La découverte d'une voix littéraire prometteuse : rencontre avec Bénédicte Lotoko, autrice de "Ça brille encore"

Publié le  16.02.2024

Bénédicte Lotoko, participante de la Belacadémie novembre-décembre 2023, a commencé à écrire il y a 10 ans et a publié son premier roman en janvier 2024 aux éditions Les Impressions Nouvelles. Elle a exercé comme psychologue dans un centre d’accueil pour adolescents et enseigne aujourd’hui à de futur.es éducatrices et éducateurs spécialisé.es à la Haute école de Bruxelles-Brabant. Son parcours professionnel s’est donc construit dans « le social » avant de commencer à écrire sans intention précise et sans formation littéraire, mais en portant avec elle son bagage de grande lectrice et d’autodidactisme.

En dix ans, Bénédicte a beaucoup écrit. Des textes courts – notamment Et le sel laissé par les larmes dans le cadre d’un appel à chronique pour les Halles de Schaerbeek – d’autres plus longs jusqu’au roman. Après deux tentatives de romans et d’un recueil de nouvelles non publiés, c’est avec une grande joie qu’elle a appris que « Ça brille encore », envoyé lui aussi par la poste, avait été sélectionné en vue d’une publication par une maison d’édition belge et bruxelloise de surcroît. Car, dans ce roman émouvant et engagé, Bénédicte nous propose en effet un voyage dans Bruxelles à travers la littérature, des rencontres, la question des origines et de la colonisation.

Voici l'interview exclusive d'une autrice talentueuse et prometteuse qui fait ses premiers pas dans le monde de la littérature. Au fil de la lecture, vous en apprendrez plus sur son premier roman et sur son processus d’écriture. Si vous êtes à la recherche d'une nouvelle voix littéraire, fraîche et inspirante, ne manquez pas l’occasion de découvrir cette autrice brillante et l'émotion qu'elle transmet à travers ce premier texte.

Comment décrirais-tu le personnage principal, Clotilde ?

Clotilde est quelqu’un de blessé. Elle est fragile, courageuse et audacieuse, je l’admire beaucoup. Elle ressent de la colère, sentiment légitime d’indignation vu ce qu’elle a vécu. Sa manière d’entrer en contact avec le monde est parfois maladroite, mais, je l’espère, attachante.

 

Qu'est-ce qui la pousse à rechercher de nouvelles expériences et rencontres après le deuil de son amour passé ?

Rien ne la pousse vraiment, elle agit malgré elle. Au début du roman, suite à une rupture amoureuse, Clotilde s'est calfeutrée dans sa chambre, cocon qu'elle s'est construit au milieu de ses livres entassés en piles. Une connaissance lui propose de sortir à une fête et un coup de foudre la surprend. Cet évènement mêlé au deuil amoureux l’ébranle. L'abandon réel de sa mère et plus diffus de son père refont surface. Sans réfléchir, sans contrôle d'elle-même, elle part en errance dans sa ville natale, Bruxelles.

 

Pourquoi as-tu choisi de représenter Clotilde comme une lectrice compulsive et comment cela contribue-t-il à l’histoire ?

Je suis moi-même une grande lectrice de romans. Il me paraissait intéressant de construire un personnage qui fait face à la vie à travers la littérature. Elle y trouve les mots absents de son enfance. Elle a grandi seule avec ses questions sans que les adultes de son entourage ne lui fournissent de réponses. Elle va chercher dans les livres une possibilité de comprendre l’humain et le monde. Donc pour tenter de « gérer » ce deuil amoureux, elle va fonctionner comme d’habitude : elle décide de lire « Fragments d’un discours amoureux » de Roland Barthes. Mais cette fois-ci, elle n’y arrive pas car son contenu est trop confrontant. Perdue pendant cet été caniculaire, elle marche et ne rentre pas chez elle, lieu dont elle se sent subitement étrangère. Les traumatismes de son histoire liée bà l’histoire coloniale belge, lui apparaissent, notamment à travers les signes dans les rues de Bruxelles. En effet, fille unique d’un père belge et blanc et d’une mère noire et congolaise, elle se rend compte du poids de l’Histoire sur sa destinée tout en cherchant à comprendre pourquoi son père est devenu fou, pourquoi sa mère l’a abandonnée.

 

Comment justement la ville de Bruxelles joue un rôle dans "Ça brille encore" et pourquoi est-elle si importante ?

Grandir dans une ville suscite à la fois rencontres et solitude, ce paradoxe urbain connu. Bruxelles représente en outre pour moi une ville pleine d’autres paradoxes. Elle est la capitale de l'Europe et pourtant elle est « à taille humaine », comparée aux autres grandes villes européennes. Elle s’internationalise tout gardant un côté pittoresque. C’est aussi une ville qui se gentrifie mais où il est encore possible de changer de quartiers, de classes sociales et d’environnement en traversant deux rues. Je voulais rendre hommage à ces paradoxes, à ma ville, à son particularisme ainsi qu’à ses habitants et habitantes.

 

L’écriture de « Ça brille encore » est directe, cash, parfois crue. D’où vient cette façon d’écrire ?

L’écriture et l’histoire de Clotilde me sont venues spontanément. Je pense que c’est dû à la colère de l’héroïne. Ses mots sont cash et crus parce qu’ils expriment ce qu'elle traverse. C’est une écriture émotionnelle, liée au corps, à ce qu'il ressent. C’est sa voix, mais c’est vrai que c’est celle qui me vient spontanément peut-être parce que j’écris à la main. Je n’ai pas vraiment ce soucis de la page blanche. Je filtre peu, voire pas du tout, à la première écriture. Je ne me censure pas.

J’ai déjà essayé de commencer un récit à l’ordinateur, mais je n’y arrive pas, j’ai besoin du geste graphique. Par contre, la relecture m’est indispensable. Les épreuves avant le texte final sont très nombreuses pour améliorer la langue et travailler la structure. Je peaufine, resserre, cisèle. Je me fais relire aussi, par des personnes différentes : des proches qui écrivent, des proches qui n’écrivent pas, des personnes qui écrivent que je connais moins, des gens qui lisent peu, qui ne me connaissent pas du tout… Tous les retours sont bons à prendre.

 

Quelle intention littéraire souhaitez-vous transmettre aux lecteur.trices à travers ce roman?

C’est une question difficile. Je ne suis pas une écrivaine à thèses, à messages, je ne prétends pas en donner. J’avais en tout cas l’intention de parler de Bruxelles, de l’importance de la littérature comme appréhension de son existence, de la portée des rencontres dans les parcours de vie, et de la colonisation du Congo par la Belgique. Je rajouterais les références à Damso et à sa musique dont les mots sont présents en épigraphe. J’écoute beaucoup de rap et il me semblait que la force incisive de ce style musical se prêtait bien au caractère de Clotilde. J’ai aussi choisi des prénoms qui recouvrent la beauté cosmopolite de Bruxelles. Clotilde était amoureuse d’Antoine, elle craque ensuite pour Tawfiq, c’est la vie urbaine.

 

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite écrire un roman ?

Je n'ai de conseils à donner à personne mais mon parcours a été celui-ci : lecture de romans depuis l’adolescence, classiques et contemporains, lecture d’essais en tout genre et ensuite littéraires et sur la création quand j’ai commencé à écrire, ateliers d'écriture, travail, beaucoup de travail, et ténacité. Mais je pense que lire et lire beaucoup est peut-être une des étapes les plus essentielles.

Un petit mot sur ta participation à la Foire du livre et de tes attentes ?

 J’y serai en dédicace, bienvenue !

L'interview de Bénédicte Lotoko sur BX1

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