Visions de Goya

Deux siècles après leur composition (1819-1823), dans un monde confronté à de nouveaux enjeux de taille, Stéphane Lambert se penche sur l’extraordinaire cycle des peintures noires de Goya pour sonder leur inépuisable actualité. Par cette plongée dans l’imaginaire de ses hantises les plus entêtantes, le peintre espagnol avait transfiguré tous les genres picturaux de l’époque et bouleversé durablement la vision de notre humanité. Goya (1746-1828) a tout traversé, les humiliations et les honneurs, les assauts de la maladie, la guerre et les remous de l’Histoire, avec le fabuleux don de transformer les ravages en occasions de révolutionner son art. Revenant sur le riche et long parcours d’un artiste de génie, le livre prend la forme d’un voyage à travers une oeuvre professant la vitalité inébranlable de la création face à la menace du chaos.

Fiche

Année
2019

Extrait

Personne. Malgré les allées et venues, le brouhaha
des écoliers. Personne. Le peintre nous avait laissés seuls,
abandonnés, sur une planète incompréhensible. Le
moindre appel résonnait comme dans un théâtre vide. Ces
peintures témoignaient de la vie comme si la vie s’était
déjà enfuie, comme si la terre avait été désertée. D’où ce
sentiment de hauteur, de mise à distance, qui excluait le
visiteur de son propre univers, qui le mettait sur la touche
là où il croyait encore être dans le jeu. Et personne, qui
franchissait la porte de ces salles, ne restait indifférent.
Les « peintures noires » frappaient quiconque les observait
d’un étrange sentiment d’attirance et de répulsion.
Chacun sentait combien était vraisemblable le règne de
l’épouvante, chacun avait rangé ce savoir dans la boîte
noire de son inconscient. Mais les mauvais rêves d’une nuit
terrible s’étaient imprimés sur les murs de la « maison du
sourd », débordant du peintre comme les sédiments d’un
fleuve, le remugle de l’âme.