Quand les fées se rebellent

Quand les fées se rebellent... c'est parce que, lassées d'être utilisées sans percevoir le moindre centime, elles aspirent à devenir elles-mêmes créatrices afin de percevoir enfin des droits d'auteurs. Cheftaine, Trésorière, Maladroite et Acoustique vont donc créer un spectacle rythmé par les respirations poétiques de Quatrain et Tercet. Mais comme elles s'avèrent incapables de se mettre d'accord entre elles, ni pour le scénario, ni pour les différents personnages à y faire figurer contre leur gré, cela ne s'annonce pas de tout repos. Le repos de la Belle au Bois Dormant, la tranquillité de Robin Desbois et la sérénité de Merlin Lenchanteur seront troublés par les recherches désespérées du Prince Charmant. Un couple d'inspecteurs aura beau mener l'enquête, les fées auront créé une fameuse pagaille : le Prince Charmant retrouvera-t-il sa Belle ?

Fiche

Année
2001
Production
CLUB THEATRE DE L'ATHENEE D'ANVAING

Extrait

Scène 2: Cheftaine, Quatrain et Tercet.

QUATRAIN - Pour ce qui est des strophes, nous sommes là, Cheftaine.
TERCET - Et ce ne sera pas la cata.
CHEFTAINE - Je l'espère, Quatrain et Tercet, parce que, avec Trésorière et Maladroite, cela paraît pour le moins mal parti. Sans compter que la fée Acoustique a sans doute tout compris de travers.
QUATRAIN - Y aurait-il un malentendu?
TERCET - Un raisonnement mal perçu?
CHEFTAINE - N'en rajoutez pas, s'il vous plaît, j'ai déjà assez de soucis avec les autres.
QUATRAIN - Que faudra-t-il faire?
TERCET - Parler ou nous taire?
CHEFTAINE - Parler, bien entendu. Pour assurer la transition entre les différentes scènes d'un spectacle que nous créons nous-mêmes. A ce sujet, pour que les spectateurs comprennent, il faudrait peut-être, au départ, justifier que vous allez vous charger des passages poétiques. Allez-y, je vous écoute.
(Elles se tournent vers le public.)

LES DEUX (en chœur) - Nous parlons en vers qui se croient libres
QUATRAIN - Mais qui ont pourtant la contrainte d'être rimés
TERCET - En laissant s'épancher la délicate fibre
LES DEUX (en chœur) - D'une sensibilité que nous avons peine à dissimuler.
QUATRAIN - Je me réveille la nuit pour noter
Les mots qui m'ont traversé l'esprit
Je les couche sur du papier froissé
A force d'avoir maintes fois servi.
TERCET - Je fouille parfois dans mes souvenirs
Pour trouver matière à discussion
Ma plume est guidée par le désir
Que j'éprouve à trouver des solutions.
LES DEUX (en chœur) - Mais si ce sont les problèmes qui font progresser
QUATRAIN - Notre personnalité sur le chemin de l'existence
TERCET - C'est au bonheur que nous devons chercher à accéder
LES DEUX (en chœur) - En luttant de toutes nos forces contre l'indifférence.

CHEFTAINE (un peu sceptique) - Oui, mais n'abusez pas de la poésie. Vous pouvez aussi utiliser la prose de temps en temps. Et, surtout, pas trop de discours moralisateurs, juste de la sensibilité.
Enfin ! je vous laisse, faites pour le mieux. (Elle sort, côté cour.)

(Quatrain et Tercet, en se regardant)

QUATRAIN - C'est comme une maladie honteuse que l'on s'efforce en vain de cacher.
TERCET - C'est comme une aube frileuse dans un petit matin désenchanté.
QUATRAIN - Cela vous fait ressentir et éprouver des sentiments parfois inavoués.
TERCET - Cela vous fait rougir et transpirer tout l'émoi que vous vouliez dissimuler.
QUATRAIN - Cela fait sourire tous ceux qui croient malgré tout
TERCET - Qu'ils sont les plus heureux et que vous êtes fou.
QUATRAIN - Pourtant c'est vous qui avez raison
TERCET - Lorsque vous lui donnez un nom
LES DEUX (en chœur) - Et qu'enfin vous osez prononcer ce mot magique: sensibilité.
(Un temps. Elles se sourient.)
QUATRAIN - Une respiration en prose maintenant. Et si tu annonçais la suite?
TERCET - Bonne idée. Et si un espion avait tout entendu?
QUATRAIN - Pourquoi pas? Le secret de cette réunion n'est donc déjà plus qu'un souvenir. Le soleil va se coucher.
TERCET - Il se lèvera demain matin pour illuminer un nouveau jour qui s'annonce agité. Allons nous coucher. (Elles sortent côté cour.)

(La scène est plongée quelques instants dans l'obscurité. La lumière revient ensuite pour éclairer l’intérieur d’un bureau.)

Scène 3 : l’inspectrice Lili Rapeau et l’inspecteur Bricot

RAPEAU - Inspecteur Bricot, mon mari, où êtes-vous ? (Elle rentre côté cour.)
BRICOT - Ici, ma biche ! (Il rentre côté jardin.) Décidément, je ne m’y ferai jamais.
RAPEAU - A quoi, mon Bribri ?
BRICOT - A tes façons de m’appeler. Je voudrais d’ailleurs que tu cesses de m’appeler Bribri.
RAPEAU - Mais pourquoi ?
BRICOT - Je trouve ça tout à fait stupide.
RAPEAU - Tu préfères Juju ?
BRICOT - Sûrement pas. On dirait que tu parles à un enfant.
RAPEAU - Mais non, ce n’est quand même pas ma faute si tes parents t’ont appelé Judas. « Juju » pour « Judas », ça me paraît très normal, tout comme Bribri puisque tu t’appelles Bricot.
BRICOT - Oui, ce qui paraît franchement anormal, c’est de m’appeler Judas Bricot, en somme !
RAPEAU - Exactement, mon chéri mais ça n’empêche pas tes enquêtes de porter leurs fruits.
BRICOT (sarcastique) - Ha ! ha ! c’est malin !
RAPEAU - Allez ! tu ne vas pas me faire une scène ?
BRICOT - Non, rassure-toi, Léonard de Vinci l’a faite avant toi.
RAPEAU - Pourquoi me dis-tu ça ?
BRICOT - Mais parce qu’il a peint un tableau s’appelant « La Cène ».
RAPEAU - Ah ! et que représente-t-il ?
BRICOT - Jésus à table avec ses douze apôtres.
RAPEAU - Il n’était pas superstitieux, dis donc ? Treize à table ! Quand on connaît la suite, ça donne à réfléchir.
BRICOT - C’est justement l’origine de cette superstition. Sans compter le vendredi treize qui n’a pas lui non plus bonne réputation.
RAPEAU - Je ne vois pas très bien le rapport.
BRICOT - Mais enfin, ils se sont retrouvés à treize à table dans la nuit du jeudi au vendredi saint et c’est ce même vendredi qu’il a été arrêté et condamné à mort.
RAPEAU - Ah ! Je n’étais pas au courant. J’ai surtout retenu l’histoire du chant du coq et la trahison de Judas.
BRICOT - Tu ne vas pas recommencer.
RAPEAU - Pardon, ça m’a échappé ! De toute façon, je sais bien que toi, tu ne me trahiras jamais. Bon ! fermons cette parenthèse religieuse. Quelles sont les nouvelles ?
BRICOT - Les fées ont tenu une réunion secrète.
RAPEAU - Mais pour quoi faire ?
BRICOT - Elles veulent créer elles-mêmes une histoire. Elles en ont assez que certains les utilisent sans qu’elles perçoivent le moindre centime.
RAPEAU - Mais, c’est normal, elles n’existent pas !
BRICOT - Elles n’existent pas, c’est vite dit ! Où est la réalité ? Où est la fiction ? La frontière est tellement mince.
RAPEAU - A moi, en tout cas, ça paraît un peu gros…carrément obèse, même. Et qu’ont-elles imaginé ?
BRICOT - Rien de neuf. Elles reprennent tout simplement la vieille histoire de La Belle au Bois Dormant.
RAPEAU - Je vois : une méchante sorcière a jeté un sort à une jeune et jolie princesse qui dormira pendant cent ans avant que le Prince Charmant ne la réveille d’un baiser ô combien romantique.
BRICOT - Plus ou moins.
RAPEAU - Plus ou moins ?
BRICOT - Oui. Elles ne sont pas vraiment d’accord entre elles pour ce qui est du scénario.
RAPEAU - Aïe ! Elles vont créer une belle pagaille.
BRICOT - C’est ce qui risque d’arriver, en effet ! Quand les fées s’en mêlent, tout s’emmêle. Et qui appellera-t-on alors au secours ?
RAPEAU - C’est Bribri et Lili !
BRICOT (consterné, puis sur un ton enfantin) - Non, c’est pas Bribri et Lili!. (ensuite très sérieux), c’est l’inspectrice Rapeau et l’inspecteur Bricot.
RAPEAU (en baissant les yeux) - Pardon.
BRICOT - Bon ! N’en parlons plus.
RAPEAU - C’est ça. Invite-moi plutôt à l’opéra.
BRICOT - D’accord ! Mais d’abord l’apéro.
RAPEAU - Pour moi, ce sera simplement un jus d’abricot! (Elle sort en courant côté cour, il la poursuit, furieux. La scène est plongée dans le noir. La lumière revient après quelques instants pour éclairer la forêt.)

Scène 5 : l’inspectrice Rapeau et l’inspecteur Bricot, puis Robin Desbois.

RAPEAU - Inspecteur Bricot, mon mari, vous êtes là ?
BRICOT - Oui, ma biche, me voici ! (Il rentre côté jardin.)
RAPEAU - Alors, comment évolue notre dernière enquête ?
BRICOT - Laquelle ? Celle sur les gens qui ont placé leurs louis d’or au Luxembourg ?
RAPEAU - Non, pas celle-là. Mais puisque tu m’en parles, quelles sont les dernières nouvelles ?
BRICOT - Eh bien ! C’est le blocage complet. Comme le Premier ministre lui-même apparaît dans la fameuse liste des fraudeurs, ainsi que beaucoup de gens importants d’ailleurs, j’ai bien peur que notre bon peuple ne connaisse jamais la vérité et que tous ces gros bonnets ne soient jamais inquiétés.
RAPEAU - Nous en avons l’habitude et nous n’allons pas refaire le monde.
BRICOT - Non, mais quand même, ça me laisse toujours un goût de trop peu dans la bouche.
RAPEAU - Vous n’êtes qu’un idéaliste, monsieur mon mari.
BRICOT - Sans doute, sans doute mais moi, au moins, j’ai l’habitude de payer mes impôts, même si, quand je vois notre percepteur, j’ai l’habitude de lui payer un pot, histoire de s’arranger.
RAPEAU - Si je comprends bien : finalement ceux qui se font prendre, soit ils n’ont pas de pot, soit le montant fraudé n’est pas élevé.
BRICOT - Exactement, ma Lili. Tu as tout compris : plus tu triches avec des sommes importantes, moins tu as de chances de te faire attraper.
RAPEAU - Tout ça n’est pas très moral. C’est quand même plus romantique de chercher une princesse endormie. Notre prince charmant l’a-t-il retrouvée ?
BRICOT - Pas encore. Mais un homme venait justement d’arriver pour nous parler de cette affaire.
RAPEAU - Et où est-il ?
BRICOT - Juste à côté. Je vais l’appeler. (Il se dirige vers la porte, côté jardin.) Monsieur Desbois !