D'acc / Pas d'acc (about « My secret garden »)

Publié le  11.07.2010

Thomas Depryck est mon plus proche collaborateur.

Depuis 2004, chacune des pièces que j'ai initiées a porté sa marque. En tant que dramaturge, en tant que conseiller artistique, en tant qu'auteur. Son regard est précieux, précis, et pour moi essentiel. Notre désir théâtral a un socle commun et une force commune.

Par ailleurs, il est aussi un ami fidèle, et de ça je ne dirai rien ici.

Ces jours-ci, nous habitons ensemble dans une maison d'Avignon, avec les autres membres de l'équipe des Langues paternelles. Vendredi soir, Thomas est rentré à la maison en disant : « Je viens d'assister à la première de « My secret garden » ; j'ai pris une claque monumentale ; ce spectacle est une réussite totale ».

Je voyais la création de Falk Richter et Stanislas Nordey samedi, à la deuxième. Face à cet enthousiasme rare et débordant de Thomas, c'est peu dire que j'étais en attente.

Mais, cette fois-ci, l'enthousiasme de Thomas n'est pas le mien.

La rencontre artistique entre Richter et Nordey est une belle histoire. Elle est racontée ici. Indubitablement, il semble que leur désir théâtral ait une force commune. La diction coupante, tenue, nette de Nordey, son souci de précision, conviennent admirablement à la langue de Richter traduite par Anne Monfort.

Thomas et moi sommes préoccupés par le sujet de « My secret garden » : l'articulation du moi au social, le lien entre un « je » et un monde (le nôtre). Ici le « je » est auteur de théâtre ; le sujet est donc aussi le suivant : comment rendre compte de cette articulation, de ce lien. Cette thématique irrigue chacun des projets récents entrepris par Thomas et moi-même. Pourtant, Thomas a vu en « My secret garden » un grand spectacle, tandis que j'y voyais une réussite honorable mais plutôt relative.

 

  • Selon Thomas, « My Secret garden » parvient à jeter un regard ironique et pétri d'auto-dérision sur son personnage central (Richter, joué par Nordey). Pour ma part, j'ai l'impression que le spectacle peine souvent à quitter la pose et tire une thématique universelle vers une forme de nombrilisme peu généreux.

  • Selon Thomas, « My Secret garden » propose une forme aboutie, belle et puissante. Pour ma part, j'ai l'impression que la structure du spectacle est plutôt facile, utilisant la vieille recette de la mise en abîme et un conditionnel durrassien pas franchement renouvelé. Surtout, il me semble finalement que l'extrême précision vocale et physique de Nordey (sa nécessité à dire est troublante), si elle convient bien à la langue de Richter et à sa rythmique, fait contraste avec le contenu du discours, un peu vague, un peu mou, un peu bateau.

  • Selon Thomas, les acteurs de « My Secret garden » sont prodigieux. Sur ce point, je suis totalement d'accord (il est d'ailleurs impressionnant de constater la qualité de jeu globale dans les pièces présentées au In jusqu'à aujourd'hui). Anne Tismer prouve qu'elle n'usurpe en rien son statut particulier sur les scènes internationales.

  • Selon Thomas, le côté « catalogue » du spectacle (Richter y égrène les possibilités de titre à donner à sa pièce et s'amuse à fantasmer ce que serait chacune des pièces titrées) le prémunit d'une univocité et d'une trop grande prétention. Pour ma part, j'ai l'impression que Richter et Nordey se planquent derrière leur catalogue pour n'assumer totalement aucun des discours ébauchés.

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