Sur le pouce avec Ingrid Heiderscheidt et Nicolas Buysse - Trop de Guy Béart tue Guy Béart

Publié le  18.07.2011

Après avoir suivi un cours avec un guide nature et réalisé consciencieusement deux beaux herbiers, ils reconnaissent avoir certains tocs: ne plus parvenir à se balader en ville sans voir de la nature sauvage partout. « Ils », c’est Nicolas Buysse, Ingrid Heiderscheidt et Jean-Michel Frère, de la Compagnie Victor B. Ils ont mis en commun leur plume pour épingler certains groupes sectaires bio acharnés, une nouvelle forme d’extrémisme écologique, égratigner certaines dérives, dénoncer de tout ce qui est extrémiste, catastrophiste. Refaire le portrait du fascisme ordinaire. C’est Trop de Guy Béart tue Guy Béart, à voir aux Doms jusqu’au 28 juillet (et en tournée un peu partout après!).

 

Au départ, Nicolas, en voyage à Rome, a été frappé par un groupe de touristes munis de casques se bidonnant à la suite d’un guide complètement hilarant. Il a eu envie de se marrer aussi. Puis il a eu une idée. Qu’il a soumise à Jean-Michel Frère, directeur de la Compagnie Victor B. Quoi? Faire un spectacle avec un dispositif sonore similaire qui permet d’avoir une certaine intimité avec le public. Il fallait trouver un prétexte à cette visite et il a eu l’idée de faire une visite de la nature sauvage en ville. La visite est ensuite devenue elle-même le prétexte à raconter l’histoire d’un frère (Nicolas Buysse) et d’une sœur (Ingrid Heiderscheidt).

 

Bela : Comment s’est organisée l’écriture, comment ça s’est mis en place après l’idée ?

 

Ingrid : On est parti d’un spectacle, Kermesse, qu’on a écrit et préparé pendant quelques années avec Jean-Michel et puis avec les autres comédiens. Ce spectacle a connu un grand succès aux Tombées de la nuit à Rennes. Le festival a commandé à la Compagnie Victor B une petite forme (plus petit dispositif que Kermesse, moins de comédiens). Très vite, nous avons écrit Guy Béart à trois avec Jean-Michel. C’est un spectacle léger, pas besoin de camion pour les décors puisque le décor, c’est la ville dans laquelle on a auparavant fait des repérages. Enfin, pas pour Nico qui porte 20 kilos de charge…

 

Nico : Le matériel technique est assez lourd vu que je dois porter une antenne, une batterie…je fais la régie en même temps, quoi.

 

Bela : La création a eu lieu il y a longtemps ?

 

I. : Elle a eu lieu à Poitiers (deux ou trois dates) et puis évidemment au Festival Les tombées de la nuit à Rennes puisqu’ils étaient coproducteurs.

 

N. : Et puis de là, il y a beaucoup de programmateurs qui l’ont vu et le spectacle a vraiment rayonné toute l’année. On a pu aller jouer à Aubagne, à Marseille, à Martigues… Là, on est repris à Châlon-sur-Saône pendant le festival d’Avignon.

 

Bela : Il y a déjà eu des répercussions depuis votre arrivée aux Doms ?

 

N : Le démarrage ici est assez exceptionnel… Après trois jours, le spectacle est déjà vendu une vingtaine de fois. Il y a déjà des répercussions grâce aux Doms. Et ça ne s’arrête pas. Le Théâtre des Doms est très bien organisé, ils nouent d’excellentes relations avec les professionnels, avec les programmateurs… Ils sont bien accueillis ici. Et puis, grâce aux Doms, notre équipe peut venir avec un diffuseur.

 

I. : Doit venir. De cette manière-là, nous pouvons nous « contenter » de jouer, on ne doit pas s’occuper du travail de diffusion, qui est quand même un métier différent. Sinon, je crois aussi que notre titre accroche et attire le public.

 

N. : C’est le premier spectacle que nous écrivons en collectif, et le titre est vachement important, surtout dans un festival comme Avignon où il y a 1145 spectacles sur une journée. Les gens qui parcourent le catalogue sont sensibles aux accroches aussi, c’est redoutablement important. Après, il y a le bouche-à-oreilles qui fonctionne aussi. Ici, ça a été très vite, et le titre a sans doute incité à remplir les premières dates. On a dû tracter deux-trois jours et là, on est complets. C’est grâce au Théâtre des Doms.

 

 

Bela : Comment avez-vous réagi à l’annonce de la nouvelle de la sélection?

 

I. : Pour nous, c’était la joie extrême, vu que nous jouons en rue, en plus. On vient de la salle mais avec la Compagnie Victor B. on cherche un contact particulier avec les spectateurs, on touche de plus en plus un réseau rue aussi mais on vient de la salle. Donc, être à Avignon, qui est plutôt un théâtre de salle, c’est un pari que les Doms font sur nous et pour l’instant, ça se passe très bien. Le fait qu’on soit à Châlon aussi, c’est un signe que, du côté des programmateurs de théâtre en salle, il y a un intérêt.

 

Bela : Vous n’avez pas l’impression qu’ils sont frileux par rapport à ce genre de forme un peu hybride ?

 

N. : J’avais peur de ça mais en fait pas du tout. Après toute la journée en salle, ils sont peut-être contents de voir une touche poétique, décalée… ça change un peu. Et puis, il faut dire que c’est un vrai spectacle sauf que notre décor c’est la rue. On était dans la même classe au Conservatoire Ingrid et moi, on est des comédiens de salle à la base – même si ça ne veut pas dire grand-chose – mais il y a un vrai travail de comédiens aussi et ils ne se sentent pas perdus par rapport à ça.

 

I. : Oui et puis il y a un début, un milieu et une fin, une vraie construction travaillée dans l’écriture.

 

Bela : Comment s’est construite votre écriture ?

 

N. : Après avoir joué des auteurs très anciens, souvent, un peu redondants, on a été pris de passion pour les formes théâtrales qui explosent le quatrième mur. On a trouvé une liberté de ton dans l’écriture. Avec Ingrid et Jean-Michel, on se connaît tellement bien, on a tellement d’affinités… On a souvent la même intuition.

 

I. : Souvent, le travail collectif fait rebondir, on a des bonnes et des très mauvaises idées, on en discute sans problèmes, il n’y a pas eu pas d’égos mal placés, ça circule bien.

 

Bela : Quelles sont vos impressions par rapport aux Doms ?

 

I. à N. : Quelqu’un t’a dit que Les Doms, c’était le IN du OFF?

N. : Les Français disent ça parce que c’est déjà une sélection en Belgique, qu’on a dû remettre une candidature.

Au-delà de ça, on est payé pour le faire, ce n’est pas un plan galère, on vient de façon tout à fait professionnelle. Beaucoup de projets perdent en qualité à jouer dans n’importe quel théâtre. Le fait que ça soit professionnel aide à tous niveaux. Ça donne de l’enthousiasme et beaucoup d’énergie. C’est important à Avignon qui en demande beaucoup. Il ne faut pas rater son coup ici au vu des répercussions. Notre diffuseur, qui a vingt ans d’expérience, prévoit une centaine de dates vendues à la fin du Festival. C’est formidable. En Communauté française, un spectacle fait en moyenne 24 représentations à Bruxelles. Si c’est un succès, il fait entre douze et vingt villes et puis c’est fini: on a écumé tout le spectateur francophone potentiel. Tandis qu’ici, ça ouvre vers la France: Marseille, Montreuil, Maubeuge, Brest… C’est de la folie et je ne m’en rendais pas du tout compte. On est en douce euphorie depuis quelques jours.

 

I. : Et puis les scènes nationales se groupent fort, si l’un commande le spectacle, il va souvent entraîner les autres. Ils parlaient entre eux.

 

N. : Le travail d’Hervé d’Otreppe, de Philippe Grombeer et d’Isabelle Jans par rapport aux professionnels est formidable puisqu’ils ont déjà envie de venir ici, ils savent qu’ils vont voir des spectacles de qualité. On leur doit beaucoup et on n’arrête pas de les remercier. C’est une chance et ça permet de vivre un vrai compagnonnage artistique parce qu’on part pendant une période plus longue, de nouveaux projets peuvent naître, on peut écrire aussi en tournée…

 

D’ailleurs, ils l’ont fait. Ça donnera Poney pour toujours, un spectacle déjanté avec Ingrid, Nicolas, mais aussi Fabrice Murgia, Sylvie Landuydt…

 

Photo : Catherine Delory

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