Qualité Cassiers

Publié le  09.07.2010

Après le fiasco du premier soir en Cour d'honneur, c'est frémissant que je suis arrivé hier soir à l'Opéra pour la première de « L'Homme sans qualité I » (deux autres volets suivront), mis en scène par mon compatriote néerlandophone Guy Cassiers, d'après l'œuvre-fleuve de Robert Musil. Pas l'once d'une envie d'accumuler les déceptions. D'autant plus frémissant que l'« Atropa », du même Cassiers, vu dans la même salle deux ans plus tôt, m'avait copieusement ennuyé.

Ce n'est ni la déception ni l'ennui qui m'ont finalement fait frémir hier soir mais la beauté époustouflante d'un texte majeur, le savant dosage des divers canaux d'énonciation, la justesse dramaturgique d'une équipe de théâtre en pleine possession de ses moyens.

Particulièrement subtil et juste : l'entremêlement du narratif et du dramatique, où comment glisser du roman à la scène en une phrase précisément adressée ; en un « tu » qui devient « il » ; en une présence physique d'une figure absente de la situation, en un mouvement de caméra inattendu sur les surfaces de projection.

Il y a quelques années, dans « Comme un manifeste » (à télécharger gratuitement sur Bela), Jean-Marie Piemme écrivait ceci :

 

« La lecture de Musil n'enferme pas, elle ouvre.

L'œuvre enjoint au lecteur d'ouvrir les yeux sur la marche du temps. Elle se présente

à nous comme un travail de la forme à son plus haut niveau (précisons qu'il n'y a que

les crédules et les croyants pour croire que le contenu marche tout seul).

Elle s'offre en formidable riposte à l'infantilisme. Elle prend la bêtise d'hier à la

gorge, elle stigmatise l'illettrisme d'aujourd'hui.

(...) »

 

Dans cette perspective, Cassiers ne trahit aucunement Musil. Bien au contraire, il prolonge la réussite d'un projet littéraire en une réussite proprement scénique en phase avec son époque. 2010 se mire en 1913 ; la désillusion d'Ulrich questionne celle d'aujourd'hui ; nos chevaux ont la chiasse et personne ne comprend pourquoi ; notre décor est mouvant, insaisissable, s'y raccrocher, c'est-à-dire se raccrocher au réel, est impossible ; notre désir de symétrie à la Vinci ne s'incarne qu'en joyeux désordre à la Ensor ; si seulement la Mémoire et la Kultuur parvenaient à... ; si seulement la Renaissance... ; si seulement l'Amour...

 

                                                                                                         *

 

Aux Doms, 3è des Langues paternelles à 11h00. Venez !

 

                                                                                                         *

 

Post-scriptum transparence : je bénéficie d'une accréditation presse pour 15 des 20 spectacles du In auxquels je prévois d'assister. Je paie les 5 autres au tarif professionnel.

À découvrir aussi

Se Disperser

  • Fiction
Une idée naît. Un matériau vient. Une feuille tombe. Un vélo passe. La radio éructe quelque chose d'insolite. Un visage croisé nous éveille. Une situation vécue interpelle. Un matériau vient. Une idée...

L'emploi du temps

  • Fiction
Combien d’heures, de jours, de mois investissez-vous personnellement dans les projets de films ?

Deleuze aujourd'hui

  • Fiction
Comment appréhender la rencontre entre notre présent et le devenir dans lequel l'oeuvre de Deleuze se poursuit ? Sur quels plans l'un et l'autre entrent-ils en consonance ? Pris entre héritage inventi...

Indignation

  • Fiction
Triste 15 octobre à Rome, malgré le soleil… Cent trente-cinq blessés, plusieurs millions d'euro de dégâts, des arrestations, vingt mètres cubes de pavés récoltés par les services de nettoyage… et la t...