Subsister (Scriptor 4)

Publié le  05.10.2012

Pour Thierry Horguelin

 

Ecrivain est un métier à temps plein, qui suffit à occuper une vie dans ses moindres recoins.
Bien sûr, on peut être fécond en ne noircissant du papier virtuel que durant deux heures chaque jour, ce qui laisse du champ pour d'autres activités, dans d'autres domaines. Ça n'arrête jamais. Ni semaine, ni dimanche. La notion de week-end n'a aucun sens quand il s'agit de suivre le fil d'Ariane de sa passion. Quel est l'amoureux qui s'interdirait de faire l'amour avec celle qu'il aime le samedi ou le dimanche, parce que le week-end, « on ne travaille pas » ? On soupçonnerait tout de suite le prétexte - ou la folie.

Mais ce métier pas comme les autres ne consiste pas seulement à écrire, ni même à faire savoir qu'on écrit (promotion, blog, colloque, voyages…). Il est un rapport au monde si particulier qu'on peut dire qu'aucune des mille et une obligations de la vie ordinaire ne le concerne vraiment. Il cherche à transformer notre vision des choses, avec les moyens sans limites du langage.

Les obligations, dans leur immense majorité, n'ont d'ailleurs rien de très obligatoire. Le nombre des activités inutiles est effarant : vie familiale, représentation sociale, vacances, voiture, religion, vin, tabac, hobbies, et ainsi de suite. En fait d'obligations, il n'y en a qu'une qui résiste à tout, et devant laquelle tout plie : l'argent. Sept milliards de terriens y sont voués, sans distinction d'espèce. En ce sens, et en ce sens seulement, l'écrivain est « n'importe qui ».

Un n'importe qui dont le bilan comptable est rarement positif.

Etre monopolisé par un travail sans fin, se montrer actif, réfléchi, acharné, dans un domaine où le conceptuel et l'artisanat dansent un paso doble perpétuel, ne jamais déconnecter - même quand on fait semblant d'être professeur, chauffeur de taxi ou père de famille - sans qu'il y ait de rapport véritable entre l'effort consenti et l'argent récolté, est le paradoxe durable d'un métier artistique. Ce n'est pas nouveau. Mais le peintre qui ne vend pas ses toiles, ou qui en donne une en échange d'un repas, le musicien dont le quatuor est veuf de tout auditoire, le filmeur qui met son film en accès gratuit sur YouTube, ne s'étonnent pas de cette absence, même s'ils la déplorent. Tandis que l'écrivain publié, qui a des articles, des télés, et quelques milliers de lecteurs, n'est pas à proprement inconnu ni maudit. Pourtant, avec trois mille exemplaires vendus, il ne peut pas prétendre vivre plus d'un mois, et son livre lui a pris un an.

Comment tient-on durant les onze mois qui restent ? Y a-t-il des expédients raisonnables ? Peut-on subsister, sinon de son art, « malgré son art »? Je n'ai jamais cessé de croire qu'il y avait des réponses à ces questions. Il me semble parfois que je les ai trouvées…

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