Les précaires

Publié le  06.05.2011

De la rue Dansaert à la rue de Laeken en passant par la rue de Flandre, trois évènements marquent ma journée ensoleillée à Bruxelles. (1) Rue Dansaert, on accroche d'énormes lettres noires sur fond blanc : K U N S T E N F E S T I V A L D E S A R T S. Vingt-deux lettres qui se balancent dans le vide signalant que c'est là, dans la plus branchée des rues de la capitale, qu'il faudra (qu'il aurait déjà fallu) acheter ses tickets pour le plus couru des festivals international et bicommunautaire (au passage, pied de nez à Monsieur Bart Albert Liliane De Wever). BELA me propose d'écrire quelques billets en ligne, six spectacles au choix, tickets d'entrée non compris. Sur un ton légèrement pléonastique, je m'insurge : « Pas de ticket/pas de billet ! » J'apprends qu'Antoine Laubin - artiste, auteur et critique de la scène qui ne recule devant aucun sacrifice - va, lui, pouvoir écrire ses billets parce qu'il a déjà acheté son pass (130€). Ses six billets BELA (6 x 25€ = 150€) lui permettront d'aller au Kunst et d'avoir 20€ d'argent de poche. Le veinard ! (2) Rue de Laeken, à la Tentation (qui ne nous délivre pas du mal), 300 personnes se réunissent autour du thème "Monde(s) précaire(s).

Comment vivre et survivre dans une société de fou(s) ?" Pierangelo Di Vittorio, professeur de philosophie, nous apprend que « les précaires sont des êtres flottants peu à l'aise dans la société, mais travaillant beaucoup pour garder et entretenir ce fragile lien avec une société qui ne leur rend pas la vie facile ». (Là, j'ai une petite pensée pour Antoine L. et tous les Antoine précaires du secteur culturel). À la tentation, on ajoute que les pauvres (qui sont aussi précaires, mais pauvres en plus) « préfèrent » se réfugier dans la solitude. Et parce que l'envie et les besoins s'estompent petit à petit, ils finissent par se perdre dans l'oubli. « Heureusement, ils ne manquent à personne ». Entrée : 80€ pour les professionnels, gratuit pour les non-professionnels (nommés aussi « usagers » ou bénéficiaires de service sociaux). Gratuit donc pour tout ceux qui sont usés et âgés avant l'âge, les pauvres quoi. (3) Rue de Flandre, dans ma Bellone aimée, Georges Banu, mon directeur de mémoire, se propose de redorer le blason des artistes de l'Est à travers sa « réécriture d'un Retour de l'Est qui s'attaquerait à la conviction d'une dérive généralisée des pays de l'est et de la supériorité de l'Occident." Invités, des gens de l'Est et des autres : Krzysztof Warlikowski, Anton Kouznetsov, Felix Alexa et Jean-Pierre Thibaudat. Que du beau linge, et, en plus c'est gratuit pour les professionnels et les non-professionnels… Ma journée s'achève, le ciel est clair, on annonce 22° pour demain. Maintenant, il faut écrire, c'est-à-dire tricoter des liens originaux entre ces trois évènements, tout en restant dans le cadre du billet demandé (25€). Sur quel sujet encore ? Ah oui, le travail de l'écriture… Et bien, je bloque ! Je sens qu'à trifouiller les mêmes sujets précaires, on va encore me traiter de poulbot, alors que je ne suis qu'une poule moche ayant rompu son lien flottant en refusant de payer pour travailler. À moins qu'écrire ne soit pas du travail ?

***

Vous avez une arme! Ecrivez !
Car depuis, j'ai les tickets et vous, vous aurez les billets.
Merci la SACD

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