Qui est François Englert ?

Dans mes souvenirs d’ancienne étudiante, les images se bousculent : il y a le jeune professeur à l’enthousiasme communicatif qui initie les étudiants aux charmes de la mécanique quantique, celui qu’on voit déambuler l’hiver, emmitouflé dans un gros caban noir surmonté d’une longue écharpe jaune tricotée, la tête enfoncée dans un somptueux bonnet d’opossum doré, et l’été vêtu d’un pull troué aux coudes sur un pantalon de velours côtelé. Il y a l’intello décontracté à l’humour ravageur qu’on entend discuter inlassablement avec Georges Miedzianagora, l’ami philosophe, avant d’aller « dégoiser quelques sornettes », comme il dit, c’est-à-dire donner cours. Le convive enjoué de telle petite bouffe, mais aussi le témoin inquiet d’un monde inquiétant, qui, malgré un profond scepticisme, n’hésite pas à dépasser le rôle passif du témoin lorsqu’il en ressent la nécessité.

Mais au fur et à mesure que j’apprends à mieux le connaître, au cours de mes études, et puis tout au long des années qui ont suivi, car nous sommes restés liés par une amitié un peu décousue, ravivée au hasard des rencontres, l’image qui domine, c’est celle d’un rebelle, un homme qui a la contestation chevillée au corps, qui refuse de se glisser dans un quelconque moule imposé par les us et coutumes d’un quelconque milieu, qui revendique une totale liberté d’agir selon ses convictions ou l’inspiration du moment, et le fait savoir sans ambages, jusqu’à la provocation au besoin. Un homme pour qui l’indépendance est le bien le plus précieux. Je comprendrai plus tard que ce trait essentiel de son caractère est apparu très tôt : de l’écolier qui signait lui-même ses bulletins, préférant que ses parents ne se mêlent pas de sa scolarité, à l’adolescent, qui, trouvant déconcertant, voire hostile, le monde des adultes, s’est fait un jour le serment de ne jamais leur ressembler.

Et tout au long de sa vie foisonnante d’amitiés, de passions, de défis, tout le contraire d’« un long fleuve tranquille », il maintiendra le cap, seul maître à bord, à jamais.

L’esprit de contestation qui l’anime est-il constitutif de sa grande intelligence, de sa soif insatiable de décrypter l’univers, en est-il une conséquence ou encore un simple partenaire ? Et dans cette équation, quel rôle tient l’héritage familial, quel est le poids de son enfance ? Dans quel terreau cette vie de rebelle a-t-elle germé ?

Ce livre est une tentative de répondre à ces questions.