Christine Van Acker

  • Écrit / Son / Spectacle vivant

La bête a bons dos

Polygraphhie

Quand la bête humaine devient un mauvais sujet jusqu’à devenir sa bête noire, Christine Van Acker observe plutôt les autres animaux.
Elle les accompagne un bout de chemin, écoute leurs voix, se glisse en eux, essaie de les voir au plus près de ce qui les anime.
Elle emprunte ensuite les voies de la littérature pour tenter de les soulager de la charge que nous leur avons mise sur le dos à leur insu
afin que puisse advenir un instant la présence nue de ces autres bêtes débarrassées de nous.
Dans ces courtes chroniques, pleine d’humour et, mine de rien, très sérieusement documentées, on rencontrera des tardigrades,
des limaces, des oiseaux, des cochons... et quelques individus étranges."

Fiche

Visuel
Son
https://www.rtbf.be/auvio/detail_par-oui-dire?id=…
Année
2018
Édition
José Corti

Extrait

Nous sommes en hiver. Des grandes sauterelles observées un après-midi d'août, il ne me reste dans l'oreille qu'un souvenir à l'archet griffu. C'est la saison de la circulation de l'eau chaude dans le réseau des canalisations qui jouent à faire craquer leurs articulations au lever du jour, c’est le temps de la casserole mise à mijoter de longues heures sur le feu. Les intérieurs des maisons reprennent une vie qu’ils avaient prêtée aux terrasses et aux jardins quand il faisait beau. Quelques gouttes d’eau échappées du couvercle de la marmite sur la plaque brûlante du poêle norvégien imitent le crépitement d'une caténaire sur nos voies de chemin de fer en période de gel, et aussi cette sorte de bruit blanc, celui que nous entendions à la fin des programmes quand la neige tombait dans nos écrans. Nous nous étions assoupis en pleine fusillade et nous nous réveillions piégés au cœur d'une absence aux fréquences sonores étrangement confondues avec celles de notre oreille interne. En cette saison dormante, nous aurions pu rester lovés la nuit dans nos fauteuils, enroulés dans un plaid face à nos téléviseurs, pour percevoir, parmi d'autres bruits électromagnétiques, le rayonnement fossile émis il y a plus de treize milliards sept cents millions d'années, trois cent mille ans après le Big Bang. Au réveil, le charivari des programmes abrutissants aurait chassé comme un mauvais rêve le tohu-bohu de l'univers naissant et l'aurait empêché de prendre possession de nous ; nous qui avions osé nous mirer dans une télévision éteinte ; nous qui avions fait face à notre nudité misérable.