FIBD d'Angoulême 2022 : l'expédition belge

Publié le  17.03.2022

Organisé habituellement en janvier, le Festival international de la bande dessinée d'Angoulême est l'une des plus grandes manifestations du monde consacrées au Neuvième Art. Avec son lot de dédicaces, de concerts dessinés, d'expositions, de conférences, de récompenses et d'espaces exposants, le FIBD met la bande dessinée au centre de toutes les attentions. Il a lieu du 17 au 20 mars 2022.

Depuis plus de 10 ans, une sélection d'éditeurs et d'éditrices belges se rend en Charente pour défendre leurs catalogues respectifs. Leur point de chute ? Un stand collectif subsidié par Wallonie Bruxelles International. La bien nommée "expédition belge" a pris plusieurs formes au fil du temps jusqu'à être aujourd'hui un stand de 27 mètres de linéaire fièrement situé à l'entrée de la bulle du Nouveau Monde et assurément représentatif de la diversité créative en Belgique francophone. 

Quels sont les enjeux de ce stand collectif ? Comment est-il organisé ? Quelle est sa spécificité ? Quelle place est donnée aux auteurs et autrices ? Réponse avec Matthias Rozes, éditeur à L'employé du moi et coordinateur du stand collectif Belgique Wallonie Bruxelles au FIBD d'Angoulême. 

dessin femme qui regarde par la fenêtre
© couverture du "Belgo Comics" 2022

Qu’est-ce que le stand collectif Belgique Wallonie-Bruxelles au Festival international de la BD à Angoulême ?

Entièrement subsidié par Wallonie Bruxelles International (en charge de promouvoir la culture, l’art et la création en dehors des frontières de la Belgique), c’est un stand collectif qui réunit la plupart des acteurs de l’édition de bande dessinée francophone qui se situent sur le territoire belge. Il est constitué de 27 mètres de linéaire répartis de part et d’autre de l’allée centrale à l’entrée principale de la bulle du Nouveau Monde.

Pour avoir une table sur ce stand, rien de plus simple, il suffit de répondre à l’appel à participation de WBI envoyé à une liste d’éditeurs et éditrices fournie par le Service de la bande dessinée et de la jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette liste est chaque année actualisée avec les noms des structures qui ont demandé un jour ou l’autre à la FWB un subside, un soutien public ou simplement des conseils. En 2022, une quinzaine de structures se déplaceront au FIBD d’Angoulême. Ça va de la microédition et du fanzinat comme Forgeries ou Brumeville, à des maisons d’édition plus installées comme Le Fremok, La Cinquième Couche ou L’employé du moi, mais aussi des maisons d’édition plus généralistes qui ont seulement une partie de leur catalogue dédiée à la BD comme Les Impressions Nouvelles ou Maison CFC. Par la force des choses, ce stand n’accueille que des structures indépendantes. Les seuls éditeurs belges qui ne sont pas représentés sont les gros éditeurs historiques industriels que sont par exemple les éditions Dupuis ou les éditions Dargaud pour la bonne et simple raison qu’elles ont déjà un stand dans Le Monde des Bulles, qui est un chapiteau à Angoulême entièrement dédié à la bande dessinée mainstream.

Quelle est la spécificité du stand Belgique Wallonie Bruxelles à Angoulême ?

Ce stand présente l’état de la création belge francophone en bande dessinée à un moment X. Il en affiche toute la diversité, avec côte à côte des éditeurs qui ont une ligne graphique traditionnelle, alternative voire expérimentale.

C’est aussi un des seuls stands collectifs subsidiés par WBI qui laisse la main aux éditeurs pour l’aménager à leur image et éviter la froideur institutionnelle de certains espaces collectifs. Contrairement à Francfort, à Bologne, à Paris, à Genève, etc., où le stand des Belges est géré par l’ADEB ou Les éditeurs singuliers comme si c’était une librairie géante, les éditeurs sont présents derrière les tables à Angoulême pour défendre leurs catalogues en chair et en os. Je pense d’ailleurs que le fait que les éditeurs puissent potentiellement apporter tout leur catalogue et pas juste une sélection, et le fait qu’ils soient présents sur le stand jouent sur les ventes, mais aussi sur l’accueil du public.

En quoi est-ce important d’être présent.e sur ce stand quand on est éditeur.rice ?

Le FIBD est un festival incontournable en bande dessinée. Si certaines structures ne pouvaient pas avoir un stand dans la programmation officielle du Festival, elles se débrouilleraient pour être présentes d’une autre manière, par exemple dans la partie OFF du Festival. C’est dire à quel point ce rendez-vous du secteur est immanquable.

Ce festival est une vitrine incroyable. C’est la manifestation la plus fréquentée par le public, qui est composé à la fois de lecteurs qui nous connaissent déjà, mais aussi de badauds qui nous découvrent. Le FIBD d’Angoulême est aussi immanquable en termes de contacts professionnels. Personnellement, je passe par exemple les deux premiers jours à faire pas mal de rendez-vous : soit avec des éditeurs étrangers dans le cadre du marché international des droits pour essayer de vendre et parfois d'acheter des titres, soit avec des journalistes, soit avec des auteurs avec qui on travaille. Je participe également à des réunions de présentation aux libraires ainsi qu’à l’assemblée générale de notre syndicat d’éditeurs. C’est aussi un moment assez joyeux (même s’il est super fatigant) pour les éditeurs de la scène alternative qui sont habituellement éparpillés aux quatre coins de la francophonie, en Belgique, en Suisse, un peu partout en France, au Canada. Or, c’est un tout petit milieu (le Syndicat des éditeurs alternatifs compte une petite cinquantaine d’adhérents). Le FIBD est un peu le seul moment de l’année où on est sûrs de tous se rencontrer. Tout le monde se déplace, la Charente est vraiment à la croisée des chemins dans la bande dessinée.

Nous mesurons la chance incroyable que nous avons de pouvoir exposer nos livres sur un espace complètement financé par WBI. Les exposants présents n’ont rien à dépenser en termes de location de métré et du transport des marchandises. Ce qui est une vraie économie compte tenu du fait qu’il faut aussi payer un logement, les frais de bouche et la venue des auteurs et des autrices. Malgré le soutien de WBI, c’est souvent une opération blanche pour certaines structures, qui n’en tirent aucun bénéfice, mais qui ne s’endettent pas non plus.

Quel est votre rôle au sein de ce stand collectif ? Quelles compétences sont nécessaires pour ce rôle ?

Je suis en charge de la coordination du stand des éditeurs belges depuis 2011. L'ancienne chargée de communication des Impressions Nouvelles et actuelle coordinatrice de Bela, Charlotte Heymans, s’en est chargée trois ans, de 2017 à 2019. Cette mission consiste à :

  • superviser la publication du Belgo Comics (centralisation/harmonisation des textes et images en bonne résolution des différentes maisons d’édition et fanzines, coordination avec la graphiste, demande de devis auprès d’imprimeurs, etc.)
  • organiser le stand à proprement parler (répartition des différentes structures par pôle en fonction des types de catalogue, du plus classique au plus alternatif)
  • répondre aux questions des différents intervenants
  • coordonner l’impression de calicots personnalisés pour chaque structure, le transport du matériel, la signature de décharges, etc.

Pour ce faire, je dirais qu’il faut avant tout être organisé (savoir manier un rétroplanning strict est un must), relativement disponible (j’ai dû au moins écrire 1 600 mails ces derniers mois uniquement en rapport avec le stand), arrangeant (ce n’est pas toujours facile de concilier les attentes de tout le monde), responsable (la gestion du budget est primordiale), etc.

Cette année, je suis aidé de Juliette Framorando, qui s’occupe par ailleurs des Ateliers du Toner, car plus on avance dans les années, plus ce travail de coordination demande du temps et de l’énergie. Pour l’édition 2022 du FIBD d’Angoulême, ce travail de suivi a commencé en octobre 2021. C’est devenu une activité à part entière, elle est d’ailleurs rémunérée. C’est essentiel que ce soit un exposant du stand qui s’en charge, il faut vraiment que ça continue d’exister de la sorte, même si c’est une activité assez complexe. C’est une chance incroyable. D’ailleurs, je pense que certaines structures ne se rendent pas compte de la chance que c’est parce qu’elles ont toujours eu le stand et que ça va de soi. Compte tenu de l’argent dépensé par les institutions publiques pour concrétiser ce stand à Angoulême, en comparaison au peu de moyens accordés globalement à la culture, à la création et à la bande dessinée, c’est d’autant plus appréciable.

Quel parcours vous a amené à devenir coordinateur de ce stand ? Qu’est-ce que cela vous apporte dans votre carrière ?

J’ai fait un double master pour être éditeur en France. J’ai travaillé très vite pour des maisons d’édition en tant que salarié et en tant que freelance en France. J’ai travaillé pour L’Association et pour Gallimard. Je suis éditeur à L’employé du moi depuis maintenant 11 ans. Quand j’ai commencé la coordination du stand, j’étais encore étudiant, mais j’avais déjà fait de la coordination de projet et d’événement culturel dans le cadre de mon bachelier en médiation culturelle. Ce que la coordination du stand Belgique Wallonie Bruxelles m’a apporté est une certaine dextérité à gérer autant d’intervenants. Pour rappel, quinze structures éditoriales participent au stand en 2022. J’ai eu aussi l’occasion de me rapprocher de certains acteurs institutionnels. En 2020, j’ai monté une exposition sur la jeune garde de la bande dessinée à Bruxelles et en Wallonie qui a été présentée à La Fête de la BD en 2020 et qui tourne un peu partout à l’étranger. Je ne crois pas que le fait de m’avoir confié le commissariat de cette expo découle directement de mon implication dans la coordination du stand, mais dans tous les cas les pouvoirs publics m’ont fait confiance.

Le PDF de la brochure Belgo Comics 2022 est accessible par ici https://issuu.com/awex-wbi/stacks/18aa69f6360b4ae38f4285d7196d2840

flyer à lignes gris et turquoise avec "Expédition belge" au milieu
© signalétique du stand collectif Belgique Wallonie Bruxelles

Depuis quand ce stand existe-t-il ? A-t-il toujours pris la forme actuelle ? Quelles ont été ses évolutions/améliorations ?

Je ne sais pas trop, ce qui est sûr c’est qu’il y a eu certains changements majeurs depuis quelques années, nous assurant d'importantes retombées en termes de visibilité auprès des festivaliers et des autres structures participantes, mais aussi en termes de légitimité auprès du monde de l’édition de bande dessinée.

En 2018, le stand s’est doté d’une scénographie collective plus marquée avec la création de nappes et de frises identiques pour tout le stand, permettant ainsi aux festivaliers d’identifier en un seul regard qu’ils se trouvent sur le stand régional des Belges.

L’année suivante, en 2019, le Centre Wallonie-Bruxelles de Paris a lancé le vendredi matin un petit-déjeuner à destination des professionnels, c’est-à-dire les journalistes, les éditeurs étrangers et les organisateurs de manifestations culturelles comme des festivals. C’est un moment privilégié de rencontres et d’échanges. Il permet aux structures de rencontrer des acteurs du monde de livre et de l’édition qu’ils n’ont pas forcément l’habitude de rencontrer.

En plus de ce petit-déjeuner professionnel, WBI a débloqué une enveloppe pour éditer une brochure qui s’appelle Belgo Comics. Coordonnée par mes soins, elle contient une brève présentation de chaque structure éditoriale présente sur le stand collectif et leurs dernières parutions. Nous avons mis beaucoup de soin à la mettre en page : la brochure est imprimée en couleurs et contient des illustrations en pleine page détachables. En 2022, nous allons publier le 4e numéro du Belgo Comics. Cette fois, il sera uniquement disponible en version électronique en raison de l’incertitude de la tenue du Festival et de la crise du papier induisant des délais de production très serrés chez les imprimeurs. On a toutefois imprimé une carte postale avec un QR code à scanner pour accéder au PDF. C’est un super outil à donner en cadeau aux lecteurs afin qu’ils aient un panorama de la richesse créative en Belgique francophone. La scène belge en bande dessinée est vraiment foisonnante, avec des éditeurs comme L’employé du moi, Le Fremok et La Cinquième Couche qui marquent l’histoire contemporaine du médium en proposant des formes créatives. C’est intéressant qu’il existe ce genre de brochure qui rend régulièrement compte de cette effervescence artistique. L’utilité de cette brochure bilingue (français-anglais) dépasse d’ailleurs largement le stand des Belges au FIBD d’Angoulême, elle est utilisée par les ALAC, les attachés culturels dans les Ambassades de Belgique, etc. qui promeuvent la production actuelle en bande dessinée à travers le monde.

Pensez-vous que figurer sur un stand collectif comme celui des Belges au FIBD d’Angoulême permet un échange des savoirs et savoir-faire, et favorise la professionnalisation de toutes les structures ?

Être sur un stand collectif aux côtés de structures de tailles différentes permet, même si c’est difficile à quantifier, un échange des publics. Certains auteurs publiés en fanzine figurent par exemple dans le catalogue de L’employé du moi. En tant qu’éditeur, je me sens assez proche de la création actuelle en microédition.

Par contre, je ne suis pas sûr que ce stand collectif change quoi que ce soit en termes de professionnalisation. Depuis que ce stand existe, au moins une quinzaine d’années, il n’y a pas eu de création de structure qui dépasse le stade de la microédition, ce sont toujours les mêmes structures indépendantes de création qui se déplacent. Ça fait plus de 20 ans pour L’employé du moi et pas loin de 25 voire 30 ans pour Le Fremok et La Cinquième Couche, et en fait, il n’y a pas eu de nouvelle structure qui quitte l’artisanat pour faire de la bande dessinée diffusée, distribuée, imprimée à grande échelle.

Je ne dirais pas que l’on partage des savoirs et des savoir-faire sur ce stand. D’un point de vue professionnel, le stand a plus vocation à donner une légitimité nécessaire aux éditeurs et aux auteurs dans le cadre d’une manifestation institutionnelle qui est très importante, autrement dit il apporte une certaine légitimité à la bande dessinée belge actuelle. Il n’est pas vraiment un outil de coopération entre les éditeurs. La coopération existe par ailleurs.

Quelle place est donnée aux auteur.rices sur le stand ?

Rappelons d’abord que sans auteur.rices, il n’y aurait pas de bande dessinée. La plupart des maisons d’édition, 70 ou 80 % des structures qui sont sur le stand, invitent les auteurs qui ont publié dans l’année ou qui ont un livre qui vient de paraître. Leur donner la possibilité de défendre leur bouquin au FIBD d’Angoulême en venant dédicacer sur le stand nous semble primordial. Pour les auteurs et autrices, c’est une belle opportunité de gagner en visibilité, de rencontrer leur public. Pour les éditeurs et éditrices, c’est parfois l’occasion de les rencontrer pour la première fois en chair et en os. À L’employé du moi par exemple, on édite pas mal d’auteurs américains qui ne font pas le déplacement en Europe à chaque parution.

Par contre, le stand collectif n’est pas tout à fait le lieu pour venir montrer un projet en cours. Souvent les gens qui viennent présenter des projets à Angoulême, ce sont de très jeunes artistes qui ne sont pas encore confirmés, qui sont généralement encore étudiants, qui vont un peu au pif et qui ne font pas vraiment attention à quelle maison ils s’adressent. Généralement les auteurs que l’on rencontre ce sont des auteurs avec qui on est déjà en contact par mail, qui ont un projet soit qui nous intéresse, soit qui est déjà avancé. Du coup, le FIBD d’Angoulême est une occasion de se voir de visu au moins une fois dans le processus d’accompagnement. Si on était basés à Paris, ce serait beaucoup plus simple de voir les auteurs avec qui on travaille. Depuis Bruxelles, à part avec les auteurs qui sont bruxellois ou qui habitent en Belgique, c’est parfois compliqué de rencontrer des auteurs internationaux. Au fond, ces rencontres ne sont pas toujours de strictes séances de travail, ce sont aussi des discussions informelles pour faire connaissance et passer un bon moment autour d’un verre.

Quand on est auteur et que l’on cherche à être édité, surtout les plus jeunes qui n’ont pas forcément la culture des maisons d’édition, qui ne connaissent pas les spécificités des catalogues, c’est intéressant de venir à Angoulême, ne serait-ce que pour voir quelles sont les différentes lignes éditoriales, de se rendre compte qu’en fait tout ne peut pas être publié partout. Effectivement, discuter de notre ligne, de ce qu’on fait, etc. sur le stand peut être intéressant. On aime plutôt faire ça, on aime parler de nos livres, de comment on travaille. Si on était derrière une table toute la journée à vendre juste des bouquins sans avoir de discussion, ce serait super triste. Ce qui est intéressant, c’est d'échanger, de partager.

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