La vie c'est comme le riz

Publié le  01.06.2018

La vie c’est comme le riz.

Pour elle,  le riz c’est rien. Elle est née comme ça.

Enfant, elle disait qu’elle ne pouvait pas en manger car elle ne pouvait l’avaler, tous ces petits grains, ça ne passait pas. Comme les médicaments. Le médecin de famille devait toujours lui prescrire l’équivalent en poudre sinon elle rendait les cachets et par là même le repas préalablement ingurgité. Vomir sur la table ronde qui réunissait sa famille nombreuse est une chose faite et répétée. Pour le riz, l’argumentaire de ne pouvoir l’avaler a eu un moment ses limites, il suffit de le mâcher.  Alors elle a décidé qu’elle n’aimait tout simplement pas le riz. Sa maman est d’ailleurs devenue la spécialiste de la poule au riz… à la purée. Puis elle a grandi et s’est rendu compte qu’en fait au-delà d’une question de goût, pour elle le riz équivaut à rien, puisque justement, il n’en a pas, de goût. Le riz c’est rien. Elle le pensait si fort sans le dire, se rendant compte de l’aspect potentiellement choquant d’une telle pensée. C’est quand même l’aliment de base de plus de la moitié de la population mondiale. Il vaut mieux dire “je n’aime pas”, c’est plus délicat, subjectif, politiquement correct.

Au restaurant, c’est facile, les possibilités pour éviter le riz sont multiples. Quand elle n’a pas le choix, elle se sert quelques grains de politesse qu’elle arrose généreusement de la préparation qui fait le plat. Le côté intéressant de la chose. Le riz dissimulé passe.

La vie c’est comme le riz. Cette pensée a surgi récemment et retentit en elle comme une évidence.

Depuis toute petite elle multiplie les activités extra scolaires. Et elle s’est toujours demandé pourquoi ce besoin, cette nécessité de remplir sa vie d’enfant, puis d'adolescente et enfin de femme. Elle se passionne de tout. Sa maman lui propose une activité, elle y plonge tête baissée et s’y épanouit. Puis une autre, rebelote, toujours en conservant la précédente. Danse classique, gymnastique, solfège, chant d’ensemble, piano, musique de chambre, poterie, modern jazz, diction, déclamation, art dramatique, scout (le dimanche une fois par mois, elle n’a pas le temps d’aller aux réunions les samedis), cours de dactylo (mais pourquoi??). À l’école même. En secondaire l’horaire maximum était  de 36 heures, ce qu’elle a choisi évidemment. Puis elle s’est rendu compte que la semaine comptait en réalité 37 heures.  Elle est pas con non plus. Une heure semaine elle se fait chier dans une salle d’étude à faire... rien. Elle perd une heure de sa vie chaque semaine. Elle a donc demandé une audience à la direction afin de pouvoir échanger son unique heure de fourche contre un cours d’esthétique d’une heure. Ça lui semblait être le meilleur plan rapport qualité-prix. La réponse expédiée et radicale, empreinte de politesse malgré tout, s’assimilait à “Là gamine, c’est toi qui me fais perdre un temps précieux dans ma vie, personne ne demande à avoir plus qu’un horaire complet donc débrouille-toi avec ta sensation de vide!”

Elle voulait faire du badminton aussi, elle voulait faire un sport, un vrai, un sport d’équipe. Ou du volley-ball? Des copines faisaient ça. Elle a dû se résoudre à accepter qu’elle n’avait tout simplement plus de temps libre.

Pourquoi, mais pourquoi remplir à ce point la vie, sa vie? La quarantaine bien entamée elle ne trouve toujours pas de réponse plausible. Donc, c’est comme le riz, un point c’est tout.  Ça passe mieux avec la sauce, ça en devient savoureux, c’est excitant à partir d’un rien.

Aurait-elle peur du vide? Apparemment oui. La vie c’est comme le riz. Il faut l’améliorer, la rehausser de saveurs, l’enrichir d’ingrédients : piquants, doux, aigre-doux, hasardeux, risqués, expérimentaux, audacieux, ...

Elle a toujours eu du mal à comprendre ceux qui ne font rien. On lui a déjà expliqué que parfois en ne faisant rien on fait beaucoup. Un ami restait des heures à regarder le plafond. Elle n’arrivait pas à le comprendre et lui de lui expliquer qu’il ne regarde pas simplement le plafond, il est dans ses pensées, il voyage, cela se passe ailleurs. Mais l’image qu’elle en a elle c’est “fuck, il regarde le plafond pendant des heures!”

Elle, ses pensées, elle les écrit. C’est comme ça qu’elle pense. Elle annote continuellement un petit carnet qui ne la quitte jamais. Elle pense par écrit.

Ecrire c’est remplir. Sans rendez-vous. C’est maintenant, c’est tout le temps, c’est dans les trous.

Son désintérêt pour le riz l’a amenée à co-écrire un court métrage, L’arroseur arrosé. Elle ne mange pas de sushi, on comprend pourquoi maintenant. Au japonais elle mange des sashimis. S’il n’y a que des sushis une autre révolte la saisit. La banalisation du saumon. Pour dix sushis, t’as sept saumons, deux poissons blancs et un thon rouge. Ça banalise le saumon. Mais là on repart dans un autre débat et ça peut être très très long.

 

 

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