Ecrire avec les pieds

Publié le  01.04.2011

Il n'est pas rare que l'on nous demande, à nous les écrivains, quel est notre outil de travail. Ce n'est pas que le public veuille savoir quels mots nous aimons, ou quel dictionnaire nous utilisons, non, simplement si nous nous servons d'un stylo ou d'un ordinateur. Pourquoi on nous pose cette question ? Par tradition, je suppose. Pour savoir si l'écriture est un artisanat. Pour tenter de percer le mystère, si mystère il y a. Pour ma part, j'ai souvent envie de répondre que j'écris avec les pieds…

 

1- Les bottines

Avant l'écriture, il y a la marche. La randonnée, si possible en terrain sec et aride. Les Causses, par exemple, où il n'y a que pierres, chardons, souffle et ciel. Marcher est chose lente. Surtout lorsqu'il s'agit de monter sur le Causse. Et voilà revenus ces moments où l'on se demande ce qu'on fait là, à suer, grimper, avec ce sac qui vous scie les épaules, pas d'ombre sur les mollets, et personne ne parlant, aucun paysage : chacun regarde ses pieds, les cailloux, seul dans sa pensée. Il y a une volonté cachée qui dirige les muscles et fait taire la plainte. Avancer, respirer, ne pas songer au chemin qui reste. Si seulement, j'étais à la maison, à mon bureau, avec mes feuilles, mes dictionnaires, ma tasse de thé… Et tout à coup, le ciel se lève, le sentier disparaît, voilà le sommet ou, s'agissant du Causse, le plateau.
Avant l'écriture, il y a la page blanche. Les premiers mots. L'attente. Les premières ratures. Une autre attente. Une rêverie.

La feuille chiffonnée et jetée. La tasse de thé, le lave-vaisselle à vider, le retour à la table. Une autre feuille, comme un autre lacet du chemin qui monte. Qu'est-ce que je fais-là, pourquoi ces feuilles, pourquoi les noircir, pourquoi toujours l'inconfort ?  La vie est-elle seulement de l'autre côté de la fenêtre ? Si les mots ne viennent pas aujourd'hui, tant pis. Je me lèverai, j'enfilerai mes bottines et je marcherai vers les champs.

Marcher désencombre, décante. Sur le sentier, des mots qui viennent, des phrases parfois, des idées plus rarement. Pas de carnet de notes. Juste un rythme. Cela suffit. Le retour à la table sera bon. Peut-être pas fructueux. Mais apaisé.

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