L'hiver des ruptures

Sébastien est un scénographe reconnu de l’Opéra National. Sa vie sentimentale tourne concomitamment autour de trois femmes : Sibylle, Yphenge et Supporine. À tour de rôle, chacune partage avec lui des instants de joie, d’amour et de félicité. Heureux du bonheur permanent dont il jouit avec elles, il cherchera pourtant l’échappatoire : à l’hiver des ruptures, les histoires d’amour se compliquent. Sébastien tentera de reconstruire ce qu’il a détruit ; le destin lui accordera presque ce qu’il avait imaginé.

Plongeant le lecteur dans un rêve, le roman évoque un polyamour contemporain, sensuel et joyeux, détaché de toute contingence matérielle, écrit sur un registre féerique et poétique, abordant une sexualité sans tabous en mélangeant humour et amour de la vie. 

Fiche

Visuel
Images
Année
2019

Extrait

Sébastien broyait du noir ; il devait absolument changer d’air et réfléchit à une occasion de revoir une amie chère. Il se souvint que plus d’un an auparavant, à l’occasion de son anniversaire, Evira lui avait offert un « bon pour… », en l’occurrence, une invitation à manger des huîtres chez elle, en tête à tête. Sibylle n’appréciant pas ces mollusques, il fut sensible à cette attention amicale et s’était réjoui de passer une soirée à papoter autour d’une bouteille de vin blanc italien. Une quinzaine de mois s’étaient écoulés, un anniversaire de plus était passé : le bon était-il expiré ? Il retrouva dans ses papiers le document qu’il lui mit sous le nez à la première occasion, réclamant ainsi son dû.

En riant, elle lui proposa une date à la fin du mois suivant et, le jour convenu, Sébastien sonnait à la grille de sa maison isolée en lointaine banlieue, entourée de champs de maïs à perte de vue. Aucun voisin n’habitait à moins de deux kilomètres à la ronde. Malgré la saison peu avancée, il faisait suffisamment beau et chaud pour dîner au jardin et la piscine lagunaire, dont l’eau limpide laissait sur les corps un parfum de rivière sauvage, était découverte et chauffée.

La soirée ne se déroula pas exactement comme il l’avait imaginé. Evira l’accueillit dans une robe dos nu de couleur brune, qui se confondait avec sa peau très mate sur laquelle ressortaient faiblement de sombres tatouages monochromes ésotériques. Ces trois juxtapositions ton sur ton donnaient à tout son corps une mystérieuse couleur d’ensemble où un regard insistant était nécessaire afin de découvrir où s’arrêtait la peau et où commençaient les artifices. 

Sébastien ouvrit les huîtres sans cesser de lui jeter des coups d’œil : elle ne tenait pas en place, préparant une émulsion d’artichaut qu’elle mélangerait plus tard aux crevettes de la mer du Nord, tout juste épluchées, à la saveur iodée incomparable, en terminant par laisser couler dessus un mince filet de jus de pamplemousse. Ses virevoltages excitaient son cerveau et ses yeux tentaient de la suivre sans que le couteau à huître ne glissât de sa main et pénètre son poignet. 

Elle passa à ses côtés, se penchant pour prendre un ustensile dans un tiroir bas, sous le plan de travail où il était installé avec ses coquillages. Il renversa maladroitement un peu d’eau iodée sur son épaule. Quand elle se releva légèrement étonnée, pour toute excuse, Sébastien se mit à lécher en silence les quelques gouttes qui coulaient sur sa peau, en remontant à la même vitesse qu’elles mettent à s’écouler le long d’une vitre par temps de pluie.

Plus haut, sa bouche entrouverte, ses yeux pénétrants ne cachaient aucun désir, l’invitant à poursuivre en silence. Sa langue maintenant émancipée, comme détachée au niveau de l’épiglotte, sans plus aucun contrôle cérébral, parcoure, essentiellement de son bout, la gorge d’Evira, se cachant derrière le lobule de son oreille gauche dans cet invisible et délicat sillon. Elle continue le long de l’hélix et tourne à angle droit vers ses paupières fermées, s’assurant de l’élasticité chaude des deux globes, pour finalement se mélanger à sa sœur salivaire dans un murmure de début de plaisir circum-culinaris.

Sébastien prit une huître ouverte et renversa une fois de plus l’eau de mer, cette fois-ci sur les lèvres entrouvertes d’Evira, tout en l’embrassant. Leurs deux bouches échangèrent goulûment des saveurs océanes, les sucs salivaires mélangés évoquèrent un goût d’abysses.