Salutaire arrogance (mon Avignon 2011 - jour 1)

Publié le  16.07.2011

 

Ce que j'aime le plus dans « Au moins j'aurai laissé un beau cadavre », c'est la rage folle, l'ultime nécessité à être présent et à prendre la parole, c'est l'affirmation de la coexistence de la haine viscérale et du désir d'aimer, c'est le hurlement de cette haine, c'est l'essence de l'humanité dans cette haine dégueulée / Que ceux qui pigent pas ça ferment leurs gueules, putain /Surtout, ce que j'aime le plus dans « Au moins j'aurai laissé un beau cadavre », c'est l'appropriation intime de Shakespeare, la capacité à le faire parler là où ils sont, à l'instant où ils sont, pour ceux face à qui ils sont / Que les connards dégénérés qui sont pas foutus de piger ça ferment leurs gueules, putain / Surtout, ce qui impressionne dans « Au moins j'aurai laissé un beau cadavre », c'est d'y avoir revu tous les Hamlet croisés et aimés auparavant (mentions spéciales à Armel Roussel et à Thomas Ostermeier) et de les aimer encore plus même s'ils appartiennent désormais et pour toujours au passé / Que ceux qui s'en foutent ferment leurs putain de gueule / Dans ce registre comparatif, le traitement de Claudius me paraît surtout passionnant, la possibilité d'empathie véritable pour Claudius, la possibilité que Claudius et Hamlet soient finalement peut-être faits du même moule / Si tu piges pas ça, tu fermes ta gueule, ok ? / Surtout, surtout, ce qui me bouleverse dans « Au moins j'aurai laissé un beau cadavre », c'est la violence du dialogue entre Hamlet et Gertrude, l'incapacité freudienne du fils à accepter la féminité de sa mère, le coup de poing de la sexualité de sa mère qui ne saurait être vécue que comme une trahison insupportable, que comme une dérouillée à la batte de base-ball dans sa sale gueule de merde / TOI TU FERMES TA GUEULE / Ce que j'aime le plus dans « Au moins j'aurai laissé un beau cadavre », c'est de faire le constat sans retour (après « Notre terreur », dont les bouteilles de faux sang reviennent ici presque en hommage) qu'il y a la place pour un théâtre français qui aurait digéré l'apport des dramaturgies flamande et allemande, qui se serait débarrassé du surmoi patrimonial lié à la littérarité tout en gardant l'intelligence du rapport au texte ; que ce théâtre là existe, qu'une génération est là, prête à le porter, qu'elle le porte déjà / Que ceux qui pigent pas ça ferment leurs putain de sales gueules de merde et continuent à monter leur spectacles putréfiés à destination des cadavres / Surtout surtout surtout surtout surtout SURTOUT putain, ce qui me remue les tripes et me donne un putain de désir de me mettre au travail sur le champs quand je vois « Au moins j'aurai laissé un beau cadavre », c'est la belle arrogance, c'est la conviction que seul le théâtre permet cette violence, que seul le théâtre permet cette mise à mort, la construction de ce malaise (impossibilité de savoir si c'est l'acteur ou le personnage qui hurle ; rires gras du public sur le désespoir des acteurs-personnages ; motifs de l'excès). « Au moins j'aurai laissé un beau cadavre » se donne avant tout comme un hymne désespéré au théâtre, un hurlement d'amour au geste théâtral / Que ceux qui sont pas foutus de piger ça retournent devant leurs putains de télés aseptisées de merde et ferment à jamais leurs putains de sales gueules.

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« Au moins j'aurai laissé un beau cadavre » est le spectacle de Vincent Macaigne conçu à partir d'Hamlet de Shakespeare. Il se joue encore jusqu'au 19 juillet au Cloître des Carmes à 21h30.

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(sinon j'ai vu aussi « La Paranoïa » hier ; malgré un texte et une approche vraiment dignes d'intérêt, c'était franchement raté ; la dimension parodique de l'ensemble y tombe à plat, les effets dénoncés y sont reçus au premier degré, ça ne fonctionne pas ; dommage)

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