Zebraska version inédite

Quand on est né avec une formule 1 dans la tête, piloter sa vie n’est pas tous les jours facile ! Martin Leroy, quinze ans et un brin atypique, en sait quelque chose. Il vit dans un futur proche où on ne fabrique plus de livre depuis des décennies. Un soir de Noël, il reçoit de la part de sa grand-mère un cadeau étrange : un roman intitulé Zebraska, dont le jeune héros n’est autre que son père. Lui aussi était un petit garçon Haut Potentiel, à une époque où l’on manquait encore cruellement de délicatesse pour apprivoiser la différence. Au fil des pages, la découverte de ce drôle d’héritage, transmis par une grand-mère touchante et burlesque, bouscule les certitudes de Martin. D’autant qu’il n’est pas étranger aux secrets bien gardés que renferme le récit… « Bienvenue à Zebraska, un monde peuplé de zèbres impertinents qui s’interdisent de ne plus croire en rien. » Née à Bruxelles en 1968, Isabelle Bary est l’auteure d’une dizaine de romans publiés en Belgique. HP, HPI, surdoués, précoces, zèbres… sont des termes dont elle ignorait tout avant d’y être inopinément plongée. Zebraska paraît pour la première fois en France aux Éditions J’ai lu, dans une version revue et augmentée.

Fiche

Visuel
Année
2020
Édition
J'AI LU

Extrait

Nous sommes en 2055. J’ai quinze ans à l’époque. Comme d’habitude, je suis le premier à franchir la porte du lycée à la fin des cours. J’attends Louna et Scotty au sommet du grand escalier qui domine le centre-ville.
C’est vrai que j’ai toujours eu un besoin obsessionnel de routine. Chaque objet doit avoir sa place. Si une Harley-Davidson de ma collection de maquettes est déplacée d’un millimètre, ça me rend fou. Qui dit fou dit colère. Malgré tout, je contrôle.
Les étudiants commencent à envahir les marches, leurs lunettes holographiques sur le bout du nez. J’adore ce moment où chacun est plongé dans ses propres images, invisibles pour les autres. Je les regarde sourire, s’énerver, bouder, et je joue à leur imaginer des histoires fugaces. Mais cet après-midi je n’ai pas le cœur à inventer des mondes merveilleux. Mes amis n’arrivent pas. Quelques flocons se sont mis à tomber sur la ville.
Il fait froid et je relève le col de ma veste. Je suis passablement énervé. À cause de leur retard, j’avoue, puis surtout à cause de ce bouquin qui me hante depuis des semaines. Une centaine de pages, trente mille mots à peine. Qui me font blêmir. Tout m’émeut toujours. Inaltérablement, tout m’angoisse. Louna arrive la première. Elle a relevé ses cheveux dans une pince en forme de fleur. Son visage est si parfait qu’il n’en existe aucun autre auquel j’aurais pu m’attacher. Louna, je l’aime. Depuis mes huit ans. Toujours la même petite amie ! Bien que cela me paraisse parfois surréaliste, j’aime penser qu’elle sera un jour la mère de mes enfants. Nous projetons de vivre sur une autre planète, d’où nous venons très probablement tous les deux. Elle s’approche en souriant – Louna sourit invariablement –, se hisse sur la pointe des pieds jusqu’à ce que ses lèvres touchent les miennes. J’aime ce tendre rituel, mais le fichu bouquin est plus fort que tout. J’ai beau essayer de le chasser de mon esprit, il me revient sans cesse et m’empêche d’être vraiment là. C’est bien tout mon problème, je n’ai jamais eu de bouton off. Et donc je mouline, jusqu’à l’épuisement.