Webtoons, webnovels : la lecture en streaming séduit

Publié le  12.04.2024

Sans mettre les plein feux dessus, la Foire du livre de Bruxelles, qui se tenait du 4 au 7 avril 2024, a fait une petite place à une tendance qui s'intalle chez les 15-30 ans : la lecture en streaming.

Depuis le début des années 2000, le livre numérique s’est laborieusement fait une place en parallèle du papier. Loin des promesses de monts et merveilles des uns, loin des cris d’orfraie des autres. Les liseuses ont leurs aficionados, mais c’est un marché assez figé et pour lequel les acteurs du secteur n’envisagent pas de grande évolution à l’avenir. Peut-être l’arrivée des liseuses couleur fera-t-elle bouger un tant soit peu les lignes.

Mais c’est le smartphone et la lecture en streaming qui concentrent l’attention et les espoirs. Par un faisceau de raisons, le smartphone se profile comme un support émergent de lecture. D’une part, très prosaïquement, parce que quasi tout le monde en est équipé, pas besoin d’acheter un autre appareil. Ensuite parce que le confort de lecture sur smartphone s’est grandement amélioré. Enfin parce qu’une offre adaptée à la lecture sur GSM est maintenant proposée, de façon légale et qualitative (techniquement parlant).

Les webtoons

Les webtoons en sont une très bonne illustration. Ces bandes-dessinées en ligne, venues de Corée du Sud, ont adopté la verticalité des smartphones et se lisent en les faisant défiler vers le bas. «Leur lecture a explosé en Europe occidentale avec le confinement qui a provoqué un rush naturel sur tous les contenus digitaux», contextualise Didier Borg, pionnier qui a créé une plateforme de diffusion de webtoons, Delitoon, en France dès 2011. Le marché est essentiellement aux mains de quelques gros groupes asiatiques (Naver, Kakao, Tencent) engagés dans un système de production de masse et loin d’être toujours séduisants en termes de qualité, de créativité et de conditions de travail. Pour sortir de la simple diffusion, quelques plateformes de production ont vu le jour en Europe ces dernières années. La toute première a été la franco-belge Webtoon Factory. Lancée en 2019 par les éditions Dupuis, sous forme gratuite, elle comptabilise aujourd’hui 80 titres disponibles et est devenue payante en 2021. Comme il est d'usage dans le secteur, les premiers épisodes sont en accès gratuit et il faut payer pour lire les suivants. Oui, car en matière de webtoons on parle de séries, de saisons et d’épisodes.

Un format vertical tout en étroitesse, un mode de parcours par défilement (scroll), un découpage en épisodes, une publication échelonnée (en général un épisode par semaine), la gratuité ou le bas prix : le webtoon, c’est tout un univers. Un peu BD, un peu comics, un peu manga, un peu animation… Nicolas Gemoets, illustrateur et animateur sorti de La Cambre s’y est frotté il y a deux ans. Alors encore aux études, lui est faite une proposition qui ne se refuse pas. «Via mon compte Instagram, Eldiablo [artiste multimédia] me contacte pour me proposer de faire les illustrations d’un webtoon qu’il a scénarisé. Je venais de terminer la lecture de “Monkey Bizness”, qu’il a écrit, une semaine avant, c’était fou cette coïncidence. J’ai accepté et j’ai passé un super moment sur cette BD. C’était une chance de travailler avec lui», raconte le Namurois. «Webtoon Factory faisait appel à de jeunes illustrateurs. Ils cherchaient du sang frais, des artistes plus biberonnés aux mangas et aux médias d’internet pour sortir des codes de la BD franco-belge. Moi je ne connaissais pas du tout les webtoons, pourtant je suis un grand fan de BD, je dévore. C’est en faisant “Les basses œuvres” avec Eldiablo que j’ai découvert les possibilités de ce média-là», poursuit-il.

Des contraintes créatives stimulantes

Des possibilités liées aux particularités du webtoon. «L’approche narrative est plus proche de celle de l’audiovisuel, note Didier Borg, le fondateur de Delitoon. On a un storyboard et des épisodes qui doivent donner envie d’aller au suivant. Et pour l’illustrateur, la démarche est complexe car le webtoon est une forme hybride entre manga, comics, BD.»

«Son format est très définitif. On est uniquement sur de la verticalité. Contrairement à la BD imprimée qui se lit de haut en bas et de gauche à droite, relève Nicolas Gemoets. Le scrolling vertical crée un mouvement de caméra et du coup on peut vraiment jouer avec le défilement de l’image pour créer du mouvement, ça marche très bien avec un coup de massue par exemple. Il y a aussi une notion de tempo qu’on peut donner et qu’on n’a pas avec la BD et ses pages à plat. Dans le webtoon on découvre peu à peu, en scrollant. Ça permet des effets de surprises impossibles à obtenir en BD classique. Par cet aspect-là, je trouve que ça se rapproche plus du cinéma d’animation que de la bande dessinée. Il y a aussi la contrainte du cadrage très restreint. Au format du téléphone, vertical et très étroit. Donc il faut trouver des petites astuces, de nouvelles approches pour donner une impression d’espace. Et c’est ce qui est excitant avec le webtoon : il y a plein de choses à inventer», explique l’illustrateur.

Malgré son enthousiasme, il n’a pas enchaîné sur d’autres projets du genre car «les contrats de webtoons ne permettent pas de vivre décemment, il y a peu de budget». Les initiatives européennes dans le secteur restent fragiles. Le 31 juillet 2023, Verytoon, une plateforme de diffusion de webtoons essentiellement coréens, lancée par Delcourt début 2021, a fermé.

Les webnovels

A côté des webtoons, les webnovels sont en plein essor. Issus historiquement, eux aussi, de la culture coréenne et chinoise, ils se fraient également leur chemin via des plateformes gratuites du type Wattpad. Leurs ressorts sont les mêmes que ceux du webtoon : sérialisation, efficacité narrative, lecture facile et divertissante, «addiction» via l’utilisation de cliffhangers et dérivés pour donner l’envie de lire le chapitre suivant. C’est vraiment le concept des séries audiovisuelles, cinématographiques, radiophoniques mais adapté à la lecture. Historiquement gratuits, ces romans sur internet se voient, depuis peu, proposés par des applications proposant un abonnement à la Netflix : pas cher et donnant accès à tout le catalogue. Un travail d’édition et d’accompagnement des auteurs.rices est alors mis en place. «A l’heure actuelle, les auteurs.rices qui s’emparent de ce médium sont celleux qui le connaisse, qui sont familiers.ères de ce format et de sa culture : chapitres courts, style incisif, narration très rythmée, nous indique Julien Simon, directeur éditorial chez Vivlio, leader français de la lecture numérique. Ça crée des récits efficaces. Ce n’est pas de la matière à prix Nobel, mais ça fait de bons romans divertissants, sans prendre “divertissants” de façon péjorative.»

La lecture en streaming n’est pas, pour l’heure, un espace de création artistique extrêmement aboutie. Reste qu’elle met en lecture une catégorie de la population, les 15-30 ans que l’on voit décrocher de la lecture depuis plusieurs années. Il y a un lectorat, il y a des outils. Et mille possibilités.

 

 

Cécile Berthaud


 

La Foire du Livre de Bruxelles : https://flb.be

«Les basses oeuvres» : https://www.webtoonfactory.com/fr/serie/les-basses-oeuvres/

 

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