Dossier #LisezVousLeBelge : aie confiance, souffle Voix De Femmes

Publié le  04.12.2020

Dans cette grande fête où l’on agite avec malice le hashtag #LisezVousLeBelge, Bela a décidé de partir sur les traces du livre, là où on ne l’attend pas. Pour le deuxième article de ce dossier, on s'intéresse aux formes transversales possibles entre littérature et festival.

Voix De Femmes c’est un festival, à la base musical et théâtral, un porte-voix pour les créatrices. Une façon de prendre l’expression « se faire entendre » au pied de la lettre. La lettre, justement, s’est frayé un chemin entre les planches. Et la littérature fait maintenant partie de la programmation. Au point d’avoir une bédéiste en résidence.

À Liège, il y a la Meuse qui déploie son flot de part en part de la cité, entre, ressort, s'en fiche. Il y a aussi des meneuses qui déploient le flow de qui a trop peu droit de cité et reste en dehors des affiches. Les femmes artistes. Qui voudraient toutes être juste des artistes. Mais les constats, douloureux, montrent encore et (pas pour) toujours que les créatrices sont moins programmées, moins financées, moins visibilisées. Toute la mission de Voix De Femmes – qui est à la fois un festival bisannuel et une association – est là : contrecarrer ce déséquilibre. Montrer que l’art des créatrices est un flot constant, abondant, varié, sortant amplement du lit du ruisseau dans lequel on l’imagine. Donner à entendre, à voir, à ressentir, à toucher ce flow féminin (que l’on voudra bien prendre ici dans une acception large de parole, d’expression, de geste). Au tout début, quand Brigitte Kaquet le fonde en 1991, le festival est orienté musique et théâtre. Puis à partir des années 2010, il devient multidisciplinaire, intégrant selon les opportunités, cinéma, arts plastiques, numériques, etc. Et la littérature s’immisce doucement. Avec, par exemple, dans l’édition 2015 une « sieste des autrices » où Geneviève Damas, Caroline Lamarche, Laurence Vielle et Isabelle Wéry, lisent des passages de leurs livres au public allongé dans la pénombre. 

photo de Flo Vandenberghe avec une écharpe
© Flo Vandenberghe par Julien Hayard

Le festival aussi en librairies

À l’arrivée de la nouvelle direction, en 2017, l’approche change sur deux grands points : la programmation se fait désormais en collectif, et le festival quitte le vaste Manège Fonck pour se disséminer dans une dizaine de lieux culturels. « Dont des librairies, pointe Flo Vandenberghe, co-directrice de Voix De Femmes. Avec ces partenaires, La Grande Ourse, Entre-Temps et Livre aux Trésors, on a pu programmer des rencontres avec des autrices, avec une éditrice, des ateliers d’écriture pour adultes et pour enfants. Livre aux Trésors a développé une formule "L'affaire de tou.te.s" où qui le veut vient lire un passage d’un livre qui l’a marqué.e. Souvent c’est thématique et quand Voix De Femmes l’a co-organisé, c’était sur le thème du travail. »

photo d'une rangée de personnes dans une librairie
© rencontre "L'affaire de tou.te.s" du 25 octobre 2019 chez Livre aux Trésors à Liège par Elise Dutrieux

Outre le festival, les ateliers et les rencontres que l’association mène tout au long de l’année, elle investit pleinement un rôle primordial, l’accompagnement des artistes. Elle accueille et soutient des projets, le must étant la Curieuse Résidence qu’elle propose. Une résidence de recherche, sans obligation de résultat, qui se déploie sur une année avec un accompagnement à la carte et une bourse de 5 000 euros. En 2020, et c’est une première, c’est une artiste du livre qui a été choisie. « La Curieuse Résidence est ouverte à toutes les disciplines. Ce qui nous importe, c’est la qualité du projet et les possibilités de transmédiation. Le projet de Rebecca Rosen est fantastique ! Elle fait une bande dessinée basée sur la vie de Mayken Verhulst, peintre et graveuse du XVIe siècle, connue aujourd’hui seulement comme épouse de l'artiste Pieter Coecke van Aelst, belle-mère de Pieter Bruegel l'ancien et grand-mère et formatrice de Pieter Brueghel le jeune et Jan Brueghel l'ancien. La thématique même de son travail de résidence entre parfaitement en ligne avec les questions de fond de Voix De Femmes : féminismes, arts et cultures. Il y a beaucoup de sens pour nous à l’accueillir car cela résonne complètement avec ce que l’on fait. En plus, la BD est une discipline qu’on n’avait pas encore abordée », éclaire Flo Vandenberghe.

Chez Voix De Femmes, Emmanuelle Nsunda et Rebecca Rosen trouvent un espace pour exprimer leurs besoins, leurs doutes, leurs questionnements.

dessin d'une femme nue couchée lisant un livre avec un bébé au sein
© Rebecca Rosen par elle-même

De la BD féministe

« J'aborde cette BD par l’angle féministe en mettant en lumière les obstacles auxquels ces artistes femmes étaient confrontées au XVIe siècle et qui sont toujours là, explique Rebecca Rosen. Mayken Verhulst est répertoriée comme une des quatre femmes artistes de son époque aux Pays-Bas, mais on ne connaît pas ses œuvres. Et on ne parle pas d’elle. Elle est juste une note biographique dans la vie des hommes qui l’entouraient. Alors qu’elle était elle-même artiste et que c’est elle qui gérait l’entreprise artistique familiale. » Si le confinement de printemps l’a coupée dans son élan  le storyboard n’est pas achevé comme prévu car on avance nettement moins dans son travail quand les crèches sont fermées , elle reste très enthousiaste sur sa Curieuse Résidence. « L’équipe de Voix De Femmes est super ! D’abord, elles sont en elles-mêmes des ressources de grande valeur, ensuite elles sont des nucléus qui rassemblent, résume Rebecca Rosen. Elles m’ont mise en lien avec les fondatrices d’une revue française Panthère Première qui m’ont demandé de faire une BD pour leur numéro de novembre dernier ou encore avec la librairie La Grande Ourse, où j’ai participé à une table ronde. J’ai aussi monté une guilde d’autrices et illustratrices basées à Bruxelles. J'y songeais depuis longtemps, mais sans leur soutien et leurs encouragements, je ne l’aurais pas fait. »

photo d'Emmanuelle Nsunda avec un foulard dans les cheveux
© Emmanuelle Nsunda

Un livre tiré d’un podcast

On entend littéralement les mêmes mots chez Emmanuelle Nsunda : « Seule, je me serais découragée. Elles me soutiennent, me donnent des avis, participent à la réflexion, la nourrissent, me font bénéficier de leur réseau et, ce n’est pas la moindre des choses, d’un accompagnement administratif  je suis loin de connaître tous les codes, et de leur savoir-faire pour l’élaboration de mon plan de communication. » La créatrice s’est lancée en avril 2020 dans la réalisation d’un podcast en trois épisodes et consacré aux femmes racisées qui sont sous-représentées dans les secteurs culturel et académique. Il s’appelle « Les Absentes ». Témoignage sans filtre de la résilience de ces femmes, de leurs stratégies quand leurs trajectoires sont détournées. « Sans axer uniquement sur le négatif. Mon but est de faire du bien à tout qui écoute, racisées et non racisées. Je veux montrer que les femmes noires racisées s’en sortent aussi. Et donner à entendre les enfants et les adolescents car la réorientation commence tôt, au travers d’assignations, de petites phrases », précise Emmanuelle Nsunda. Le podcast va être décliné en une version écrite. « Un livre, numérique ou physique, qui reprendra certains témoignages et stratégies mises en place. Un livre outil, accessible, inscrit dans la pratique quotidienne », enchaîne-t-elle.

Chez Voix De Femmes, Emmanuelle Nsunda et Rebecca Rosen trouvent un espace pour exprimer leurs besoins, leurs doutes, leurs questionnements. Ce que l’une et l'autre trouvent précieux, car fondamental mais rare, c’est que les codirectrices, Flo Vandenberghe et Emilie Rouchon, prennent le temps. Le temps de réfléchir, de leur faire des retours constructifs, des propositions de rencontres, de les accompagner, sans pression. Elles font et donnent confiance.

Des meneuses, vous disait-on.

Qui mettent à flow.

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