Le conseil de classe

Dans une école secondaire, des professeurs attendent leur directrice pour un conseil de classe qui se révélera explosif et connaîtra des prolongements imprévus, suite à l´attitude particulièrement irresponsable et choquante de leur supérieure atteinte de mégalomanie. Elle sera ainsi prise en otage mais bien vite la belle unité des profs volera en éclats.

Fiche

Année
2000
Édition
Art et Comédie
Production
Cie des Sources, CLUB THEATRE DE L'ATHENEE D'ANVAING

Extrait

ACTE 1

SCENE 1 (GERARD BOULIER, PATRICK DUPONT, NATACHA LAFOSSE, MICHEL LEGROS, DANY MARICHAL, RAMONA PETIT, FRANÇOIS SIMON, ANGELIQUE VINCENT)

(Dans la salle des profs, ceux-ci attendent impatiemment l’arrivée d'Irène Durieux, la directrice de l'école.)
LAFOSSE – Elle est encore en retard, la vieille peau !
BOULIER – Si l’exactitude est la politesse des rois…
DUPONT – On voit bien que ce n’est pas une reine dans sa catégorie.
PETIT – Je vous en prie, un peu de tenue et un peu de retenue. Après, vous irez vous plaindre de l’impolitesse de vos élèves !
LAFOSSE – Tais-toi, vieille peau !
PETIT (choquée) – Oh !
LAFOSSE (grimaçant) – “ Oh ! ” qu’elle a fait la vieille peau !
LEGROS (à Lafosse) – Je t’en prie, Natacha, madame Petit a raison. Rien ne nous empêche d’attendre poliment !
SIMON – Sans compter que la grossièreté n’a jamais résolu aucun problème.
DUPONT – Bien parlé, Maître Simon. Soyons dignes de notre statut.
VINCENT – C’est ça, ne pataugeons pas dans la boue, ça éclabousse !
MARICHAL – Et en plus, ça tache ! Et vous savez que dans ces cas-là, plus vous la remuerez et plus vous en mettrez partout.
DUPONT – En tout cas, toujours pas de trace de la reine.
LEGROS – Madame Durieux, directrice pour l’essentiel et accessoirement reine des retardataires.
SIMON – Peut-être n’ose-t-elle pas paraître encore, chers collègues ? Attendrait-elle quelque chose, recluse au fond d’un tiroir de son bureau ?
VINCENT – Ben voyons ! Notre reine attend le retour de d’Artagnan. Envoyé en mission spéciale en Angleterre, il doit occire tous les gardes du Cardinal qui ont l’inconscience de se dresser sur son chemin pour rapporter…
MARICHAL – ...non pas les ferrets de la reine offerts par le duc de Buckingham, son amant, mes chers auditeurs, mais tout simplement les procès-verbaux de conseil de classe mystérieusement égarés depuis la dernière visite du vérificateur.
LEGROS – Lequel a, ensuite, été retrouvé assassiné dans un fossé, portant au front la mystérieuse botte de Nevers.
SIMON – Pourquoi pas une botte de radis, tant que vous y êtes ? Vous confondez les histoires. Aux dernières nouvelles, Lagardère a parfois joué le rôle d’un bossu, jamais celui d’un mousquetaire.
LAFOSSE – Il avait peut-être bu plusieurs “ Porthos” avant ?
BOULIER – Rempli “ Ara...mis ”, alors !
DUPONT – Et par Athos, naturellement. Comme ça, on aura fait le tour.
LAFOSSE – Le Tour de France, évidemment. Et sans dopage. Que des produits naturels !
MARICHAL – Ah ! le Porthos ! Qu’il est doux à boire, avec ou sans mousquetaires !
TOUS LES PROFS (en chœur, à l’exception de Petit, sur l’air de : « Ah ! le petit vin blanc) – Ah ! le petit porthos qu’on boit sous les tonnelles, quand les filles sont belles, du côté de…
PETIT (les interrompant sèchement) – Ça suffit ! Taisez-vous ! (Les autres profs se taisent, gênés.)
DUPONT - Monsieur Renard, notre psychologue sera peut-être le d’Artagnan de service qui aura déjoué les pièges tendus par les gardes du Cardinal.
MARICHAL – C’est qu’il est rusé, notre Renard !
VINCENT – Aura-t-il franchi tous les barrages pour nous servir ?
PETIT – De relais auprès des parents, il remplit une noble tâche, notre psy.
LAFOSSE (en aparté) – Vieille peau et idéaliste en plus. Un cas désespéré, en somme !
SIMON – Et la noble tâche du rusé Renard est-elle bien rémunérée ?
MARICHAL – Motus ! Secret d’Etat ! Vous verrez, il ne répondra pas à ce genre de question.
VINCENT – A raison. Voyons, François, tu ne comptes quand même pas demander à un futur mousquetaire qui sauve la reine du déshonneur en lui rapportant ses bijoux, ce qu’il a reçu en récompense ?
DUPONT – Un baiser peut-être… mais nous manquons à tous nos devoirs.
PETIT – Comme nos élèves, en somme.
DUPONT – Je l’avais sur le bout de la langue.
BOULIER – Et ça ne te gênait pas, Patrick ?
DUPONT – Si…quand même.
MARICHAL – Alors, que fait notre reine, maintenant qu’elle a retrouvé ses bijoux ?
LEGROS – Elle chante peut-être.
LAFOSSE (chantant) – Ah ! je ris de me voir si belle en ce miroir !
DUPONT – De reine, la voilà à présent changée en Castafiore !
BOULIER – Et de quel capitaine Haddock serait-elle amoureuse ?
DUPONT – Serait-ce de monsieur Simon ?
SIMON – Il me manque la barbe.
VINCENT – Et le pognon ! Vous l’avez déjà vue fringuée dans les grandes occasions ?
BOULIER – Question train de vie, elle est difficile à suivre.
DUPONT – Forcément : elle roule en Porsche.
MARICHAL – Et passe sous le porche à une vitesse qui décoiffe.
LAFOSSE – C’est le “Chauve-qui-peut ”.Tout le monde aux abris, v’là la dirlo.
(Elle la voit rentrer et incline la tête.) Madame la Directrice.
TOUS (en chœur et au garde-à-vous) - Madame la Directrice.

SCENE 2 (LES MEMES plus MADAME DURIEUX)

DIRECTRICE – Veuillez m’excuser pour ce léger retard mais figurez-vous, Monsieur Simon, que votre inspecteur vient seulement de quitter mon bureau. Quelle éloquence ! J’étais suspendue à ses lèvres.
VINCENT (en aparté) – Tant que ce n’est que suspendue.
DIRECTRICE – Dès qu’il parle de ses auteurs favoris, il est intarissable.
VINCENT (en aparté) – Et tout coule de source.
DIRECTRICE – J’étais littéralement plongée dans l’univers d’un roman d’Alexandre Dumas.
TOUS LES PROFS (en chœur) – Les trois mousquetaires !
DIRECTRICE (un peu étonnée) – Non, le Comte de Monte-Christo ! Et figurez-vous que tout en appréciant la prestation de Gérard Depardieu quand il l'a incarné à l'écran, il ne le voyait pas vraiment dans le rôle. Lui qui défend si bien d’habitude la langue française, il a carrément parlé d’une erreur de casting.
SIMON – C’est étonnant. Tu aurais cru ça possible, Natacha ?
LAFOSSE – Pas du tout. Je suis sciée.
DIRECTRICE – Enfin, bref...
LAFOSSE (en aparté) - Comme disait Pépin parce que…
VINCENT (en aparté) - ...Pépin le Bref.
DIRECTRICE (tendant une feuille que chacun signera à tour de rôle.) – Vous signerez la feuille de présence, comme d’habitude, vu le nombre d'absents et parmi eux, les deux spécialistes, Dubois et Meurant, évidemment.
PETIT – Monsieur Dubois est en congé syndical, Madame Durieux, vous savez bien que c’est parfaitement légal.
DIRECTRICE – Parfaitement légal, en effet, mais ce "Parfaitement légal" coïncide néanmoins, Madame Petit, régulièrement avec une journée suivie d’un conseil de classe ou d’une réunion de parents.
PETIT – Que sous-entendez-vous par là ?
DIRECTRICE – Oh ! je me borne à constater, Madame Petit, tout comme je me borne à constater que monsieur Meurant a régulièrement la grippe les semaines de conseils de classe.
LEGROS – Il a simplement pris froid en accompagnant les élèves à la patinoire.
DIRECTRICE – Soit ! Terminons-en avec ce terrain pour le moins glissant mais je vous rappelle malgré tout que toute absence pénalise les présents, c’est-à-dire vous, puisqu’il faut bien assurer des remplacements.
LEGROS – Oui, mais tout le monde peut tomber malade.
DIRECTRICE – En théorie, oui. Dans la pratique, je suis forcée de constater des différences.
Mais peu importe, j’aurai l’occasion d’en discuter avec les personnes concernées.
VINCENT (en aparté à Lafosse) – T’avais raison, la dirlo, c’est un croisement entre Hitler…
LAFOSSE (en aparté à Vincent) – ...et Margaret Thatcher.

SCENE 3 (LES MEMES plus CARINE LAURENT, ESTHER CARLIER)

LAURENT (entrant) – Veuillez m’excuser, Madame la Directrice, mais madame Carlier
est arrivée et elle vous attend.
DIRECTRICE – C’est vrai, je l’avais oubliée, Carine. Faites-la entrer.
LAURENT – Bien, Madame.
DIRECTRICE – J’avais omis de vous prévenir que la remplaçante de monsieur Borelli avait été désignée. Elle m’a téléphoné tantôt et je lui ai proposé de passer après la fin des cours pour qu’elle fasse votre connaissance et celle de notre école. Elle commencera demain.
LAURENT (entrant) – Par ici, Madame.
CARLIER (entrant) – Je vous suis.
DIRECTRICE – Venez, Madame Carlier, que nous fassions les présentations.
(Elle les désigne l’un après l’autre. Elle commence par Petit.) Madame Petit, professeur de géographie.
PETIT – Bienvenue parmi nous, Madame Carlier.
CARLIER (en lui serrant la main) – Merci beaucoup.
DIRECTRICE - Voilà monsieur Boulier qui enseigne les mathématiques.
BOULIER – Avec un nom prédestiné. Enchanté.
CARLIER – Enchantée.
LAFOSSE (à Vincent, en aparté) – Le boulier compteur, on ne s’en lasse pas.
LEGROS (se levant) – Michel Legros. Vous êtes charmante, Madame. Je leur enseigne la politesse et l'anglais.
CARLIER – Tout un programme.
LEGROS – En effet, bien que le programme…(Il sourit et se rassoit.)
DIRECTRICE - Monsieur Simon, professeur d’histoire, amateur d’orthographe et également de bons vins.
CARLIER – Bonjour. J’apprécie un bon Bordeaux…
SIMON – Bienvenue au club, alors !
CARLIER – Mais je suis parfois brouillée avec l’orthographe, du moins quand elle côtoie
les cimes des grands concours.
SIMON – Rassurez-vous, vous n’êtes pas la seule, je connais moi-même certaines faiblesses dans ces circonstances.
CARLIER – Je ne dois donc pas faire de complexes, alors ?
SIMON – Sûrement pas.
DIRECTRICE – Voilà monsieur Dupont qui enseigne les sciences.
DUPONT – Un vrai sacerdoce, Madame Carlier. Je porte souvent ma croix, un comble pour un athée, et le chemin est parfois long et semé d'embûches.
VINCENT (en aparté) – Mais il a une pêche d’enfer et envoie les élèves au diable.
CARLIER – Enchantée. Etant croyante, j’ose espérer que nous ne nous marcherons pas sur les pieds et que nous ne nous ferons pas la guerre.
DUPONT – Rassurez-vous, je ne combats que les hérétiques et l’Inquisition, c’est de l’histoire ancienne.
SIMON – Pas toujours.
CARLIER – Vexé l’historien ?
SIMON – Vigilant seulement.
DIRECTRICE – Madame Marichal, professeur de gymnastique.
MARICHAL – Pour les filles, bien sûr.
CARLIER (lui serrant la main) – Et elles courent bien ?
MARICHAL – Pas trop mal mais surtout derrière les garçons.
CARLIER – Et elles les rattrapent ?
MARICHAL – Là aussi, la vigilance s’impose.
DIRECTRICE – Madame Vincent, professeur de mathématiques, elle donne également le cours d'informatique.
VINCENT – Disons que je le dispense et que je dispense les élèves de ne pas y être attentifs. Enchantée et bienvenue dans notre zone rurale d’enseignement prioritaire.
CARLIER – Enchantée.
DIRECTRICE – Et voilà madame Lafosse.
VINCENT – Celle qui est toujours sceptique.
LAFOSSE – Celle-là, on me l’a déjà faite cent fois. Professeur de français, j’incite mes élèves à faire accessoirement du théâtre. Quitte à ce qu’ils nous jouent la comédie, autant que je puisse les guider. Bonjour.
CARLIER – Bonjour.
DIRECTRICE – Voilà, nous avons fait le tour, du moins celui des présents. (Elle se tourne vers Carine.) Madame Laurent, vous aurez l’obligeance de faire visiter notre établissement à madame Carlier. (Puis à Carlier.) Au revoir et n’oubliez pas : huit heures quinze précises.
CARLIER – Vous pouvez compter sur moi, Madame la Directrice, à demain et au revoir à tous.
TOUS LES PROFS (en choeur) – Au revoir.
LAURENT – Allons-y, Madame Carlier, c’est parti pour le tour de la future propriétaire.
Vous verrez, ce n’est pas tellement compliqué. C’est petit, l'avantage de la zone rurale.
CARLIER – Je vous suis. (Elles sortent.)
BOULIER – Par qui commençons-nous, Madame Durieux ?
DIRECTRICE – Par les 1ère A.
SIMON – Bon ! j’ai compris. J’ai le temps d’aller faire mes photocopies.
LEGROS – Moi aussi. Meurant m’a demandé de photocopier son syllabus pour le cours de gym.
MARICHAL – Et moi, je vais attaquer mon mur d’escalade.
VINCENT – Par la face nord, c’est la plus accessible. Je vais te donner un coup de main.
(Legros, Marichal, Simon et Vincent sortent.)

SCENE 4 (BOULIER, DUPONT, DURIEUX, LAFOSSE, PETIT puis LAURENT)

DIRECTRICE – Vous êtes leur titulaire, Monsieur Boulier, allons-y.
BOULIER – Dans l’ensemble, c’est une bonne classe mais il y a bien sûr quelques cas dont nous devrons parler. Commençons par Anzaldi. Rien à dire, c’est une bonne élève.
PETIT – Excellente, même.
BOULIER – Arditi. C’est bien dans l’ensemble mais il a un échec en mathématiques. Il n’aime pas mon cours, il me l’a dit.
DIRECTRICE – Et il ne fait pas d’efforts ?
BOULIER – Pas vraiment. En tout cas, il ne travaille pas à domicile.
DUPONT – Et en classe, il fait semblant d’écouter. On connaît la chanson.
LAFOSSE (chantant sur l’air de “ La boîte de jazz ” de M. Jonasz) - Par cœur, je la connais par cœur.
PETIT (sévère) – Madame Lafosse, je vous en prie.
BOULIER – Passons à Bachely. Six échecs. Rien ne l’intéresse à part son football. Mais il joue bien. Tout n’est pas négatif.
PETIT – A quelle place joue-t-il ?
BOULIER – A l’extérieur.
DIRECTRICE (s’étonnant) - A l’extérieur ? Pendant que les autres jouent sur le terrain, il joue sur le côté ?
LAFOSSE (en aparté) – Mon Dieu, qu’elle est bête !
BOULIER – Mais non, Madame, il joue à l’extérieur et même extérieur droit, je crois; ça veut dire qu’il joue sur une aile.
DIRECTRICE – Sur une aile ? J’ai déjà entendu que certains pouvaient jouer sur une jambe mais sur une aile ?
LAFOSSE (en aparté) – Bientôt, ce sera Coluche dans “ L’aile ou la cuisse ”. Au niveau culture sportive, elle frise le zéro.
BOULIER – Enfin ! bref ! Madame, il ne joue pas au milieu mais sur le côté droit.
PETIT – Bien parlé, Gérard. Voilà qui a le mérite de la clarté.
DIRECTRICE – Et on ne peut rien faire pour le motiver ?
DUPONT – Il n’y a que ses entraînements et ses matchs pour le motiver.
PETIT – Si on l’interroge le mercredi, le jeudi ou le vendredi, c’est le zéro assuré.
DIRECTRICE – Pourquoi ?
BOULIER – Laissez-moi deviner. Pratiquement une semaine sur deux, ce sont les coupes d’Europe à la télé et on joue le mardi, le mercredi ou le jeudi, c’est ça ?
LAFOSSE – Bien raisonné, Watson. Vous ferez un bon détective.
DIRECTRICE – Il ne reste donc que le lundi, si j’ai bien compris.
DUPONT – Avec un peu de chance et l’aide des copains.
PETIT – Parce que, dès le vendredi après-midi, il se concentre sur son match du dimanche matin.
DUPONT – Et le dimanche après-midi, il récupère ou il va voir l’équipe première si elle ne joue pas en déplacement.
DIRECTRICE – Donc, il ne reste au mieux qu’un lundi sur deux, ce qui me semble très nettement insuffisant. Monsieur Boulier, il faudrait lui expliquer qu’il y a autre chose que le football dans la vie.
BOULIER – J’essaierai de lui expliquer mais le résultat ne me semble pas garanti.
Au tour de Barteau. Les résultats sont satisfaisants mais il faudrait que monsieur Renard, notre psychologue, la voie parce qu’elle ne fait que mentir. Et elle change trente-six fois de version.
LAFOSSE – Oui, elle nous mène en barteau.
PETIT (sarcastique) – Ah ! ah ! Toute blague stupide mise à part, c’est vrai qu’elle me paraît
un tantinet mythomane.
DIRECTRICE – C’est-à-dire ?
PETIT – Eh bien ! elle vous explique par exemple qu’elle n’a pas pu faire son devoir parce qu’elle est allée à l’enterrement de sa tante.
DUPONT – On lui répond alors qu’elle est allée au même enterrement quinze jours auparavant.
PETIT – Et elle vous rétorque, sûre d'elle, que vous devez confondre, qu’elle n’avait qu’une seule tante.
BOULIER – J’ai demandé à Carine de téléphoner à ses parents. Verdict : elle a trois oncles mais aucune tante.
LAFOSSE (hilare) – Trois oncles incarnés et une tante réincarnée, c’est le pied !
DIRECTRICE – Monsieur Renard devrait effectivement la voir, il est le mieux placé pour obtenir un résultat.
PETIT – Enfin un cas amusant pour notre psy.
BOULIER – Le petit Connard, à présent.
DIRECTRICE (très étonnée, voire vexée) – Le petit connard ?
BOULIER – Oui ! Connard, c’est son nom et en plus il est très petit.
DIRECTRICE – Et qu’est-ce que ça donne, tout ça ?
PETIT – Un grand complexe.
DUPONT (insistant) – Un grand ? Un énorme complexe.
PETIT – Et ses camarades de classe ne l’épargnent pas, évidemment.
DIRECTRICE – Et les parents ?
LAFOSSE – Chez ces gens-là, on est Connard de père en fils. C’est héréditaire, on ne peut rien faire !
BOULIER – On peut changer de nom. J’ai connu un Saligot qui est devenu un Sartigot.
DUPONT – Moi, j’ai connu un beau salopard mais il l’est resté toute sa vie.
LAFOSSE – Si tous les Cocu changeaient de nom, il n’y en aurait pas moins au kilomètre carré.
DIRECTRICE (choquée et furieuse) – Madame Lafosse !
LAFOSSE – Veuillez m’excuser, Madame.
DIRECTRICE – Bon ! il faut quand même faire quelque chose. Je verrai les élèves de sa classe et nous allons convoquer les parents à la prochaine réunion.
BOULIER – Je les connais, Madame, et leur situation financière également. S’ils n’ont pas changé de nom jusqu’à présent, c’est que ça ne les dérange pas outre mesure ou que la procédure est trop coûteuse.
DIRECTRICE – Enfin ! nous verrons. L’essentiel est d’essayer de faire quelque chose.
Il faudra en parler à monsieur Renard quand il arrivera. Il est pourtant ponctuel, curieux ce retard.
BOULIER – Nous arrivons à Dupont.
DUPONT – Sans lien de parenté avec moi.
LAFOSSE – Evidemment, les Dupont, ça court les rues.
DUPONT – Tu sais ce qu’il te dit le Dupont qui fait du jogging ?
DIRECTRICE (sèchement) – Mais où vous croyez-vous donc ?
BOULIER – Pas de problèmes en tout cas, ni pour les deux suivants : Garnier et Honoré.
LAFOSSE – En français, il me fait de superbes rédactions. Je l’appelle d’ailleurs Honoré de Balzac.
DUPONT – En français ? Il les écrit en français ?
LAFOSSE – Evidemment, pas en patois !
DUPONT – On ne sait jamais, nous sommes en zone rurale.
BOULIER – Et nous en sommes fiers.
DUPONT – Tout à fait. Faisons-en des premiers au village plutôt que des seconds à la ville.
PETIT (souriant) – On dirait que vous allez vous présenter aux prochaines élections.
DUPONT - Eh bien ! figure-toi, Ramona, que j’ai déjà pensé à me lancer dans la politique.
BOULIER – Tu perdrais ton temps.
PETIT – Et tes illusions.
DUPONT – Et il vaut mieux les garder, on en a tellement besoin dans l’enseignement.
PETIT – Bien parlé, Patrick.
LAURENT (entrant) – Veuillez m’excuser, Madame la Directrice, mais votre mari vous demande au téléphone.
DIRECTRICE (étonnée) – Maintenant ? Il sait pourtant que je suis en conseil de classe !
LAURENT – Oui, Madame et il dit que c’est urgent.
DIRECTRICE (se levant) – Bien ! Deux petites minutes et je suis à vous. (Elle sort.)
LAURENT (s’approchant avec un grand sourire) – Elle va en prendre pour son grade, il avait l’air fou furieux.
BOULIER – Vite, Carine, racontez-nous !
LAURENT – Il a cru que c’était elle qui décrochait.
PETIT (impatiente) – Et alors ?
LAFOSSE (jubilant) – Oh oui, alors ?
LAURENT – Alors, quand j’ai décroché, il a directement hurlé : “ Où as-tu encore fourré ma chemise saumon, espèce d’enfoirée ? Je devrais déjà être à mon rendez-vous et je perds un temps fou avec ta manie de ne pas ranger convenablement mes affaires ! ” Dès que j’ai pu en placer une, je lui ai bien sûr dit : “ Mais c’est Carine ici, Monsieur Durieux ! ”
DUPONT – Mais il fallait jouer le jeu plus longtemps.
BOULIER – On en aurait appris des vertes et des pas mûres.
PETIT – Et cette petite aurait perdu son emploi, avec vos bêtises.
LAFOSSE – Plus vieille peau et plus vieux jeu que ça, tu meurs !
PETIT – De misère au chômage, petite inconsciente !
LAFOSSE – Si on ne peut plus rigoler.
LAURENT – Avec des choses pareilles, non. Madame Petit a raison, Madame Lafosse.
BOULIER – Dommage qu’il n’ait pas appelé sur le portable, on aurait été aux premières loges.
LAFOSSE – J’aurais donné cher pour voir son visage.
DUPONT – Elle aurait dû faire un effort terrible pour ne pas perdre contenance devant nous.
BOULIER – Enfin, apparemment, elle doit se venger à l’école vu qu’à domicile, elle doit marcher à la baguette !
PETIT – Un cas intéressant à étudier pour notre psy.
LAURENT – Je vais y retourner sinon la colère divine va s’abattre sur moi.
LAFOSSE – C’est docteur Jekyll et Mister Hide, la dirlo ! (Elle rentre à ce moment-là.)
Madame la Directrice.
TOUS (en chœur, par réflexe et au garde-à-vous) – Madame la Directrice.
DIRECTRICE (visiblement très fâchée) – Quoi, Madame la Directrice ?
PETIT – Euh !…rien, Madame.
DIRECTRICE – Bon ! alors, inutile de recommencer à me saluer ! Quant à vous, Carine, votre place n’est plus ici. Il est dix-sept heures, vous pouvez partir mais repassez par le bureau pour brancher le répondeur. En tout cas, si le téléphone sonne, vous ne répondez pas. Vous avez bien compris: vous ne répondez pas !
LAURENT – Bien, Madame. Au revoir, Madame. Au revoir à tous.
TOUS LES PROFS (en chœur) – Au revoir, Carine. (Elle sort.)

SCENE 5 (BOULIER , DUPONT, DURIEUX, LAFOSSE, PETIT, puis LAURENT et LEGROS)

DIRECTRICE – Sale con !
PETIT – Pardon, Madame ?
DIRECTRICE – La leçon ! La leçon !
TOUS LES PROFS (en chœur, s'étonnant) – Quoi, la leçon ?
DIRECTRICE – La leçon, leurs leçons, il faut qu’ils les connaissent, soyez impitoyables !
Il faut leur bourrer le crâne, lavez-leur le cerveau.
LAFOSSE (en aparté) – Comme une chemise.
DIRECTRICE – Il faut qu’ils aient le goût de l’effort ! (Elle s’assoit.)
LAFOSSE (en aparté) – Comme un saumon qui remonte le courant. (Elle se met à chanter sur l'air de "La chemise grise" de Patrick Topaloff et Sim.) Où est ma chemise ? Où est ma chemise ? Où ? Où ? Où ? Où l’as-tu mise ? Où l’as-tu mise ? Où ? Où ? Où ?
BOULIER – Revenons à nos saumons…heu!…moutons, moutons. Revenons à nos moutons. Revenons à nos élèves.
PETIT – Et lavons-leur le cerveau.
LAFOSSE – Plus blanc que blanc.
BOULIER – A propos de blanc, Madame, le suivant ne se lave pas et en plus, il ne sent pas bon.
DIRECTRICE – Et comment s’appelle-t-il cet homme des cavernes ?
BOULIER – Lenoir, Madame, et ce n’est pas un jeu de mots.
DIRECTRICE - Si ce n’est pas un jeu de mots, c’est bien imité. Monsieur Renard a-t-il déjà eu l'occasion de lui en parler ?
BOULIER - Oui, mais sans particulièrement l’approcher.
DIRECTRICE - A ce point-là ?
BOULIER – Hélas !
PETIT - Et si vous avez le malheur d’avoir cours avec lui en début d’après-midi...
DUPONT - C’est-à-dire après son repas.
PETIT- Il se laisse aller, si vous voyez ce que je veux dire.
DUPONT - Il doit avoir des problèmes intestinaux.
DIRECTRICE - Et les autres élèves ?
LAFOSSE - Ils se plaignent, évidemment.
DIRECTRICE - Vous avez vu les parents à la première réunion, Monsieur Boulier ?
BOULIER - Oui, mais je crains de ne pas pouvoir faire grand chose, si vous voyez ou plutôt si vous sentez ce que je veux dire.
DIRECTRICE - Je sens, je sens. Enfin ! faites de votre mieux. Au suivant, Monsieur Boulier.
BOULIER - Lepreux, Madame. Pas de problèmes, il travaille.
PETIT - Et il se lave.
BOULIER - Leureux, le bien nommé. Quatre branches en échec, il se laisse vivre.
PETIT - Oui, il se la coule douce.
LAFOSSE - Ce n’est pas le nom d’un pape, ça ?
DUPONT – Je ne vois pas le rapport.
LAFOSSE – Mais si voyons, après Islakoul XI, il y a eu un Islakoul XII.
DUPONT (soupirant) – Pénible et très discutable, ton humour.
BOULIER – Voire même illogique, on dirait un pape turc.
PETIT – On a bien eu un Polonais, mais un Turc, ça paraît un peu fort.
LAFOSSE – Justement : ne dit-on pas “ Fort comme un Turc ” ?
BOULIER – Revenons chez nous. Vous avez déjà sanctionné le suivant, Madame, et pour vol. Vous vous rappelez cette histoire de baladeur dérobé par Lupant ?
LAFOSSE – Arsène Lupant ?
BOULIER – Non, Pierre.
DIRECTRICE – Madame Lafosse, vous commencez à exagérer !
LAFOSSE – Veuillez m’excuser, Madame, mais je n’arrive pas à me retenir.
PETIT – Tu y arrives bien si tu as envie d’aller aux toilettes pendant les cours.
LAFOSSE – Ce n’est pas la même chose.
DUPONT – Toujours est-il que, de temps à temps, il arrive qu’un stylo disparaisse dans la classe et les autres le rendent responsable, évidemment. Mais on ne retrouve rien. Donc, si c’est lui, on ne peut pas le coincer.
BOULIER – J’étais intervenu après le vol du baladeur mais sans effet concret. Il a avoué qu’il ne parvenait pas à s’en empêcher. Il a d’ailleurs déjà été pris en flagrant délit chez un épicier et dans une grande surface également.
PETIT – Il vole les petits comme les gros, quoi !
DUPONT – Il pourrait se contenter des gros, ce serait un peu plus moral. C’est ce que faisait Arsène Lupin.
PETIT – Ou Robin des Bois, tant que vous y êtes. Vous oubliez la réputation de l’école.
DIRECTRICE – Je le verrai pour le mettre au pied du mur et nous convoquerons les parents.
BOULIER – S’ils viennent. Ils en sont honteux. Ce sont de braves gens, très honnêtes, des travailleurs.
PETIT – C’est souvent ainsi, malheureusement.
BOULIER – Après une mythomane et un kleptomane, nous arrivons à Mention. Travail impeccable, si elle continue, elle sera reçue avec mention. (Il arbore un grand sourire.) C’était bien mon tour.
PETIT – Très fin, Gérard.
DIRECTRICE (avec un sourire forcé) – Continuons, Monsieur Boulier. Je suppose que madame Lafosse n’est pas jalouse.
LAFOSSE – Pas du tout, Madame, je commençais à me fatiguer.
(Laurent, en manteau, entre subitement, poursuivie par Legros.)
LAURENT - Mais, arrêtez voyons !
DIRECTRICE - Que se passe-t-il encore ? C'est de nouveau mon mari ?
LAURENT - Euh ! …non, Madame, veuillez m'excuser.
LEGROS - C'est ma faute, Madame la Directrice, je la chatouillais.
DIRECTRICE (se levant, sévère) - Vous la chatouilliez, vraiment ?
LEGROS (timidement) - Euh ! …oui. (Les autres profs n'osent pas intervenir.)
DIRECTRICE - Vous la chatouilliez, mais cela ne me fait pas rire, vous entendez : cela ne me fait pas rire !
LEGROS - Je comprends.
DIRECTRICE - Un élève, je le punirais mais vous ! Franchement, quel âge avez-vous ?
LEGROS - Eh bien, j'ai…
DIRECTRICE (criant) - Je me moque de votre âge, vous me faites perdre mon temps. Sortez, nous réglerons ça plus tard.
LEGROS - Bien Madame. (Il sort.)
DIRECTRICE - Quant à vous, Carine, nous en reparlerons demain, je vous avais dit de repartir, pas de courir le cent mètres dans les couloirs !
LAURENT - Mais je pars. Du moins, c'est ce que j'essayais de faire, Madame. Au revoir, Madame. Au revoir à tous.
LES PROFS (en chœur) - Au revoir, Carine.
DIRECTRICE - Revenons à nos saumons…euh ! …moutons…Enchaînons, Monsieur Boulier.
BOULIER – Noret. De très bons résultats et c’est un comédien né. Une bonne recrue pour le théâtre, Natacha ?
LAFOSSE – Si ce n’est qu’il fait trop de grimaces. Il imite De Funès, son idole. Je préfère un peu plus de sobriété.
DIRECTRICE – A propos, où en êtes-vous dans vos répétitions pour le festival international ?
LAFOSSE – Au début, Madame, au tout début, même. Ils n’étudient pas leur texte, comme d’habitude. Ils pensent que nous neutraliserons la dernière semaine de cours, comme nous avons dû le faire l’an dernier.
DIRECTRICE – Cette année, s’il le faut, nous neutraliserons les deux dernières semaines.
LES PROFS (en chœur) – Quoi ?
DIRECTRICE – Il n’y a pas de “ Quoi ?”. L’année dernière, nous avons eu droit à une standing ovation mais nous avons dû partager le premier prix avec les petits Suisses. Cette fois-ci, je veux la standing ovation et la victoire sans partage. J’espère que je me fais bien comprendre, Madame Lafosse.
LAFOSSE (indignée) – Mais, Madame !
DIRECTRICE – Il n’y a pas de “ Mais ” qui tienne.
LAFOSSE – La pièce n’est même pas suffisamment comique.
DIRECTRICE – Ecrivez vous-même quelques scènes supplémentaires. En tant que professeur de français, vous en êtes capable; du moins si vous n’avez pas eu votre diplôme grâce à vos relations.
PETIT (scandalisée) – Madame, vous outrepassez vos droits.
DIRECTRICE – Je n’outrepasse rien, Madame. Je veux simplement garantir la survie de notre école.
PETIT – En faisant travailler cette petite comme une malheureuse.
LAFOSSE – C’est vrai, ça. Je n’en sors plus, Madame. Ils veulent tous faire du théâtre : les petits, les moyens, les grands, les timides comme les trop francs. J’en ai une petite centaine au total. Je n’en sors plus. J’ai un horaire complet en français, pas en art dramatique.
DIRECTRICE – Je ne vous demande pas de faire du dramatique mais du comique. Je veux voir les spectateurs pleurer mais pleurer de rire, seulement.
LAFOSSE – Si vous croyez que c’est facile. En plus, nous sommes programmés à vingt et une heures. Nos acteurs ne sont que des adolescents. A cette heure-là, non seulement ils seront stressés mais en plus déjà fatigués.
DIRECTRICE – Nous leur ferons des piqûres.
LES PROFS (choqués, en chœur) – Oh !
BOULIER – Du doping ?
DIRECTRICE – Des vitamines, deux piqûres quotidiennes pendant la dernière semaine.
PETIT – Mais ils font du théâtre, pas le Tour de France !
DIRECTRICE – Je vous l’ai dit : je veux la victoire.
DUPONT – Mais ils refuseront.
DIRECTRICE – Nous prendrons de petites aiguilles et, s’il le faut, nous les maintiendrons.
LAFOSSE (dans un état second) – Un croisement entre Hitler et Margaret Thatcher, on était en-dessous de la vérité, c’est entre Caligula et Lucrèce Borgia. Si seulement elle pouvait prendre tantôt une bonne trempe de son mari.
DIRECTRICE – Que dites-vous, Madame Lafosse ?
LAFOSSE (reprenant ses esprits) – Qu’en vous entendant, je suis fort marrie.
BOULIER – Après le premier jour, ils vont détaler comme des lapins.
DIRECTRICE – Nous les garderons ici. Nous dirons aux parents que nous organisons des classes vertes.
PETIT – C’est de la séquestration.
DIRECTRICE – Tout de suite les grands mots. J’appelle ça un camp d’entraînement avant la compétition.
PETIT – Vous avez de ces mots.
DIRECTRICE – Le chapitre est clos. La suite, Monsieur Boulier.
(Un temps. Ils se regardent tous, visiblement sous le choc.)
DIRECTRICE (sèchement) – La suite, Monsieur Boulier.
BOULIER (très ému) – Oui, Madame. Nutin : un petit échec en mathématiques. Mais il est de bonne volonté, il s’en sortira. Randour, le suivant, est dans le même cas.
DIRECTRICE – Accélérons, Monsieur Boulier.
BOULIER – Revard. Un gros échec en français et un petit en géographie.
LAFOSSE – Elle est faible et ne travaille pas à domicile. De plus, elle n’aura pas le temps de se rattraper, elle fait du théâtre. (Elle éclate en sanglots.)
PETIT – Chez moi, elle confond tout : les continents, les pays, les capitales. Elle croit dur comme fer que l’Australie est un continent, qu’on y trouve des mammouths et que Washington en est la capitale.
DIRECTRICE – Pourquoi des mammouths ?
PETIT – En histoire, elle a entendu parler des premiers hommes, des australopithèques.
D’australo à Australie, elle a vite fait l’amalgame.
BOULIER – Passons à Robert.
DIRECTRICE – Robert ?
BOULIER - C’est son nom. Elle s’appelle Martine Robert. Pas de problèmes pour elle : de bons résultats et un bon comportement.
PETIT – Heureusement qu’elle ne fait pas de théâtre !
DIRECTRICE – Je vous en prie, Madame Petit, n’en rajoutez pas.
PETIT – Non, mais…
DIRECTRICE (sèchement) – Je vous ai dit que le chapitre était clos. La suite, Monsieur Boulier.
BOULIER – Séverin : deux gros problèmes en anglais et en français.
PETIT – Même en géo, quand elle lit un terme anglais, sa prononciation est catastrophique. Elle est brouillée pour toujours avec les accents toniques.
LAFOSSE (en sanglotant) – Chez moi, ils sont tout sauf toniques. On dirait des points. Elle n’ose aller ni vers la gauche ni vers la droite. Le son é ou è, pour elle, c’est du pareil au même. D’ailleurs, c’est l’ensemble des sons qui posent problème. Résultat des courses : une orthographe catastrophique. Il faudrait tout reprendre à zéro.
PETIT – Et tu n’as pas le temps avec le théâtre.
DIRECTRICE (fâchée) – Madame Petit, je le dis et je le répète : le chapitre est clos, définitivement clos.
PETIT – Mais, Madame…
DIRECTRICE – Il n’y a pas de “ Mais ”, ne vous mêlez pas de ce qui ne vous regarde pas.
PETIT – Dans ce cas, permettez-moi de quitter ce conseil de classe en guise de protestation. (Elle se lève.) Au revoir.
LES PROFS (comme des robots, en chœur) – Au revoir. (Elle sort.)
BOULIER – Je crois que nous allons en faire autant, Madame.
DIRECTRICE – Quoi, une mutinerie ?
LAFOSSE – C’est ça, vous nous ferez mettre aux fers ou peut-être même pendre au grand mât.
DUPONT – Si pas jeter en pâture aux requins !
DIRECTRICE – Votre attitude est inqualifiable.
BOULIER – La vôtre également, Madame. Notre départ ne pose aucun problème : il ne restait que trois élèves à citer et leurs résultats sont bons. Venez, chers collègues.
(Ils se lèvent et quittent silencieusement le local.)
DIRECTRICE – Faites rentrer immédiatement les autres. (Ils sont sortis, elle fulmine.) Je ferai des rapports, je vous écraserai comme de la vermine. (Les quatre autres profs rentrent.) Prenez place. Je m’absente deux petites minutes, le temps de donner un coup de téléphone. (Ils s’assoient tandis qu’elle se lève.)
PETIT (rentrant d’un pas décidé) – Madame, certaines choses peuvent nous exaspérer dans la vie. Mais, en aucun cas, cela ne peut justifier qu’on adopte un comportement inadmissible
avec des personnes qui ont le seul tort de se trouver devant vous au mauvais moment.
Réfléchissez-y, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! (Elle sort.)
DIRECTRICE (après un temps et sans prêter attention aux autres qui se sont assis) – Elle a peut-être raison, et tout ça à cause d’un vulgaire mari (Elle se rend compte qu’ils sont là et qu’ils l’observent.)… d’un vulgaire mardi (Elle insiste.)…mardi…d’un vulgaire mardi de conseil de classe. Je hais les conseils de classe le mardi. Veuillez m’excuser, je reviens. (Elle sort.)

SCENE 6 (SIMON, MARICHAL, LEGROS, VINCENT)

MARICHAL – Mais nous ne sommes pas mardi ! Vous ne trouvez pas qu’elle est bizarre en ce moment ?
VINCENT – Et qu’elle tient des propos incohérents ?
SIMON – Vous avez vu la tête des autres en sortant ? Il a dû se passer quelque chose.
LEGROS – Vous avez compris ce qu’ils disaient, vous ? Non seulement, on n’a pratiquement pas eu le temps d’échanger quelques mots mais, en plus, ils parlaient tous en même temps.
MARICHAL – J’ai cru comprendre qu’on allait organiser des classes vertes pendant la semaine qui précède le festival de théâtre.
VINCENT – Le moment ne me paraît pas tellement bien choisi.
SIMON – C’est un euphémisme. Elle qui attache tant d’importance au festival international.
LEGROS – Et puis, elle avait décidé, il y a trois ans, après avoir passé une nuit entière à chercher deux élèves, que nous n’en organiserions plus jamais.
MARICHAL – Oui, mais c’est surtout à cause du feu de camp.
VINCENT – Oui, quand toute la ferme a brûlé.
SIMON – Pour toute, c’était toute : l’habitation particulière et toutes les dépendances.
LEGROS – Tout est parti en fumée : sa maison, la porcherie, l’étable, la paille.
MARICHAL – Si on n’avait pas été bien assuré, le fermier s’y retrouvait, sur la paille.
VINCENT – Même ainsi, il y a laissé de fameuses plumes.
SIMON – Tu parles ! On n’a rien retrouvé non plus de la basse-cour.
MARICHAL – Dans un cas pareil, même assuré, on est toujours perdant.
LEGROS – Merci, c’est gentil !
MARICHAL – Quoi, c’est gentil ?
LEGROS – C’est parce que je suis également assureur que tu dis ça ?
MARICHAL – Pas du tout. Mais tu es bien placé pour savoir que les compagnies ne sèment pas l’argent à tout vent. Elles s’y retrouvent d’abord, avoue-le.
LEGROS – Mais non, mais non, tu exagères !
VINCENT – Tu manques de franchise pour un assureur.
SIMON – C’est un comble ! Au fait, vous avez compris quelque chose avec cette histoire de piqûres ?
VINCENT – Je crois qu’il était question d’en faire pendant un camp d’entraînement pour le Tour de France mais je ne sais pas si j’ai bien tout saisi.
LEGROS – Elle débloque.
MARICHAL – Entre la randonnée pour nos élèves cyclotouristes organisée par Meurant et le Tour de France, il y a une fameuse différence.
VINCENT – Elle t’a parlé de quelque chose, François, pour l’organisation du voyage de fin d’année ?
SIMON – Pas du tout mais je suis partant pour un Tour de France gastronomique ou pour une route des vins. Je me vois déjà faire tout le Bordelais puis la vallée du Rhône.
MARICHAL (étonnée) – En vélo ?
SIMON – En voiture ! Tu m’as déjà bien regardé ? Moi, les Côtes du Rhône, je ne les monte pas, je les descends ! (Il fait semblant de boire.)
LEGROS – Mais ça ne pourrait jamais marcher. Même si ce n’était qu’un mini-tour d’une semaine par exemple, les parents n’accepteraient jamais.
MARICHAL – A raison ! On ne pourrait jamais le proposer à un prix démocratique.
VINCENT – On lui a peut-être alloué un budget extraordinaire.
SIMON – Tu crois encore au Père Noël, après toutes les restrictions de ces dernières années.
LEGROS – Tu as raison. Arrêtons de rêver. (Un temps.)
MARICHAL – Nous ne sommes que quatre. Je suppose que nous n’en aurons pas pour longtemps.
VINCENT – Cinq avec Renard. Il doit arriver en principe.
SIMON – Il a dû se passer quelque chose de bizarre, tout le monde avait une tête d’enterrement.
VINCENT – Eh bien ! nous irons tous aux funérailles.
LEGROS (se levant) – Venez tous, Mesdames et Messieurs les Professeurs, nous vous invitons à l’enterrement de vos dernières illusions.
SIMON – L’enseignement vient de mourir, Mesdames et Messieurs, après une lente, longue et pénible agonie. Les assassins sont activement recherchés et l’enquête semble conduire vers les milieux politiques. (Legros va se servir un café.)
MARICHAL (ironique) – Tu en es sûr ? Ce serait vraiment très, très étonnant, très bizarre.
VINCENT (imitant Louis Jouvet) – Vous avez dit “ bizarre ”, Madame Marichal, comme c’est bizarre !
MARICHAL (même imitation) – Moi, j’ai dit “ bizarre ” ? Comme c’est bizarre !
LEGROS – Quand c’est politique, on ne trouve jamais. A moins que l’assassin ne soit parmi nous, parmi nos élèves, même.
VINCENT – Tu as des soupçons ?
LEGROS – Oui, bien sûr. Le commanditaire est chez nous : c’est Bonnet.
SIMON – Le gros Bonnet ?
LEGROS – Précisément : le gros Bonnet. Dans ces histoires-là, il y a toujours un gros bonnet.
VINCENT – Allez ! fin de la chronique policière, c’est trop sinistre.
MARICHAL (regardant sa montre) – Deux petites minutes…c’est bien ce qu’elle nous a dit.
LEGROS (essayant d’imiter Lafosse) – Comme dirait Natacha, elle est encore en retard la vieille peau. (La directrice rentre à ce moment-là, ils se lèvent.)

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