"The Quest" de Cédric Eeckhout

Publié le  17.09.2021

À l'intersection du stand-up, de l’absurde et du drame existentiel, The Quest reconstruit l'histoire familiale et amoureuse de Cédric Eeckhout en écho aux multiples fractures qui ont marqué l'Europe. Créée en 2020 au Théâtre national Wallonie-Bruxelles, la pièce poursuit sa tournée (temporairement interrompue à cause du Covid-19) dans toute l'Europe et notamment au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris les 6 et 7 octobre 2021. 

Une occasion pour la dramaturge, romancière, journaliste et nouvelliste Aïko Solovkine de voir le spectacle et d'en décortiquer l'écriture. 

homme blanc riant
© Cédric Eeckhout par Stéphane Piti

Union européenne. Union politico-économique de 27 États européens qui délèguent ou transmettent par traité l’exercice de certaines compétences à des organes communautaires. Superficie : 4,2 millions de kilomètres carrés. Population : plus de 446 millions d'habitants. Deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis et devant la Chine. Régie par les traités de Maastricht, de Rome et de Lisbonne.

Okay.

Vagues réminiscences de cours, bribes glanées ci et là, et aussitôt oubliées. Pas ce qui se fait de plus glamour, l’Union européenne. Une machine technocratique au fonctionnement opaque. Un machin supranational qui administre nos existences et auquel on ne comprend rien. Mais machin et machine qui forment aux origines un projet ancré dans un principe simple. La paix. L’union et la solidarité entre nations que le hasard de la tectonique des plaques a conjugué en un même continent. La paix, sa recherche, sa consolidation et son maintien. La paix plutôt que la guerre et Clausewitz pris à rebours ; la politique envisagée comme la prolongation de la guerre par d’autres moyens.

Bon.

Mais de là à utiliser l’Union européenne comme outil de compréhension de soi, il y aurait de quoi hésiter. Pas Cédric Eeckhout, qui dans The Quest, s’y plonge en armure de chevalier, intrépide et généreux, Don Quichotte nu malgré sa cuirasse, à la quête de son étoile et in english parce qu’avec une mère wallonne divorcée d’un père flamand et un pays natal miroir de toutes les fractures, s’impose l’apparente neutralité de la lingua franca européenne. Un combat ordinaire et fondamental, où les questions crépitent forcément en plus grand nombre que les réponses. Comment s’engager quand tout nous pousse à être seul, dans nos existences comme en ce monde. Faire front ensemble. Dans quelle langue se parler, en famille, en couple, avec ceux qu’on rencontre et qu’on aimera peut-être. Quelles ressources mobiliser pour (se) faire confiance, surmonter ses peurs, un passage à vide financier, une crise personnelle, familiale ou amoureuse. Quels sont les secrets pour construire un couple gay, hétéro, polygame, monogame, et faire durer un amour.

Le personnel est aussi politique et chaque individu, un pays en soi. Une patrie miniaturisée avec sa bannière, sa devise, son chauvinisme, sa langue, ses us et coutumes, ses blessures à vif ou mal cicatrisées. Un pays qui, à l’image de n’importe quelle nation, s’adonne à la politique, d’abord interne, puis interétatique. Faite d’alliances stratégiques ou d’unions de raison, d’intérêts partagés, de diplomatie personnelle et de renvoi d’ambassadeurs. De joutes de dupes et de jeux de pouvoir. De mini-sommets à deux ou davantage, de pactes, de négociations et de compromis. De trahisons, voltefaces, réconciliations et revanches. De dialogues tantôt au point mort, tantôt fructueux.

The Quest est un exercice singulier, viscéral, qui nous conjure à laisser l’intime déborder hors de nous, de ce nous qui est sa propre patrie, et d’autoriser le monde à circuler en soi. Aligner ses planètes et les nôtres sur un même axe, faire résonner l’histoire en majuscule avec la banalité de nos existences puisque leurs ressorts sont faits du même métal. Un seul flux les abreuve. Fait d’aller-retours entre le dedans et l’extérieur, le close-up et le plan large, un je et un nous perméables et communs, et dont les trames s’entrelacent tout au long de nos destinées. C’est le Brexit qui fait douloureusement écho lors d’une rupture amoureuse, et où l’amant délaissé, reproche à celui qui l’abandonne son égoïsme et son esprit étriqué. C’est la Grèce en perdition, mauvaise élève du libéralisme et exclue de ses promesses, dont ses 26 alliés consentent du bout des lèvres à renflouer ses caisses pour lui éviter un naufrage financier. C’est le mariage entre une femme du sud de la Belgique et un homme du nord du même pays, qui divorcent après 18 ans d’union sans fournir d’explication à leur fils de cinq ans. C’est un garçon âgé de cinq années supplémentaires, qui verra ses parents solidaires et unis à son chevet lors de son ablation de l’appendicite, et que plus tard, la vision d’Angela Merkel et Viktor Orbán se tenant la main lors d’une commémoration au soldat inconnu, bouleversera. Parce que le soldat, c’est lui, qui questionne cette Europe dont les nationalismes montants font craquer les coutures. Chevalier en armure qui sur ses lignes de failles et points de soudure intimes, appose en copie carbone les blessures et cicatrices de son Europe malmenée mais toujours debout. À la quête sans fin de leurs Big Bang respectifs dont les déflagrations ne cessent de rebattre les cartes de leurs destins.

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