Valérie Lemaitre

  • Audiovisuel / Spectacle vivant / Son

La peau tirée à quatre épingles

Fiche

Année
2001

Extrait

"SCENE 1 Un banc public. Un homme et une femme se frôlent amoureusement. L’homme : Bon anniversaire. Il l’embrasse. L’homme : Je t’aime. Il l’embrasse à nouveau, elle le repousse légèrement. La femme : Tu ne me trouves pas trop vieille ? L’homme : Trop vieille ? La femme : Regardes bien mon visage. Les yeux. Il veut l’embrasser à nouveau. La femme : Non, en dessous des yeux. Regardes. L’homme : Oui. La femme : Tu ne vois rien ? L’homme : Tes yeux. Noirs comme le charbon. J’aime. Beaucoup. Temps. L’homme : Tiens. Cadeau. Pour toi. Ouvres. La femme ouvre le paquet. L’homme : Quand je l’écoute, je ne peux pas m’empêcher de penser à toi. La femme : Ha. L’homme : C’est une chanteuse incroyable. Magnifique…A la fois sensuelle et forte. La voix, je veux dire. La femme : Je n’aime pas son nom. L’homme : Ha. La femme : Oui. « Pieta », c’est lourd. On a l’impression qu’elle pèse cent kilos. Dans la bouche ça prend toute la place, « Pieta ». L’homme : Pourtant je la trouve bien foutue moi. Elle a un corps qui fait rêver toute la planète. Et des gros nichons. C’est très demandé les gros nichons. Surtout dans la chanson. Il rit. La femme : Pour être blonde, elle est blonde. L’homme : Tu n’aimes pas ? Temps. L’homme : Ca ne te plaît pas. Je vois bien que ça ne te plaît pas. Temps. La femme : Il faut que j’y aille. Il est tard. L’homme : …Déjà ?…. La femme : A demain. Elle sort. L’homme reste seul. Noir. SCENE 2. Un an après. Le même banc. Un autre homme est assis. Il attend. Il tient dans ses mains un bouquet de fleurs. La même femme entre. Elle est métamorphosée. Ses cheveux sont devenus blonds et sa silhouette s’est transformée. La femme : Bonjour. Il lui tend les fleurs. L’homme : C’est pour toi. La femme : Pour moi ? On se connaît à peine et tu sais déjà que j’adore les fleurs. Il s’approche tout contre elle. L’homme : Je crois que je suis le mec le plus chanceux de la planète. La femme : Arrêtes… L’homme : Et je ne fais que commencer. Pour une fois que je suis heureux, je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin… La femme : Tu es heureux ? L’homme : Oui. Toi, tu n’es pas bien ? La femme : Si si. L’homme : Impératrice. La femme : Pardon ? L’homme : Sisi Impératrice. C’est une blague. Il l’embrasse. L’homme : Tes lèvres… La femme : Quoi, mes lèvres ? L’homme : C’est bon , c’est tout. Temps. L’homme : Et tes cours de chant ? Ca marche ? La femme : Aujourd’hui le prof m’a dit que si je voulais, je pourrai faire un disque, bientôt. Enfin c’est ce qu’il a dit. L’homme : C’est génial. La femme : Tu trouves ? L’homme : J’ai la chance de connaître une future star de la chanson. Quel veinard. Il l’embrasse à nouveau et glisse sa main doucement dans son décolleté. La femme : Tu n’as rien remarqué? L’homme : Non…. La femme : Touches, là. Elle lui montre un endroit précis sur un de ses seins. Il touche du bout des doigts. La femme : Non…Touches vraiment. L’homme touche à nouveau. La femme : Tu ne sens rien ? L’homme : Ha si. La forme est…très… La femme : Non…La consistance. Là. Temps. L’homme : Tiens, oui. C’est quoi ? La femme : Collagène. Surprise. Juste pour épaissir la matière. L’homme touche encore. L’homme : C’est dingue. La femme : Tu aimes ? L’homme : Plutôt deux fois qu’une. L’homme repose ses mains sur les seins de la femme qui le repousse légèrement. La femme : Attends. C’est pas encore tout à fait au point. Question de jours. Temps. L’homme : Si on allait au ciné pour fêter ça ? La femme : J’ai trente ans aujourd’hui. L’homme : Trente ans ? Aujourd’hui ? La femme : C’est vieux, je sais. L’homme : On se connaît depuis hier, je t’apporte des fleurs et c’est ton anniversaire. Je ne savais pas...Je te jure que je ne savais pas. La femme : Maintenant tu sais. L’homme : Ca te dit un Ciné pour ton anniversaire ? La femme : Quel film ? L’homme : Le dernier film de Cindy Lopez. Mon actrice préférée. La femme : Ha oui. L’homme : C’est hallucinant ce qu’elle dégage. Une vraie déèsse. Temps. L’homme : Et tes cours d’italien ? La femme : Je crois que je vais me mettre à l’anglais. L’homme : Ha, oui, l’anglais c’est bien. C’est bien l’anglais. Temps. L’homme : On y va ? La femme : Si tu veux. Noir. SCENE 3 Un an plus tard. Même endroit. Entre la femme et un troisième homme. La femme n’est plus blonde mais brune. Elle porte une mini-jupe et un thee-shirt moulant. Elle est maquillé à outrance et marche comme une sylphide. L’homme : Ca doit être passionnant ton boulot. La femme : Oui. Pas tout le temps. C’est stressant aussi. L’homme : Et ta joué dans beaucoup de films ? La femme : Je commence. C’est pas évident. Surtout depuis que j’essaye de m’expatrier au Etats-Unis. L’homme : C’est pas mal les Etats-Unis. Temps. L’homme : Ecoutes, d’ici on entend à peine la ville. Juste un ronronnement dans le lointain. Temps. La femme : C’est bien la photo ? Enfin , je veux dire, ça te plaît ce boulot ? L’homme : Si on veut. Pour ce qui est des filles, c’est bien.(il rit) Mais c’est crevant. Les heures supplémentaires, les voyages, les clients, les mannequins… Les gens ne se rendent pas compte. Toi, tu lis ta revue bien à l’aise dans ton fauteuil, et tu ne soupçonnes pas les heures de travail qui s’enfilent pour faire toutes ces photos. La femme : C’est quoi ton genre de filles ? Il sourit et s’approche d’elle pour l’embrasser. Elle l’arrête. Temps. L’homme : Tu m’abordes dans ce café, tellement sûre de toi…Je pensais… C’est pas courant, je veux dire d’être aussi sûre de son coup. Ca m’a plu. Je pensais : cette fille est un peu comme moi, sans attaches, sans question , sans amour, libre comme un papillon qui s’agite dans le vent, quoi. Temps. La femme ne bouge plus. Son regard est figé dans le vide. L’homme : Ca va ? Temps. L’homme : Tu veux qu’on aille ailleurs ? La femme : C’est mon anniversaire aujourd’hui. L’homme : Ha…C’est bien… Temps. La femme : J’espère qu’il va pleuvoir aujourd’hui. J’aime bien quand il pleut. Surtout le soir, quand je suis au fond de mon lit et que la pluie dégouline sur les vitres. Temps. L’homme : Je vais m’en aller je crois. La femme : La pluie fait toc-toc sur les vitres et moi j’aime ça, me blottir tout contre mon oreiller. C’est aussi pouf un-deux-trois le moment d’allumer la télé. Comme les fées. J’aurais aimé être une fée… L’homme s’en va doucement. La femme continue de parler. Noir. SCENE 4 La femme est seule sur le banc. Elle regarde toujours dans le vide. Un quatrième homme passe. La femme : C’est mon anniversaire aujourd’hui. Noir."