Mais qu'est-ce que je fais dans une pièce de boulevard ?

Guillaume, expert-comptable qui sillonne les routes de France pour contrôler le
bilan des sociétés, n’a pas le temps de réintégrer ses pénates qu’il se fait agresser
verbalement par Jeanne, son épouse. Une banale affaire d’adultère ? Pas vraiment.
La situation fait un peu cliché d’autant que s’y ajoute une bonne avec un accent comme dans les pièces de Feydeau.

Fiche

Année
2017

Extrait

ACTE 1

 

SCENE 1

 

GUILLAUME et JEANNE

 

GUILLAUME, répondant au téléphone. – Oui, vieux. Je rentre à l’instant…Crevé…Une semaine infernale…J’espérais un week-end tranquille…Mais c’est déjà parti à cent à l’heure avec Jeanne. Salut. (Il raccroche.)

JEANNE, rentrant. – Alors, tu t’es éloigné pour trouver une réponse plausible ? Tu réfléchis ?

GUILLAUME. – C’est toi qui réfléchis. Que fait cette tente sur la pelouse ? Tu n’as pas répondu à ma question, Jeanne.

JEANNE. – Et toi, réponds à la mienne : pourquoi rentres-tu seulement aujourd’hui ?

GUILLAUME, embarrassé. – Le…le dossier a pris plus de temps que prévu.

JEANNE. – Je croyais que tu devais rentrer hier soir.

GUILLAUME. – Le…le patron m’a demandé de passer voir un client dans la région.

JEANNE. – Comment s’appelle-t-il ?

GUILLAUME. – Mais tu le connais son nom : Peinard, Hervé Peinard.

JEANNE. – Je ne te demande pas le nom de ton patron, c’est celui de ton client que je désire.

GUILLAUME. – Ah ! C’est de ce nom-là dont tu parlais.

JEANNE. – De quel nom crois-tu qu’il s’agissait : de celui de l’horrible Chihuahua de ton patron ?

GUILLAUME. – Quand tu penses qu’il l’accompagne régulièrement au bureau, on devrait réclamer.

JEANNE. – Tout comme moi : je te réclame le nom du client et tu essayes de noyer le poisson.

GUILLAUME. – C’est vrai qu’il en a un aussi sur son bureau. Il s’appelle Victor.

JEANNE. – Qui ? Ton client ?

GUILLAUME. – Non : le poisson rouge, il s’appelle Victor.

JEANNE. – Je me moque du nom du poisson rouge, c’est celui du client que je te demande et ne me rends pas celui du patron.

GUILLAUME. – Peinard, il s’appelle Peinard.

JEANNE. – Je sais, je ne sais même que ça, comme je connais par cœur ta rengaine : c’est nous qui faisons tout, lui il est bien…

GUILLAUME. – Peinard, il est bien peinard. C’est vrai qu’il ne fait pas grand-chose, il délègue beaucoup.

JEANNE, d’abord en aparté. – Changeons de stratégie. (Puis à Guillaume.). Il délègue donc. La preuve, il te demande de rendre visite à un client. Où ?

GUILLAUME. – A…à Poitiers.

JEANNE. – A Poitiers ? Et comment s’appelle-t-il ? Puisque j’ignore toujours son nom malgré plusieurs demandes.

GUILLAUME. – Mais je n’arrive pas à en placer une.

JEANNE. – Attends. Laisse-moi deviner, un client à Poitiers : Charles Martel ? Henri Sarrazin ?

GUILLAUME. – Tu te moques ?

JEANNE. – Non, c’est toi qui te moques de moi…car je mets clairement en doute tes absences régulières.

GUILLAUME. – Mais enfin, tu n’as pas confiance ?

JEANNE. – Si. Tu étais avec les Sarrazins à Poitiers aux côtés de Charles Martel. Et moi, j’attends toujours le nom de ton client.

GUILLAUME. – Elle est forte, celle-là : c’est toi qui ne réponds pas à ma question.

JEANNE. – Laquelle ?

GUILLAUME. – Que fait cette tente sur la pelouse ?

JEANNE. – Une tente ? Serait-ce celle de Charles Martel ou de Henry Sarrasin ?

GUILLAUME. – Tu vois : tu te moques !

JEANNE. – Une tente : des visiteurs venus du Moyen Age ?

GUILLAUME. – Laisse Christian Clavier jouer du piano et réponds : que fait cette tente sur la pelouse ?

JEANNE. – Clavier est pianiste ? Curieux : je l’aurais plutôt vu comédien…comme toi.

GUILLAUME. – Réponds : que fait cette tente sur la pelouse ?

JEANNE. – Ah oui, c’est vrai : il y a une tente mais c’est moi qui suis dans…l’attente du nom de ton client.

GUILLAUME. – Mais pourquoi veux-tu le connaître ?

JEANNE. – Par curiosité…surtout si c’est une femme.

GUILLAUME. –Rien de plus normal : diriger une entreprise, ce n’est pas qu’un métier d’homme.

JEANNE. – Une cliente donc…un joli dossier…pas trop épais…et tu t’étends régulièrement sur le sujet, je suppose ?

GUILLAUME. – Voilà : tu supposes, tu te fais des films…

JEANNE. – Avec Christian Clavier…

GUILLAUME. – Au piano et cela n’a ni queue ni tête.

JEANNE. – Si : la queue du piano, c’est un piano à queue, mon chéri.

 

SCENE 2

 

GUILLAUME, JEANNE et INES

 

INES, rentrant et s’exprimant avec un accent espagnol. – Madame…Oh !...excusez-moi. Bonjour Monsieur.

GUILLAUME. – Bonjour. Qui êtes-vous ?

INES. – Je m’appelle Inès, je suis la remplaçante de Jeannine. Elle est malade.

JEANNE. – Que désirez-vous, Inès ?

INES. – Je ne trouve pas les produits d’entretien.

JEANNE. – Je vous ai dit que c’était dans le garage.

INES. – Ah oui, c’est juste. Excusez-moi. (Elle repart.)

GUILLAUME. – Une bonne avec un accent étranger : on se croirait dans une pièce de Feydeau.

JEANNE. – Une pièce de boulevard avec une cocue et des maîtresses ? C’est du vécu.

INES, revenant. – Madame, comment va-t-on au garage ?

JEANNE. – C’est la porte de droite quand on rentre dans le hall.

INES, repartant. – Merci.

GUILLAUME. – Elle est polie.

INES, revenant. – Madame, c’est quoi le hall ?

JEANNE. – L’entrée de la maison, le couloir d’entrée.

INES, repartant. – Merci.

GUILLAUME. – Vraiment très polie.

JEANNE. – Revenons au théâtre donc aux maîtresses, à la cocue et au mari coureur de jupons qui se croyait bien peinard.

INES, revenant. – Madame, il n’y a pas de porte à droite dans le hall. (Elle réfléchit, désigne la direction.)

JEANNE, s’énervant. – Mais c’est normal : la droite, c’est en rentrant. Ici, vous êtes à l’intérieur, donc c’est dans l’autre sens.

GUILLAUME. – C’est à gauche…(Puis en aparté.) Logique puisqu’elle a l’air un peu gauche ou mal…à droite.

INES, éclatant en sanglots et partant très vite. – Pardon, madame. Il faut m’excuser : il n’y a que deux ans que je suis en France, je ne comprends pas tout.

GUILLAUME. – Ne nous énervons pas.

JEANNE. – C’est toi qui m’énerves et c’est elle qui écope, la pauvre.

GUILLAUME. – Et comme dans les pièces de Feydeau, elle n’a pas l’air très futée. Bien, je vais aller me changer.

JEANNE. – Pour être peinard ? Non. Tu n’as pas encore répondu à ma question.

GUILLAUME. – Mais quelle question ?

JEANNE. – A propos de ta cliente. Comment s’appelle-t-elle ?

GUILLAUME. – Elle…elle s’appelle madame Leblanc.

JEANNE. – Madame ? Elle n’a pas de prénom ?

GUILLAUME. – Si mais je ne l’ai ni tutoyée…

JEANNE. – Ni appelée par son prénom ?

GUILLAUME. – Non.

JEANNE. – Parce que tu fais ça à la va-vite : pas de sentiments, pas le temps de s’attacher.

GUILLAUME. – ça devient franchement pénible, Jeanne.

JEANNE. – Oui : avec ta femme. Les moments agréables, c’est avec les autres.

GUILLAUME. – Des autres, il y en a visiblement sur la pelouse. Qu’y fait cette tente ?

JEANNE. – Puisque tu en reparles, je suis cette fois dans…l’attente de son prénom.

INES, revenant en pleurnichant. – Madame, l’eau, je la prends à la cuisine ?

JEANNE. – Non, Inès, vous allez en mettre partout. Il y a un robinet dans le garage.

INES, même jeu. – Mais j’ai peur de griffer la voiture. Il n’y a pas beaucoup de place.

JEANNE. – Ce ne sera pas bien grave : c’est celle de mon mari.

GUILLAUME. – Merci !

JEANNE. – Il rentre très vite sa voiture dans le garage.

GUILLAUME. – Je ne devais plus repartir : trois jours dehors, ça me suffit.

JEANNE. – Trois jours donc un de retard à cause d’une femme sans prénom.

GUILLAUME. – Un prénom, elle en a un comme tout le monde, comme cette dame devant qui tu nous donnes en spectacle.

JEANNE. – Un spectacle de boulevard avec une cocue et des maîtresses et une bonne avec un accent comme chez Feydeau, c’est ça ?

INES. – Mais je ne m’appelle pas Feydeau, je m’appelle Ramone, Inès Ramone.

GUILLAUME. – Eh bien, pour faire l’entretien, ce sera parfait. On dira Inès Ramone, même quand vous ferez autre chose.

INES. – Quand je ferai quoi ?

GUILLAUME. – Quand vous frotterez par exemple. On dira : même si elle frotte, Inès ramone.

JEANNE. – Ne l’écoutez pas, Inès, il se moque de vous.

GUILLAUME. – Mais je ne me moque pas. Et près de la cheminée, on dira : Inès ramone.

JEANNE, à Inès. – Il continue.

GUILLAUME. – Et quand elle fera l’entretien de la chaudière, on dira aussi Inès ramone

JEANNE, à Guillaume. – Vas-tu cesser ce jeu stupide, oui ou non ?

GUILLAUME, à Jeanne. – Mais c’est toi qui me parles de théâtre de boulevard. On est en plein dedans avec Inès Ramone.

INES. – Mais c’est mon nom de jeune fille comme vous dites. Mon mari est Français, il s’appelle Pierre Perret comme le chanteur.

GUILLAUME. – Mais c’est inespéré ce que vous nous dites là.

INES. – Oui, je m’appelle Inès Perret puisque mon mari s’appelle Perret.

GUILLAUME. – Comme Pierre. (A Jeanne.). Elle va bientôt nous chanter « Le zizi ».

JEANNE. – Parlons-en du zizi, de ton zizi.

INES. – Un zizi, c’est quoi un zizi ?

JEANNE, s’énervant. – Mais en voilà des questions, allez chercher votre eau au garage.

GUILLAUME. – Un zizi dans une histoire d’eau : du Feydeau…transposé au cinéma.

INES. – Mais j’ai peur de griffer la voiture.

GUILLAUME, ironique. – Ce n’est pas grave puisque c’est la mienne. Mais j’ai confiance en vous, Inès Perret.

INES, se remettant à pleurnicher. – Mais ce ne sera bientôt plus Inès Perret parce que mon mari m’a quittée.

JEANNE, en aparté. – Je commence à comprendre pourquoi. (A Inès.) Allez travailler maintenant, Inès Perret née Ramone.

INES. – Née Ramone ?

GUILLAUME. – Cela veut dire qu’avant de vous appeler Perret, vous vous appeliez Ramone.

INES. – Mais je m’appelle encore Ramone.

GUILLAUME. – Je sais. Je me suis mal exprimé. Mais vous ne savez vraiment pas ce qu’est un zizi ?

INES. – Il n’y a que deux ans que je parle le français. Je ne comprends pas tout.

JEANNE. – Et ça vaut mieux. Allez travailler.

GUILLAUME. – Remarquez que vous avez de la chance : Pierre Perret aurait pu donner un autre titre à sa chanson.

INES. – Un autre titre ?

GUILLAUME. – Oui : « La quéquette », par exemple.

JEANNE. – ça suffit, tu ne fais que l’embrouiller ! Laisse-la aller travailler.

GUILLAUME. – Soit. Laissons-la vaquer à ses occupations alors.

INES. – Vaquer ?

JEANNE, à Guillaume. – Arrête de te moquer d’elle.

GUILLAUME, à Jeanne. – Mais je ne me moque pas.

INES. – Madame, je…

JEANNE. – Oui, je sais, Inès, vous n’avez pas compris mais ce n’est pas grave, allez travailler.

INES, sortant. – Oui, Madame.

 

SCENE 3

 

GUILLAUME et JEANNE

 

GUILLAUME. – Elle est enfin sortie, c’est inespéré.

JEANNE. – N’en rajoute pas encore. Et qu’elle s’appelle Perret ou Ramone, je m’en fous. Ce qui m’intéresse, c’est le prénom de ta madame Leblanc.

GUILLAUME. – Si ça peut te faire plaisir : je crois qu’elle s’appelle Cyrielle.

JEANNE. – On dirait le nom d’une poudre à lessiver. Normal, elle s’appelle Leblanc.

GUILLAUME. – Quand tu auras fini avec tes jeux de mots douteux…

JEANNE. – Je pourrai passer à ceux plus intelligents du genre « Clavier au piano » qui sont le reflet d’une culture qui n’est sans doute pas la mienne.

GUILLAUME. – Je ne mets pas en doute ta culture.

JEANNE. – A peine.

GUILLAUME. – Puisque tu parles de peine, j’ai eu deux journées difficiles donc…

JEANNE. – Tu es lessivé et tu désires te remettre un peu de poudre. Celle qu’on appelle Cyrielle peut-être ?

GUILLAUME. – Ce serait plutôt de la poudre de riz, Jeanne.

JEANNE. – Mais je ne ris pas, cela ne me fait pas rire…

GUILLAUME. – Moi non plus parce que ton… maquillage de la réalité est très lourd, Jeanne.

JEANNE. – Et tu aspires à plus de légèreté…alors que de la poudre, c’est déjà tellement léger.

GUILLAUME. – Sauf quand on en fait des tonnes comme c’est ton cas actuellement. Alors, comme je suis crevé…

JEANNE. – Tu vas prendre la poudre…d’escampette, ça évite de donner des explications.

GUILLAUME. – Qui n’ont pas lieu d’être : j’étais d’abord avec mon patron et mes collaborateurs et j’ai ensuite enchaîné avec une visite à Poitiers…

JEANNE. – Chez Cyrielle Leblanc sans croiser de Sarrazins ni même Charles Martel mais tout se perd, même à Poitiers.

GUILLAUME. – J’y étais pour vérifier la comptabilité puisque c’est mon métier.

JEANNE. – Tu es expert-comptable, je sais. Tu peux donc facilement compter, dénombrer tes conquêtes comme celles des Sarazins. 

GUILLAUME. – Eh bien, je te laisse faire la paix avec eux, ça te calmera. (Il se dirige vers la porte.)

JEANNE. – Je suis parfaitement calme.

GUILLAUME. – Et je me retire sous ma tente. Au sens figuré puisque, pour l’autre sur la pelouse, tu ne réponds pas à ma question. (Il sort.)

JEANNE. – Et moi, je suis toujours dans…l’attente d’une véritable réponse.