The work

Publié le  23.04.2013

J'ai eu le plaisir, tout récemment, d'assister à une rétrospective du travail photographique de Brian Duffy. L'exposition était accompagnée de la projection d'un documentaire réalisé par son fils. Et vers la fin du film, Duffy a eu ces mots :
« Don't listen to any bloody shit an artist will tell you. Because the work is the statement »

Après m'avoir fait rire - j'ai adoré ce côté cynique et irrévérencieux que le documentaire nous révélait de lui - cette phrase m'a fait réfléchir.

Je la trouve si juste.
Et en même temps, dans mon activité et dans mon époque, presque impossible à appliquer.
Quand j'ai commencé à tenter de faire des films, c'est ce que je voulais défendre : au diable les notes d'intentions, et autres blablas théoriques autour de nos projets, ce qui compte c'est ce que l'on va réaliser. C'est là que se trouve notre voix. Uniquement là. Si l'on a choisi de s'exprimer à travers un médium, c'est justement parce que les autres nous sont impossibles ou compliqués. Il paraît alors complètement absurde de parler du film que l'on s'apprête à faire. Ce qu'il faut, c'est le faire.

J'ai bien vite dû constater que si je voulais travailler de cette manière, je le pouvais, mais alors uniquement dans ma chambre et sans aucun financement. 
Un écrivain, lui, peut écrire, un peintre peut peindre, un musicien peut jouer. Alors que pour un cinéaste il est nécessaire de s'expliquer, de se justifier, pour qu'on lui accorde le droit - enfin l'argent, soyons clairs - de le faire. Attention, je ne dis pas une seconde que les choses sont plus faciles pour les précédents. Simplement que ceux-ci ont, contrairement à moi, un accès direct à la forme artistique qu'ils ont choisie. Et que de ce fait ils peuvent donner à lire, à voir, à entendre leur travail, et à travers celui-ci, leur voix.

Moi pas. Mais je ne peux en vouloir qu'à moi-même : le cinéma coûte cher, je n'avais qu'à pas choisir un tel médium!
Alors je m'y plie, la plupart du temps. Je range mes principes aux vestiaires, et je m'adonne à cette discipline absurde : expliquer en mots ce qui n'a pas pour but d'être des mots. Donner à  pressentir ce que sera mon travail par des formes dérivées (des notes d'intentions, des dossiers, des plans de financements) qui ne peuvent en réalité jamais rendre l'essence même de mon projet, puisque ce projet a pour but d'être un film.
Est-ce dommage? Est-ce triste? Probablement moins pour moi que l'idée de ne pas du tout exercer le métier que j'ai choisi. C'est un compromis, et je m'y suis habituée.

Pourtant, en entendant le photographe maintenant disparu, je n'ai pas pu m'empêcher de rêver à nouveau. Car il serait tellement plus sensé que rien d'autre ne compte pour un artiste (je n'aime pas trop ce mot... Créateur? Entrepreneur?) que l'œuvre elle-même.
« Œuvre » non plus, je n'aime pas trop. J'ai tendance à trouver cela un peu prétentieux. Je préfère le mot anglais, « work », qui ramène l'œuvre à ce qu'elle est fondamentalement : un travail.

Alors d'accord, je me plierai à cette obligation de broder autour de mon travail, de m'en expliquer par des mots, parce que mon âme de rebelle s'arrête là où mon ambition commence.
Mais au fond de moi, je continuerai de me crier ceci :
« That's all shit! THE WORK IS THE STATEMENT »

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