez la consoler.

ROMAIN. – Mais oui, allez la consoler.

THOMAS. – Comme un empoté ? Mais…

THERESE. – Allez la consoler, vous dis-je. (Thomas sort.)

 

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