Grand angle : Clément Thirion, en diffraction

Publié le  12.06.2015

par Thomas Depryck dans le cadre du partenariat de BELA avec Grand Angle, le Salon d’artistes belges francophones des arts de la scène – Théâtre des Doms, Avignon, 16 & 17 juillet 2015.

 

Clément Thirion, en diffraction.

 

Il paraît que rien n’est solide, que tout est mouvement et énergie et que c’est notre perception qui nous donne l’illusion que les choses sont telles qu’on les voit. Les créations de Clément Thirion sont en quelque sorte des illustrations de ce phénomène. Il veut capter et transmettre l’énergie ambiante, à travers la musique, la danse, un questionnement ambigu, créer un mouvement, un « regard sur », un événement : du « Blast Dance » à « Fractal », en passant par « Weltanschauung », il y a un art du décalage physique, spatial, dramaturgique consistant à déplacer les sens (et le sens) d’un cran, pour prendre la distance nécessaire et proposer une rencontre scénique, qui tient autant de la performance que de la danse et du théâtre.

 

Clément a, dans sa (première) jeunesse, fait de la musique, de la diction, de la déclamation, et du théâtre. Au sortir des études secondaires , il effleure l’idée d’un cursus scientifique (astrophysique ou volcanologie) mais se dirige plutôt vers le théâtre au Conservatoire de Mons : il ne se voit pas rester derrière un bureau, ce n’est pas dans sa nature, étudier pendant 7 ans ne l’emballe pas vraiment. Mais ce n’est pas pour autant que les aspects scientifiques sont moins importants que le théâtre à ses yeux. C’est son tempérament qui lui a fait poser ce choix, pas ses aspirations. Il a besoin de bouger, physiquement et intellectuellement, et c’est sur scène que cela se fera pour lui.

 

C’est comme comédien que Clément Thirion aborde les planches, et pas n’importe comment : nommé aux Prix de la critique Théâtre/Danse de la FWB dans la catégorie « meilleur espoir » deux années de suite, il est lauréat en 2008. C’est l’année aussi où il est embarqué à l’Ecole des Maîtres, sous la direction d’Enrique Diaz. C’est l’année aussi où il commence sa résidence à L’L[1], avec Mathilde Schennen. Et ça tombe bien parce le travail du « Maître » entre pile poil en résonance avec les questions qu’ils se posent, Mathilde et lui. La manière dont Enrique propose de travailler le plateau correspond à ce qu’ils cherchent. Clément se plonge dans les méthodes « Suzuki » et « Viewpoint », techniques de déconstructions de la représentation, techniques vocales et corporelles qui ont pour point commun de travailler sur la décomposition, l’analyse, le déséquilibre, l’impossible dans le jeu et l’élaboration scénique, et qui permettent au performeur, à l’acteur, au danseur, de toujours maintenir une certaine qualité d’intensité et de concentration au plateau.

 

Les projets de la Kosmocompany, qui abrite les créations de Clément, se nourrissent de ces pratiques qui mettent au centre l’action, la forme et les aspects ludiques de la représentation.

 

C’est via Christian Machiels[2] que Clément entre en résidence à L’L. « Weltanshauung », son premier projet, auquel s’adjoignent les « Blast Dance » (performance urbaine de danse communautaire) sera le produit de ce travail et du soutien de L’L.

 

Mais ce n’est pas parce qu’il monte ses propres projets que Clément Thirion délaisse le jeu. Il a la chance de pouvoir à la fois être engagé comme comédien et de porter par ailleurs ses propres créations à la scène. Les deux choses s’influencent, se nourrissent. Il a le sentiment d’être un meilleur interprète en étant porteur de projet. Il est plus concentré sur le projet et moins sûr lui : il n’amène pas dans le travail des autres les enjeux propres à ses ambitions.

 

A la base de ses spectacles il y a en partie un travail documentaire. Il regarde des films, se renseigne et écoute de la musique. Et c’est surtout par la musique, la musique électronique (mais pas uniquement), que vient l’inspiration. Ce qui fait que la forme de ses spectacles se dirige naturellement de plus en plus vers la danse. Les énergies partent de là. Toutes les séquences de « Weltanschauung » par exemple, ont été inspirées par de la musique. Il écoute un morceau et il se dit « cette scène serait la violence de la création », et puis un autre morceau serait « la boucle vaniteuse de la création ». Il n’y a pas vraiment d’écriture (c’est de l’improvisation), ni de passage à la table, pas de schémas, etc. Tout se passe dans l’énergie, ça circule sur le plateau et petit à petit le spectacle se crée, prend forme, vit. Il vise à communiquer, une pulsion, une volonté : dans « Weltanschauung » il y a le désir de transmettre la question du « qu’est-ce que je fais moi concrètement dans mon quotidien pour changer le monde », du coup « qu’est ce que je fais en tant qu’artiste créateur pour agir sur le monde » ?

La question n’est pas sérieuse, ou elle l’est trop. Clément joue de l’ambiguïté, de l’impossible, on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon, on ne sait pas si c’est une blague ou si c’est sérieux. Il veut jouer sur une frontière floue qui fait naître le doute dans le regard du spectateur : est-ce qu’ils font ça pour de vrai ou pas ? La magie de la représentation nait quand le doute est partagé, quand l’énergie se diffuse : à la fois on passe un bon moment, mais on est aussi dans l’effroi et l’absurde, et on se demande ce qu’il se passe. Et c’est là que le « théâtre » naît : dans le rapport qu’entretiennent salle et scène, ce moment unique et impossible à reproduire à l’identique.

On ne vérifiera jamais une représentation.

 

Clément Thirion, au fond, pose des hypothèses scéniques : à chacun d’en vérifier la pertinence, la réalité, la possibilité, à chacun de jouer à la question des « et si… », de s’engouffrer dans un moment ludique et de partager un questionnement sans prétention, mais profond.

 

 

Repères

2011 Blast dance

2013 [weltanschauung]

2016 Fractal

 

Spectacle présenté à Grand Angle 2015

Fractal

 

 

http://www.kosmocompany.net/kosmo/kosmo.html

 

 

 

 

[1]    Lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création, Bruxelles

[2]    Directeur du Théâtre de la Balsamine (Bruxelles), de à 1994 à 2011

photo © Alice Piemme _ AML

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