Vous prendrez bien un pastiche, monsieur Dumas?

Sous Louis XIII, Artaban, jeune Gascon, monté à Paris, devient le meilleur ami de trois mousquetaires: Athis, Porthis et Aramos. Il se retrouve mêlé à une curieuse histoire: un cheval blanc offert par le duc de Buckingham à la reine Anne d´Autriche, est activement recherché par Milady de Summer et son réseau d´espionnes, mandatées par le cardinal de Richelieu. celui-ci espère prouver au roi l´infidélité de son épouse, car ce cheval serait porteur de fers où Buckingham, comme preuve de son amour, aurait fait graver deux coeurs entrelacés. La reine, au courant des projets de Richelieu, a offert son fameux cheval ferré aux mousquetaires du roi...

Fiche

Année
2002

Extrait

SCENE 0 :A EVITER SI VOUS JOUEZ EN COSTUMES D'EPOQUE
(Deux des comédiens au choix, ici: un homme, une femme)

(Le directeur entre côté cour, la comédienne, côté jardin. On l'entend d'abord crier "Nous avons été saisis, nous avons été saisis"!)
COMEDIENNE (entrant, essoufflée) - Monsieur le Directeur, Monsieur le directeur, nous avons été saisis, nous avons été saisis !
DIRECTEUR (ne comprenant pas) - Saisis ?…
COMEDIENNE - Oui, saisis, saisis, mais vous ne comprenez pas ?
DIRECTEUR - Heu…en effet…Je n'ai pas saisi… Que cherchez-vous à me dire ?
COMEDIENNE (énervée, en le secouant) - Nous avons été saisis, Monsieur le Directeur, saisis !
DIRECTEUR - Je ne saisis toujours pas. Expliquez-vous et calmez-vous.
COMEDIENNE - Comment voulez-vous que je sois calme ? Un huissier, Monsieur le Directeur, un huissier nous a saisis !
DIRECTEUR - Un huissier nous a saisis ? Mon Dieu, je n'avais pas saisi !
COMEDIENNE - Vous, non ! L'autre en revanche !
DIRECTEUR - Et qu'a-t-il saisi ?
COMEDIENNE (le secouant encore) - Tout, Monsieur le Directeur, tout !
DIRECTRICE - Tout ? Nos meubles ?
COMEDIENNE (en sanglotant) - Nos meubles, oui. Il n'y a plus rien dans nos loges, ils ont même pris les miroirs.
DIRECTEUR - Les miroirs ? Mais pour le maquillage ?
COMEDIENNE (toujours en le secouant) - Plus de produits ! Ils ont tout pris !
DIRECTEUR - Tout ? Vous allez devoir jouer sans maquillage ?
COMEDIENNE - Ce n'est pas bien grave pour le public: nous avons l'habitude de lui jeter de la poudre aux yeux.
DIRECTEUR (la repoussant) - Mais il faut lui demander de nous laisser au moins les produits de maquillage à cet olibrius !
COMEDIENNE - Huissier, Monsieur le Directeur, pas olibrius ! Mais c'est impossible, il a déjà pris la poudre d'escampette.
DIRECTEUR (découragé) - La poudre d'escampette avec toutes nos poudres et nos produits…Mais nous jouons dans cinq minutes !
COMEDIENNE - Sans le décor, il n'a laissé que le banc et sans les costumes d'époque.
DIRECTEUR (interloqué) - Sans les costumes d'époque ? Il les a pris aussi ? Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai ?
COMEDIENNE (sanglotant) - Hélas ! Monsieur le Directeur, hélas !
DIRECTEUR (reprenant espoir) - Dites, c'est une blague, vos camarades sont dans le coup ou nous sommes le premier avril, c'est ça ?
COMEDIENNE (le secouant à nouveau) - Vous croyez que je vous ferais une blague à cinq minutes du début du spectacle ?
DIRECTEUR - Mais voyons, on ne saisit pas un samedi soir !…Mon Dieu ! Un samedi soir, où trouver des costumes de rechange ?
COMEDIENNE (au bord de la crise de nerfs) - Nulle part, nulle part ! Ah ! Ah ! Je craque, Monsieur le Directeur ! Je vous l'avais dit que nous finirions par avoir des ennuis. Nous ne sommes en règle avec personne.
DIRECTEUR - Mais dans le domaine culturel, tout le monde tire le diable par la queue, voyons !
COMEDIENNE (toujours en le secouant) - Et il venait de chez vous, Monsieur le Directeur, il venait de chez vous !
DIRECTEUR - De chez moi ? De chez moi ? Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
COMEDIENNE - Ils ont saisi tout ce qu'ils pouvaient chez vous, Monsieur le directeur, tout !
DIRECTEUR (suffoquant) - Qu'est-ce…qu'est-ce que vous dites ?
COMEDIENNE - C'est à cause de vos dettes, vous entendez, de vos dettes ! Ce qu'ils ont saisi chez vous était insuffisant, alors ils ont saisi chez nous, vous entendez: chez nous ! C'est pas juste, c'est pas juste !
DIRECTEUR - Calmez-vous, mon petit, calmez-vous et reprenez votre sang-froid: comme on dit dans ces cas-là: the show must go on.
COMEDIENNE - Qu'est-ce que vous dites ? Qu'est-ce que vous dites ?
DIRECTEUR - The show must go on, le spectacle doit continuer. En scène ! Les artistes se doivent à leur public.
COMEDIENNE (soudain calmée) - Comme vous parlez bien, Monsieur le Directeur !
DIRECTEUR - Vous n'avez jamais joué en étant malade avec 38 de fièvre ?
COMEDIENNE - Si, bien sûr.
DIRECTEUR - Eh bien, ce soir, tout le monde a la fièvre et tout le monde l'oublie le temps du spectacle. Que chacun s'habille comme il le pourra. Nous commençons à l'heure, dites-le à tout le monde: nous commençons à l'heure. (Elle sort en courant, il regarde sa montre.) Et commencer à l'heure, c'est commencer maintenant, huissier ou pas ! Ce ne sont pas les représentants de la loi qui vont la faire, nom d'un chien ! The show must go on, the show must go on, le reste attendra. (Il sort.)

SCENE 1: MILADY DE SUMMER et RICHELIEU puis ARTABAN et ELEONORE

(Milady rentre, la démarche hautaine et en éternuant, côté cour alors que Richelieu est déjà en scène. Habillé en moine, il est assis sur un banc côté jardin. Elle fait la révérence.)
MILADY - Vous m'avez fait demander, Votre Eminence ?
RICHELIEU - Oui, Milady de Summer, j'ai besoin de vos services et j'ai préféré venir incognito ici. On m'espionne jusque dans mes murs.
MILADY - Qu'attendez-vous de moi ?
RICHELIEU - Je veux que vous retrouviez un cheval blanc ferré offert par Buckingham à la reine.
MILADY (étonnée, elle s'assied et éternue.) - Un cheval blanc ferré ?
RICHELIEU - Pourquoi croyez-vous qu'il ait offert un cheval ferré à Anne d'Autriche ?
MILADY - Parce qu'il l'aime, pardi !
RICHELIEU - Il l'aime! Tout est là, Milady. Donc la particularité de ce cheval blanc est de porter des fers où ont été gravés deux cœurs entrelacés.
MILADY - Sur chaque fer ?
RICHELIEU - Sur chaque fer.
MILADY - C'était très habile: chacun connaissait la passion d'Anne d'Autriche pour les chevaux, son cadeau n'était donc pas suspect mais Buckingham ne pouvait pas imaginer que vous alliez percer son secret, Votre Eminence.
RICHELIEU - Hélas! la reine a dû apprendre que j'étais au courant puisque, au moment de conseiller au roi, son époux, d'aller jeter un coup d'œil dans les écuries…
MILADY - Où vous lui auriez fait examiner de plus près les sabots...
RICHELIEU - J'ai appris que la reine avait fait don du fameux cheval blanc aux mousquetaires du roi. Je me suis renseigné: ils possèdent déjà une bonne cinquantaine de chevaux blancs dans leurs écuries.
MILADY - Le retrouver ne sera pas une mince affaire.
RICHELIEU - D'autant qu'il s'agit d'opérer discrètement.
MILADY (Elle se relève et réfléchit. Elle éternue.) - La seule manière d'agir, c'est de faire contrôler à vos hommes les chevaux de mousquetaires isolés, pour éviter les duels.
RICHELIEU (s'énervant et se levant également) - Allez donc leur expliquer, à mes crétins de gardes, qu'il s'agit surtout d'agir discrètement. Dès qu'ils croisent un mousquetaire, ils ont envie de dégainer leur épée.
MILADY - Ce doit être réciproque: depuis que vous avez fait interdire les duels, ils rêvent tous de se battre.
RICHELIEU - L'interdit les attire.
MILADY - Ce sont de grands enfants.
RICHELIEU - Mais ma politique n'est pas un jeu d'enfant.
MILADY - Et si on boutait le feu aux écuries ?
RICHELIEU - Pour quoi faire ?
MILADY - Pour faire sortir tous les chevaux, pardi ! Dans la pagaille générale, les mousquetaires de garde leur ouvriront les portes et, affolés, ils s'échapperont.
RICHELIEU - Dans le parc, Milady, dans le parc ! ils n'iront pas bien loin. Et le mur qui le ceinture est bien trop haut. Aucun cheval ne serait capable de le franchir et le seul accès est gardé en permanence par une dizaine de mousquetaires.
MILADY - Une dizaine ? Ils ne font jamais les choses à moitié, ces olibrius !
RICHELIEU - Il s'agit d'un régiment d'élite, ne l'oubliez pas.
MILADY - Je ne l'oublie pas: ne jamais faire les choses à moitié et être prêts à se couper en quatre pour le roi, ils aiment les mathématiques, ces mousquetaires.
RICHELIEU - Si seulement en se coupant en quatre, ils divisaient leur effectif. Mais non, à la moindre perte, c'est "un de perdu, dix de retrouvés". Tous les gentilshommes sachant manier l'épée brûlent d'envie d'en faire partie.

(Araban rentre côté jardin. Richelieu et Milady se rassoient précipitamment la tête basse pour passer inaperçus.)
ARTABAN - J'ai une de ces soifs !
(Il sort rapidement côté cour. Richelieu et Milady redressent la tête. Elle éternue.)

MILADY - Que faire alors ? On ne sait pas ce que ce cheval ferré est devenu, à quel mousquetaire il a été confié ? A la place de Monsieur de Tréville, leur chef, je l'aurais pourtant placé sous la protection d'Athis, de Porthis ou d'Aramos.
RICHELIEU (irrité, il se relève.) - Ne me parlez plus de ces trois-là, ils me donnent des boutons, sans compter qu'ils ont à présent un compère qui fait des ravages parmi mes gardes: ce Pardaillan de malheur !
MILADY - Artaban, pas Pardaillan, Votre Eminence !
RICHELIEU - Artaban, soit ! Je ne retiendrai son nom qu'en le voyant écrit sur une pierre tombale. Pour lui, je suis prêt à faire une messe somptueuse gratuite.
MILADY (étonnée, elle se relève également et éternue à nouveau.) - Gratuite ? Connaissant votre amour de l'argent, je mesure la haine que vous lui portez.
RICHELIEU (sèchement) - Et moi, je mesure dans cette réplique toute votre audace, Milady de Summer. Ne dépassez pas les bornes si vous voulez galoper longtemps au soleil.
MILADY - Je présente mes excuses à Votre Eminence, l'ombre d'un cachot serait en effet préjudiciable à mon teint.
RICHELIEU (même jeu) - Et à votre santé, vous qui éternuez toujours ! mes geôles sont ombragées mais aussi fort humides et froides.
MILADY - Elles me font en effet froid dans le dos, Votre Eminence. (Elle éternue.) J'éternue rien qu'à y penser. Rassurez-vous, je m'abstiendrai à l'avenir de ce genre de remarques.
RICHELIEU - Et vous ferez bien, Milady de Summer.

(Eléonore rentre côté cour et a entendu. Richelieu et Milady se sont rassis très rapidement, la tête basse.)
ELEONORE - Milady ? (Elle fait la révérence.) Vous ici ?
MILADY (relevant la tête) - Non, je ne suis pas là, tu ne m'as pas vue, tu entends: tu ne m'as pas vue, je ne suis pas là.
ELEONORE - Mais si vous êtes là !
MILADY - Non, je ne suis pas là, tu entends: je ne suis pas là !
ELEONORE (étonnée et en aparté, avant de sortir côté jardin) - Mais si, elle est là.

RICHELIEU (redressant la tête) - Revenons à nos moutons.
MILADY - Donc à notre cheval blanc ferré. Vous ne croyez pas que Porthis, Athis ou Aramos assurent sa protection ?
RICHELIEU (se relevant) - Monsieur de Tréville est-il lui-même au courant ? J’en doute et s’il l’est, il sait trop bien que nous penserions immédiatement à eux. Non, il est bien trop rusé pour ça. Et puis n'oubliez pas leur devise: "Un pour tous, tous pour un".

(Artaban rentre subitement côté cour. Milady se rassoit précipitamment et se tasse littéralement. Richelieu a plongé sous le banc. Il tremble comme une feuille.)
ARTABAN - Un pour tous ! Tous pour un ! Quelle superbe devise ! Il n'y en a pas de plus belle au monde. Allons rejoindre Athis, Porthis et Aramos à l'auberge, j'ai une de ces faims ! (Il sort côté jardin.)

(Milady redresse la tête en poussant un ouf de soulagement. Richelieu se redresse péniblement et se rassied en s'épongeant le front.)
RICHELIEU - Pour un endroit tranquille, c'est un endroit tranquille, il n'y a pas à dire.
MILADY - "Un pour tous, tous pour un", en effet. Que voulez-vous dire par là ?
RICHELIEU - Les chevaux sont à la disposition des mousquetaires, ils n'ont pas été attribués. Ils n'ont pas de cheval personnel. En cas d'intervention rapide, ils ne perdent jamais de temps. Ils enfourchent le premier cheval venu.
MILADY - Certains ont peut-être une préférence, surtout qu'il s'agit d'un cheval blanc.
RICHELIEU - Un mousquetaire est fier de porter sa casaque, peu importe le cheval qu'il enfourche.
MILADY (se relevant en éternuant) - Ils sont compliqués, vos mousquetaires !
RICHELIEU - Vous parlez trop. J'attends que vous passiez à l'action à présent.
MILADY - Mais comment voulez-vous que je fasse pour retrouver ce fameux cheval blanc ferré ?
RICHELIEU (d'un ton autoritaire) - C'est votre problème, Milady.

(Eléonore rentre côté jardin. Milady et Richelieu se sont rassis très vite, la tête basse.)
ELEONORE (qui a entendu, vient près du banc.) - Milady ? C'est donc bien elle.
MILADY (redressant la tête, fâchée) - Non, je ne suis pas là, tu entends: je ne suis pas là.
ELEONORE (étonnée, en aparté, avant de sortir côté cour.) - Mais si elle est là.

MILADY - Pour une entrevue secrète, c'est réussi…(puis protestant) - Mon problème, mon problème mais il est pratiquement insoluble mon problème…à moins que…
RICHELIEU (redressant la tête) - A moins que ?
MILADY - Un maréchal-ferrant s'occupe sans doute de leurs chevaux, il suffira de le retrouver. En échange d'une bourse bien garnie, il pourra sûrement nous aider.
RICHELIEU - Le maréchal-ferrant est également et avant tout un mousquetaire. Même si vous le retrouvez, il sera comme tous les autres.
MILADY - Incorruptible, c'est ça ?
RICHELIEU - Tout à fait.
MILADY - Je commence à connaître la chanson: un mousquetaire ne s'intéresse pas à l'argent, sa seule fortune c'est sa casaque.
RICHELIEU - Vous oubliez son honneur, Milady de Summer.
MILADY (se relevant) - Comment pourrais-je l'oublier, Votre Eminence ? Ces gens-là sont des hommes d'honneur. Quelle race, bon sang, quelle race ! On aurait dû en faire des hommes d'Eglise.
RICHELIEU - Votre mémoire est vraiment défaillante: ils aiment le vin et les femmes.
MILADY - Comme certains de vos curés.
RICHELIEU (s'emportant, il se relève) - Cela suffit, Milady, vous jouez avec le feu, vous allez finir par vous brûler et pas aux rayons du soleil !
MILADY - Je suis confuse, Votre…
RICHELIEU - Cela suffit, vous dis-je ! Occupez-vous de ces fers et de leurs cœurs entrelacés en vous abstenant de faire d'autres commentaires.
MILADY - Bien, Votre Eminence, je me retire. (Elle éternue.)
RICHELIEU - C'est ça, retirez-vous et ramenez-moi ce fameux cheval ferré.
MILADY - Et en cas d'échec ?
RICHELIEU - C'est un mot dont je me refuse à connaître le sens, Milady.
MILADY - Vous y jouez, pourtant.
RICHELIEU (très irrité) - Pour y gagner, Milady, pour y gagner !
MILADY - Mais il vous arrive de triompher en perdant vos cavaliers et donc leurs chevaux.
RICHELIEU - Ceux-là ne sont pas ferrés. Vous parlez trop, Milady.
MILADY - Vous avez raison, Votre Eminence.
RICHELIEU – Le cardinal de Richelieu a toujours raison.
MILADY - Bien entendu, Votre Eminence, bien entendu. Je me retire donc. Au plaisir de vous être bientôt agréable, Votre Eminence. (Elle fait la révérence et sort en marchant fièrement et en éternuant, côté cour.)
RICHELIEU - Au plaisir, en effet, mais le plus tôt sera le mieux. (Il continue en aparté.) Revenez avec ces fers, sinon je vous mets …aux fers, Milady de Summer.
(Il sort en riant, côté jardin.)

SCENE 2 : MILADY et ELEONORE puis ANNE, BLANCHE et HORTENSE puis ARTABAN

(Milady rentre côté cour, la démarche fière, elle s'assoit sur le banc après avoir éternué. Eléonore rentre ensuite côté jardin.)
MILADY - Ah, te voilà enfin, Eléonore !
ELEONORE (faisant la révérence) - Je vous vois… donc vous êtes là, c'est ça ?
MILADY - Oui, je suis là cette fois.
ELEONORE (s'asseyant) - Vous avez besoin de moi, je suppose ?
MILADY - Tu supposes bien et il te faudra me prouver ton efficacité si tu ne veux pas te retrouver à l'ombre.
ELEONORE - A l'ombre ?
MILADY (se relevant et marchant fièrement) - Nous sommes pareilles, n'est-ce pas ? Comme moi, tu aimes le soleil. (Elle éternue.)
ELEONORE - Naturellement, Milady. Je ne suis pas comme toutes celles qui se protègent avec leur ombrelle.
MILADY (d'un ton menaçant) - Eh bien, si tu ne veux pas hériter d'une ombrelle géante, bien dure, faite en pierres, humide et glaciale qui plus est, tu as intérêt à me retrouver un cheval blanc ferré.
ELEONORE - Un cheval blanc ferré, mais pourquoi ?
MILADY - C'est secret.
ELEONORE (se relevant) - Je veux bien que ce soit secret mais, si vous ne m'en dites pas plus, comment voulez-vous que je retrouve un cheval blanc ferré dans Paris, voire même dans toute la France alors que je suis susceptible d'en croiser un toutes les cinq minutes ?
MILADY - C'est juste mais c'est secret, par la force des choses et la grâce de notre ami Richelieu.
ELEONORE - Ah ! les ordres viennent d'en haut, comme d'habitude. Enfin ! c'est ainsi et nous n'allons pas changer le cours des choses. Alors, comment vais-je le retrouver ce canasson ? Je ne parle pas de Richelieu mais du cheval.
MILADY - Tais-toi malheureuse, il a des espions partout.

ANNE/BLANCHE/HORTENSE (débouchant côté cour, en choeur) - On nous appelle ?
ELEONORE - Pas maintenant, bon sang, pas maintenant ! Nous ne sommes pas là, vous entendez : nous ne sommes pas là, vous ne nous avez pas vues. ANNE/BLANCHE/HORTENSE (en chœur) - Mais si elles sont là ! (Elles ressortent.)

ELEONORE - Des espions ? Je sais, nous en faisons même partie. Vous n'allez tout de même pas me trahir ?
MILADY - Si tu échoues, pourquoi pas ? Tu prends les choses un peu trop à l'aise, ma petite.
ELEONORE - Primo : je ne suis pas votre petite, et secundo, je répète ma question : comment retrouver le cheval ? Je suppose qu'il doit avoir quelque chose de particulier.
MILADY - Tu as vu juste : il est ferré…
ELEONORE (ironisant) - C'est fou comme cela m'aide à y voir plus clair.
MILADY (irritée) - Ne m'interromps pas, petite impertinente, et tu auras toutes les cartes en main. (Elle éternue.)
ELEONORE (éternuant également, visiblement pour se moquer) - Je vous répète, Milady, que je ne suis pas petite.
MILADY - Dans mon esprit, tu l'es : c'est moi qui donne les ordres…
ELEONORE - Que Richelieu vous a dictés, c'est beau la hiérarchie !
MILADY (sèchement) - Tu veux vraiment finir à l'ombre, ma…petite ?
ELEONORE - Pas vraiment, Milady, veuillez m'excuser, je me laisse emporter par mon tempérament, j'ai beau lutter mais c'est plus fort que moi : chassez le naturel, il revient au galop. Ce qui nous ramène au cheval ferré. Ferré, soit ! mais où est l'astuce ?
MILADY - L'astuce, comme tu dis, ce sont les fers.
ELEONORE (d'un ton moqueur) - Ah bon ! vous me rassurez si ce sont les fers : les dire, c'est bien mais les fers, c'est mieux !
MILADY - Je ne te suis pas.
ELEONORE - Cela ne m'étonne pas : vous avez toujours été trop lente et je suis peut-être en avance sur mon temps : quelques siècles, qui sait ?
MILADY (sèchement) - Tu es aussi impudente dans le futur que dans le présent, prends garde: on pourrait bien parler de toi très bientôt au passé.
ELEONORE - Moi qui ai déjà un passé imparfait, ce serait l'ombre éternelle, c'est ça ? La spécialité de la maison : le coup de couteau dans le dos et dans une ruelle de préférence déserte et mal éclairée. (Elle mime la scène.) Forcément pour l'ombre, on ne trouve pas mieux.
MILADY - Tu commences à aller trop loin ma petite !
ELEONORE - Et vous me perdez de vue parce que je vais trop vite, c'est ça ? N'ayez crainte, je vais ralentir et même freiner des quatre fers comme l'autre cheval que j'ai toujours autant de mal à identifier.
MILADY (d'un ton menaçant) - Tu as de la chance que je ne puisse résoudre seule cette affaire mais tu ne l'emporteras pas au paradis, sois-en sûre. (Elle éternue.)
ELEONORE - J'en suis même déjà certaine : c'est à l'enfer que j'aurai droit après tous les crimes que j'ai déjà commis pour vous. Et l'enfer est non seulement pavé de bonnes intentions mais on y croise des gens très bien : je suis sûre de vous y rencontrer, Milady, ainsi que votre supérieur hiérarchique, notre cher cardinal de Richelieu.
MILADY (perdant patience) - Tu dépasses les bornes !
ELEONORE (faisant la révérence en venant à ses pieds pour se moquer) - Acceptez dans ce cas mes plus plates excuses, Milady de Summer. (Elle se relève très vite, fait quelques pas.)

(Artaban rentre lentement côté jardin, il grimace en se tâtant l'estomac. Eléonore et Milady se sont rapidement assises et ont baissé la tête.)
ARTABAN - Ah, j'ai trop mangé. Il n'y a qu'une solution: il faut boire !
(Il sort en riant côté cour. Eléonore et Milady redressent la tête. Milady éternue. Eléonore l'imite.)

ELEONORE (se relevant) - Je suis quelque peu agressive parce que j'ai beaucoup de difficultés à oublier le tour de cochon que vous m'avez joué la dernière fois. Mais changeons d'animal : du cochon, revenons au cheval. Il est donc blanc et ferré et… ?
MILADY - Sur chaque fer ont été gravés deux cœurs entrelacés.
ELEONORE (de plus en plus provocante) - Si je les retrouve, je les accrocherai dans ma maison pour qu'ils me portent bonheur.
MILADY (elle se relève) - Mais tu perds la tête !
ELEONORE - Parce que vous comptez me faire décapiter ?
MILADY - Si je pouvais me le permettre…
ELEONORE - Mais vous savez évidemment que je possède quelques documents compromettants qui seraient remis à qui de droit si jamais il m'arrivait malheur ou si vous désiriez m'envoyer à l'ombre. J'aime tellement le soleil, Milady.
MILADY - Moi aussi, ma petite, moi aussi. (Elle éternue.)
ELEONORE - Vous devenez sourde : je vous répète que je ne suis ni petite, ni votre petite. En fait, je ne suis la petite de personne.
MILADY (se calmant) - Bon ! revenons à ces fers.
ELEONORE - Où ont donc été gravés deux cœurs entrelacés…sur chaque fer, on n'a pas regardé à la dépense…et qui est ce "on" ?
MILADY - Pour l'instant, il n'est pas utile que tu le saches.
ELEONORE - Ce n'est pas utile, soit ! Mais qui donc est le propriétaire éploré du cheval ?
MILADY - Eploré ? Qui te dit que son propriétaire est triste ?
ELEONORE - Mais si son cheval est perdu !
MILADY - Je n'ai jamais dit que le cheval était perdu.
ELEONORE - Mais vous me demandez de le retrouver.
MILADY - Ce n'est pas pour cela qu'il est perdu.
ELEONORE (réfléchissant) - Donc, il a un propriétaire.
MILADY - Un propriétaire qui peut changer.
ELEONORE - Changer ? Changer de cheval ?
MILADY - En quelque sorte. Depuis que la reine leur en a fait don, ce cheval appartient aux mousquetaires du roi, pas à un mousquetaire bien précis.
ELEONORE - Pourtant ils sont précis les mousquetaires : vous avez déjà compté les gardes du cardinal qu'ils ont envoyé en enfer ou chez le chirurgien.
MILADY - Il n'appartient pas à un mousquetaire précis, cela veut dire, ma pe…ma grande, que n'importe quel mousquetaire peut l'enfourcher. Les mousquetaires ne possèdent pas de cheval personnel.
ELEONORE - Oui, on connaît la chanson : "Un pour tous, tous pour un".

(Artaban rentre côté cour en criant) - Un pour tous, tous pour un ! …Heu…Veuillez m'excuser, Mesdames, j'avais cru entendre la devise des mousquetaires. Ils ne sont pas là ?
ELEONORE (Milady s'est rapidement assise et regarde côté opposé) - Heu...non.
ARTABAN- Dans ce cas, comme je suis pressé…(soupirant) Dommage !
(Il sort côté jardin. Milady éternue.)

ELEONORE - Oui, on connaît la chanson: on cherche un cheval, pas son cheval, ça va plus vite.
MILADY - Tu parles comme Richelieu.
ELEONORE - Nous devons avoir quelque chose en commun : l'intelligence sans doute.
MILADY - Et la modestie.
ELEONORE - Et la modestie si vous voulez. (Elle se rassoit.)

(Artaban revient rapidement et regarde à nouveau Eléonore)
ARTABAN - Oui, vraiment dommage. (Il ressort côté jardin.)

ELEONORE - Donc, il s'agit de retrouver un cheval blanc ferré, les fers étant gravés…
MILADY - Deux cœurs entrelacés…
ELEONORE - Sur chaque fer…et sur le cheval un mousquetaire ignorant sans doute la bonne fortune de sa monture…mais s'il s'en est rendu compte votre mousquetaire, il sera encore moins facile à approcher.
MILADY - C'est là toute la difficulté.
ELEONORE - Mais Monsieur de Tréville doit être au courant, c'est lui le chef des mousquetaires.
MILADY (se relevant) - Rien n'est sûr : il a reçu un cheval ferré. Est-il au courant pour les fers ? Je l'ignore.
ELEONORE (se relevant et réfléchissant) - Sil l'était, il l'aurait confié à Athis, Porthis ou Aramos. C'était une garantie supplémentaire en cas de tentative de vol du cheval.
MILADY - Tu raisonnes comme moi.
ELEONORE - Nous devons avoir quelque chose en commun : c'est vrai que je parle aussi parfois sans réfléchir.
MILADY (vexée) - Merci !
ELEONORE - Je suppose que Monsieur Richelieu veut son cheval le plus tôt possible.
MILADY - Evidemment.
ELEONORE - Le risque d'échec est pourtant réel.
MILADY - Je ne te le conseille pas : le cardinal bannit ce mot de son vocabulaire.
ELEONORE - Ce n'est pas le seul qu'il rejette. Il y a aussi : pitié, justice, bref des valeurs pourtant bien chrétiennes mais qui n'ont pas évidemment la même…valeur que les pièces d'or.
MILADY - Quand tu auras fini de philosopher…
ELEONORE - Je partirai mettre au parfum mon réseau d'espionnes. Vous avez raison, le temps presse. J'y cours. A bientôt Milady. (Elle sort côté jardin après avoir appuyé sa révérence et éternué pour se moquer.)
MILADY - A bientôt…ma petite. (Elle sort à son tour, marchant fièrement et éternuant une dernière fois, côté cour.)

SCENE 3: ANNE, BLANCHE, ELEONORE et HORTENSE puis RICHELIEU et ARTABAN

(Anne, Blanche et Eléonore font leur entrée, côté jardin. Elles marchent lentement, regardant de tous côtés pour vérifier qu'elles sont seules.)
ANNE (à Blanche) - Personne. Tu peux faire le signal convenu.
(Blanche éternue, on entend un autre éternuement: c'est celui d'Eléonore qui fait son entrée côté jardin.)
ELEONORE (d'un ton solennel) - Mesdames, l'heure est grave !
ANNE - Vous, vous avez vu le cardinal.
BLANCHE - Et il ne devait pas être de bonne humeur.
HORTENSE - Il n'est jamais de bonne humeur.
ELEONORE - Non, j'ai vu Milady de Summer.
ANNE - C'est ce que je disais: c'est comme si vous aviez vu le cardinal.
BLANCHE - Et elle ne devait pas être de bonne humeur.
HORTENSE - Elle n'est jamais de bonne humeur.
ANNE - Parce qu'elle avait vu le cardinal.

RICHELIEU (toujours habillé en moine, il surgit côté cour) - Damnées ruelles, plus moyen de retrouver mon chemin ! Il faudra songer à en faire un plan précis. (Il sort côté jardin après avoir bu une bonne rasade d'une gourde et éternué.)

HORTENSE - Qui, lui non plus, n'est jamais de bonne humeur.
ANNE - Il avait sans doute encore appris que ses gardes avaient reçu une raclée.
HORTENSE - Ils reçoivent toujours des raclées.
BLANCHE - De la part des mousquetaires.
ELEONORE (se faisant mystérieuse) - Les mousquetaires, parlons-en des mousquetaires.
HORTENSE - On en parle souvent des mousquetaires.

ARTABAN (surgissant côté cour) - Vous voulez leur parler, Mesdames ?
HORTENSE (embarrassée, les autres regardent de l'autre côté.) - Heu…non…(se tournant vers les autres) vous voulez parlez aux mousquetaires ?
LES TROIS (en chœur) - Non, non !
ARTABAN - Dans ce cas…tiens! mais je suis tout seul, ils me suivaient pourtant. Seraient-ils rentrés dans une auberge sans que je m'en aperçoive ? (Il les salue en enlevant son chapeau.)
Mesdames ! (Il ressort.)
LES QUATRE (en chœur, en saluant de la tête) - Monsieur.

ELEONORE (soupirant, puis d'un ton sévère) - Et comme l'heure est grave, je vous conseille d'ouvrir bien grandes vos oreilles parce que j'exige des résultats.
ANNE/BLANCHE (en chœur) - Sinon ?
ELEONORE (même jeu) - Sinon vous deviendrez toutes pâles et le soleil ne sera plus pour vous qu'un lointain souvenir.
HORTENSE - Un lointain souvenir ?
ANNE/BLANCHE (en chœur, intriguée) - Mais pourquoi ?
ELEONORE - Parce que vous serez à l'ombre.
HORTENSE - Où ? Dans un parc ?
ANNE/BLANCHE (en chœur) - Sous un saule ?
ELEONORE - Un saule, peut-être mais alors un saule pleureur.
HORTENSE – Pourquoi un saule pleureur ?
ELEONORE – Parce que vous n’auriez plus que vos yeux pour pleurer.
ANNE/BLANCHE (en chœur) – Que nos yeux ?
ELEONORE – Que vos yeux, mes petites !
BLANCHE – Vous savez bien que nous détestons être appelées ainsi.
HORTENSE – Faut-il que l’heure soit grave !
ELEONORE – Elle l’est, mes petites.
ANNE (irritée) – Eléonore, vous le faites exprès.
ELEONORE (imitant la démarche fière de Milady puis éternuant) – Vous avez raison : je m’inspire des méthodes de Milady.
ANNE – Que vous détestez pourtant.
ELEONORE (sur un ton plus rassurant) – Je la déteste, c’est le mot, en effet, chère Anne, autant que je vous apprécie toutes les trois.
HORTENSE – Refermons ici le dossier des vieilles rancoeurs : il ne sent pas très bon. Quelles sont les nouvelles, Eléonore ?
BLANCHE – Oui, pourquoi l’heure est-elle si grave ?
ELEONORE – Parce qu’en cas d’échec, ma chère Blanche, comme j’ai déjà voulu vous le faire comprendre, votre prénom illustrera à merveille votre teint. (Elle vient caresser son visage.)
BLANCHE (effrayée) – Et pourquoi ?
ELEONORE – Parce qu’en cas d’échec, c’est à l’ombre que vous finirez, ne suis-je pas assez claire ?
ANNE – Etre claire en parlant de l’ombre veut-il dire « finir en prison » ?
BLANCHE – Anne, ma sœur Anne, je crois que vous l’avez vu venir.
ELEONORE – En effet, Blanche, c’est bien de cette ombre-là dont je veux parler.
HORTENSE – Brr ! J’en frissonne déjà. Qu’est-ce que notre ami le cardinal a pu avaler de travers pour promettre une telle issue ?
ELEONORE – Il a une fièvre de cheval.
ANNE/BLANCHE (en chœur) – Il est malade ?
ELEONORE – Disons plutôt qu’un cheval le rend malade.
ANNE/BLANCHE (en chœur) – Quel cheval ?
ANNE – Celui qu’il a mangé était mauvais et il ne l’a pas digéré ?
ELEONORE – Mais non !
BLANCHE – Celui qui lui a donné le mal de mer en galopant trop vite ?
ELEONORE – Non !
HORTENSE – Et que faut-il que nous fassions avec ce cheval ?
ELEONORE – Le retrouver.
ANNE/BLANCHE (en chœur) – Le retrouver ?
HORTENSE – Il l’a perdu, ce maladroit !
ELEONORE – Le cardinal n’est jamais maladroit.
ANNE – C’est vrai qu’en politique il est particulièrement habile.
BLANCHE – Mais comme cavalier, il doit encore prendre des leçons.
ELEONORE – Les leçons, il pourrait bien vous en donner.
HORTENSE – Que doit-il nous apprendre alors ?
ELEONORE – Il s’agit de retrouver un cheval blanc monté par un mousquetaire.

(Artaban revient côté cour.)
ARTABAN - Je ne les ai pas trouvés. Vous n'auriez pas vu passer des mousquetaires, Mesdames ?
HORTENSE - Combien ?
ARTABAN - Heu…trois.
HORTENSE - Non, désolé, Monsieur.
ARTABAN - Merci. (Il les salue.) Mesdames ! (Il ressort côté cour.)
LES QUATRE (en chœur, en saluant de la tête) - Monsieur !

ANNE (irritée) – Encore les mousquetaires !
BLANCHE – Ils sont partout !
HORTENSE – Partout où il faut se battre, boire ou faire de belles promesses aux dames, comme ce diable d’Artaban qui finira un jour par faire partie de leur clique. C’est son rêve à cette andouille.
ELEONORE – Une andouille drôlement habile, il faudra commencer à s’en occuper sérieusement aussi, celui-là.
ANNE – Mais d’abord notre affaire : à chaque jour suffit sa peine !
BLANCHE – Et notre affaire, c’est ce cheval blanc mais un cheval blanc monté par un mousquetaire, ça court les rues !
HORTENSE – Ou plutôt ça galope, et même vite. Il doit y avoir autre chose.
ANNE – Sûrement : qu’a-t-il de particulier, ce cheval ?
ELEONORE – Il est ferré.
BLANCHE – La belle affaire !
ANNE – Ils sont tous ferrés !
HORTENSE – C’est qu’il y a encore autre chose.
ELEONORE – Vous êtes perspicace, Hortense.
HORTENSE – Avec mon flair, ce n’était pas très difficile. (Elle désigne son nez puis éternue, les autres sourient.)
ANNE – Sa queue est tressée !
BLANCHE – Sa crinière est tressée !
ELEONORE – Ni l’un ni l’autre.
ANNE – Il a été marqué au fer rouge, alors.
BLANCHE – Pauvre bête !
HORTENSE – Les fers, je parie que ce sont les fers !
ELEONORE – De plus en plus perspicace, Hortense.
ANNE/BLANCHE (en chœur) – Les fers ?
ANNE – Quel flair !
BLANCHE – Oui, on dirait un chien de chasse.
HORTENSE (vexée) – Merci, Blanche ! Mais en quoi sont-ils particuliers, ces fers ?
ELEONORE – Ils sont gravés.
ANNE/BLANCHE (en chœur) – Gravés ?
HORTENSE – Et qu’y a-t-on gravé ?
ELEONORE – Deux cœurs entrelacés.
HORTENSE – Sur chaque fer ?
ELEONORE – Sur chaque fer.
ANNE/BLANCHE (en chœur) – Sur chaque fer ?
ANNE – Sur chaque fer, ça alors !
BLANCHE – Oui, il faut le faire.
HORTENSE – Huit cœurs au total, il faut être amoureux.
BLANCHE – Amoureux.
ANNE – Et romantique.
HORTENSE – Et qui est ce joli cœur ?
ELEONORE – Secret d’Etat, je ne peux vous en dire plus mais vous qui avez l’habitude de fréquenter les mousquetaires…

(Tout joyeux, Artaban revient encore côté cour.)
ARTABAN - Je…je voulais vous dire que je les avais retrouvés.
HORTENSE - Tant mieux, Monsieur, tant mieux !
ARTABAN (ressortant en les saluant) - Mesdames !
LES QUATRE (en chœur) - Monsieur!

BLANCHE – Ouf ! Nous sommes donc les mieux placées pour découvrir le cheval.
ANNE – Mieux placées que les gardes du cardinal, en tout cas.
BLANCHE – Avec nous, ils ne dégainent pas leurs épées.
ELEONORE – Voilà pourquoi, Mesdames, vous seules êtes capables de retrouver ce damné canasson.
ANNE – Et faire ainsi plaisir à ce damné cardinal.
BLANCHE – Et éviter l’ombre de la prison qui ferait tant de tort à mon teint.
ANNE – Et au mien.
BLANCHE – Et au tien.
HORTENSE (les imitant) – Et au mien…Et au tien…Quand vous aurez fini de vous faire des politesses…
ELEONORE – Vous pourrez partir à la recherche de ce cheval blanc ferré de la reine.
ANNE/BLANCHE (en chœur) – De la reine ?
ELEONORE (troublée) – De la reine ? Mais non, je n’ai rien dit.
HORTENSE – Ne dites plus un mot, nous avons tout compris et cela vaut mieux pour notre sécurité. Allons-y les filles.
ELEONORE – C’est ça, allez-y et je veux des résultats rapidement et quand je dis rapidement..
HORTENSE – Cela veut dire…
ANNE/BLANCHE (en chœur) – Que le plus tôt sera le mieux.
(Elles sortent avec Hortense, côté cour.)
ELEONORE – Et voilà, vive la hiérarchie. Les ordres sont transmis, ma petite Milady.
(Elle sort à son tour en imitant la démarche de Milady et en éternuant, côté cour.)

SCENE 4: RICHELIEU puis ARTABAN puis ANNE et BLANCHE puis HORTENSE

Richelieu (entrant côté jardin) - Non… je suis revenu à mon point de rendez-vous. Essayons de l'autre côté.
(Artaban entre pressé côté cour et bouscule Richelieu qui sortait.)
RICHELIEU (furieux et s'efforçant de se cacher le visage) - Nom de D…, nom d'un chien, c'est ce que je voulais dire: nom d'un chien !
(Il sort côté cour.)

(Artaban se retourne alors au passage d'Anne et Blanche qui sont entrées côté jardin et sortent côté cour. Perdu dans ses pensées, il ne voit pas Hortense, entrée côté jardin. Elle vient le heurter volontairement. Il se retourne et dégaine, se croyant attaqué. Il ne voit pas Hortense à qui il tourne le dos. Il avance aux aguets et fait le tour complet du banc, suivi par Hortense. Elle vient lui toucher l'épaule. Surpris, il se retourne, prêt à l'assaut.)
HORTENSE - Eh bien, jeune homme, est-ce une façon d'aborder les dames ?
ARTABAN - Euh…non…certainement pas, je vous prie d'accepter mes plus humbles excuses, Madame. (Il rengaine et la salue en enlevant son chapeau.)
HORTENSE - Vous avez failli me renverser.
ARTABAN - Failli, seulement mais quand bien même, je suis impardonnable.
HORTENSE - Impardonnable, en effet. (Elle arpente fièrement la scène.) Vous ne m'aviez pas remarquée ?
ARTABAN (embarrassé) - Euh …non.
HORTENSE - Non ? Comment cela non ?
ARTABAN (même jeu) - Euh…si bien sûr…si…si…mais…
HORTENSE - Mais ? Allez au fond de votre pensée.
ARTABAN - Quand…quand je vous ai aperçue…je n'ai pas osé affronter votre regard en vous croisant et… au lieu de vous croiser, je vous ai heurtée.
HORTENSE - On appelle ça un accident, en somme.
ARTABAN - Un accident, parfaitement, vous avez trouvé le mot juste alors que je me perds dans mes excuses et je bafouille, suis-je bête…
HORTENSE - Si vous le dites.
ARTABAN - Comment ça si je le dis ?
HORTENSE - Non, je vous taquine.
ARTABAN - Et je fonce tête baissée dans le piège, suis-je maladroit…
HORTENSE - Pour ça, oui.
ARTABAN - Oui, en effet, cette fois, je vous l'accorde.
HORTENSE - Vous me l'accordez, mais quoi ? Que m'accordez-vous ? Un rendez-vous ? Mais c'est le monde à l'envers. C'est à moi de vous l'accorder.
ARTABAN - Mais je ne vous ai rien dit, je ne vous ai rien demandé.
HORTENSE - Non, en effet, je vous l'accorde.
ARTABAN - Vous me l'accordez vraiment ? Vous me l'accordez ce rendez-vous ?
HORTENSE - Moi ? Je n'ai pas dit ça…du moins pas encore.
ARTABAN - Comment ça "pas encore" ? Vos yeux disent le contraire et ils sont si beaux vos yeux chère inconnue, j'aimerais m'y noyer dans vos yeux, chère…chère…
HORTENSE - Hortense.
ARTABAN - Hortense, mais c'est charmant Hortense, on dirait le nom d'une fleur.
HORTENSE - On dirait seulement, vous confondez avec un hortensia.
ARTABAN - Un hortensia, qu'est-ce que c'est que ça ?
HORTENSE - Une fleur, justement ou plutôt un petit arbuste. Ne me dites pas que vous ignorez ce qu'est un hortensia.
ARTABAN - Ma foi, je dois bien confesser mon ignorance.
HORTENSE - Et moi, vous donner l'absolution sans doute, je vous pardonne donc monsieur dont j'ignore également le nom.
ARTABAN - Artaban.
HORTENSE - Artaban ? Tiens, ce n'est pas courant.
ARTABAN (souriant) - Si,… quand je suis pressé.
HORTENSE (riant) - Courant… quand il est pressé…que vous êtes drôle, Artaban!
ARTABAN - Que vous êtes charmante, Hortensia…euh Hortense ! Pardonnez-moi, l'émotion, sans doute, vous me troublez tellement.
HORTENSE - A ce point, Artaban, à ce point ?
ARTABAN - A ce point, en effet. Alors, ce rendez-vous, quand Hortense, quand ?
HORTENSE - Mais nous nous connaissons à peine. Pas si vite, Artaban, attendons… un peu.
ARTABAN - Un peu ? Mais quand alors ? Après-demain, sur le parvis de Notre-Dame ?
HORTENSE - Vous êtes bien pressé. ..euh, après-demain, dites-vous, mais il faut encore attendre deux jours, Artaban.
ARTABAN - Alors disons demain dix-huit heures au même endroit.
HORTENSE - Demain ? Mais c'est encore long jusqu'à demain. Pourquoi ne restez-vous pas plus longtemps maintenant auprès de moi ?
ARTABAN - C'est que j'ai rendez-vous, voyez-vous.
HORTENSE (s'emportant) - Un rendez-vous ? Mais vous ne manquez pas de culot: fixer un rendez-vous à une honnête femme alors que vous en avez un autre au même moment avec une autre dont la qualité première n'est sûrement pas l'honnêteté.
ARTABAN - Mais vous êtes jalouse, ma parole !
HORTENSE - Jalouse, moi, mais de quel droit ? Je vous connais à peine et j'ai eu le tort d'accepter un rendez-vous que vous m'avez demandé avec tant d'empressement.
ARTABAN - Avec tant d'empressement ? Ma foi, j'ai dû confondre…
HORTENSE - Confondre quoi ?
ARTABAN - Mais rien, Hortense, rien…je m'exprime mal…je voulais dire que je devais… me confondre en excuses auprès de vous. J'aurais dû vous dire tout de suite qu'il ne s'agissait pas d'une femme.
HORTENSE (rassurée) - Ah ? Ah ! c'est mieux, mon ami, c'est mieux. Ainsi donc, vous avez un rendez-vous d'affaires avec un homme ?
ARTABAN - Euh…non, Hortense, pas un homme mais plutôt…
HORTENSE (s'emportant à nouveau) - Mais vous vous moquez de moi, Artaban, prenez garde, vous ne savez pas à qui vous avez affaire !
ARTABAN (perdant patience) - Je ne sais pas encore à qui j'ai vraiment affaire mais je sais par contre que je n'ai pas un rendez-vous d'affaires avec un homme mais avec trois.
HORTENSE - Trois ? Attendez…à Paris, quand on cite ce nombre, on y associe…
ARTABAN - Des mousquetaires, c'est ça que vous alliez dire, Hortense ?
HORTENSE - Tout à fait: qui ne connaît les exploits et les frasques d'Athiche, Fortiche et Aramoche ?
ARTABAN (rectifiant froissé) - Athis, Porthis et Aramos.
HORTENSE - Pardon ?
ARTABAN - Je vous prierai, chère Hortense, de ne pas écorcher les noms de mes amis: il s'agit d' Athis, de Porthis et d'Aramos et non pas d'Athiche, de Fortiche et d'Aramoche !
HORTENSE - Il n'est pas très beau.
ARTABAN - Peut-être mais ce n'est pas une raison pour l'appeler Aramoche.
HORTENSE - Et l'autre est une vraie armoire à glace.
ARTABAN (s'emportant) - Mais pas au point de l'appeler Fortiche quand même ! Est-ce que je vous appelle Hortensia, moi ?
HORTENSE - Justement, oui.
ARTABAN (un peu décontenancé) - Je vous ai appelée Hortensia ? Oui… mais je me suis trompé…j'étais troublé.
HORTENSE - Vous l'étiez ? Parce que maintenant vous ne l'êtes plus ?
ARTABAN - Non…enfin…si, mais vous me troublez avec vos questions à la fin !
HORTENSE - Dites tout de suite que je vous tape sur les nerfs…Mais alors si vous avez rendez-vous avec les trois gugusses…
ARTABAN (s'emportant à nouveau) - Mousquetaires, pas gugusses !
HORTENSE - Oui, oh ! peu importe, mon ami, peu importe…
ARTABAN (furieux) - Non, pas peu importe, je m'appelle Artaban, pas Rantanplan, nom d'un chien ! Respectez les noms, bon sang !
HORTENSE - Cessez de m'interrompre. Si vous avez rendez-vous avec vos trois…peu importe…c'est que vous êtes alors le fameux Gascon dont on parle tant.
ARTABAN - Dont on parle tant ? Vraiment, c'est me faire trop d'honneur.
HORTENSE - On peut vous faire honneur si vous êtes aussi habile à l'épée qu'on le dit.
ARTABAN (retrouvant un peu de calme pour faire le modeste) - Disons que je me défends…
HORTENSE - Vous défendre ? A ce qu'on en dit, vous attaquez aussi souvent…les gardes du cardinal par exemple.
ARTABAN - Je suis allergique à ces gens-là.
HORTENSE - Et à moi aussi ?
ARTABAN - Je n'ai pas dit ça.
HORTENSE - Mais vous le pensez parce que je vois bien que vous êtes énervé, d'ailleurs moi aussi, je suis énervée.
ARTABAN - Si vous le dites…
HORTENSE - Oui, je le dis et je crois qu'il est préférable de mettre un terme à notre histoire.
ARTABAN - Y mettre un terme ? Vous avez de ces expressions ! Rien n'a commencé. Et cela vaut mieux, en effet. Veuillez m'excuser, je vous quitte: j'ai un rendez-vous, un vrai celui-là: avec mes trois gugusses.
HORTENSE - C'est ça: vous ferez le quatrième gugusse: je ne suis pas prête de vous revoir.
ARTABAN - Moi non plus. (Il sort côté jardin.)
HORTENSE - Du moins avant demain…(Elle sort en courant derrière lui.) Artaban, n'oubliez pas: demain, dix-huit heures à Notre-Dame.

SCENE 5: MILADY et ELEONORE

(On entend d'abord éternuer. Milady entre côté cour de sa démarche hautaine caractéristique et va s'asseoir sur le banc. Eléonore entre quelques instants plus tard, côté jardin. Elle fait la révérence avant de s'asseoir également.)
MILADY - As-tu transmis mes ordres à tes petites protégées ?
ELEONORE - Bien entendu. Vous n'avez pas confiance ?
MILADY - Je me méfie, c'est ce qui m'a permis de rester en vie jusqu'ici.
ELEONORE - Et moi, n'aurais-je pas le droit de me méfier ?
MILADY - De tout le monde, c'est le meilleur conseil que je puisse te donner si tu veux profiter longtemps de l'existence et accessoirement du soleil.
ELEONORE - Je voulais dire: me méfier de vous.
MILADY - Te méfier de moi ? Je viens de te dire que tu devais te méfier de tout le monde. Me ranges-tu parmi tous ces gens ?
ELEONORE (se relevant) - Vous êtes surtout quelqu'un qui veut écraser tout le monde: peu importent les moyens, seul compte à vos yeux le résultat.
MILADY - N'agirais-tu pas ainsi à ma place ?
ELEONORE - Ce n'est pas sûr: quand on obtient des résultats grâce à ses… femmes de main, on peut reconnaître leurs mérites au lieu de faire… main basse sur leurs récompenses.
MILADY (se relevant à son tour, un petit sourire aux lèvres, éternuant ensuite.) - Mes…femmes de main, jolie expression. Richelieu a ses gardes et ses hommes de main et moi, j'ai mes femmes…que je commande, ne l'oublie pas et que je rétribue, ma foi, assez grassement pour le travail demandé. Il n'est pas prévu dans nos accords de récompense exceptionnelle.
ELEONORE (agressive) - Et si Richelieu décide de l'attribuer ?
MILADY - C'est à moi qu'elle revient.
ELEONORE (même jeu) - Même si vous n'y êtes pour rien ?
MILADY - J'ai au minimum donné des ordres.
ELEONORE (même jeu) - Pas "donné", transmis. Vous êtes au service du cardinal: c'est lui qui commande. Si je ne suis qu'une exécutante, vous ne valez pas mieux que moi.
(Elle est venue près d'elle, la regarde droit dans les yeux et d'un air de défi, éternue.)
MILADY (sèchement) - Fais attention, fais très attention: il me suffit d'un mot pour que ta vie s'arrête.
ELEONORE (même jeu et après avoir éternué plusieurs fois) - Vous me suivriez de peu: d'une courte encolure pour reparler du cheval.
MILADY - Quand cette affaire sera résolue, ma petite, il nous faudra régler de manière définitive notre différend.
ELEONORE (arrogante, elle éternue encore) - Avez-vous oublié que je ne suis pas votre petite, ma grande ?
MILADY (s'emportant) - Je ne suis pas ta grande, sale petite intrigante.
ELEONORE - Si ! Vous êtes ma grande, ma supérieure, mais plus pour longtemps, profitez-en.
MILADY - Tu oses me menacer ?
ELEONORE (tournant autour d'elle, elle éternue une seule fois mais très fort) - J'ose, Milady de Summer et j'oserai encore, rassurez-vous, je vais veiller sur vos nuits agitées. Je guetterai vos sueurs froides, vos cauchemars peuplés des documents que je détiens et qui, si jamais il m'arrivait…comment appelez-vous cela ? ah oui, un accident ! seraient alors remis à votre supérieur, vous savez, celui qui vous dicte ses ordres.
MILADY (très énervée, elle éternue) - Tu me paieras ça un jour, petite. Quand avec l'aide de ton troupeau de brebis, tu m'auras rapporté ces fers, nous trouverons une solution définitive.
ELEONORE - Des brebis, Milady, oui mais des brebis fidèles et solidaires.
MILADY - Elles peuvent te trahir: c'est même arrivé à Jésus.
ELEONORE - C'était sa destinée, la vôtre est aussi toute tracée. Je pars rejoindre mes brebis fidèles et solidaires: une pour toutes, toutes pour une.
(Elle sort côté jardin sans faire la révérence mais en éternuant plusieurs fois.)
MILADY - Et toutes contre moi apparemment mais les apparences peuvent parfois se révéler trompeuses, prends garde à un éventuel Judas, ma…petite Eléonore.
(Elle sort à son tour, côté cour, marchant toujours fièrement et éternuant une dernière fois.)

SCENE 6: ARTABAN puis RICHELIEU puis ELEONORE et HORTENSE

(Artaban entre côté jardin, l'air soucieux.)
ARTABAN - Mais où sont-ils passés ? J'ai pourtant essayé dans toutes nos tavernes et nos auberges habituelles. Ils ont peut-être été convoqués par Monsieur de Tréville. Ah! Monsieur de Tréville, peut-être aurai-je l'occasion, moi aussi, de servir un jour sous ses ordres.
Allons, Artaban, mon ami, point de rêverie mais peut-être néanmoins un peu de repos. Une petite sieste n'a jamais tué personne.

(Il va s'allonger sur le banc après avoir bâillé et se met à somnoler.)

(Anne et Blanche entrent à leur tour côté jardin, regardent de tous côtés mais pas vers le banc. Elles se dirigent ensuite vers lui et au moment où Anne va s'asseoir, Blanche l'en empêche de toute justesse, ayant remarqué au dernier moment la présence d'Artaban. Elles se font mutuellement signe pour ne faire aucun bruit et quittent la scène côté cour.)
(Richelieu entre côté jardin, toujours habillé en moine. Il aperçoit Anne et Blanche quittant la scène et ne peut s'empêcher de les siffler.)

RICHELIEU - Hé ! Hé! Plutôt jolies. Ah, si je n'étais pas ce que je suis ! Mais seulement, vois-tu Richelieu, tu es bien ce que tu es… (puis souriant) enfin, personne n'est infaillible…
(Il regarde ensuite méfiant, de tous côtés, sauf vers le banc et va s'asseoir directement sur Artaban.)
RICHELIEU - Nom de Dieu ! (Il s'enfuit précipitamment côté cour. Artaban se remet de sa surprise puis se met à le poursuivre.)
ARTABAN - Un moine ! Il a filé par là ! (Il sort côté cour.)

(Hortense entre côté jardin, inspecte les alentours puis, rassurée, elle éternue. Eléonore entre alors également côté jardin. Elles vont s'asseoir sur le banc après avoir regardé de nouveau à gauche et à droite.)
ELEONORE - J'espère que tu es venue m'apporter de bonnes nouvelles.
HORTENSE - Heu… Pas exactement mais je pense être sur la bonne voie.
ELEONORE - C'est-à-dire ?
HORTENSE - J'ai pu rencontrer Artaban.
ELEONORE (intriguée) - Artaban ? Mais pourquoi et dans quelles circonstances ?
HORTENSE - Disons… par accident.
ELEONORE - Par accident ? J'avoue ne pas très bien comprendre.
HORTENSE - Un accident provoqué, évidemment.
ELEONORE - Et pourquoi as-tu pris cette initiative ?
HORTENSE - Il est l'ami des fameux trois mousquetaires. Si ceux-là sont au courant de quelque chose, Artaban l'apprendra fatalement.
ELEONORE (se relevant) - Bien raisonné, Hortense, bien raisonné, je n'aurais pas fait mieux. En fait, j'avais même pensé la même chose puisqu'ils sont inséparables.
HORTENSE - Au fait, à quoi faut-il attribuer cette amitié ? D'après la rumeur, Artaban serait tombé amoureux des mêmes femmes que les trois autres gugusses.
ELEONORE - C'est à peu près la version que j'ai apprise également.
HORTENSE (se relevant à son tour pour venir près d'elle) - Et vous connaissez les détails, Eléonore ?
ELEONORE - Oui, mais je ne peux te garantir qu'il s'agit de la vérité.
HORTENSE - Il n'y a pas que les miroirs qui déforment.
ELEONORE - Non, les gens sont pires encore: ils ont la manie d'exagérer.
(A l'arrière-plan, Richelieu a surgi côté cour, il traverse en courant et sort côté jardin.)
HORTENSE - Tout débute, paraît-il, le jour de son arrivée à Paris.

(Artaban entre en courant côté cour, Hortense se rassoit précipitamment et se tasse pour ne pas être vue, Eléonore fait écran avec son corps pour la cacher.)
ARTABAN - Veuillez m'excuser, Madame, vous n'auriez pas vu passer un moine ?
ELEONORE - Un moine ? Ma foi, non. Mais je ne pourrais le jurer…
ARTABAN - Merci. (Il la salue en enlevant son chapeau puis sort en courant côté jardin. Hortense se redresse et se tâte le cou.)

HORTENSE - Quand on parle du loup…
ELEONORE - Tout débute donc le jour de son arrivée à Paris. Artaban se rendait chez Monsieur de Tréville lorsqu'il passa à côté d'une dame qui venait de perdre volontairement son mouchoir.
HORTENSE - Si nous avons eu les mêmes renseignements, elle l'avait laissé tomber pour que ce soit Athis qui le ramasse.
ELEONORE - Oui, mais au moment où il se penchait, Artaban, tombé sous le charme de la dame en question, s'inclinait pour la saluer…
HORTENSE - Il n'a donc pas ramassé le mouchoir à la place d'Athis ?
ELEONORE - Non, mais en s'inclinant, son postérieur a rencontré celui d'Athis qui a été projeté la tête la première dans un crottin de cheval.
HORTENSE (riant) - Résultat des courses: un premier duel. Correct ?
ELEONORE - Correct.
HORTENSE - Comment a-t-il ensuite rencontré le second ? Toujours à cause d'une femme ?
ELEONORE (venant s'asseoir) - D'après mes informations, oui, une demi-heure à peine après la première.
HORTENSE - Elle a également perdu un mouchoir ?
ELEONORE - Non, je crois qu'elle se préparait à monter dans son carrosse. Il s'est précipité pour l'aider sans voir…
HORTENSE - Aramos ?
ELEONORE - Gagné !
HORTENSE - Qui a également été renversé et s'en est allé goûter lui aussi au crottin de cheval ?
ELEONORE - Perdu ! Aramos arrivait côté opposé pour lui ouvrir la porte.
HORTENSE - Et emporté par ses sentiments, Artaban est arrivé avant lui, c'est ça ?
ELEONORE - Oui, et Aramos a pris la porte qui s'ouvrait en pleine figure.
HORTENSE - Second duel donc.
ELEONORE - Exactement. Il n'en reste plus qu'un.
HORTENSE - Porthis, puisqu'il faut bien le nommer. La rencontre aurait eu lieu dans une auberge où il avait évidemment rendez-vous avec une femme. Correct ?
ELEONORE - Correct. Artaban venait d'y rentrer pour reprendre des forces après toutes ses émotions.
HORTENSE - On m'a parlé du verre de vin de Porthis qui aurait été renversé.
ELEONORE (se relevant) - J'ai eu une autre version plus spectaculaire.
HORTENSE - Mes oreilles ne demandent qu'à l'entendre.
ELEONORE - La dame venait également d'arriver…
HORTENSE - Il a donc dû se précipiter en la voyant…
ELEONORE - Pour l'aider à s'asseoir et sans voir l'aubergiste qui portait une grande marmite de soupe.
HORTENSE - Je vois d'ici la scène: toute la soupe a fini sur Porthis.
ELEONORE - Forcément.
(A l'arrière-plan, Richelieu a surgi côté jardin. Il vient plonger sous le banc.)
HORTENSE - Troisième duel… et avec les trois plus fines lames de Paris: pour un Provincial, on a connu des arrivées à Paris plus discrètes. Quel diable d'homme !
ELEONORE - Quel grand distrait surtout ! Voilà donc comment un trio redoutable est devenu un quatuor qui est peut-être concerné par notre mystérieux cheval blanc ferré.

(Artaban entre côté jardin, Hortense se laisse glisser par terre pour ne pas être vue.)
HORTENSE (à Richelieu) - Vous, n'en profitez pas ! (Richelieu se signe. Il tremble.)
ARTABAN (à Eléonore) - Veuillez m'excuser, Madame, vous n'auriez pas vu passer…
ELEONORE - Encore votre moine ?
ARTABAN - Heu…non, il doit être loin maintenant. Mais vous n'auriez pas vu…
ELEONORE - Trois mousquetaires ?
ARTABAN (étonné) - Heu…oui
ELEONORE - Ne soyez pas étonné, ils sont tellement célèbres: on ne parle que d'eux dans tout Paris. Ne seriez-vous pas le fameux Artaban ?
ARTABAN (flatté) - Heu…si.
ELEONORE - Ne soyez pas à nouveau étonné: vous serez bientôt aussi célèbres qu'eux. A votre place, je hâterais le pas de ce côté. (Elle désigne le côté cour.)
ARTABAN - Je vous remercie du renseignement. Vous êtes charmante, mademoiselle…
ELEONORE - Eléonore, madame Eléonore.
ARTABAN - Vous êtes néanmoins tout aussi charmante, Madame. Au plaisir de vous revoir bientôt.
(Il la salue en enlevant son chapeau puis sort côté cour. Hortense et Richelieu se redressent péniblement.)
RICHELIEU - Vous ne m'avez pas vu, vous avez bien compris, vous ne m'avez pas vu.
ELEONORE - Ne vous en faites pas, je connais la chanson.
(Richelieu sort en courant côté jardin.)

HORTENSE (se rasseyant) - Ouf ! Toute cette affaire me paraît un peu bizarre, Eléonore: d'où viennent ces fers ? Quelque chose m'échappe.
ELEONORE - J'espère que ce n'est pas le cheval.
HORTENSE - Le cheval ?
ELEONORE - Quelque chose t'échappe, soit ! mais je ne peux pas tout te révéler. L'essentiel, c'est que le cheval, lui, ne t'échappe pas.
HORTENSE - Surtout s'il appartient à la reine, Eléonore.
ELEONORE - Surtout s'il appartient à la reine, je veux bien l'admettre puisque je me suis trahie.
HORTENSE - Mais pourquoi un cheval blanc appartenant à la reine et porteur de fers d'une très grande valeur s'est-il retrouvé chez les mousquetaires ?
ELEONORE (s'asseyant) - Je voudrais bien le savoir également.
HORTENSE (s'asseyant également) - Toujours ce vieux compte à régler avec notre chère Milady de Summer ?
ELEONORE - Evidemment. J'ai un gros défaut: je suis rancunière.
HORTENSE - Surtout quand il s'agit d'argent.
ELEONORE (s'énervant et se relevant) - Tu accepterais, toi, que la grosse bourse qui te revenait soit interceptée par cette garce ?
HORTENSE - Non, bien entendu… je lui aurais d'abord crêpé le chignon sans lui laisser le moindre cheveu sur la tête.
ELEONORE - Ce n'est pas grave: elle porte couramment la perruque.
HORTENSE - C'est à vie qu'elle l'aurait portée sa perruque et après les cheveux…
ELEONORE - Tu lui aurais volé dans les plumes ?
HORTENSE - Exactement.
ELEONORE (venant se rasseoir) - Mais vois-tu Hortense, le plus choquant, c'est qu'elle se soit attribuée les mérites de la réussite de ma mission.
HORTENSE - Un vol moral.
ELEONORE - Celui qui fait le plus mal, damnée perruche !
HORTENSE - Elle vous a coupé les vivres, coupons-lui les ailes.
ELEONORE - C'est ça: coupons-lui les ailes. Et comme notre ami le cardinal semble ne plus très bien supporter son arrogance…
HORTENSE - Elle ne volera plus très longtemps.
ELEONORE - Et sa fin est sans doute plus proche qu'on ne le croit…
HORTENSE - Eléonore, vous semblez en savoir plus que moi.
ELEONORE - En effet, chère Hortense, pour tout dire, ma vengeance est déjà en route, elle galope même.
HORTENSE - Comme ce fameux cheval…
ELEONORE (se relevant)- Peut-être mais je ne peux t'en dire plus pour l'instant, car rappelle-toi la devise de notre réseau d'espionnes.
HORTENSE (se relevant également) - Je la connais par cœur, quittons-nous avec elle…
ELEONORE/HORTENSE (en chœur) - Les murs ont des oreilles. (Elles sortent côté jardin.)