L'éternelle reprise

Publié le  11.04.2011

« Tu es cela qui est à la place du bonheur », écrit Claudel dans Partage de midi.

Venue de la passion, cette adresse à la femme aimée désigne aussi ce qui noue la création, ce qui la propulse et la pose sans cesse en équilibre instable. Sous les phrases qui continuent d'habiter nos mémoires comme sur les toiles ou les airs qui émeuvent nos yeux ou nos oreilles dans les éclairs et les surprises qui déchirent la nuit ou malmènent le ronron, c'est ce descellement qui est à l'œuvre. C'est lui qui sous-tend et produit la Forme.

Pourquoi, dès lors, confier au papier les affres qui précèdent ces moments de déséquilibre suspendu ? Pourquoi ne pas se contenter de ces transports ? Parce qu'ils ne sont sans doute qu' « à la place », et contraignent sans fin à l'éternelle reprise ?

C'est une des questions que l'on peut se poser à la lecture de Dialogues avec les montagnes, le journal du Régiment noir (1968-1971) d'Henry Bauchau qui vient de paraître chez Actes Sud. D'à travers quels magmas, ressassements, bobos, drames ou fléchissements naquit ce roman capital de l'auteur d'Œdipe sur la route et d'Antigone ! En ces pages dans lesquelles Bauchau confesse, plus clairement qu'ailleurs, les nœuds de sa création les plus liés à sa personne ou à sa vie se lit en même temps l'infinie reprise qui amène parfois à la merveille.

On n'en est pas moins - alors - dans un tout autre champ que celui de l'œuvre et de la fiction. Ce Hors-Soi, qui est aussi celui de la Passion et qui est l'enjeu de l'Œuvre.

La perte qui s'y dit a-t-elle besoin de nos babils et de nos discours, comme de la saturation de la parole par rapport au silence ? Du maillage infini de la lisse, de ses chutes et de ses départs ? Serait-ce qu'il doit en être ainsi pour que l'impensable soit à la fois produit et toléré - si pas accepté ?

Pour qu'il soit humain.

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