Naissance d'une légende

Publié le  24.01.2011

Les Etats-Unis n'arrêtent pas de présenter des destins spectaculaires. Mark Zuckerberg, fondateur d'un certain Facebook, en est sans doute l'incarnation récente la plus célèbre. A 23 ans, il est devenu le plus jeune milliardaire au monde et alors qu'il vient de souffler ses vingt-six bougies, il disposerait d'une fortune de 6,9 milliards de $. Ce qui est appréciable, même si dans la veine tech-geeks, il est possible de faire encore mieux : Larry Page (37 ans) et Serguei Brin (37 ans), co-fondateurs de Google, seraient chacun deux fois plus riches.

 

La success story de Zuckerberg participe évidemment du rêve américain et comme telle a besoin d'être chantée. Après la presse, les talk-shows, les apparitions dans les Simpson (l'épisode Loan-of-Lisa), le jeune milliardaire a été élu homme de l'année par le magazine Time. Deux biographies lui ont été consacrés aux Etats-Unis, l'une véridique et avec l'accord de l'intéressé, The Facebook Effectde David Kirkpatrick, l'autre libre et romancée, celle de Ben Mezrich : The Accidental Billionaires, traduite en français sous le titre trompeur La revanche d'un solitaire - La véritable histoire du fondateur de Facebook. C'est ce second ouvrage qui a le plus fait parler de lui. Et pour cause, c'est lui qui a servi de base au scénario d'Aaaron Sorkin pour le film à succès de David Fincher The Social Network. Par là, il est clair que le besoin de légende l'emporte sur les soucis de respecter la réalité des faits. Sorkin assume pleinement ce choix: « Je ne veux pas être fidèle à la vérité mais à l'art de raconter  », ajoutant « pourquoi s'en faire tellement de l'exactitude ? Seulement pour le goût de l'exactitude ? Est-ce que le vrai ne devient pas alors l'ennemi du beau ? » (ici le texte original en anglais dans l'article du New York Magazine). On peut suivre sur le net les détails du débat (voir par exemple sur cette page de la BBC), certains dénonçant le portrait trop peu flatteur de Zuckerberg, d'autres (en fait Kirkpatrick !) que le film serait vrai seulement à 40% ! Il n'empêche que le premier intéressé ne semble pas outre mesure gêné et qu'au total, c'est le résultat sur l'écran - après avoir été publié dans le livre - qui risquera de prévaloir. Le portrait est fin et cohérent, mais surtout le récit savamment mené inscrit l'histoire de Zuckerberg dans le sillon des légendes américaines : celle d'un William Randolph Hearst, alias citizen Kane, incapable de réunir son succès en affaires avec sa passion intime ou celle d'un Howard Hughes, innovateur ambitieux mais aussi victime de ses rêves de grandeur. Bien sûr, certains traits sont actualisés : le complet veston a été troqué contre les tee-shirts et bermuda, et le fou des moteurs d'avion est devenu un accroc des codes à programmer. Ainsi, au final, l'interprétation du personnage réel qui est faite dans The Social Network correspond à celle qu'attend, sans connotation péjorative, le « public » (qui à l'heure du Web 2.0 ne se réduit certainement plus aux seuls Américains). 

 

Dans L'Homme qui tua Liberty Valence de John Ford, les journalistes qui apprennent que le véritable justicier n'est pas Ransom Stoddard (joué par James Stewart) mais Tom Deniphon (joué par John Wayne) refusent de remettre en question le récit connu par tous. Leur argument ? « On est dans l'Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ». Dans le même esprit, ce qui semble à l'oeuvre ici, à travers The Accidental Billionaires et The Social Network, est la naissance d'une légende.

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