Beckett à Bangkok

Publié le  07.03.2011

"Chacun doit voir que le pouvoir créateur de l'univers est en lui."
Siddhârta Gautama

 

Dans le cahot du train, le vrombissement d'une chaussée. Impossible de réduire la confusion du monde à des idées claires. Perdu le besoin ancien de tout notifier. Le corps découragé et l'esprit abruti. Ma vie dans les avions. Derrière ses guirlandes de fenêtres éclairées, le monde qui m'emballait tant est devenu volcan prêt à exploser. Faire entendre bourdonnement des moteurs. Finir lecture de la biographie de Beckett. Ici, à Bangkok. Former des phrases, inutile. Cela ne ressemblerait à rien. Vieille langue inadéquate. La ville infernale m'avait déjà emporté. Sang de feu. Effervescence hissée jusqu'à effleurer la fureur. Au loin, l'écho des révolutions arabes. Tant d'espoir dans un monde qui s'écroule. Je m'étais laissé gagner par le feu. Rien lu. Tout visiter. Excitation de novice. Motorbike fendant le trafic. Les vies sacrifiées aux dieux embouteillages. Esclavage moderne. Tant d'espoir. Dans un monde qui s'écroule. Fumée de grillades, gaz d'échappement. Odeurs de bouffe et d'urine. Déambulation limite écœurante. Jeu de constructions infantile. Espace exploité dans ses moindres recoins. Ne fût-ce que par les insectes et les rats. Heure de la Grande Folie Urbaine. Toits transformés en jardins d'Eden. Chaussées empilées. Voies aériennes. Équilibre affolant. Pourvu que ça tienne. Le temps que j'y passe. Encens. Douceur des chants bouddhiques entonnés ensemble dans les temples. Couleur paisible des robes monastiques. Ne pas rester avec quelque chose d'assassin dans le ventre. Chinatown pétaradant. Le bruit constant vous ramène au silence. Et le silence vous empêche de dormir. Ivresse. J'adore le mariage crapuleux de la rouille et du sublime. Oh ! il y a quelque chose de désolant dans ce monde, et en même temps quelque chose de beau dans cette désolation. Les cernes sous mes yeux, c'est l'ombre de mon cœur. De Beckett il reste "Imagination morte imaginez". L'obligation d'exprimer. Le rêve de peindre le désordre. La proximité du vide - last idéal.

À découvrir aussi

C'est pas que je veuille tenir ni que je veuille m'enfuir (De retour de Bozar)

  • Fiction
Faire du beau avec la merde du monde. Faire l'éloge de la douceur quand on est considéré comme un maître du trash. Faire la démonstration de sa compétence plastique, rythmique, bien au-delà de la pro...

Vertige en vynile vert

  • Fiction
Il y a quelques années, une amie m'a offert un album trouvé aux puces. Un classeur de vynil vert qui porte l'étiquette « Isabelle » et contient les photos de quatre générations de femmes. Pas d'autres...

D'acc / Pas d'acc (about « My secret garden »)

  • Fiction
Thomas Depryck est mon plus proche collaborateur. Depuis 2004, chacune des pièces que j'ai initiées a porté sa marque. En tant que dramaturge, en tant que conseiller artistique, en tant qu'auteu...

Ne le dites pas à ma mère

  • Fiction
Ne le dites pas à ma mère, mais je crois que ma vie n'est pas très différente de la sienne. Pendant des années, je l'ai vue partir au travail, en revenir, s'en plaindre ; je l'y ai accompagnée, même, ...