Désordres du geste

Publié le  21.05.2013

Et il me reste alors à restituer toute cette parole accumulée le long des chemins et dans l'eau des rivières. En faire des chapelets de mots qui portent et se rapprochent près tout près très près de ceux-là qui la portent, qui l'ont portée, qui pourraient la porter. M'approcher d'eux, de sorte que ce que sculpte cette cascade de mots enchevêtrés les uns aux autres puisse être le corps en mouvement d'hommes et de femmes occupés à tisser leur vie comme ils le peuvent.
La parole n'est pas la réalité, n'est pas un état de fait. Elle est ce chemin parsemé de petits cailloux reliés entre eux qui mène à ce qui me rend toujours curieux, ce qui me semble trop oublié dans les placards, dans les replis, les cachettes de l'histoire. Elle est chemin, c'est à dire qu'elle cherche, qu'elle est la matière qui se dirige toujours vers ce qui la fuit.
La parole, quand il arrive qu'elle sorte, clame et réclame, insiste et se désespère, fuit et rapplique, se fait courte puis mélopée puis flot continu puis brusque virage puis arrêt soudain. La parole, marque, attaque, s'enroule sur elle-même, jongle avec les sons et les entrechoque, se joue de nous, dégage et s'impose.
Et je suis là, avec mon stylo, mon crayon, mon clavier, que sais-je, mes feuilles de papier, mon écran, à ne pouvoir tenir que mollement la bride à ce déchaînement soudain, le guider vers toujours ces hommes, ces femmes, ces corps, qui réclament à dire et à dire et à dire et ne le font sans doute pas parce qu'ils sont épuisés, ou parce qu'ON les en a découragés de leur peu d'importance.
Il faut bien que quelques-uns le fassent, non ?
Les mots jaillissent et se cabrent, se révoltent et pleurent.
Et la parole sculpte des horizons possibles et se fait alors matière à ouïr.

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