Déphasée un instant (mon Avignon 2011 - jour 11)

Publié le  26.07.2011

 

 

Dans « Fase », spectacle culte et fondateur créé par Anne Teresa De Keersmaeker et Michèle Anne De Mey le 18 mars 1982, repris plus de cent-cinquante fois depuis, partout sur la planète, présenté trois soirs au Festival d'Avignon dans la cour du lycée Saint Joseph, dimanche, lundi et aujourd'hui par ATDK elle-même et la saisissante Tale Dolven, chorégraphie incontournable à propos de laquelle on a déjà tout écrit et dont je me bornerai à n'ajouter qu'un commentaire lié à la représentation d'hier, dans « Fase » donc, spectacle construit autour de l'idée de phase et de déphasage au sens mathématique des termes, suivant le modèle de la musique de Steve Reich qui constitue sa bande son en quatre mouvements distincts - « piano phase », « come out », « violin phase », « clapping music », dans « Fase », hier, peu avant 23 heures, mouvement trois, alors que la souveraine chorégraphe arpente en solo un cercle de lumière, les centaines d'yeux de la cour du lycée rivées sur elle, suspendues à l'instant, sans prévenir, interrompant très soudainement un élan circulaire, l'œil sévérissime, le pas décidé, la reine Anne Terèse fond sur un spectateur du deuxième rang occupé à filmer le dit-solo à l'aide de son téléphone portable, le somme de cesser sur le champ, nous laisse sidérés, rejoint son cercle de lumière et sa bande son qui n'a pas été interrompue durant l'incident et reprend son pas comme si de rien n'était.

 

Les publics d'Avignon sont bruyants, indisciplinés, grossiers, souvent insupportables, c'est entendu. La maîtrise des images reproductibles rendant compte des spectacles vivants est une revendication légitime des créateurs, c'est évident. Que l'extrême précision de la construction d'un spectacle comme « Fase » suppose une concentration extrême de celle qui l'exécute, que rien ne devrait venir perturber, j'en suis convaincu.

Et pourtant, sans savoir exactement qu'en penser (finalement, quand on souhaite ne pas être emmerdée par le public, on reste dans son studio de répétitions, non ?), probablement comme plusieurs centaines d'autres spectateurs hier soir, je suis à la fois plein de frustration, gêné de m'être senti « en phase » avec la danseuse, elle qui ne l'était pas avec nous, d'avoir été interrompu dans mon voyage, tout à coup extrait d'une agréable torpeur, et à la fois ravi qu'un accident advienne, que « ma » représentation de ce spectacle si vu, si su, si commenté, devienne, par ce déphasage imprévu, un événement unique.

 

                                                                                                        *

 

« Fase, four movements to the Music of Steve Reich », chorégraphie d'Anne Teresa De Keersmaeker, est encore jouée ce soir dans la cour du lycée Saint-Joseph.

 

Parmi l'abondante littérature concernant le spectacle, la fiche wikipédia et sa bibliographie ne sont pas sans intérêt.

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